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II. ETUDE IN VIVO ET IN VITRO DE L’ALLERGENICITE

II.2. Effet des traitements sur l’allergénicité des aliments

II.2.2. Traitements thermiques

Le chauffage peut également altérer la structure des protéines, ce qui peut entraîner une modification de leur allergénicité et/ou de leur susceptibilité à la digestion. La nature et l’importance des changements qui se produisent dépendent de la température et de la durée de chauffage, ainsi que des caractéristiques intrinsèques de la protéine et des conditions physico- chimiques de l’environnement dans lesquelles le traitement s’effectue. Les traitements thermiques entraînent typiquement la perte de la structure tertiaire (réversible), la perte de la structure secondaire (55-70°C), le clivage des ponts disulfures (70-80°C), la formation de nouvelles interactions intra-/intermoléculaires, un réarrangement des ponts disulfures (80- 90°C) et la formation d’agrégats (90-100°C) [304]. Des modifications chimiques des protéines peuvent également se produire à plus hautes températures (100-125°C et plus).

Au cours des traitements thermiques, différentes réactions peuvent se produire. Les réactions de Maillard, ou brunissements non-enzymatiques, sont l'ensemble des interactions résultant de la réaction entre un sucre réducteur et un groupement aminé. Ces réactions peuvent se produire lors du chauffage des aliments, entre les résidus lysine d’une protéine et les sucres de la matrice alimentaire. D’autres types de modifications peuvent impliquer la

liaison de lipides oxydés avec les protéines et ainsi contribuer à la formation d’une nouvelle structure immunologiquement réactive.

Il semble qu’il n’y ait pas de règles générales en ce qui concerne les conséquences d’un traitement thermique sur l’allergénicité. Certains allergènes, ou mieux certains aliments allergéniques, sont décrit comme étant résistants à la chaleur (comme le lait, l’œuf, le poisson, l’arachide), alors que d’autres sont considérés comme étant partiellement stables (soja, céréales, céleri, noix) ou labiles (fruits de la famille des Rosacées et les carottes) [305]. Dans la littérature, il y a de grandes différences dans les protocoles de chauffage utilisés tant au niveau du matériel utilisé (allergène purifié versus aliment entier), de la température, de la durée, que des conditions dans lesquelles sont réalisées ce chauffage (à sec, en solution aqueuse, dans une solution contenant des sucres, des lipides, …). Il y a également une grande diversité des méthodes employées pour évaluer l’allergénicité de ces protéines modifiées. Il est donc difficile de comparer les résultats de ces expériences.

II.2.2.1. Effet du chauffage sur les allergènes purifiés

Nous allons tout d’abord nous attacher à étudier les résultats obtenus pour des allergènes purifiés, dans des protocoles n’induisant pas de produits de la réaction de Maillard, c’est-à-dire l’effet du chauffage seul.

Dans ces protocoles, il semblerait que, comme pour la résistance à la digestion, les allergènes incomplets soient moins résistants aux procédés thermiques que les allergènes alimentaires vrais. Ainsi, les prolamines sont assez résistantes aux traitements thermiques. A titre d’exemple, les nsLTP de la cerise (Pru av 3) et de la pomme (Mal d 3) conservent leur allergénicité après traitement thermique modéré [278;306] même s’il a été montré que des traitements thermiques plus sévères peuvent induire une diminution significative de l’immunoréactivité de Mal d 3 [306]. Quant au chauffage des allergènes incomplets, il entraîne généralement la perte de leur allergénicité. Bohle et coll. ont montré que la capacité des allergènes recombinants Bet v 1 (pollen de bouleau), Mal d 1 (pomme), Api g 1 (céleri) et Dau c 1 (carotte) à induire la dégranulation de cellules effectrices n’est pas modifiée par le chauffage 30 min à 40°C des protéines. A 60°C, une perte totale de la capacité de dégranulation est constatée pour Api g 1. Pour les autres protéines, cette perte complète a lieu après chauffage à 80 ou 100°C [307]. La perte de l’immunoréactivité des IgE des protéines homologues à Bet v 1 est également confirmée au travers d’autres études pour Pru av 1 de la cerise [278] et de Prs a 1 de l’avocat [308].

II.2.2.2. Effet de la génération de produits de la réaction de Maillard au cours du chauffage

De nombreuses études tentent de reproduire des interactions qui peuvent avoir lieu dans l’aliment. Ainsi, en chauffant l’allergène purifié en présence de différents sucres, des produits de la réaction de Maillard sont formés.

La formation de produits de Maillard au cours du chauffage de protéines peut avoir un effet protecteur. C’est en effet le cas pour Mal d 3 (nsLTP de la pomme) pour qui un chauffage drastique à 100°C pendant 2 h sans glucose entraîne la diminution d’un facteur 30 de sa capacité de liaison aux IgE et d’un facteur 100 à 1000 de sa capacité à induire la dégranulation des cellules effectrices. La capacité de liaison aux IgE n’est réduite que d’un facteur 2 et la capacité à induire la dégranulation d’un facteur 10 par ajout de glucose pendant le chauffage [306].

Ces produits de la réaction de Maillard générés pendant le chauffage peuvent même être à l’origine d’une allergénicité accrue de la protéine. Gruber et coll. ont en effet montré que le traitement thermique de Ara h 2 recombinant en présence de sucres induit une augmentation significative de sa capacité de liaison aux IgE. Curieusement, ni les 2 résidus lysine de Ara h 2 ni sa partie N-terminale ne sont impliqués dans la formation par la réaction de Maillard de ces structures fortement affines, mais il semblerait que ce soient des acides aminés non basiques qui aient pu lier les sucres [309]. De la même façon, Maleki et coll., ont montré que Ara h 1et Ara h 2, après réaction de Maillard (incubation à 55°C pendant 10 jours avec 200 mM de différents sucres) présentent des réactivités différentes : elles sont plus immunoréactives, plus stables aux traitements thermiques et à la digestion gastroduodénale [310].

II.2.2.3. Effet du chauffage sur l’aliment entier

Les traitements thermiques réalisés sur des aliments entiers permettent de prendre en compte les interactions éventuelles avec d’autres composants de l’aliment, réactions de Maillard mais également interactions avec des lipides et/ou d’autres protéines.

La résistance aux traitements thermiques varie pour les différentes protéines d’un même aliment. Une extraction de maïs, réalisée avant et après un traitement thermique de 160 minutes à 100°C, montre que l’immunoréactivité des bandes de haut poids moléculaire est pratiquement éliminée mais que le traitement thermique n’affecte pas l’immunoréactivité des

nsLTP [311]. Une autre étude révèle la présence d’une protéine résistante de 50 kDa dans une préparation de polenta cuite pendant 30 min [312].

La prévalence de l’allergie à l’arachide dépend des habitudes alimentaires et du type de cuisson traditionnellement utilisé dans les populations de différents pays [313]. En effet, le traitement thermique des arachides à des températures assez faibles tels que les faire bouillir (100°C) ou frire (120°C), entraîne des changements de conformation mais ne génère pas de produits de la réaction de Maillard, et les propriétés allergéniques de l’arachide ainsi chauffée sont inchangées. A l’inverse, lorsque des produits de la réaction de Maillard sont générés, l’allergénicité de l’arachide est augmentée. Maleki et coll. ont étudié l’allergénicité d’extraits protéiques d’arachides crues ou grillées (généralement à 140°C pendant 40 min). L’affinité apparente des IgE spécifiques est augmentée environ d’un facteur 90 pour les arachides grillées vs crues [310]. Cette augmentation de l’allergénicité est due à la formation de produits de la réaction de Maillard, ainsi qu’au démasquage d’épitopes lors du grillage de l’arachide [282;314]. Mondoulet et coll. ont plus récemment comparé l’allergénicité des protéines d’arachide extraites d’arachide crue, bouillie ou grillée. Ils n’a pas été observé de différence d’immunoréactivité entre l’extrait protéique issu d’arachide grillée vs crue. Par contre, l’immunoréactivité IgE des allergènes purifiés Ara h 1 et Ara h 2 issus de l’arachide grillée est plus élevée que celle des mêmes allergènes extraits de l’arachide bouillie ou crue. Par ailleurs, la capacité de liaison aux IgE de l’extrait protéique issu d’arachide bouillie s’est révélée être 2 fois plus faible que pour les extraits protéiques d’arachide crue ou grillée. Cette diminution d’allergénicité pourrait s’expliquer par le transfert dans l’eau de cuisson de protéines de faible poids moléculaire liant les IgE [315].

A l’inverse de l’arachide, le grillage de la noisette réduit significativement son allergénicité. Hansen et coll. ont ainsi montré que dans une population de patients allergiques au pollen de bouleau et à la noisette crue (impliquant donc les homologues de Bet v 1), le grillage réduit significativement l’allergénicité des noisettes. Il apparaît que l’affinité apparente des IgE spécifiques est diminuée d’un facteur 100 environ après grillage de la noisette [225].

En ce qui concerne les allergènes d’origine animale, il semble que la cuisson dénature un certain nombre de protéines, certaines demeurant tout de même résistantes et conservant un potentiel allergique comme la crevette [316]. La cuisson de la viande et du poisson génère la formation de conglomérats qui ont une réactivité vis-à-vis des IgE de patients allergiques [317;318]. D’autre part, faire bouillir du lait permettrait de diminuer son allergénicité par

dénaturation d’allergènes majeurs tels que la βLG [200;319]. A l’inverse, la pasteurisation du lait (chauffage à 75°C) semble en augmenter légèrement l’allergénicité [320].

II.2.2.4. Impact sur la digestibilité

La cuisson peut également avoir un impact sur la digestibilité des allergènes par la suite. A titre d’exemple, Simonato et coll. ont montré que pendant la digestion in vitro de pâte à pain non cuite, les protéines liant les IgE de patients allergiques ont tendance à disparaître tandis que la reconnaissance par les IgE de protéines allergènes est conservée au cours de la digestion de la mie et de la croute du pain cuit [321].