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D. Troisième tentative d’analyse : le classement par thèmes

III) Les thèmes passagers

Un certain nombre de thèmes accrocheurs réapparaissent périodiquement dans tous les supports au cours des deux années étudiées. Ils sont présentés comme étant d’un intérêt « crucial » et « brûlant » alors qu’aucun évènement particulier ne le justifie. Nous en présenterons ici deux, particulièrement représentatifs de la confusion entre micro et macro- économie couramment entretenue lors du traitement de ces thèmes.

a) Les brevets

Les questions soulevées par la propriété intellectuelle sont lourdes d’enjeux pour la « nouvelle économie ». Elles sont abordées dans les articles sur les « noms de domaine »432, les taxes sur les CD-Roms, le piratage des données433, l’accès au « code source » des logiciels434, ou les

427

BOYER Paula, « Un bien faible euro », La Croix, 8 septembre 2000, p. 2, L’Essentiel.

428

LACUBE Nathalie, « Le dollar américain mine l'euro », La Croix, 2 février 2000, p. 19, Supplément hebdomadaire parents et enfants.

429

DE BEER Patrice, « La Réserve fédérale tente de freiner l'emballement de la croissance américaine », Le Monde, 23 mars 2000, p. 18, Entreprises Finance.

ou BIASSETTE Gilles, « Les États-Unis rêvent d'un nouvel âge », La Croix, 22 juin 1999, p. 15, Monde.

430

DENIS Frédéric, « Euro : Dépréciation et laisser-aller. Mais que fait la Banque centrale européenne ? », Le Figaro, 17 mars 2000, p. 11, Cheminement du futur.

431

MAMOU Yves, « Les États-Unis, prototype d’une “Nouvelle Économie” ? », Le Monde, 27 avril 1999, p. 1, Les enjeux - Les initiatives, Dossier Trois Pages.

432

CHEMLA Laurent, « Confessions d'un voleur », Le Monde, 29 avril 2000, p. 1, Horizons – Débats.

ou LATRIVE Florent, « Poing.com. La dictature du “®” », Libération, 18 février 2000, p. 39, Sélection digitale.

433

brevets sur le génome humain. Le problème récurrent est de savoir quelle législation aura « un

effet positif sur l'innovation tout en protégeant les porteurs de projet d'entreprises innovantes »435.

Les brevets sont considérés par certains auteurs comme le socle fondateur sur lequel se construit la « nouvelle économie ». Libération436 nous rappelle ainsi que : « Dans la nouvelle

économie [...], on n'a plus affaire à des usines, à des mines, ni même à des "produits" concrets mais à de la "matière grise". La "protection de la propriété intellectuelle" doit l'emporter sur toute autre valeur si l'on veut que le progrès technologique continue ». Jean-

Paul Smets, dans Le Monde435, insiste sur le fait qu’il « est nécessaire de breveter pour espérer profiter d'un retour sur investissement ». C’est parce que les financiers anticipent des

gains futurs dus aux brevets que les entreprises trouvent à se financer : « Un laboratoire qui

investit lourdement pour être le premier à décrypter le génome humain peut ainsi faire l'objet d'une anticipation de profit rationnelle. Les investisseurs tablent alors sur les profits que les brevets déposés par ce laboratoire vont entraîner »437. Le Figaro explique comment les brevets font désormais partie intégrante du système économique : « Le verrouillage de

l'économie se fait sur l'amont dans la constitution des rentes et des barrières d'entrée aujourd'hui toujours plus provisoires, ainsi dans des investissements productifs, dans des équipements et des logiciels, dans des brevets, dans des marques et des “copyrights” ou dans des systèmes et éléments constitutifs des réseaux »438.

D’autres auteurs, plus critiques, formulent des réserves (c’est évidemment le plus souvent le cas dans Libération ou L’Humanité). Une nouvelle législation sur les brevets leur paraît inutile : « C'est bien l'absence de brevet sur les standards de communication qui a permis le

développement économique d'Internet et son foisonnement de créativité »439

. La propriété intellectuelle leur semble même nuisible puisque les dérives possibles (et probables) qu’elle engendre sont nombreuses. La situation américaine est toujours donnée en exemple, puisque ce pays est en avance dans ce domaine et est le principal bénéficiaire du système des brevets. Sa législation permet de s’approprier tout et n’importe quoi, parfois plus qu’un simple 434

DU MARAIS Bertrand, « Windows est-il un service public ? », La Croix, 27 juillet 2000, Réflexion.

435

NUNES Éric, « Trois questions à Jean-Paul Smets », Le Monde, 15 novembre 2000, p. 3, Enquête : « La bataille cachée du brevet sur le logiciel ».

436

SABATIER Patrick, « Les déboires de la nouvelle économie : la haute technologie n'échappe pas à la loi », Libération, 8 novembre 1999, p. 4, Événement.

437

Anonyme, « Questions-réponses 5 : Peut-il y avoir des “bulles rationnelles” ? », Le Monde, 18 avril 2000, p. 2, Numéro Spécial : « Carton jaune à la nouvelle économie ».

438

RUFFAT Jean, « Technomics », Le Figaro, 29 janvier 1999, p. 10, Entreprises.

439

NUNES Éric, « Trois questions à Jean-Paul Smets », Le Monde, 15 novembre 2000, p. 3, Enquête : « La bataille cachée du brevet sur le logiciel ».

procédé informatique440

. Les « brevets logiciels » aux États-Unis permettent, par exemple, de poser un brevet sur une méthode informatique. « Comme n'importe quel logiciel met en

oeuvre plusieurs milliers de procédés informatiques de ce type, il n'est plus possible aujourd'hui de publier, aux États-Unis, un logiciel sans être involontairement en situation de contrefaçon »439 Les grosses entreprises en profitent pour éliminer leurs concurrents gênants par des poursuites en contrefaçon et des frais de justice importants ; les PME pratiquent « le

coup de l'embuscade »441.

L’Humanité442 dénonce la création des brevets et la protection de la propriété intellectuelle comme une tentative d’organiser « artificiellement la pénurie des savoirs » et de rétablir les monopoles et les rentes : « Cette stratégie qui est vitale pour le capital est aussi connue sous

le nom de nouvelle économie ». C’est pour cette raison qu’il est de « l'intérêt général mondial que les outils de création, de manipulation et de diffusion des connaissances soient publics et ainsi à l'abri des ambitions mercantiles ». Tous les domaines ne devraient pas être soumis à

l’économique : Il y a un « risque majeur de dérapage »443. Il est dangereux de considérer « la

"propriété intellectuelle" comme valeur suprême, alors que programmes informatiques, manipulations génétiques, ou réseaux de télécommunications sont des technologies fondamentales pour l'activité économique, la vie culturelle, voire la vie tout court au XXIe siècle »444.

L'univers du « logiciel libre »445 apparaît comme seul à même de contrer la « nouvelle

économie » et les brevets. « Linux » est souvent présenté comme le modèle « pur » de la « nouvelle économie ». Celle-ci, issue de l'économie du don censément typique du Net, a été

440

HEUZE Richard, « Les PME face à l'innovation », Le Figaro, 19 juin 2000, p. 3, Monde.

La « nouvelle économie » permet de « relooker » à la sauce logicielle des méthodes de marketing, de recrutement, ou d'organisation afin d'obtenir un brevet : « A ce petit jeu, la voie est ouverte pour l'appropriation des idées elles-mêmes, en contravention flagrante avec l'esprit des lois sur les brevets, destinées à protéger l'expression technique d'un concept et non celui-ci en tant que tel » in LATRIVE Florent, MAURIAC Laurent, « Les fils barbelés », Libération, 8 septembre 2000, p. 29, Économie.

441

Il consiste à déposer un brevet puis à le « laisse dormir dans un carton, puis de l'exhumer bien longtemps après, lorsque tout le monde a pris l'habitude d'utiliser votre logiciel pour pas un centime » in LATRIVE Florent, MAURIAC Laurent, « Les fils barbelés », Libération, 8 septembre 2000, p. 29, Économie.)

442

MOULY Frank, « Bienvenue dans le monde du “libre” », L’Humanité, 15 mars 2000, p. 11.

443

LATRIVE Florent, MAURIAC Laurent, « Les fils barbelés », Libération, 8 septembre 2000, p. 29, Économie.

444

SABATIER Patrick, « Les déboires de la nouvelle économie : la haute technologie n'échappe pas à la loi », Libération, 8 novembre 1999, p. 4, Événement.

445

« Ne rien vendre qui ne puisse être copié librement, permettre aux utilisateurs de modifier les produits. Le modèle permet même de revendre les produits créés par d'autres » in MAURIAC Laurent, « Les logiciels gratuits, entreprise payante », Libération, 18 février 2000, p. 25, Multimédias.

peu à peu pervertie. Le devenir de Linux est cependant incertain446

. Pourra-t-il jamais devenir grand public et détrôner le « payant »447 ?

Les prises de position favorables ou défavorables aux brevets se succèdent durant toute la période considérée, les périodiques n’arrivent pas à trancher. Le traitement de la question du brevetage du génome humain dans Le Monde illustre ce phénomène : il « était indispensable

de breveter la “substance du génome qui contient les informations nécessaires”, entendez les gènes, afin de garantir une protection efficace à l'industrie biotechnologique en Europe et de favoriser le développement de nouvelles thérapies ». Le Monde nuance cependant son

propos : le brevet « assure un pouvoir de monopole très étendu au premier découvreur

puisqu'il n'existe qu'un seul génome ! […] L'impact de tels brevets est double : sur la recherche - de nombreux laboratoires abandonnent les développements de tests génétiques lorsqu'un brevet est demandé - et sur l'accès aux soins - les laboratoires cliniques doivent arrêter la réalisation des tests sous peine d'être poursuivis pour contrefaçon »448. Le moins qu’on puisse dire est qu’il est difficile de se faire une idée !

b) La fuite des cerveaux

446

MAURIAC Laurent, « Les logiciels gratuits, entreprise payante », Libération, 18 février 2000, p. 25, Multimédias.

447

LATRIVE Florent, « De l'art de vendre du gratuit », Libération, 13 octobre 1999, p. 25, Économie.

448

REVERCHON Antoine, « La génomique suppose une négociation entre la logique industrielle et l'intérêt de la santé publique », Le Monde, 7 novembre 2000, p. 3, Dossier : « la génomique, “nouvelle économie” de la santé ».

« La fuite des cerveaux » est un second thème important dans notre corpus. Le constat est indiscutable : « les jeunes diplômés, nourris aux concepts de mondialisation et d'économie

ouverte, partent de plus en plus souvent à l'étranger pour une première expérience professionnelle »449. Ils vont chercher un premier emploi ou un « écosystème favorable » à la création d’entreprise. La Croix s’alarme : « La France serait un enfer bureaucratique. Les

jeunes talents, brimés dans leur créativité et accablés d'impôts la fuiraient à toutes jambes pour rejoindre des eldorados anglo-saxons. Des success stories de petits génies français partis faire fortune en dehors de l'Hexagone fleurissent régulièrement dans les magazines. Il n'en fallait pas plus pour que s'insinue cette idée effrayante : la France se viderait peu à peu de ses élites »449.

Les futurs créateurs d’entreprises pour qui les « charges » sont trop élevées, la lourdeur bureaucratique insupportable sont les premiers migrants : « "Il faut être fou ou passionné pour

créer sa boîte en France : dans ce pays, il faut payer des charges avant même le moindre chiffre d'affaires ! »450. La mythique « Silicon Valley » et le soleil californien attirent particulièrement les Français qui « y constituent une importante communauté évaluée à 40

000 personnes, même s'ils sont loin derrière les Indiens, Chinois ou Pakistanais »449, « les Froggies - les grenouilles, petit nom réservé aux Français - sont très appréciés des employeurs américains »451.

On peut, si on le veut, arriver à freiner la « fuite des cerveaux ». Pour cela, il faut modifier la loi, simplifier les procédures, alléger les charges ou la fiscalité des start-up. Ces questions peuvent se régler à l'échelon européen452

ou au niveau des entreprises qui doivent tout mettre en œuvre pour « s'attacher leurs meilleurs éléments »449

. Cependant les freins ne sont pas seulement matériels : le « tabou de l'argent »453 empêche les jeunes de s’épanouir. Les « sirènes américaines » séduisent parce que « en France, la confiance des anciens pour les

jeunes, leur envie de les aider, quitte à prendre des risques, est bien moins forte qu'aux États- Unis »451.

Des déconvenues cependant surviennent pour les expatriés : niveau faramineux des loyers, protection sociale et la législation du travail inexistante : « Tout se paie, à commencer par la

449

REJU Emmanuelle, « La France ne perd pas ses têtes », La Croix, 5 juin 1999, p. 6, Société.

450

LAUTROU Pierre-Yves, « Dans les allées d'une pépinière », L’Express, 28 octobre 1999, p. 180, Création d’entreprise.

451

VIDALIE Anne, « Les nouveaux pionniers français », L’Express, 20 mai 1999, p. 150, Réussir.

452

Anonyme, « La société européenne de l'information reste à construire », La Croix, 29 octobre 1999, p. 10, Initiatives.

453

santé et l'école », pas de « vacances à rallonge ». Bref « au pays de la concurrence à tous crins, la chance ne sourit qu'aux plus forts »451. Ces déceptions ne sont que rarement évoquées, noyées dans le grand nombre d’articles consacrés aux « success stories »454.