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4. Etiologie et physiopathologie des troubles bipolaires

4.2. Facteurs environnementaux

présentant la plus forte association avec cette pathologie. Baum et al. (2008) ont observé un polymorphisme mononucléotide dans le gène de la diacylglycérol kinase (DGK) , une enzyme de la voie de signalisation intracellulaire de la PKC, qui recycle l’activateur endogène DAG en phosphatidylinositol-4,5-bisphosphate (PIP2) (voir figure 11). D’autres études récentes ont également permis d’identifier des gènes de susceptibilité codant pour des molécules impliquées dans les processus intracellulaires (myosine 5B, Sklar et al., 2008 ; PALB2, Dynactine 5, NADH déshydrogénase ubiquinone 1 / , Burton et al., 2007) ou dans l’excitabilité neuronale (sous-unité 1C du canal calcique voltage-dépendant de type L, ankyrine-G, Ferreira et al., 2008), élargissant les perspectives de recherche au-delà des candidats « classiques », fondés sur des hypothèses.

4.2. Facteurs environnementaux

a. Le stress

Impact des stress psychosociaux

Certains stress psychosociaux seraient responsables de l’apparition de la maladie, et joueraient aussi un rôle important dans le déclenchement des rechutes. Parmi ceux-ci, les complications périnatales, les traumatismes de l’enfance (exposition à la violence et aux conflits familiaux, abus sexuels, carence affective…) et les événements de vie stressants ont été mis en cause. Les événements de vie stressants précipitant les rechutes peuvent être à valence négative (décès d’un proche, perte d’emploi, problèmes conjugaux…), mais aussi globalement positives (promotion professionnelle, mariage, naissance...)(Tsuchiya et al., 2003).

Les traumatismes affectifs de l'enfance sont probablement le facteur environnemental le plus étudié dans le trouble bipolaire. Dans une étude menée chez des sujets bipolaires de type I et II, environ la moitié des patients avaient subi des stress précoces (Garno et al., 2005). Ce facteur est également associé à une expression plus sévère de la maladie : une apparition précoce, des cycles rapides, des symptômes psychotiques et un comportement suicidaire plus marqué (Hammersley et al., 2003; Garno et al., 2005). Ces événements survenant pendant une période critique du neurodéveloppement pourraient venir perturber et modifier l’organisation structurale du cerveau en altérant des processus cellulaires critiques comme la prolifération, l’apoptose, la différenciation, la migration et la synaptogenèse (Etain et al., 2008).

41 Manie Euthymie Dépression Prédisposition génétique Stress Stress majeur Episode mineur Stress majeur Episode majeur Stress mineur Episode majeur Episodes spontanés Dysphories mineures Dépression complète Récurrences similaires Réponse compensatoire : hypomanie Cycles spontanés Le modèle du kindling

Tous ces événements stressants pourraient avoir un impact croissant au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. Il y aurait donc un phénomène de sensibilisation, comme cela a été suggéré par la théorie du kindling (littéralement « embrasement ») de Post (Post et

Weiss, 1996; Post, 2007) pour l’épilepsie. Au début, un stress n’induirait une perturbation de

l’humeur qu’à un certain seuil d’intensité. Ensuite, plus leur nombre augmente, plus des stimuli stressants de moins en moins forts pourraient provoquer des épisodes sévères, jusqu’à induire des cycles spontanés (« autonomes ») (figure 6). Bien que difficile à valider en raison de nombreux biais méthologiques (Ghaemi et al., 1999; Bender et Alloy, 2011), le modèle du kindling a l’avantage d’être cohérent au niveau des différents concepts mis en jeu : social (les événements de vie stressants sont des stimuli déclencheurs), psychique (la dépression et la manie sont des réponses observées), et thérapeutique (des antiépileptiques ont fait la preuve de leur efficacité dans le trouble bipolaire).

Figure 6.LE MODELE DU KINDLING.Adapté de Post et Weiss (1996).

Perturbations de l’axe HPA

D’un point de vue physiologique, l’organisme fait face au stress par une réponse adaptée, en activant l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA pour hypothalamic-pituitary-adrenal, figure 7). La chronicisation du stress par répétition de situations traumatiques réduit le tonus inhibiteur de l’hypothalamus entraînant l’hyperactivité de l’axe HPA (Daban et al., 2005).

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Quelques études ont documenté une hyperactivité de l’axe HPA chez les patients bipolaires. Ainsi, une hypercortisolémie a été observée chez des patients en phase maniaque, euthymique ou dépressive (Linkowski et al., 1994; Cervantes et al., 2001). Le test à la dexaméthasone/CRF permet de mieux refléter l’intégrité fonctionnelle de l’axe HPA. Chez les patients bipolaires maniaques ou dépressifs, une augmentation de cortisol plasmatique a été constatée en réponse au prétraitement à la dexaméthasone/CRF. De plus, cette augmentation de cortisol persiste chez les patients en rémission (Schmider et al., 1995;

Rybakowski et Twardowska, 1999). La surproduction de glucocorticoïdes est généralement

associée à des perturbations du fonctionnement cellulaire, qui conduisent à des dysfonctionnements physiologiques (Daban et al., 2005).

D’autre part, des pathologies caractérisées par un dysfonctionnement de l’axe HPA, comme le syndrome de Cushing ou la maladie d’Addison, sont associées à des symptômes dépressifs, et dans de rares cas maniaques (Fava et al., 1987; Pereira et al., 2010).

b. Perturbations du cycle veille-sommeil et rythmes circadiens

Perturbations du sommeil dans le trouble bipolaire

Perturbations du sommeil et troubles de l’humeur sont étroitement liés. Elles se manifestent, pour le trouble bipolaire, par une réduction du besoin de sommeil durant un épisode maniaque (pour 70 à 99% des patients, selon les études), ou par une hypersomnie (80%) ou insomnie (20%) durant la phase dépressive (Harvey, 2011). Malgré la difficulté

Figure 7.L’AXE HYPOTHALAMO-HYPOPHYSO

-SURRENALIEN.

Un stress physique ou psychologique déclenche une cascade d’événements le long de cet axe qui commence par la sécrétion de CRF par l’hypothalamus. L’augmentation de CRF active la sécrétion de l’ACTH par l’hypophyse, laquelle induit à son tour une augmentation de la libération de glucocorticoïdes (les plus importants étant le cortisol chez l’homme et la corticostérone chez les rongeurs) par les glandes surrénales. L’élévation de la cortisolémie exerce un rétrocontrôle négatif sur les neurones à CRF de l’hypothalamus (munis de récepteurs au cortisol) ce qui permet l’homéostasie du système. Outre l’hypothalamus, de nombreuses autres régions cérébrales sont munies de récepteurs aux glucocorticoïdes et sont donc affectées par la cortisolémie. ACTH, adrénocorticotrophine ; CRF corticotropin releasing factor.

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réelle de réaliser des mesures polysomnographiques chez les patients en phase maniaque, quelques études menées chez des patients non traités rapportent, outre l’insomnie, une apparition précoce et une densification du sommeil paradoxal (Hudson et al., 1988, 1992), à l’image de ce qui peut être constaté durant les phases dépressives (Lauer et al., 1992;

Riemann et al., 2002). Des insomnies résiduelles ont aussi été observées chez des patients

euthymiques (Brill et al., 2011; Sylvia et al., 2012). Enfin, la diminution du sommeil est un

symptôme prodromique fiable du virage maniaque (Plante et Winkelman, 2008).

Chronothérapie et humeur

Une diminution de la durée de sommeil, qu’elle fasse suite à un stress ou à un changement volontaire de l’hygiène du sommeil, a des effets importants sur l’humeur. La

privation de sommeil (« thérapie d’éveil ») d’une nuit, partielle ou totale, provoque de façon

quasi-immédiate une amélioration remarquable – mais transitoire – de l’humeur. Cette technique s’est révélée efficace chez plus de 60% des patients unipolaires et bipolaires en phase dépressive, et ce, quels que soient la sévérité de l’épisode ou le profil de pharmaco-résistance (Barbini et al., 1998; Wirz-Justice et Van den Hoofdakker, 1999). En dépit de ses intérêts thérapeutiques évidents et de ses avantages sur l’arsenal médicamenteux actuel, le recours à une telle thérapie est largement freiné en raison d’un problème notable : un virage maniaque est constaté chez près de 25% des sujets (Wirz-Justice et Van den Hoofdakker, 1999). Ainsi, les liens de causalité entre sommeil et humeur demeurent difficiles à établir. Wehr et al. (1987) ont proposé que les différents facteurs environnementaux entraîneraient un virage de l’humeur via une perturbation du sommeil (figure 8).

D’autres interventions chronothérapeutiques pour les troubles bipolaires sont à l’étude : la luminothérapie, qui consiste à exposer le patient à une forte lumière (2500 à 10000 lux), est aussi rapide et efficace chez les sujets dépressifs bipolaires qu’unipolaires. Cette efficacité est optimale lorsque le patient est exposé à la lumière l’après-midi, alors que des séances matinales peuvent provoquer des épisodes maniaques ou mixtes (Pail et al., 2011). Par ailleurs, la « thérapie par l’obscurité » (14h d’obscurité par jour pendant 3 jours consécutifs) s’est avérée efficace en cas de manie (Barbini et al., 2005) et pourrait stabiliser les cycles rapides (Wehr et al., 1998; Wirz-Justice et al., 1999).

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Figure 8. L’HYPOTHESE DE LA REDUCTION DE SOMMEIL EN TANT QUE « VOIE FINALE COMMUNE DE LA MANIE ». Adapté de Plante et Winkelman (2008).

En se basant sur le fait qu’une privation de sommeil peut provoquer un virage de l’humeur chez les patients bipolaires, Wehr et al. (1987) émettent l’hypothèse que la réduction du sommeil serait la cause fondamentale et proximale, ou la « voie finale commune », des différents facteurs déclenchant un épisode maniaque. Cette théorie postule que la réduction de la quantité de sommeil serait à la fois cause et conséquence de la manie, et perpétuerait l’état maniaque en renforçant réciproquement la perte de sommeil.

Marqueurs biologiques des rythmes circadiens

Outre les perturbations du sommeil, la mesure d’indicateurs physiologiques révèle des altérations des rythmes circadiens chez les patients bipolaires. Ainsi, une augmentation nocturne et une avance de phase de la température corporelle ont été observées durant la phase dépressive (Avery et al., 1982). Comme nous l’avons décrit précédemment, le pic diurne de cortisol est plus élevé (Cervantes et al., 2001), alors que la sécrétion nocturne d’un autre synchroniseur majeur des rythmes circadiens, la mélatonine, est diminuée chez des sujets bipolaires en phase euthymique (Nurnberger et al., 2000). Il est à noter que l’agomélatine, une molécule qui combine les propriétés d'un agoniste des récepteurs à la mélatonine (MT1 et MT2) et d’un antagoniste des récepteurs sérotoninergiques (5-HT2A), s’est révélée être efficace pour traiter des dépressions unipolaires comme bipolaires (Gao et Calabrese, 2005).