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A. De la « vulgarisation scientifique »?

III) Un discours vulgarisateur atypique

Le corpus de textes que nous avons réunis sur la « nouvelle économie » est proche de la vulgarisation scientifique en ce qu’il tente visiblement de diffuser une science, institutionnalisée et reconnue. Il use pour ce faire de multiples reformulations et définitions, se sert de l’expertise de différents intervenants, de leurs résultats et de leurs mots. Ces textes qui paraissent hors de tout contexte éducatif officiel exhibent, comme toute vulgarisation, leur volonté de simplifier d’expliquer. Ceci assure tout à la fois la scientificité de leur propos et leur légitimité à exister. Mais les articles sur la « nouvelle économie » se différencient de la littérature de vulgarisation des sciences « dures », sur un certain nombre de points.

a) Une vulgarisation peu soucieuse de l’histoire de la discipline

Les « paradoxes » sont nombreux dans notre corpus puisque c’est l’existence même de contradictions entre la réalité et « la » théorie qui justifie le fait que l’on parle de « nouvelle

710

MAURIAC Laurent, PENICAUT Nicole, « Jacques Attali, consultant et essayiste : “La nouvelle économie est par nature anticapitaliste” », Libération, 5 mai 2000, p. 28-29, Économie.

711

p. 87 in JACOBI Daniel, Le discours de vulgarisation scientifique : problèmes sémiotiques et textuels, Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, / éd. par Jacobi Daniel, Schiele Bernard, (p 87-117), (p. 118- 148), op. cit. p. 129.

712

p. 56 in MORTUREUX Marie-Françoise, La formation et le fonctionnement d’un discours de la vulgarisation scientifique au XVIIIe siècle à travers l’œuvre de Fontenelle, op. cit. p. 129

économie ». « Ce sont des débats d'économistes autour de trois grands paradoxes qui

structurent l'apparition d'une interrogation sur la nouvelle économie »713.

Les « paradoxes » relevés par les auteurs sont nombreux, ils concernent des variables économiques (persistance d’une bulle boursière, absence d’inflation, etc.) ou soulignent les contradictions du modèle (« Qui paye le contenu gratuit sur Internet ? »714 ou « Il y a en effet

un paradoxe suprême. Chaque nouvel abonné rapporte moins que le précédent, mais il est mieux valorisé en Bourse ! »715).

Pour les auteurs de notre corpus, les modèles économiques sont excellents, la théorie économique est « vraie », il n’est donc pas possible qu’ils s’opposent à la « réalité ». D’où des

commentaires outrés : la Bourse ne se comporte pas comme elle le « devrait »716. Tous

constatent avec effarement et gêne l’existence de « paradoxes » qui « agitent les milieux

économiques »717.

L’insistance sur ces contradictions crée artificiellement une opposition formelle entre deux thèmes « présent / passé » et « réalité / théorie » construite sur un pseudo-antagonisme : la réalité du présent s’oppose à l’ancienne théorie. Le présent réel, donc vrai, implique la fausseté de la théorie passée.

Les auteurs des articles considérés prennent rarement la peine de rappeler les théories en présence, les travaux et les hommes qui les ont développées. Les « pères fondateurs » cités sont en très petit nombre. On retrouve exceptionnellement Schumpeter (« Nous sommes donc

au cœur d'une révolution schumpétérienne, Schumpeter étant cet économiste autrichien qui a donné son nom à ces grands sursauts de l'économie »718) ou Kondratiev : « Nous entrons,

pronostique [A Minc], dans un authentique cycle Kondratiev, du nom du célèbre économiste soviétique, c'est-à-dire dans une phase de croissance longue »719

. Ces références sont trop rapides pour resituer réellement la discipline dans une histoire longue.

Les auteurs laissent à penser que les connaissances que pourraient apporter l’étude de l’histoire de la discipline, ne sauraient être que superfétatoires puisque tous les travaux du

713

LEMOINE Philippe, « Qu'est réellement la nouvelle économie ? », Le Monde, 4 juillet 2000, p. 7, Le Monde Économie, Les enjeux - Les initiatives, Tribunes.

714

FRAISSARD Guillaume, « Enquête : Le modèle gratuit est-il dans l'impasse ? », Le Monde, 20 septembre 2000, p. 2, Les nouvelles technologies.

715

DUCOIN Jean - Emmanuel, « La folie », L’Humanité, 24 novembre 1999, p. 5

716

DELHOMMAIS Pierre Antoine, « Le Palmarès européen des Sicav. Un trimestre de paradoxes », Le Monde, 8 avril 2000, p. 1.

717

LAMRANI Okba, « Internet nouvelle frontière de l'économie? », L’Humanité, 15 janvier 2000, p. 14, Décryptage.

718

BETBEZE Jean-Paul, « Apprendre pour la nouvelle économie », La Croix, 20 septembre 2000, p. 26.

719

MAUDUIT Laurent, « Dossier : La société de marché au service de l'équité », Le Monde, 15 septembre 2000, p. 8.

passé sont fatalement dépassés. Cette étude ne peut servir, au mieux, qu’à comprendre comment les hommes se sont trompés, comment ils se sont fait abuser (par exemple, lors de bulles boursières) mais n’aide ni à cerner le réel, ni à se rapprocher de la vérité, ni à modéliser.

Dans la vulgarisation des sciences dures, le locuteur ancre son texte dans le présent en l’opposant au passé720. Dans notre corpus, il ne s’agit jamais d’inscrire les « découvertes » récentes dans une tradition bien établie. Ce n’est pas une nouvelle théorie qui détrône l’ancienne, mais la « réalité brute » qui en surgissant fortuitement la rend caduque. Un nouveau rapport à l’histoire se dessine donc. Alors que les chercheurs en sciences économiques estiment qu’ils auraient encore beaucoup à apprendre s’ils pouvaient discuter avec Ricardo ou Marx, ou en se penchant sur leurs écrits, les auteurs de notre corpus ne font jamais appel à eux puisqu’ils sont supposés n’avoir rien à dire sur la situation présente soi- disant ne relevant plus des schèmes anciens.

Notons au passage que le rapport entre la science et la vulgarisation est alors inverse de celui qui s’établit dans les sciences « dures ». La vulgarisation dans les sciences « dures » déroule une temporalité longue et s’attarde à tracer une image linéaire des progrès effectués : elle encense ses grands hommes et reconnaît leurs mérites ; alors que les chercheurs de ces même sciences dures semblent juger n’avoir rien à attendre d’une discussion avec Lavoisier ou Franklin s’ils vivaient encore721. Là où l’héritage du passé pèse encore lourdement sur la vulgarisation des sciences dures, les vulgarisateurs des sciences économiques sont curieusement enclins à le jeter sans ménagement aux orties.

Plus étonnant encore : les auteurs de notre corpus ne font guère appel aux travaux et aux réflexions des économistes contemporains. Les articles sur la « nouvelle économie » ne s’appuient guère, en effet, sur la « nouvelle » théorie économique et continuent à étudier la « nouvelle situation » en conservant les références anciennes. Les économistes ne sont pas considérés comme les seuls producteurs du savoir « scientifique » : les auteurs des articles n’attribuent pas toujours les définitions des termes techniques à la communauté savante, dont l’existence est parfois même totalement ignorée. Le « sujet-producteur du savoir » est le plus

720

Comme l’a remarqué Jacobi dans son étude sur le mensuel La Recherche voir p. 97 in JACOBI Daniel, Le discours de vulgarisation scientifique : problèmes sémiotiques et textuels, Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, / éd. par Jacobi Daniel, Schiele Bernard, (p. 87-117), op. cit. p. 129.

721

Par exemple, voir la conférence prononcée par George Steiner, le 1er octobre 1998, à la Bibliothèque nationale de France : « Les philosophes en herbe apprendraient encore beaucoup de choses en assistant à des séminaires d’Aristote ou de Platon. Il n’est pas sûr, en revanche, que si M. Laplace ou M. Darwin, de retour sur terre, émettaient le désir de faire des conférences, les scientifiques actuels se presseraient nombreux dans les amphis pour les écouter. L’intérêt qu’ils trouveraient à leurs propos ne seraient, en effet, qu’archéologique ou mythologique ».

souvent le pronom « on » et renvoie aussi bien au narrateur, aux lecteurs éclairés, aux citoyens lambda qui peuvent être aveuglés par les apparences qu’aux « économistes » patentés. Celui qui sait, voit, constate, est un indéfini : « On savait les investisseurs désormais

plus regardants à l'égard des jeunes pousses de la nouvelle économie »722. ou « On voit bien

au total se dessiner la contradiction centrale de la nouvelle économie »723 ou encore « Ainsi voit-on des sociétés de la “nouvelle économie” dont la capitalisation boursière enfle à vue d'oeil, tandis que les bonnes vieilles entreprises du portefeuille “à la papa” subissent l'injustice relative d'une baisse inexorable des cours »724.

Le vocabulaire est donné comme un produit fini, coupé des instances et des mécanismes de production. Inutile de rendre compte des débats compliqués qui agitent les colloques et les publications. Tout au plus peut-on faire mention des recherches déjà validées par les institutions et vieilles d’une vingtaine d’années. Contrairement à la vulgarisation des « sciences dures », les articles sur la « nouvelle économie » sont coupés des sources du savoir académique.

b) Savoir ou connaissance économique

Ce rapport singulier à l’histoire nous a amenée à nous interroger sur la manière dont les auteurs de notre corpus nous présentent les notions économiques. Comme Florence Mourlhon-Dallies725

, nous distinguons les savoirs « qui renvoient à des résultats établis,

souvent institutionnalisés par des enseignements, répertoriés dans des encyclopédies et mis à contribution dans des applications de type technique » de la connaissance ; celle-ci « correspond à un état des lieux du champ disciplinaire englobant les savoirs, mais aussi des

découvertes plus récentes, des hypothèses et des théories reconnues, mais pas toujours établies ». Comment nos textes sur la « nouvelle économie » envisagent-il les « résultats » de

la science économique ? Font-ils une part égale entre la vulgarisation du « savoir » et l’exposé des connaissances ?

722

PENICAUT Nicole, « Les start-up reviennent dans le réel », Libération, 3 octobre 2000, p. 35, Économie.

723

LAMRANI Okba, « La “nouvelle économie” confisquée par la Bourse », L’Humanité, 5 avril 2000, p. 4, Plus loin que les faits.

724

FRAPPAT Bruno, « Les valeurs liées aux nouvelles technologies ne cessent de monter en Bourse », La Croix, 10 mars 2000, p. 1, Editorial

725

p. 168 in MOURLHON-DALLIES Florence, La divulgation d’un savoir non encore établi, L’astronomie dans les médias : analyses linguistiques de discours de vulgarisation, / éd. par Beacco Jean-Claude, Paris : Presses de la Sorbonne nouvelle, 1999, p. 167-195.

(1) La « nouvelle économie » : une connaissance en construction

L’évocation de « la nouvelle économie » suggère l’idée d’un bouleversement dans les « savoirs » ayant trait à la science économique. L’expression renvoie à quelque chose de nouveau, d’inconnu jusque-là, à un nouveau champ en construction, en constante évolution. Le sujet est le seul qui semble réellement diviser les économistes. Tous les périodiques lui accordent cette caractéristique : la « nouvelle économie est le seul domaine de la science économique où les modèles semblent pouvoir être remis en question. Elle laisse perplexe tous les scientifiques : « Depuis plusieurs mois, les experts, les économistes s'interrogent : quelle

est cette “nouvelle économie”, et à quelles règles obéit-elle ? »726, « Jusqu'à quand ? La

question taraude aujourd'hui tous les experts »727. « Partout dans le monde, les économistes

s'interrogent sur les causes de la bonne santé américaine : croissance soutenue, durable, chômage bas et prix sages »728.

La « nouvelle économie » innove tant qu’elle présente « un nouveau mode de fonctionnement

de l'économie, […] qui remettrait en cause les règles habituelles »729. Tel qu’il est décrit, ce

phénomène ne peut que déboucher sur « un nouvel économisme »730, un « nouveau

paradigme »731 où les économistes ne pourront que « remettre en cause tous les dogmes de

l'économie classique »732 et les « outils traditionnels » : « La nouvelle économie oblige à un

regard neuf sur l'innovation et la recherche, sur l'investissement […] Il revient aux économistes et aux statisticiens d'actualiser leurs instruments de mesure et de fournir des définitions renouvelées non seulement pour l'investissement, mais aussi pour l'inflation (intégration du prix des actifs financiers ?), pour la monnaie (à l'époque d'Internet), etc. »733. Obligés de s’intéresser à la « connaissance » économique et de s’interroger sur les modes d’élaboration et de falsification du savoir, les auteurs élaborent des développements qui visent à faire émerger l’intérêt d’une découverte ou le bien-fondé d’une théorie. Leurs textes visent à

726

BERLOT Jean-Christophe, « La nouvelle économie et le modèle de la presse », Le Figaro, 13 octobre 2000, p. 11.

727

BOURBON Jean-Claude, « L'Amérique défie les lois de l'économie », La Croix, 5 mai 2000, p. 13, Économie et Entreprises.

728

NATHAN Hervé, « Nouvelle économie : le dada des Anglo-Saxons », Libération, 22 novembre 1999, p. 2, Événement.

729

JAY Olivier, « Internet, la genèse d'une révolution », La Croix, 4 août 1999, p. 17.

730

BLANCHARD Olivier, « Défense de la science économique », Libération, 16 octobre 2000, p. 12, Rebonds.

731

LAMPRIERE Luc, « 10000 points et toujours pas de tilt », Libération, 17 mars 1999, p. 24, Économie.

732

NATHAN Hervé, « “nouvelle économie” : le dada des Anglo-Saxons », Libération, 22 novembre 1999, p. 2, Événement.

733

CERCLE DES ÉCONOMISTES , « Une nouvelle science économique... pour une " nouvelle économie " ? », Le Monde, 6 juin 2000, p. 2, Le Monde Économie, Les enjeux - Les initiatives; Dossier : les jeunes économistes à l’honneur.

montrer comment la connaissance se cristallise progressivement en savoirs. Notre corpus de textes semble ainsi être construit sur le modèle des articles de la presse grand public consacrés, par exemple, à l’astronomie. Comme dans ces derniers, les auteurs des articles sur la « nouvelle économie » nous présentent une sorte « d’épistémologie romancée » qui met en

scène la « découverte économique »734. Ils s’attachent moins à éclairer et apporter de

nouvelles connaissances qu’à créer et à entretenir une part de rêve.

(2) La « nouvelle économie » : un savoir sûr

Mais si les auteurs de notre corpus affectent de s’interroger sur la façon dont se construisent les connaissances, ils ont aussi l’ambition d’offrir à leurs lecteurs un savoir « sûr », déjà construit. Tous les mécanismes économiques qu’ils soient vieux ou neufs, sont présentés comme des « dogmes »735, qui ont été théorisés et justifiés par « la » théorie économique, par « la Science ». Cela transparaît quand les « savoirs » sont présentés sous forme de glossaires, d’encadrés ou de schémas explicatifs, avec des titres à l’emporte-pièce excluant toutes les

incertitudes (« Les enchères, nouvelle frontière du e-commerce » ou « Productivité

américaine : un nouvel exploit »736). Cela se manifeste aussi par les usages sur lesquels ce savoir pré validé doit déboucher. En effet, qu’ils soient de forme interrogative, (Que va nous apporter la « nouvelle économie » ? ou affirmative (la « nouvelle économie » arrive), tous les articles ont pour objectif d’agir sur le réel. Le journalisme financier, consacré à la Bourse, qui se doit de conseiller, d’anticiper, de faire agir, en est l’exemple type. Mais le cas est le même

quand l’auteur est un intervenant extérieur qui prescrit des « comportements ». La

communication prend alors l’apparence d’un sermon ou d’un conseil éclairé au « Prince » ou au néophyte : celui-ci doit acheter ou vendre des actions, changer d’entreprise, réclamer un nouveau management, etc.

734

Comme cette presse, elle joue sur « la dualité du feuilleton (littéraire ou télévisuel) qui joue à la fois sur le rêve, sur l’inaccessible et sur la proximité affective, en prenant en compte les détails de la vie de tous les jours » p. 180 in MOURLHON-DALLIES Florence, La divulgation d’un savoir non encore établi, L’astronomie dans les médias : analyses linguistiques de discours de vulgarisation, / éd. par Beacco Jean-Claude, (p. 167-195), op. cit. p. 154.

735

NATHAN Hervé, « Nouvelle économie : le dada des Anglo-Saxons », Libération, 22 novembre 1999, p. 2, Événement.

736

ZILBERTIN Olivier, « Les enchères, nouvelle frontière du e-commerce », 20 octobre 1999, p. 3, Nouvelles technologies.

ou GREMILLET Muriel, « salariés nomades : la nouvelle vague », Libération, 6 décembre 1999, p. VI, Cahier Spécial.

ou DUGUA Pierre-Yves, « Productivité américaine : un nouvel exploit », Le Figaro, 7 septembre 2000, p. 3, Monde - France.

Les articles ont un caractère normatif. Il « faut » agir : « il faut toujours se surpasser, sans

s’arrêter » pour Le Figaro737 ou « il faut accepter de changer de postes et d’interlocuteurs,

voire de patron très vite »738. Pour convaincre plus sûrement d’agir, les auteurs usent du futur

déclamatif : « Le futur appartiendra à ceux qui sauront être souples et en réaction rapide par

rapport aux mouvements technologiques »739.

C’est donc le savoir que la littérature sur la « nouvelle économie » met en avant sous couvert d’un discours sur la connaissance. Elle passe de la même manière d’une prétention à l’information à un travail de formation.

c) Information ou formation ?

Les auteurs de notre corpus entendent apparemment en rester au stade de l’information. Nous avons vu qu’ils ne prétendent jamais explicitement former leurs lecteurs. Ils se complaisent à déployer le « spectacle de la science » caractéristique de la presse vulgarisatrice au détriment des résultats bruts ou des aspects méthodologiques. Les articles se distinguent par là des manuels scolaires avec lesquels pourtant ils ont quelques ressemblances. En effet, les auteurs de notre corpus n’éprouvent pas le besoin de légitimer leur action : ils estiment agir dans un cadre suffisamment institutionnel pour que leur pratique en soit justifiée. Le fonctionnement discursif par ailleurs s’apparente largement à celui des manuels de l’enseignement secondaire : le sujet « énonciateur-auteur » est généralement peu représenté dans les textes et

jamais mis en scène comme sujet producteur du savoir740

. Les auteurs ne font que rendre compte d’un savoir déjà validé par des professionnels extérieurs : posture classique des auteurs de manuels scolaires. Par ailleurs le destinataire des articles est rarement interpellé. Le « vous », quand il apparaît, est associé au sujet « énonciateur-auteur » : « Dans un marché,

vous avez un vendeur et un acheteur. Vous vous rejoignez pour échanger des biens et des services »741. Le « tu » qui fait référence aux lecteurs est extrêmement rare742. Cependant les

737

AYACHE Nicole, « Construire sa « jeune pousse », Le Figaro, 9 octobre 2000, p. 104, Le Figaro Économie, Management, Marketing start-up.

738

CASTA-ROSAZ Fabienne, « Les start-up bousculent le management », Le Figaro, 7 février 2000, p. 23-25, Le Figaro Économie, Management, Secteur

739

BOUNIOT Sophie, « Ma petite entreprise ne connaît pas la crise », L’Humanité, 27 janvier 2000, p. 24, Médias Télévision.

740

p. 76 in BEACCO Jean-Claude, DAROT Mireille, Analyse de discours, Lecture et expression, Paris : Hachette/Larousse, 1984, 175 p., Collection : le français dans le monde, BELC.

741

MAURIAC Laurent, LATRIVE Florent, « Il n’y aura plus de marché, juste des réseaux », Libération, 29 septembre 2000, p. 26 - 27, Économie.

appels aux lecteurs, en particulier sous forme de questions rhétoriques sont multiples. Ils apparaissent également à travers les précautions oratoires que prennent les auteurs pour se concilier les bonnes grâces des destinataires et obtenir de leur part des réactions : s’adressant à leur public, ils tentent de créer avec lui des connivences et de le rallier à leurs options idéologiques : connivences avec des lecteurs supposés toujours prêts à recevoir un « contre- savoir ». : « Nous n'entendons pas assez le côté négatif du phénomène. Nous entendons

seulement les belles histoires de ces types qui quittent leur boulot de balayeur et soudain gagnent l'équivalent de leur salaire annuel en deux semaines ou en un mois ! »743. Nous sommes donc proches des manuels scolaires qui s’adressent à leurs lecteurs.

Bien que les termes « scientifiques » soient rarement définis dans notre corpus, les auteurs prétendent fournir un apprentissage de la terminologie puisqu’ils proposent des glossaires et de nombreuses définitions de « nouvelle économie ». Ce trait les rapproche plus de la littérature de vulgarisation scientifique (où il s’agit d’une pratique courante), que de celle des manuels scolaires (où les termes sont rarement cités indépendamment des ensembles conceptuels et formels qui les structurent744). Mais ils s’appuient sur les prérequis supposés de leur public : de nombreuses assertions soulignent que le lecteur n’a qu’à « compléter » son savoir. Ce dernier est dans la mécanique de l’apprentissage. L’usage fréquent des doubles assertions comme « c’est bien connu », « bien entendu » (« Les premiers à en faire les frais

sont bien entendu les salariés »745), ou « il est indéniable » (« Le Nasdaq était indéniablement

surévalué et avait besoin d'un petit nettoyage »746), etc. en témoigne clairement. Enfin notre corpus s’apparente à la littérature des manuels scolaires en incitant son public à tirer une leçon747

pratique de sa lecture, à en tirer une leçon.

742

A une exception près dans MIZIO Francis, « Surfe, Mamie, Surfe ! Le spam, fils de pub », Libération, 20 octobre 2000, p. 43.

743

LAMPRIERE Luc, « “La nouvelle économie se nourrit de mythologies” », Libération, 18 juin 1999.

ou « Le chancelier allemand, co-auteur avec le premier ministre britannique du manifeste social-libéral, donnait dans une interview toute la mesure de son ambition réformatrice en n'estimant pas souhaitable “une société sans inégalités”. À cette aune, nous vivrions déjà dans le meilleur des mondes ! » in PIEROT Jean-Paul, L’Humanité, 22 novembre 1999, p. 7.

744

p. 142-145 in MORTUREUX Marie-Françoise, La vulgarisation scientifique, parole médiane ou dédoublée, Vulgariser la science : le procès de l’ignorance, / éd. par Jacobi Daniel, Schiele Bernard, (p. 118-148), op. cit. p. 129.

745

MARTIN Jacques - Olivier, « Le dur réveil des start-up de l'e-commerce », Le Figaro, 11 août 2000, p. 1 - 4. ou « Chacun avait bien entendu les yeux rivés sur les États-Unis » in ROUSSELOT Fabrice, « La mécanique du