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3. Traitements

3.1. Les traitements pharmacologiques

concerne aussi bien les hommes que les femmes. Selon l’étude Global Burden of Disease la plus récente de l’OMS, qui compare l’ampleur et les causes de handicap de plus de 200 maladies, le trouble bipolaire occupe le 8ème rang des maladies les plus invalidantes (Lopez

et al., 2006). Le risque de décès par suicide est de 19%. Ce chiffre s’élève à 25-50% pour

les tentatives de suicide, l’un des plus élevés parmi tous les troubles psychiatriques

(Goodwin et Jamison, 2007).

De tels chiffres devraient être à même de susciter des actions de santé publique et des études médico-économiques afin d’évaluer et d’améliorer l’état de santé des personnes souffrant du trouble bipolaire. Or, si de telles actions et études existent pour la dépression et pour la schizophrénie, elles sont très rares pour le trouble bipolaire. En particulier, l’évaluation des conséquences socio-économiques du trouble bipolaire n’a fait l’objet que de rares études. L’un d’elles, réalisée en 1991 aux Etats-Unis, a estimé le coût de cette maladie à 45 millions de dollars. Ce chiffre prend en compte les coûts directs (15% du total), liés aux traitements, mais aussi et surtout les coûts indirects (85%), dus à la perte de productivité (Wyatt et Henter, 1995).

3. Traitements

3.1. Les traitements pharmacologiques

Le trouble bipolaire est difficile à traiter, en raison de sa complexité et de la variabilité inter-individuelledes symptômes. Le traitement pharmacologique a pour objectif primaire de réduire le risque suicidaire et la sévérité des symptômes. A plus long terme, il s’attache à stabiliser l’humeur et à prévenir les rechutes. Le choix médicamenteux repose notamment sur la nature de la phase présentée par le patient au moment de sa prise en charge, et s’adapte en fonction de l’évolution de la maladie.

Manie aiguë

Introduit dans les années 1950, le lithium est le thymoleptique (appelé aussi « normothymique », « thymorégulateur » ou « stabilisateur de l’humeur ») de

référence pour les troubles bipolaires. Il est prescrit en première intention chez les patients

en phase maniaque. Des antiépileptiques, comme le valproate et la carbamazépine, sont également utilisés en alternative ou en combinaison avec le lithium. C’est généralement

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l’association d’un antipsychotique à un thymoleptique qui est l’approche thérapeutique la plus efficace. En raison de leurs nombreux effets secondaires, les antipsychotiques typiques (halopéridol) ont été peu à peu remplacés par les antipsychotiques de deuxième génération, dits « atypiques » (olanzapine, quétiapine, rispéridone, aripiprazole, clozapine…). Ceux-ci sont également plus efficaces pour atténuer l’hyperactivité et les symptômes psychotiques (Müller-Oerlinghausen et al., 2002).

Dépression aiguë

Bien que les antidépresseurs soient le traitement standard pour la dépression majeure unipolaire, les traitements de première intention pour la dépression bipolaire sont le lithium, la quétiapine ou la lamotrigine (un antiépileptique) (Price et Marzani-Nissen, 2012). En effet, les taux de réponse aux médicaments antidépresseurs sont plus faibles chez les patients atteints de trouble bipolaire que ceux souffrant de dépression unipolaire (Compton et

Nemeroff, 2000; Sachs et al., 2000). La prise d’un antidépresseur en monothérapie au cours

d’un épisode bipolaire dépressif est, en outre, associée à un risque de virage maniaque ou d’accélération des cycles, même si cette question fait encore débat (Harel et Levkovitz,

2008; Sidor et Macqueen, 2011). Toutefois, si un patient sous thymoleptique présente les

symptômes d’un épisode dépressif sévère, un inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine (ISRS), comme la fluoxétine, peut lui être administré, en complément du thymorégulateur. Les antidépresseurs tricycliques (ATC) et les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) sont particulièrement à éviter pour les patients présentant souvent des phases mixtes et/ou avec des cycles rapides, car ils risquent d’exacerber leurs symptômes (Sachs et al., 2000; Ghaemi et al., 2003).

Episodes mixtes

Les épisodes mixtes sont souvent plus difficiles à traiter que les épisodes maniaques ou dépressifs. Le lithium n’a pas montré d’efficacité réelle, alors que le valproate semble atténuer certains symptômes (Yatham et al., 2005).

Traitement de maintenance

Il fait suite aux traitements aigus et doit se poursuivre à long terme, voire à vie, car la rémission totale de cette pathologie est rare. Les rechutes surviennent chez un tiers des patients dans la première année, et chez plus de 70% des patients dans les cinq ans suivant le début du traitement (Gitlin et al., 1995). Le traitement à long terme repose sur la prescription d’un thymoleptique (le plus fréquemment : lithium, lamotrigine ou valproate),

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combiné ou non avec un antipsychotique atypique. Cependant, il n’y a pratiquement aucune étude sur l’impact d’un traitement à long terme au-delà de 18 mois.

Mécanismes d’action

Les mécanismes d’action primaires des antidépresseurs et des antipsychotiques sont bien connus. Ainsi, les antidépresseurs provoquent une augmentation de la disponibilité synaptique des neurotransmetteurs monoaminergiques – sérotonine (5-hydroxytryptamine, 5-HT), noradrénaline et/ou dopamine – en inhibant leur dégradation ou leur recapture par le neurone présynaptique. Les antipsychotiques typiques sont des antagonistes des récepteurs dopaminergiques D2, alors que les atypiques ont non seulement des propriétés antagonistes des récepteurs D2 (à l’exception de l’aripirazole qui est un agoniste partiel des récepteurs D2), mais sont aussi des antagonistes des récepteurs sérotoninergiques 5-HT2A (Seeman, 2002).

En revanche, la connaissance du mode d’action des thymorégulateurs est encore fragmentaire. Les recherches se sont initialement concentrées sur une possible interaction de ces agents pharmacologiques avec des récepteurs ou des transporteurs membranaires, et se sont orientées, plus récemment, vers des cibles en aval de ces récepteurs, au niveau intracellulaire. Ces études ont permis d’identifier plusieurs cibles directes des principaux thymorégulateurs, dont la plupart sont impliquées dans les voies de signalisation

intracellulaire : le lithium inhibe l’inositol monophosphatase (IMPase),

l’inositol-polyphosphate 1-phosphatase (IPPase), deux enzymes impliquées dans le recyclage du diacyglycérol (DAG) dans la voie de la PKC (voir figure 11), et la glycogène synthase kinase-3 (GSK-3 ). Le valproate, lui, inhibe les canaux Na+ voltage-dépendants et les histone désacétylases. La lamotrigine inhibe elle aussi les canaux Na+. Quant à la carbamazépine, elle inhibe les canaux Na+ et l’adénylate cyclase (Gould et al., 2004b).

Chez les sujets épileptiques, les effets anticonvulsivants des antiépileptiques sont rapides, alors que leurs effets antimaniaques chez les personnes bipolaires nécessitent un délai d’au moins 10 à 15 jours. Ce délai suggère que leur action commune sur les canaux Na+ voltage-dépendants n’est pas à l’origine de l’amélioration de l’humeur. En effet, d’autres antiépileptiques bloqueurs de canaux Na+, comme le topiramate, n’ont montré aucune efficacité dans le traitement des troubles bipolaires (Kushner et al., 2006).

34 lamotrigine carbamazépine valproate de sodium

Li

+

Cl

-chlorure de lithium

Figure 3.STRUCTURE CHIMIQUE DU LITHIUM ET DES ANTIEPILEPTIQUES UTILISES POUR LE

TRAITEMENT DES TROUBLES BIPOLAIRES.

Le lithium est un cation monovalent, le valproate est un acide gras ramifié, la carbamazépine a une structure proche des antidépresseurs tricycliques, et la lamotrigine est composée d’une structure de type triazine connectée à un autre cycle aromatique.

Ainsi, aucune cible directe qui serait partagée par l’ensemble des thymoleptiques n’a encore pu être mise en évidence, ce qui n’est pas étonnant puisqu’ils sont structurellement dissemblables (figure 3). Il peut être proposé que bien que les cibles primaires de ces thymoleptiques ne soient pas identiques, leur modulation provoquerait des effets intracellulaires qui convergeraient vers les mêmes voies de signalisation (Gould et al., 2002). C’est pourquoi, au-delà des cibles directes, il faut s’intéresser aux conséquences de l’administration des stabilisateurs de l’humeur sur les cascades de transduction.

Ainsi, des études in vitro et/ou in vivo ont mis en évidence l’implication de quatre voies de signalisation intracellulaire dans les mécanismes d’action des thymoleptiques qu’ils partagent avec certains antipsychotiques et antidépresseurs (figure 4). Ces voies sont :

la voie de l’AMPc – PKA (adénosine monophosphate cyclique − protéine kinase A), (Perez et al., 2000)

la voie des MAPK (mitogen-activated protein kinases), (Einat et al., 2003; Valjent et al., 2004; Browning et al., 2005)

la voie de la GSK-3 (Gould et al., 2004a; Rowe et al., 2007; Li et Jope, 2010).

la voie des phosphoinositides – PKC. (La modulation de cette voie par les traitements existants sera détaillée dans la partie III.)

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Figure 4.REPRESENTATION SCHEMATIQUE DES VOIES INTRACELLULAIRES MODULEES PAR LES STABILISATEURS DE L'HUMEUR.Synthèse de Coyle et Duman (2003) ; Tanis et Duman (2007) ;

Catapano et Manji (2008).

Les thymoleptiques agissent – directement ou indirectement – à plusieurs niveaux des voies de signalisation intracellulaire. Voie de l’AMPc-PKA. La fixation d’un neurotransmetteur à un récepteur transmembranaire couplé à une protéine G (RCPG) va stimuler la protéine G, qui active à son tour l’adénylate cylase (AC), permettant la conversion de l’ATP en AMPc. L’AMPc va activer la protéine kinase A (PKA), qui va phosphoryler CREB (cAMP-response element-binding). CREB, en se fixant sur une séquence CRE (cAMP response element) de l’ADN, va permettre la transcription de gènes comme celui du BDNF. Voie des MAPK (Mitogen-activated protein kinases). La cascade est activée par la fixation d’un facteur de croissance (GF pour growth factor) ou d’un facteur neurotrophique, comme le BDNF, sur leurs récepteurs respectifs. Ceci va permettre l’activation d’une GTPase, Ras. Il s’ensuit une cascade de phosphorylations caractérisée par trois kinases activées séquentiellement qui autorise une forte amplification des signaux extracellulaires. Ces kinases sont Raf (MAPK kinase kinase), MEK (MAPK kinase) et Erk (MAPK). Cette cascade conduit à la phosphorylation de Rsk (Ribosomal S6 kinase) qui va activer CREB ou inhiber la GSK-3 . Voie de la GSK-3 (glycogène synthase kinase-3 ). La liaison de Wnt sur le récepteur Frizzled résulte en un signal qui est transduit via la protéine Dishevelled. L’inactivation de la GSK-3 par Dishevelled réduit la phosphorylation et la dégradation de la -caténine, qui va migrer vers le noyau et activer le facteur de transcription Tcf/Lef. Cette voie peut être aussi activée par les neurotrophines, via la phosphoinositide 3-kinase (PI3K) et l’Akt (ou PKB, protéine kinase B). Abréviations : Li : lithium, CBZ : carbamazépine, GFR : growth factor receptor, IGF : insulin-like growth factor, VEGF : Vascular endothelial growth factor, FGF : Fibroblast growth factor, NGF : Nerve growth factor, NT3 : neurotrophine-3.