D. Troisième tentative d’analyse : le classement par thèmes
II) Les sujets abordés dans le corpus 2
Dans notre corpus 2, les transformations sociales, économiques ou politiques sont étudiées à trois niveaux différents :
Au niveau financier : les auteurs s’intéressent aux fluctuations boursières et aux modalités d’investissement. Dans toutes les publications, c’est ce premier niveau qui prédomine et qui fascine : que ce soit l’euphorie boursière qui règne jusqu’en avril 2000 ou le krach et ses conséquences.
Au niveau microéconomique : ils traitent de l’entreprise, du management, des conditions de travail, des comportements des agents.
Au niveau macroéconomique : ils évaluent la croissance, le taux de chômage, et le comportement général des indices économiques.
Les trois niveaux sont inégalement abordés durant trois grandes périodes : « l’emballement du
système »345 de 1999 à mars 2000, « l’effondrement de la Bourse »346 en mars-avril 2000, puis ce qui concerne « la difficile prise de conscience après la crise boursière »347 à la fin 2000. Les articles centrés sur la micro-économie sont plus nombreux dans la première période. Les auteurs dévoilent certains dessous du commerce électronique et des start-up et évoquent sous forme d’anecdotes et d’exemples les nouveaux métiers qu'ils engendrent : « Webmaster,
développeur-programmeur, cyberrédacteur, graphiste multimédia, hot-liner, concepteur de sites... Une myriade de métiers nouveaux, totalement inconnus il y a encore cinq ans, s’étale dans les offres d'emplois » 348.
345
JAY Olivier, « Internet pour quoi faire ? Une révolution sociétale ? », La Croix, 1er septembre 1999, p. 25.
346
PONS Philippe, « Lundi de panique à Séoul », Le Monde, 19 avril 2000, Entreprises.
347
PRUDHOMME Cécile, « Les "charognards " de la nouvelle économie », Le Monde, 13 juin 2000, p. 18. ou KAUFFMANN Sylvie, « Pour les “dot-coms” américaines, le temps du réalisme est arrivé », Le Monde, 30 juin 2000, p. 19, Entreprises.
348
GASTE Catherine, HACOT Valérie, « Découvrez les nouveaux métiers du Net », Le Parisien, 1er avril 2000, p. 2, Emploi.
Dans la seconde période, les conséquences macro-économiques qui résultent du développement de la « nouvelle économie » sont envisagées avec appréhension. La crise passe au premier plan : croissance, chômage et inflation deviennent des sujets d’inquiétude349. La face financière de l’économie est mise en avant.
a) La Bourse
Comme nous l’avons vu lorsque nous avons défini nos corpus350, nous avons éliminé les
articles boursiers qui se contentaient de donner des chiffres sans commentaires. Ceux que nous avons conservés constituent encore plus de la moitié des articles de notre corpus 2. Cette abondance vient de l’importance que tous les supports accordent à la Bourse. Même dans
Libération, où les articles sur l’état de la Bourse sont les moins nombreux, la dépendance
envers la corbeille est forte351. Les articles allient le plus souvent à un état des fluctuations boursières des considérations sur les problèmes sociaux : conséquences de la chute ou de l’envolée boursière pour les propriétaires de stock-options, multiplication du nombre de boursicoteurs en France (ou à l’étranger), des traders en ligne, du changement des mentalités de l’épargne ou autour des malversations boursières352.
b) Les articles consacrés à l’entreprise
(1) L’apport des entreprises de la « nouvelle économie »
Les auteurs sont prolixes sur les entreprises originales de la « nouvelle économie ». Les journaux extrapolent volontiers ce qu’elles vont apporter à la vie quotidienne de leurs lecteurs : une comparaison sans coût des prix et des services, une meilleure communication
ou JAKUBYSZYN Christophe « Isabel Mawqell, factrice du Web », Le Monde, 28 mars 2000, p. 20, Entreprises, Télécommunications.
ou CHEMLA Laurent, « Confessions d'un voleur », Le Monde, 29 avril 2000, 29 avril 2000, p. 1, Horizons - Débats, Point de vue.
349
DANIELS Nicolas, « Emploi : Le chômage poursuit sa baisse rapide », Le Figaro, 1er avril 2000, p. 2, Le Figaro Économie, Monde-France.
350
Pour les critères de sélection voir : Chapitre 1, L’évolution dans le temps des articles du corpus, p. 23.
351
Voir documents 9 et 10 en annexe.
352
Voir l’affaire de l’entreprise Word-on-Line au Pays bas, ou la fraude boursière des mafiosi aux États-Unis. (PERRIER Sophie, « La Bourse enquête sur la patronne de World OnLine », Libération, 11 avril 2000, p. 28, Économie.
entre acteurs économiques, un marketing « sur mesure », une meilleure gestion des stocks353 , etc. « Dans les coulisses du Net, les start-up dessinent un nouveau monde. Sous la révolution
des techniques couve celle des modes de vie. Les nouveaux venus anticipent nos moindres désirs. Pour nous faciliter la tâche, ils embrassent l'océan des produits ou services, moulinent des millions de données, dénichent pour nous “la bonne affaire”. Ils nous imaginent affreusement pressés, font les courses à notre place, à l'affût de la moindre opportunité... »354. Ils s’extasient et fantasment sur les nouveaux modes de consommation qui doivent se mettre en place355. Quel impact aura le développement de ces entreprises sur l’économie nationale ? L’ancien commerce « de détail » va-t-il disparaître ? Que faudra-t-il faire pour s’adapter356 ? Les grosses entreprises seront-elles favorisées357 ?, etc.
Les conséquences prévues dans les articles consistent essentiellement en la généralisation du commerce électronique358. Quatre grandes nouveautés incarnent pour les auteurs la « petite révolution »359 de la « nouvelle économie » :
Le commerce « B to B » (Business to Business, d’entreprise à entreprise360). Le commerce « B to C» (le commerce vers le grand public361).
Les sites d’achats groupés362 sur lesquels les internautes se réunissent pour acheter moins cher en achetant en plus grande quantité, les sites de vente aux enchères363. Les nouveaux services offerts aux particuliers, comme ceux liés à la vente de savoir :
« Il est aussi possible de louer les services d'un cerveau pour résoudre un problème
complexe » raconte ainsi Le Monde364.
353
KHABER Régis, « "E-commerce" pour une nouvelle économie ? », Le Figaro, 10 janvier 2000, p. 7, Tendances.
354
MAUSSION Catherine, « Tout vous aurez tout depuis chez vous », Libération, 14 janvier 2000, p. II-III, Cahier spécial.
355
JACOB Antoine, « Electrolux teste le lavomatic à domicile facturé à distance », Le Monde, 18 avril 2000, p. 6, Numéro Spécial : « Carton jaune à la nouvelle économie ».
356
ROCHEFORT Robert, « L'avenir des nouvelles technologies », La Croix, 28 avril 2000, p. 23.
357
MARTIN Jacques-Olivier, « Dossier Internet : Industriels, cabinets de conseils, fonds de « business angels » investissent dans les start-up », Le Figaro, 23 décembre 1999, p. 2.
358
On trouve aussi « e-commerce » ou « cybercommerce ». Voir CLERGET Michel, « Groupez-vous les uns les autres », L’Humanité, 22 avril 2000, p. 49.
359
KAUFFMANN Sylvie, « Économie.com, la nouvelle Amérique », Le Monde, 2 janvier 2000.
360
EGLIN Ben, « e.biz (BusinessWeek) : le grand virage du commerce électronique », Le Monde, 20 décembre 2000, p.7.
ou KAHN Annie, « La fonction “achat” bouleversée par les transactions sur Internet », Le Monde, 18 avril 2000, p.6, Numéro Spécial : Carton jaune à la nouvelle économie.
361
MARTIN Jacques-Olivier, « Dossier Nouvelle Économie : Chèque en blanc pour les pionniers de l'Internet », Le Figaro, 23 mars 2000, p. 2.
362
CLERGET Michel, « Groupez-vous les uns les autres », L’Humanité, 22 avril 2000, p.49.
363
PISANI Francis, « Les enchères en ligne rapportent gros... aux propriétaires des sites », Le Monde, 20 octobre 1999, p.3.
« Le commerce électronique n'est qu'une petite composante de la nouvelle économie.
Pourtant, il focalise tous les espoirs »353 confient les périodiques. Il est loin cependant de générer des bénéfices et ne se développe que dans certains secteurs365 (informatique, voyages, administration, etc.). Pour que le « e-commerce » réalise ses promesses, il faut démocratiser largement le « Réseau », améliorer sensiblement la logistique et la sécurité des transactions financières366.
(2) Le travail mystérieux des start-up
Les conditions de travail à l’intérieur des « jeunes pousses » de la « nouvelle économie » passionnent : les journalistes s’attardent sur les motivations des « startuppiens » et décrivent leurs conditions de travail (horaires ou géographiques). Ils s’intéressent toujours aux conditions de production plus qu’à la production elle-même. Une entreprise de la « nouvelle économie » se caractérise essentiellement par son mode de fonctionnement interne367.
Malgré de nombreux reportages sur la vie des employés de la « nouvelle économie »368, leur travail quotidien reste largement indéfini. Normal, le « yettie », « celui qui n'arrive pas à faire
comprendre à sa mère ce qu'il fait »369 est l’idéal-type des travailleurs qui « bidouillent sur
Internet, spéculent en ligne »370. Quand les auteurs se montrent plus diserts, il est difficile de distinguer ce qui singularise la vie de ces « startuppiens » si ce n’est le fait de manger des pizzas debout ! Leur quotidien est fait d’abord de réunions, de conférences on-line, de quête
364
RENAULT Enguerand, « Sur Internet, tout se vend, tout s'achète, même le savoir », Le Monde, 3 juillet 2000, p.17.
365
ROCHEFORT Robert, « L'avenir des nouvelles technologies », La Croix, 28 avril 2000, p. 23.
366
REVERCHON Antoine, « Le commerce en ligne bute sur la logistique », Le Monde, 18 avril 2000, p. 7, Numéro Spécial : « Carton jaune à la nouvelle économie ».
367
Seule la description de ce que produisent les entreprises de génie génétique est parfois faite : voir BADER Jean Michel, DE LA CHESNAIS Éric, « Numéro 8, nouvelle économie : santé, la formidable accélération de la recherche » Le Figaro, 30 mars 2000, p. II.
Ou Anonyme, « Agroalimentaire: le forcing des OGM » Le Figaro, 30 mars 2000, p. II.
368
Par exemple, MAURIAC Laurent, « Six heures dans la vie du “château de cartes” », Libération, 14 janvier 2000, p. IV, Cahier Spécial.
ou PEIFFER Valérie, « 24 heures dans la vie d'une start-up », Le Point, Économie, 10 mars 2000, p. 98, Spécial Internet.
369
STEHLI Jean-Sébastien, « La tribu des yetties », L’Express, 27 avril 2000, p. 92, Enquête spéciale : Nouvelle économie.
370
LE PRIOL Pierre-Yves, « L'économie du Net, une sacrée aventure. », La Croix, 4 avril 2000, p. 19, Télévision-Médias.
de capitaux et de rencontres avec leurs semblables, qu’ils embauchent à tour de bras371 . La finance occupe une place primordiale dans la vie de ces entreprises. La start-up « se vit au
rythme des créations, des rachats ou des investissements »372. Une grande partie du temps de travail des salariés est consacrée à des opérations financières : établir des « business plan »,
participer au « First Tuesday »373, rencontrer les « business Angels » et préparer des
introductions en Bourse. « Je passe la plupart de mon temps à lever des fonds et à recruter », confirme un entrepreneur dans Le Figaro374.
Aux yeux des auteurs des articles, deux caractéristiques définissent la start-up.
Tout d’abord, la flexibilité des horaires et la quantité énorme de travail qui est attendue des employés. Ces derniers passent leur vie dans la start-up. Un employeur explique ainsi à un candidat à un poste qu’« il faut travailler beaucoup, entre 70 et 80 heures par semaine. Très
vite et très bien »375 Le temps est devenu la condition clé de la réussite. Il n’y a qu’un « seul
mot d'ordre, aller vite »376, « supervite ». « Un retard équivaut à un échec »376, « il faut foncer
et ne pas se poser de questions»377. Bref, les adeptes de la « nouvelle économie » ne doivent jamais s’arrêter de travailler, ils doivent rester sans cesse sur le qui-vive, demeurer en position d’alerte, réactifs, ne jamais s’assoupir. C'est le « seventeen hour day », « de 8 heures à 1
heure du matin, […] avec sandwich à midi et pizza le soir »376. Les journalistes se veulent cependant rassurants : les horaires sont lourds, mais nullement figés. Un startuppien dans
371
« A 20 h 40 : Éric Legent et Laurent, le directeur général, s'échangent leurs rendez-vous pour le mois de janvier : réunion stockage web, réunion Yahoo, émission de radio sur BFM, rendez-vous avec un cabinet de recherche de noms.
A 20 h 45 : les pizzas arrivent. On mange debout, en regardant un film sur un écran d'ordinateur, en papotant. Ce soir-là, après la pizza, on tire les rois. La reine est toute désignée : Aline, la seule femme du sous-sol. 21 h 15 : réunion hebdomadaire. Son objet : “Tout le monde se rencontre autour d'un ordre du jour pour s'exprimer sur les différents chantiers, raconte Éric Legent. On te challenge, on prend des décisions”. A l'ordre du jour, les nouveaux objectifs de l'entreprise : nombre de visiteurs du site, de téléchargements, d'artistes et de labels inscrits... Puis Éric Legent annonce sept recrutements. Enfin sont examinés les nouveaux partenariats, le choix de l'agence de communication, l'évolution du catalogue de musique, la participation au Midem (le salon de l'industrie de la musique qui se tient à Cannes à la fin du mois)... Il y a quelques questions » in MAURIAC Laurent, « Six heures dans la vie du “château de cartes” », Libération, 14 janvier 2000, p. IV, Cahier Spécial.
372
BOUNIOT Sophie, « Ma petite entreprise ne connaît pas la crise », L’Humanité, 27 janvier 2000, p. 24, Médias Télévision.
373
Sur le First Tuesday, voir ci-dessous, Un nouveau rituel : Le First Tuesday, p. 112.
374
MARTIN Jacques-Olivier, « Chèque en blanc pour les pionniers de l'Internet », Le Figaro, 23 mars 2000, p. 2, Dossier Nouvelle Économie.
375
MAURIAC Laurent, « Six heures dans la vie du “château de cartes” », Libération, 14 janvier 2000, p. IV, Cahier Spécial.
Même discours dans L’Humanité « Il y aussi tous ceux qui consacrent passionnément entre 60 et 70 heures hebdomadaires à leur projet sans se poser plus de questions » in MAILHES Laetitia, « Bienvenue dans le monde merveilleux de Microsoft », L’Humanité, 7 novembre 1999, International.
376
MAURIAC Laurent, « Le casting d’une baby start », Libération, 14 janvier 2000, p. IV, Cahier Spécial Net économie.
377
L’Express confie : « On travaille à son rythme […] Je peux ne pas travailler l'après-midi et m'y mettre à 1 heure du matin. Dans une autre boîte, ça ne serait pas possible »377. La passion pour son travail explique sans aucun doute que ce dernier envahisse la vie privée des individus sans que ceux-ci rechignent ou en souffrent : « Les gens sont passionnés. S'ils ne
travaillent pas ici, c'est chez eux, dans le train, tout le temps »378. Ils ont en effet librement choisi de faire ce sacrifice, dont la récompense est promise sur le plan financier : « “Ici, je
travaille comme une bête, j'y passe presque tous mes week-ends, parfois mes nuits” confie l’un d’eux,tout ça pour "prendre ma retraite dans trois ans" ajoute-t- il “J'aurai alors assez d’argent [...], pour vivre dans le luxe le restant de mes jours” »379.
Mais le stress qui est imposé aux nouveaux travailleurs et les cadences de vie « insoutenables »380 auxquelles ils sont assujettis, ne risquent-ils pas de conduire au « burn
out », (c’est-à-dire l’épuisement par le travail) ? Heureusement non puisque certaines sociétés,
apprend-on, « forcent » les gens à s’arrêter. Ainsi Jim Barksdale, un patron de la « nouvelle économie » explique : « Nous avons créé le Netscape Escape Days, c'est un week-end de trois
jours chaque mois. Les gens ne peuvent pas venir travailler... S'ils viennent, on leur dit de retourner chez eux. Cela dit, beaucoup continuent de travailler chez eux avec leur ordinateur, et on ne peut les en empêcher »381. Légiférer sur la durée du temps de travail reste une absurdité aux yeux de la plupart des acteurs de la « nouvelle économie »382 qui refusent que l’on mette des freins à leur activité. La loi sur les « 35 heures » en particulier, déjà dépassée383, « est un non-sens pour les start-up»384, une aberration.
378
« Dans les longs couloirs colorés de Républic Alley, les salariés s'affairent tard le soir sans se plaindre » in CARASCO Aude, « Dossier : Start-up et le social. Le social fait son entrée dans les “start-up” », La Croix, 3 janvier 2001, p.4.
379
ODENT Bruno, « La face cachée de la croissance », L’Humanité, 1er juin 2000, p. 12, Plus loin que les faits. Voir un argument équivalent dans MAURIAC Laurent, « Ma libre entreprise. Que fait le dirigeant du troisième millénaire ? Il crée une start-up. », Libération, 30 décembre 1999, p.20 - 21.
380
MAURIAC Laurent, « Six heures dans la vie du “château de cartes” », Libération, 14 janvier 2000, p. IV, Cahier Spécial.
381
PENICAUT Nicole, « Jim Barksdale, patron de Netscape : Je gagne 1 dollar par mois », Libération, 28 avril 1999, p. 21-22.
382
Dans la « nouvelle économie » on ne compte ni les heures, ni l'énergie investie : C’est « un gimmick chez les “entreprenautes”: “Les 35 heures, on les fait en deux jours” » in LAUTROU Pierre-Yves, « La vie en start-up », L’Express, 16 mars 2000, Numéro spécial : high tech.
383
Voir les nombreuses remarques comme « Les 35 heures, le mardi soir, on les a déjà faites » in MICHEL- VILLAZ, Valérie, « La vie en mouvement », L’Humanité, 4 avril 2000, p.19, Tendances.
« De quoi faire oublier les semaines de 105 heures - blague favorite de la Net économie : "La semaine des 35 heures, nous, on la fait en deux jours" » in STEHLI Jean-Sébastien, « La tribu des yetties », L’Express, 27 avril 2000, p. 92, Spécial Nouvelle économie.
384
CASTA-ROSAZ Fabienne, « Les start-up bousculent le management », Le Figaro, 7 février 2000, p. 23-25, Management.
La deuxième caractéristique à laquelle on reconnaît une entreprise de la « nouvelle économie » est sa géographie singulière. Peu importe son apparence extérieure385, son look, seuls comptent son environnement et son organisation intérieure.
Le choix de la localisation des start-up répond d’abord à des exigences précises. Elles doivent être proches des « incubateurs » et des « pépinières », c’est-à-dire au centre de Paris, dans le Sentier386 ou sur les campus universitaires. L’endroit doit être « sympa » et favorable à la circulation des idées, à la rencontre des compétences « afin de faciliter les contacts avec les
partenaires »387. Le quartier du Sentier à Paris est ainsi privilégié parce que les entreprenautes « habitués aux horaires élastiques qui prolongent une journée au-delà de minuit […]
apprécient ce quartier proche des Halles qui ne dort jamais »388. Etant données ces conditions drastiques, les sites qui répondent à ces critères s’arrachent à prix d’or.
L’aménagement intérieur des entreprises doit également répondre à des normes précises : il doit comporter un « open-space », c’est-à-dire « un grand plateau, "à l'américaine" »387, sans cloison, qui permette de niveler la hiérarchie et d’améliorer la circulation des idées389. Tous les
signes de la modernité, comme des « ordinateurs flambant neufs »390, y sont évidemment
réunis. Rien n’est trop cher391 puisque la start-up privilégie toujours le bien-être de ses employés. Elle aménage à cet effet de nouveaux lieux de vie (cuisine392, salle télé, sauna393,
385
« Il abrite sa société de dix personnes à Ivry-sur-Seine, dans un appartement vieillot, encombré de cartons et situé au fond d'une ruelle » in BRUZEK Olivier « Ça y est ! La France s'enfièvre », Le Point, 10 mars 2000, p. 82, Économie, Spécial Internet.
386
« Il se passe de drôles de choses dans le "Silicon Sentier" de la capitale ou les vieux immeubles parisiens revivent au rythme effréné d'entreprises dédiées à internet » in LE GUILL Dominique, « Start-up à la folie », Le Monde, 8 mars 2000.
387
BOUNIOT Sophie, « Ma petite entreprise ne connaît pas la crise », L’Humanité, 27 janvier 2000, p. 24, Médias Télévision.
388
PENICAUT Nicole, « Silicon Sentier », Libération, 14 janvier 2000.
ou REJU Emmanuelle, « Laurent Edel, hôte de Jacques Chirac à la “Republic Alley” parisienne », La Croix, 4 mars 2000, p. 2, Actualité.
389
Et non pas de permettre de repérer les oisifs qui ne font rien ou ont tendance à s’assoupir…
390
MAURIAC Laurent, « Le casting d’une baby start », Libération, 14 janvier 2000, p. IV, Cahier Spécial Net économie.
391
« Toutes les extravagances sont permises aux start-up. […]. Le loyer de ce petit palace avec sa magnifique piscine, sa discothèque au sous-sol et ses multiples salles de bains s'élève à 40 000 francs par mois » in MARTIN Jacques Olivier, « Une start-up logée dans une villa Respublica chez les milliardaires » Le Figaro, 12 mars 2000, p. 7, Entreprises.
392
DANTO Bruno, « Le vestiaire des sans cravate », Le Monde, 18 octobre 2000, p.2.
393
Un « sauna, une salle de gym, une cuisine, une table d'hôte, des lieux de relaxation....» in LAUTROU Pierre- Yves, « La vie en start-up », L’Express, 16 mars 2000, p. 142, Spécial High-Tech.
salle de sport394
, teinturerie395
, salle de massage392 « salles d'humour » (jeux, jouets et vidéos des Monty Python396).
(3) La « nouvelle démocratie »
Si l’on en croit les auteurs des articles de notre corpus, les start-up incarnent la démocratie idéale. L’entreprise est appelée à devenir un modèle pour la société, un idéal de vie en communauté : elle est « une agora centrale propice aux échanges »397. Les descriptions qui en sont faites sont riches en métaphores et comparaisons : elle est « une sorte de ruche aux
portes toutes ouvertes où s'entremêlent les hiérarchies »398. Les références à Mai 68 (et aux « révolutions » en général399) sont constantes pour décrire l’état d’esprit des salariés de la « nouvelle économie » (leurs valeurs, idéaux et mode de vie « déstructurée ») mais aussi l’organisation « politique » à l’intérieur des entreprises : « il y a du free speech movement, il y
a du flower power, dans la Toile, et Napster [est] un Woostock permanent, la boue en