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III. RESULTATS ET DISCUSSION

III.2. Applications du modèle cellulaire

III.2.2. Etude des allergènes purifiés de l’arachide

III.2.2.2. c Les complexes IgE-IgG présents dans les sérums ont-ils une

Les tests de déplétion des sérums en IgG nous ont conduits à la perte quasiment complète des IgE dans les fractions passées sur protéine G, suggérant que les IgE restaient fixées sur la matrice. L’absence d’affinité de cette matrice pour les IgE nous laissait suspecter l’existence d’un anticorps intermédiaire fixant les IgE et se liant à la protéine G. La présence dans les sérums d’anticorps IgG spécifiques des IgE a été maintes fois décrite dans la littérature. Nous nous sommes donc interrogés sur l’existence d’IgG anti-IgE et leurs conséquences sur la capacité des sérums à induire une dégranulation. Nous avons donc mis au point des outils de dosage de ces complexes dans les sérums humains, en adaptant les dosages

des IgE et des IgG totales réalisés couramment au laboratoire. Le principe de ce nouveau dosage est de capturer les IgE sériques sur des plaques revêtues par un anticorps anti-IgE humaines, puis de révéler la présence d’IgG complexées aux IgE à l’aide d’un traceur anti- IgG humaines. Nous avons utilisé des traceurs anti-IgG humaines spécifiques des 4 différentes sous-classes d’IgG (IgG1, IgG2, IgG3 et IgG4). Les anticorps utilisés ne reconnaissent que les isotypes contre lesquels ils sont dirigés. Afin de pouvoir comparer les taux de complexation entre les différents sérums, nous avons incubé les sérums à des concentrations fixes en IgE (5, 1 ou 0,2 UI/mL) estimées par dosage des IgE totales.

Les complexes IgE-IgG ont été dosés dans les 12 sérums de patients allergiques à l’arachide impliqués dans notre étude de dégranulation. Le pool de 76 sérums de patients allergiques à l’arachide et le pool de sérums de patients allergiques au lait ont également été analysés. Dans un premier temps, nous avons dosé les complexes IgE-IgG1, IgG2, IgG3 ou IgG4 avec les sérums non prétraités (c’est-à-dire non immunopurifiés en IgE). Les résultats sont présentés séparément, figure 36 pour les complexes IgE-IgG1, IgG2 et IgG3 et figure 37 pour les complexes IgE-IgG4.

Figure 36 : Dosage des complexes IgE-IgG1, 2 et 3 dans les sérums de patients allergiques à l’arachide.

Après incubation sur plaque anti-IgE des sérums (à 5 UI/mL d’IgE totales), les complexes IgE-IgG1, 2 ou 3 sont révélés par des traceurs anti-IgG1, 2, ou 3.

Comme nous pouvons le constater (figure 36), pour une concentration en IgE de 5 UI/mL, seuls 3 sérums montrent des signaux significatifs traduisant la présence de complexes IgE-IgG1. De façon surprenante, seul le pool de sérums de patients allergiques au lait montre un signal révélant la présence de complexes des IgE par des IgG2 anti-IgE. A l’inverse, les dosages démontrent l’absence de complexes IgE-IgG3 quel que soit le sérum considéré.

Figure 37 : Dosage des complexes IgE-IgG4 dans les sérums de patients allergiques à l’arachide.

Après incubation sur plaque anti-IgE des sérums (à 5, 1 ou 0,2 UI/mL d’IgE totales), les complexes IgE-IgG4 sont révélés par des traceurs anti-IgG4.

Par contre, tous les sérums présentent des complexes formés avec des IgG4 anti-IgE (figure 37). Les signaux observés sont proches de la saturation à 5 UI/mL d’IgE, puis diminuent proportionnellement avec la baisse des concentrations en IgE, démontrant que le signal dépend bien de la quantité des IgE déposées. Du fait de la spécificité de nos différents anticorps secondaires, ces résultats suggèrent que nous avons bien des IgE fixées par la phase solide et des IgG4 liées à ce support et révélées par le traceur. Nous pouvons observer une grande hétérogénéité des quantités d’IgG4 complexées aux IgE pour les différents sérums. Par exemple, le signal mesuré pour le sérum 470 dilué à 5 UI/mL d’IgE est équivalent à celui obtenu pour le sérum 488 dilué à 0,2 UI/mL d’IgE. Par extrapolation, on peut donc considérer que les IgE du sérum 470 sont 25 fois moins complexées que celles du sérum 488.

Ces premiers résultats suggèrent donc que, dans les sérums humains de patients allergiques, des complexes IgE-IgG sont présents et que ces complexes sont formés majoritairement par des IgG4. Les complexes IgE-IgG4 ont donc par la suite été dosés après immunopurification des IgE des sérums correspondant au traitement préalable à la sensibilisation des cellules RBL SX-38. Les résultats sont donnés figure 38.

Figure 38 : Dosage des complexes IgE-IgG4 dans les sérums de patients allergiques à l’arachide après immunopurification des IgE.

Après incubation sur plaque anti-IgE des sérums (à 5, 1 ou 0,2 UI/mL d’IgE totales), les complexes IgE-IgG4 sont révélés par des traceurs anti-IgG4.

Après immunopurification des IgE, des signaux sont également observés pour tous les sérums testés, les quantités de complexes étant hétérogènes d’un sérum à l’autre. On note néanmoins des signaux beaucoup plus faibles que précédemment, bien que les quantités d’IgE soient les mêmes, suggérant que les IgE sont moins complexées après immunopurification. Cette perte n’est pas du même ordre d’un sérum à l’autre. Par exemple, pour le sérum 51, un signal de l’ordre de 400 mA est obtenu pour une concentration d’IgE immunopurifiées de 5 UI/mL alors que le même signal était observé pour une concentration en IgE non traitées située entre 0,2 et 1 UI/mL (figure 37). La diminution du signal est encore plus importante pour le pool de sérums de patients allergiques à l’arachide après immunopurification. On retrouve malgré tout la différence d’un facteur 25 entre les quantités de complexation des IgE immunopurifiées du sérum 470 et du sérum 488.

Il est concevable que la complexation IgE-IgG4 puisse empêcher la liaison des IgE aux anticorps anti-IgE couplés au sépharose, entraînant donc un appauvrissement en complexes IgE-IgG4 lors de l’immunopurification. Cependant, les anticorps monoclonaux anti-IgE utilisés pour l’immunopurification sont identiques à ceux intervenants dans le dosage des IgE. S’il y avait une telle absence de fixation, cette fraction de complexe ne serait donc pas détectée, dès l’origine dans le sérum non immunopurifié. Une autre hypothèse serait que certaines IgE pourraient être décomplexées lors de l’immunopurification. Nous avons pu constater dans des expériences complémentaires que le passage sur protéine G des sérums après immunopurification des IgE entraînait des pertes en IgE du même ordre de grandeur que celle constatée pour les sérums non prétraités, c’est-à-dire 95%. Cette simple expérience

démontre donc que les IgE immunopurifiées restent complexées après immunopurification. Une autre hypothèse serait que plusieurs IgG4 sont liées à une IgE. Lors de l’étape d’immunopurification, impliquant un choc acide, une partie de ces IgG4 pourrait en fait être décomplexée mais les IgE resteraient liées par d’autres IgG4.

A partir des résultats obtenus avec les IgE totales, nous avons cherché à vérifier l’état de complexation des IgE spécifiques de l’arachide. Pour cela, des IgE immunopurifiées ont été incubées sur des plaques revêtues par de l’EPBA à des concentrations en IgE spécifiques de l’EPBA de 5, 1 et 0,2 UI/mL. Les IgE ont été préalablement immunopurifiées afin ne pas avoir d’IgG spécifiques de l’arachide dans les sérums. Les IgG4 complexées aux IgE fixées spécifiquement à l’EPBA sont par la suite révélées par le traceur anti-IgG4 couplé à la G4. Les complexations obtenues ont été comparables à celles observées avec les IgE totales immunopurifiées tant en termes de quantité que d’hétérogénéité d’un sérum à l’autre (non montré). Ces résultats sont donc en accord avec ceux de Magnusson et coll. qui ont montré que les IgG4 anti-IgE lient la partie Fc des IgE [382].

L’interaction possible entre IgE et IgG pourrait influencer la fixation des IgE sur leurs récepteurs et particulièrement sur celui de haute affinité, le FcεRI. Ces complexes pourraient par exemple bloquer la liaison des IgE au FcεRI si les IgG ont des sites de fixation identiques ou proches de ceux des récepteurs. Au contraire, ils pourraient potentialiser cette liaison après modification structurale des IgE. En effet, Nawata et coll. avaient montré la présence d’IgG anti-IgE dans les sérums, conduisant à la formation de complexes immuns avec les IgE. Il semble que la présence de ces complexes est plus fréquente chez des patients ayant un asthme atopique (95%) ou une dermatite atopique (87%) comparés à des patients ayant un asthme non atopique (72%) [383;384]. Iwamoto et coll. ont également décrit un taux plus élevé de complexes IgE-IgG chez des patients ayant un asthme atopique sévère [385]. De plus, Jarzab et Gawlik ont mis en évidence des quantités de complexes IgE-IgG plus importantes durant la saison pollinique chez des patients ayant une allergie respiratoire [386]. Les sous-classes d’IgG impliquées dans ces complexes sont décrits, pour des patients atopiques, comme étant des IgG1 et des IgG4 par Carini et coll. [387]. Nos résultats montrent également que les complexes impliquent principalement des IgG4 et, pour quelques sérums, des IgG1. Notons que dans une autre étude, ce sont les IgG1 et des IgG3 qui étaient impliqués [388], ce que nous n’observons pas dans le cadre de la sensibilisation à l’arachide. Ces études suggèrent que ces complexes ont un rôle non négligeable dans la réaction allergique. Nous avons donc vérifié si les taux de complexations étaient différents selon la symptomatologie des patients

dont les sérums ont été utilisés dans cette étude, et si les différents paramètres des dégranulations obtenus dans le test de déclenchement de la réaction allergique étaient corrélés à ces taux de complexation des IgE par les IgG4 anti-IgE.

Dans un premier temps, si l’on compare les patients ayant une symptomatologie légère à modérée (n=4) et ceux ayant une symptomatologie sévère (n=8), nous n’observons pas de différence (figure 37). La complexation des IgE par les IgG4 anti-IgE n’explique pas non plus les résultats des dégranulations obtenues pour l’EPBA, tant pour les intensités des dégranulations que pour les EC50 obtenues (figure 39).

Figure 39 : Paramètres des courbes de dégranulation obtenues pour l’EPBA (A : maximum de dégranulation, et B : EC50) selon les taux de complexes IgE-(IgG4

anti-IgE) dans les sérums.

Nous avons mis en évidence des niveaux de complexation des IgE par des IgG4 anti- IgE variables d’un sérum à l’autre. Pour les 12 sérums de notre étude, les quantités d’IgG4 anti-IgE complexées aux IgE ne sont pas corrélées à la sévérité des symptômes des patients et ne sont pas non plus liées à la capacité des sérums à induire la dégranulation des cellules dans notre modèle. Lichtenstein et coll. ont montré que des dégranulations de basophiles pouvaient être induites par des anticorps anti-IgG, ces anticorps se liant aux IgG impliquées dans les complexes IgE-IgG fixés via les IgE aux FcεRI exprimés à la surface des basophiles [389]. Lors de l’utilisation des sérums sans pré-traitement pour sensibiliser les cellules, ce phénomène se produit peut-être, ce qui expliquerait en partie les différences observées pour des sérums utilisés sans prétraitement. D’autre part, ces complexes IgE-IgG pourraient lier des récepteurs FcγRII à la surface des cellules effectrices, ce qui inhiberait l’activation des mastocytes et basophiles par les allergènes [390]. Notre modèle cellulaire n’exprime que le FcγRII humain, par conséquent, nous ne pouvons voir ce type d’interactions avec les autres récepteurs présents sur les mastocytes et basophiles.

Des études intéressantes sur ces complexes seraient de comparer la présence de complexes chez différentes populations, notamment des individus non allergiques (tolérants) et des patients allergiques à l’arachide ou au lait de vache. Un suivi longitudinal de patients allergiques pourrait également être une bonne source d’information. De plus, afin de compléter l’étude sur un éventuel effet des complexes dans ce modèle cellulaire de déclenchement de la réaction allergique, il faudrait comparer la capacité de sensibilisation des cellules, via les dégranulations induites par les allergènes, à partir des IgE d’un même sérum libres ou complexées aux IgG4. Nous avons testé plusieurs approches pour séparer les IgE des IgG4 anti-IgE comme le chauffage à 56°C [391], des traitements à pH acides ou basiques, ou par dissociation par le thiocyanate. Cependant, nous n’avons pas pu rompre cette liaison par ces techniques, et obtenir des IgE libres, suggérant une très forte affinité des IgG4 impliquées. Différentes approches envisagées au laboratoire devraient permettre de décomplexer les IgE, en prenant garde à ne pas les dénaturer et à ne pas endommager leur paratope. Cela est nécessaire pour poursuivre ces études et comprendre le rôle des complexes dans nos modèles.