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D. Troisième tentative d’analyse : le classement par thèmes

I) L’« angle » des articles du corpus 2

Les articles sur l’expression « nouvelle économie » visent des publics très divers. Ils approchent la « nouvelle « économie » sous des points de vue différents : Nous avons distingué trois centres d’intérêt.

a) Une curiosité technique

Les « nouvelles technologies »319 qui sont intimement liées à la « nouvelle économie » font l’objet d’un certain nombre d’articles : ils ont trait aussi bien aux découvertes scientifiques (génétique) que techniques (les ordinateurs et leurs composants). Les auteurs s’intéressent plus, en général, aux retombées pratiques des innovations techniques qu’aux théories qui ont été à leur origine. Ils traitent peu des aspects purement techniques ou scientifiques320. Il importe moins, par exemple, de savoir ce que sont les adresses e-mail, que de mesurer l’impact de leur multiplication321. Internet reste l’un des sujets privilégiés surtout quand la « nouvelle économie » est assimilée à la « netéconomie ». La Toile n’est pas une nouveauté

318

Une première tentative d’analyse des thèmes a été effectuée en reprenant la méthode utilisée par Violette Morin qui étudie la presse française durant la visite de Nikita Khrouchtchev, du 21 mars 1960 au 4 avril 1960. Cette analyse nous a semblé aboutir à une impasse, notamment en raison de la longueur des articles. (MORIN Violette, L’écriture de presse, op. cit. p. 21).

319

Voir partie 2 Les groupes nominaux, p. 69.

320

A quelques exceptions près : Anonyme, « Société Internet pour tous par UtilNet.fr : Une adresse e-mail : pourquoi et comment ? », L’Humanité, 20 novembre 1999.

BRUZEK Olivier, « Comment ça marche L'ordinateur ? », Le Point, 10 mars 2000, p. 33, Laser Économie, Spécial Internet.

321

GANASSI Alain « Vous avez un e-mail ? », La Croix, 23 février 2000, Chronique.

en France en 1999, mais les articles se préoccupent désormais des changements entraînés par la banalisation de son usage.

b) Des innovations dans le domaine social

Les mutations sociales, réelles ou espérées, de ce début de millénaire, sont plus fréquemment que les innovations techniques ou scientifiques, au cœur des articles. Deux d’entre elles retiennent plus particulièrement l’attention des journalistes :

 Les transformations de l’organisation sociale, les modifications des rapports entre êtres humains

Les auteurs évoquent les potentiels de la domotique et ses conséquence sur la vie de famille, les inégalités accrues dans le partage des richesses, les bouleversement des rapports hiérarchiques à l’intérieur de l’entreprise, le travail à domicile, l’essor des stock-options ou les achats sur Internet : les articles se complaisent à évoquer le futur proche où « on se

connectera sur le site d'une chaîne d'hypermarchés, on interrogera un oenologue en ligne qui vous conseillera quelle bouteille de vin choisir pour accompagner votre dîner festif du lendemain soir. Vous aurez alors le choix d'aller l'acquérir dans le magasin le plus proche de la chaîne ou de vous le faire livrer à domicile »322

.

 Les transformations qui ont un impact dans le domaine politique.

Les journalistes discutent, en particulier, des perspectives nouvelles offertes par la « nouvelle démocratie électronique » : démocratie participative et transparente323, démocratie dans l’entreprise324 et vote en ligne (André Santini, […] réclame que l'on passe via Internet “d'une

démocratie intermittente à une démocratie en continu” »325 ).

c) Une « nouveauté » économique

322

ROCHEFORT Robert, « L'avenir des nouvelles technologies. De nouvelles formes de commerce », La Croix, 28 avril 2000, p. 23, Forum.

ou « Demain, c'est sûr, les Français feront leurs courses sans bouger de chez eux. Choisir un livre, une machine à laver, un labrador ou un gros paquet d'actions se fera de chez soi, depuis son écran et à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit »in MAUSSION Catherine, « Tout, vous aurez tout depuis chez vous. », Libération, 14 janvier 2000.

323

ROBIN Jean-Pierre, « Démocratie et marché : une cohabitation difficile », Le Figaro, 3 février 2000, p. 11 Chances et Risques du Monde, Les Clés de la Mondialisation.

324

« La question de la citoyenneté s'élargit à celle de la démocratie dans l'entreprise » in FREDERICK Bernard, « Lionel Jospin doit gérer l'exception française », L’Humanité, 1er avril 2000, p. 5, Plus loin que les faits.

325

BARBIER Christophe, KARLIN Elise, MANDONNET Éric, « Nouvelle économie La politique se met au Net », L’Express, 27 avril 2000, p. 30, La Semaine, France, Spécial Nouvelle économie, Le Service Économie.

Les chiffres de la croissance américaine fascinent : la « nouvelle économie » s’y manifeste par un fort taux de croissance, un budget équilibré326, un taux de chômage et une inflation très faibles. Ces résultats font naître des espoirs démesurés : pourquoi la France et l’Europe seraient-elles exclues des bienfaits de la « nouvelle économie »327 ? Les articles focalisent principalement leur attention sur les écarts qui apparaissent entre les indications données par les indices économiques et ce que prévoit la théorie. Ils s’essaient à fournir des explications de ces anomalies et se demandent si l'économie américaine est « désormais affranchie des lois

traditionnelles de la macroéconomie »328 puisque des « pans » importants de la théorie sont remis en question.

Le premier concept-clé de la macroéconomie qui semble voué aux oubliettes, est celui du NAIRU (Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployement). Issu des travaux de Phillips, économiste néo-zélandais, le NAIRU suppose que, pour chaque société donnée, il existe un taux de chômage « naturel »329 qui ne peut être résorbé qu’au prix d’une hausse de l’inflation330. Le taux de chômage « naturel » américain avait été estimé à 6%. Aujourd’hui à un taux inférieur, des tensions inflationnistes n’apparaissent pas pour autant. Les auteurs se demandent donc si « la fameuse courbe de Phillips, qui gravait dans le marbre le lien entre

chômage, inflation et salaires, est fausse »331.

Les cycles de Kondratiev, qui prévoient une alternance de cycles de hausse et de baisse de la croissance, sont également remis en cause332. La croissance aux États-Unis, déjà ancienne, ne manifeste, au moment où les auteurs écrivent, aucun signe d’essoufflement. « Pour certains observateurs, cette situation inédite ouvrirait un nouveau paradigme

économique, voire l'aube d'une ère d'expansion ininterrompue. Le cycle économique, terreur de l'homme politique, serait mort »327.

326

« Les États-Unis, prototype d'une " Nouvelle Économie ?" », Le Monde, 27 avril 1999, p. 2, Économie, Les enjeux - Les initiatives, Dossier : « Les “huit glorieuses” de l’économie américaine ».

327

DU MARAIS Bertrand, « Le facteur manquant de la nouvelle économie », La Croix, 6 octobre 1999, p. 26, Forum, Réflexion.

328

BRENDER Anton, PISANI Florence, « La nouvelle économie. Une évolution réversible. », La Croix, 8 janvier 2000, p. 7, Actualité.

329

MAMOU Yves, « Plein emploi et inflation : un faux couple ? », Le Monde, 27 avril 1999, p. 2, Économie, Les enjeux - Les initiatives, Dossier : « Les États-Unis, prototype d’une “Nouvelle Économie” ? ».

330

« Toute baisse du chômage s'accompagne d'un regain d'inflation » in DU MARAIS Bertrand, « Le facteur manquant de la nouvelle économie », La Croix, 6 octobre 1999, p. 26, Forum, Réflexion.

331

MAMOU Yves, « Les États-Unis, prototype d’une “Nouvelle Économie” ? », Le Monde, 27 avril 1999, p. 1, Économie, Les enjeux - Les initiatives.

332

Ces cycles économiques s'étaleraient sur des périodes d'un demi-siècle, divisés chacun en une phase d'expansion et une phase de ralentissement de durées à peu près égales (LESER Éric, « Les sirènes de la “nouvelle économie” », Le Monde, 29 juillet 1999, p. 1, Horizons - Analyses et Débats).

Troisième anomalie : le paradoxe de Solow (du nom de Robert Solow, prix Nobel d'économie qui l’a mis en évidence en 1987) qui peut être résumé comme suit : on « voit » des ordinateurs partout sauf dans les calculs de la productivité économique333 : « Malgré les

dizaines de milliards de dollars investis dans les nouvelles technologies, la productivité n'a guère varié » 334.

Ce « défi à la théorie économique traditionnelle »335, cette « hérésie »336 que représente la « nouvelle économie » amènent les économistes à la « remise en cause de leurs bases ». Certaines lois seraient-elles devenues « caduques »336? « Si effectivement, avec son 100e mois

de croissance sans inflation, l'économie américaine inaugure une sorte de New Age pour économiste, une ère du Verseau de la conjoncture, alors théories économiques et politiques traditionnelles sont à remiser au placard »337. La « nouvelle économie » est alors comprise comme une « nouvelle croissance » (forte, stable et sans inflation) rendue possible par la « flexibilité » du travail et surtout par la diffusion des « Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication » (NTIC) qui augmentent la « productivité »338, font baisser les « coûts »339 et réduisent l’ « inflation », tout en créant des emplois très qualifiés et en stimulant la Bourse. Le niveau de vie progresse et la demande de services personnels croit fortement, entraînant des créations d’emplois. Cependant tous les économistes ne croient pas à un tel miracle. La « querelle entre économistes »340 porte sur les réponses à apporter à plusieurs interrogations :

 Premièrement, les instruments de mesures, les outils de calcul économique sont-ils encore fiables ? Les critères de mesure de la productivité industrielle peuvent-ils

333

« En bonne théorie économique, la productivité - du moins celle du travail - aurait dû progresser de manière foudroyante, ce qui n'est pas le cas » in LAMRANI Okba, « Internet : nouvelle frontière de l'économie? », L’Humanité, 15 janvier 2000, p. 14, Plus loin que les faits, Décryptage.

Voir sur ce point KAHN Annie, « La technologie, moteur de la productivité », Le Monde, 27 avril 1999, p. 3, Le Monde Économie, Les enjeux - Les initiatives, Dossier : les États-Unis, prototype d’une nouvelle économie ?

334

MAMOU Yves, Dossier « Les États-Unis, prototype d’une “Nouvelle Économie” ? », Le Monde, 27 avril 1999, p. 1, Économie, Les enjeux - Les initiatives.

335

BOURBON Jean-Claude, « L'Amérique défie les lois de l'économie. », La Croix, 5 mai 2000, p. 13, Économie et Entreprises.

336

BIASSETTE Gilles, « Les États-Unis rêvent d'un nouvel âge », La Croix, 22 juin 1999, p. 15, Monde.

337

DU MARAIS Bertrand, « Le facteur manquant de la nouvelle économie », La Croix, 6 octobre 1999, p. 26, Forum, Réflexion.

338

« Les gains de productivité obtenus dans ”la nouvelle économie” seraient le double de ceux du secteur industriel classique » in BOURBON Jean-Claude, « L'Amérique défie les lois de l'économie », La Croix, 5 mai 2000, p. 13, Économie et Entreprises.

339

Par exemple, les coûts de gestion des stocks. Voir BRENDER Anton, PISANI Florence, « La nouvelle économie : une évolution réversible », La Croix, 8 janvier 2000, p. 7, Actualité.

340

MAMOU Yves, Dossier « Les États-Unis, prototype d’une “Nouvelle Économie” ? », Le Monde, 27 avril 1999, p. 1, Économie, Les enjeux - Les initiatives.

encore s'appliquer à une « économie nouvelle » dominée par les services et la haute technologie ? Quelles sont « les capacités des modèles statistiques de la comptabilité

nationale à évaluer correctement les effets de la nouvelle économie»341 ? Le paradoxe de Solow n’est-il que le résultat de « difficultés à comptabiliser l'investissement

immatériel dans les technologies »337.

 Deuxièmement, a-t-on vraiment affaire à des « mécanismes » nouveaux ou assiste-t-on au résultat d’une politique monétaire particulière342 ? L’inflation américaine n’a peut- être été limitée que grâce aux anticipations d'inflation faible qui ont compensé « les

tensions impliquées par la chute du taux de chômage »343.

 Troisième point de désaccord : la révolution informatique a-t-elle irrévocablement modifiée les comportements macroéconomiques des agents ou les changements sont- ils temporaires et « fondamentalement réversibles »344 ?

Quel que soit l’angle sous lequel les journalistes abordent la « nouvelle économie », ils entretiennent une bulle médiatique originale puisque entièrement positive. Quand la presse prétend refléter une réalité sociale, elle l’illustre le plus souvent par l’évocation de catastrophes à venir ou présentes. L’emballement tourne alors autour de sujets d’inquiétude (la vache folle, le sida) ou de formule à la triste résonance (« purifications ethnique » et autres « SDF »). Les thèmes positifs sont rares dans les médias : les gens heureux n’ont pas d’histoire. Quand c’est le cas, il est question d’un futur éloigné, plus ou moins inaccessible (la conquête de l’espace, la victoire sur le cancer). La « nouvelle économie » appartient au groupe restreint de thèmes qui donnent une espérance pour le présent proche. Depuis quelques dizaines d’années, les journalistes entretiennent les mythes technoscientifiques : l’arrivée de

341

BOURBON Jean-Claude, « La croissance reste sous des vents porteurs », La Croix, 8 décembre 2000, p. 15, Économie, Finances. Conjoncture.

342

Cette politique économique serait la combinaison d’une politique monétaire favorable à un dollar fort et de baisses d'impôts successives qui ont stimulé la croissance et attiré les capitaux étrangers.

Voir sur ces sujets : DELHOMMAIS Pierre Antoine, « A Wall Street, les craintes inflationnistes font retomber l'euphorie », Le Monde, 11 août 1999, p. 15, Entreprises – Finance.

ou BOURBON Jean-Claude, « L'Amérique défie les lois de l'économie », La Croix, 5 mai 2000, p. 13, Économie et Entreprises.

343

Le NAIRU ne serait pas caduque, l’inflation ne tarderait pas à arriver tout simplement parce que le taux de chômage faible n’a pas encore été intégré par la population, chez qui, la peur du chômage, a « contribué à réduire les revendications salariales » (voir MAMOU Yves, « Plein emploi et inflation : un faux couple ? », Le Monde, 27 avril 1999, p. 2, Économie, Les enjeux - Les initiatives, Dossier : les États-Unis, prototype d’une “nouvelle économie” ?). Alain Greenspan lui-même dit que « le retour à l'école de travailleurs qualifiés atteste la profondeur de ce sentiment d'insécurité alors que le marché de l'emploi n'a jamais été aussi serré » (ROBIN Jean-Pierre, « La “nouvelle économie” américaine démystifiée », Le Figaro, 14 mai 1999, p. 11, Économie, Chances et Risques du Monde, Les Clés de la Mondialisation).

344

BRENDER Anton, PISANI Florence, « La nouvelle économie. Une évolution réversible », La Croix, 8 janvier 2000, p. 7, Actualité.

l’informatique, du magnétoscope, de la robotique, de l’internet, de la domotique, etc. vont rendre meilleurs l’homme, les sociétés, le monde. La « nouvelle économie » est la quintessence de la nouveauté scientifique. Les médias alimentent tout naturellement l’enthousiasme qu’elle suscite, puisqu’elle confirme leurs prophéties techno-futuristes antérieures.