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Effet prolifératif des inhibiteurs de la PKC dans le modèle de privation de

De nombreuses études ont mis en évidence l’implication des neurotransmetteurs (5-HT, noradrénaline, glutamate, acétylcholine…) et de neurotrophines (BDNF) dans la régulation de la neurogenèse hippocampique adulte (Grote et Hannan, 2007), mais peu de données sont disponibles sur l’implication des voies de signalisation intracellulaire qui transduisent leurs signaux. La voie de la PKC est une cascade commune de certains de ces régulateurs, ce qui suggère qu’elle pourrait être un effecteur important de la neurogenèse.

Nous avons donc examiné si l’inhibition de la PKC permettrait de récupérer les altérations de la prolifération cellulaire hippocampique des rats PS. Nous avons montré qu’une injection de tamoxifène ou de chélérythrine prévient le déficit de prolifération cellulaire dans l’hippocampe, à l’image du lithium et de l’aripiprazole. On pourrait, de fait, supposer que l’inhibition de la PKC serait le mécanisme responsable des effets prolifératifs du lithium et de l’aripiprazole. En effet, le lithium est connu pour inhiber la PKC (Manji et al., 1993), et une étude récente a révélé que l’aripiprazole pourrait aussi inhiber la PKC (Kato et al., 2011), probablement via ses propriétés antagonistes des récepteurs 1 et 5-HT2, tous deux couplés à la voie de la PKC (Arnsten, 2009). Par ailleurs, l’inhibition de la PKC pourrait, à elle seule, réguler à la hausse l’expression des gènes liés à la plasticité. Une étude vient en effet de montrer que le tamoxifène récupère les déficits d’expression du NGF, du BDNF et de CREB provoqués par l’amphétamine (Cechinel-Recco et al., 2012).

Fait intéressant, la suractivation de la PKC induit un collapsus des épines dendritiques dans des cultures de cellules hippocampiques, via la désorganisation du cytosquelette d’actine par son substrat MARCKS (Calabrese et Halpain, 2005). D’autre part, la chélérythrine protège de la perte des épines dendritiques des neurones du CPF provoquée par un stress comportemental (Hains et al., 2009). Nos données, avec celles de ces deux études, laissent penser que la suractivation de la PKC (par le stress, la privation de sommeil…) aurait des effets délétères sur la plasticité structurale, alors que son inhibition pourrait être neuroprotectrice.

Il est à noter que cette augmentation de la prolifération cellulaire observée suite au traitement avec les inhibiteurs de la PKC ne reflète pas nécessairement une récupération de la neuroplasticité à long terme. La prolifération cellulaire est la première étape de la neurogenèse, caractérisée par la formation de cellules immatures à partir de cellules progénitrices. Or, dans des conditions normales, 80% des neurones immatures meurent dans le mois qui suit leur naissance (Kempermann et al., 2003). De plus, ces nouveaux

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neurones, pour être fonctionnellement actifs, doivent se développer, migrer et s’intégrer correctement dans le réseau existant (Scharfman et Hen, 2007). D’autres expériences seraient nécessaires pour évaluer les effets à long terme des inhibiteurs de la PKC sur la survie de ces cellules. D’autre part, ces cellules néoformées peuvent se différencier en neurones ou en cellules gliales. Déterminer si l’inhibition de la PKC favoriserait la différenciation en neurones ou en cellules gliales serait intéressant, puisque des densités anormales de ces deux populations cellulaires ont été rapportées dans diverses régions cérébrales, y compris dans l’hippocampe, dans des cerveaux postmortem de sujets atteints de troubles de l’humeur (Rajkowska, 2002b).

Dans le cadre des récentes théories suggérant que les troubles de l’humeur en général, et les troubles bipolaires en particulier, seraient associés à des perturbations de la neuroplasticité, il a été proposé que l’augmentation de la neurogenèse pourrait être un mécanisme fortement lié aux effets thérapeutiques des traitements actuels. Ainsi, il a été montré que l’ablation de la neurogenèse par irradiation bloque les effets comportementaux des antidépresseurs (Santarelli et al., 2003), bien que ces résultats restent controversés

(Bessa et al., 2009). Nous nous sommes ainsi demandé si les effets comportementaux du

tamoxifène et de la chélérythrine seraient dépendants de l’intégrité de la prolifération cellulaire. Pour répondre à cette question, nous avons évalué les effets des inhibiteurs de la PKC sur l’hyperlocomotion des rats PS, après avoir bloqué la prolifération cellulaire avec un agent antimitotique, le thioTEPA. Bien que ses effets anti-prolifératifs ne soient pas restreints à l’hippocampe étant donné son mode d’administration systémique, le thioTEPA supprime presque entièrement la prolifération cellulaire dans le gyrus denté. En outre, la suppression de la prolifération cellulaire n’engendre pas de comportements pseudomaniaques en soi. Par ailleurs, elle n’empêche pas l’atténuation de l’hyperlocomotion chez les rats PS traités avec les inhibiteurs de la PKC. Ces résultats rejoignent ceux d’une étude très récente (Kara et al., 2012), qui révèle que les effets antimaniaque (hyperlocomotion induite par l’amphétamine) et antidépresseur (test de la nage forcée) du lithium ne dépendent pas de ses effets facilitateurs sur la prolifération cellulaire. De plus, un traitement chronique de fluoxétine augmente la prolifération cellulaire dans l’hippocampe (Malberg et al., 2000), alors que nous avons montré qu’elle ne modifie pas le comportement d’hyperlocomotion des rats PS, indiquant que l’augmentation de la prolifération cellulaire n’induit pas nécessairement un phénotype antimaniaque.

Ensemble, ces données suggèrent que l’efficacité antimaniaque des inhibiteurs de la PKC dans le modèle de privation de sommeil ne serait pas sous-tendue par des mécanismes prolifératifs. Cependant, ces résultats n’excluent pas la possibilité que les effets des inhibiteurs de la PKC sur d’autres facettes du comportement pseudomaniaque puissent

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être dépendants de l’intégrité de la prolifération cellulaire. En effet, il a été montré que la neurogenèse hippocampique est nécessaire à l’effet antidépresseur de la fluoxétine dans certains paradigmes comportementaux, mais pas dans d’autres (David et al., 2009).

En complément de cette étude, il aurait été intéressant d’examiner si l’inhibition de la PKC permettrait de récupérer les déficits fonctionnels de la plasticité synaptique des rats PS. En effet, les neurones néoformés ont des propriétés électrophysiologiques différentes des neurones matures, et présentent une excitabilité accrue (Doetsch et Hen, 2005).

III- Implication de la PKC dans la dépression

Les données précédentes nous ont permis de mettre en évidence une implication forte de la voie de la PKC dans le comportement pseudomaniaque. Nous avons donc examiné si la PKC module aussi la phase opposée du trouble bipolaire, la dépression, en caractérisant les effets de l’inhibition de la PKC sur le comportement pseudodépressif des animaux naïfs. Si le tamoxifène et la chélérythrine n’ont pas d’effets dans le test de la nage forcée lorsqu’ils sont injectés en aigu, aux doses où ils produisent des effets antimaniaques, un traitement chronique augmente la durée d’immobilité, ce qui est généralement interprété comme un phénotype pseudodépressif.

Nous avons ensuite montré que ces mêmes traitements chroniques au tamoxifène et à la chélérythrine réduisent le nombre de cellules marquées au BrdU. Cette diminution se limite, pour la chélérythrine, à la partie ventrale de l’hippocampe, une région impliquée dans la régulation des émotions (Fanselow et Dong, 2010), alors que le tamoxifène affecte aussi l’hippocampe dorsal. Cette différence entre les deux agents pourrait être liée aux propriétés anti-œstrogène du tamoxifène puisque les œstrogènes augmentent la neurogenèse adulte dans l’hippocampe (Barha et Galea, 2010), mais d’autres expériences avec des modulateurs de récepteurs des œstrogènes, dépourvus d’activité anti-PKC, seront nécessaires pour confirmer cette possibilité. Par ailleurs, cette diminution de la prolifération cellulaire pourrait résulter d’un ralentissement du cycle cellulaire et/ou d’une augmentation de l’apoptose.

Il est tentant de supposer que ce déficit de prolifération cellulaire est responsable du phénotype pseudodépressif que nous avons observé suite à un même traitement de 14 jours avec les inhibiteurs de la PKC. Cependant, bien qu’il ait été montré que l’augmentation de la neurogenèse puisse être importante dans le mécanisme d’action des antidépresseurs, l’ablation de la prolifération cellulaire dans l’hippocampe n’induit pas pour autant des

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comportements pseudodépressifs (Santarelli et al., 2003; Malberg et Duman, 2003; Vollmayr et al., 2003). Ces données soulignent qu’établir un rôle causal entre la prolifération cellulaire et le comportement pseudodépressif est difficile. Enfin, il n’existe pas de consensus réel sur les effets des thymoleptiques sur la prolifération cellulaire hippocampique (Chen et al., 2000;

Yu et al., 2009; Umka et al., 2010; O’Leary et al., 2012). Il est également important de

souligner que la diminution de la prolifération cellulaire ne reflète pas nécessairement une diminution de la neurogenèse. Par exemple, le valproate produit des effets anti-prolifératifs, mais favorise également la différenciation neuronale (Hsieh et al., 2004; Yu et al., 2009).

Ces propriétés anti-prolifératives des inhibiteurs de la PKC que nous venons d’évoquer semblent être en contradiction avec celles, prolifératives, observées avec ces mêmes inhibiteurs administrés en aigu dans le modèle de privation de sommeil, ainsi qu’avec leur absence d’effet chez les rats CC. En l’état actuel des connaissances, il est difficile d’expliquer ce résultat. Cependant, il faut rappeler que, contrairement aux fortes doses utilisées en aigu (tamoxifène : 80 mg/kg, chélérythrine : 3 mg/kg), le traitement chronique a été réalisé à des doses environ dix fois moins élevées (tamoxifène : 10 mg/kg, chélérythrine : 0,3 mg/kg). On pourrait ainsi envisager que ces faibles doses ne seraient pas suffisantes pour bloquer complètement l’activité de la PKC, mais déclencheraient un mécanisme de compensation, qui conduirait in fine à une régulation à la hausse de la fonction PKC, laquelle, comme chez les rats PS, provoquerait un déficit de la prolifération cellulaire hippocampique. L’évaluation de l’état d’activation de la PKC chez ces animaux naïfs traités en chronique avec le tamoxifène ou la chélérythrine permettrait de vérifier cette hypothèse. Une autre explication possible serait liée à la particularité des différentes isozymes de la PKC à posséder des rôles cellulaires opposés. On peut en effet supposer que la privation de sommeil activerait majoritairement des isoformes de la PKC anti-prolifératives, ce qui entraînerait une diminution de la prolifération cellulaire dans l’hippocampe. Par ailleurs, le tamoxifène et la chélérythrine, qui ont un profil de sélectivité vis-à-vis des isoformes relativement semblable (Saraiva et al., 2003), pourraient, à faible dose, inhiber préférentiellement des isozymes qui favorisent la prolifération cellulaire, provoquant ainsi une réduction de la prolifération cellulaire hippocampique comme nous l’avons constaté chez les animaux naïfs traités avec ces inhibiteurs durant 14 jours. Par contre, à forte dose, les inhibiteurs de la PKC bloqueraient l’activité de la majorité des isoformes. Dans ce cas, chez les animaux PS, l’injection aiguë d’inhibiteurs inhiberait surtout les isoformes anti-prolifératives suractivées, avec un moindre effet sur les isoformes anti-prolifératives, ce qui permettrait de rétablir les déficits cellulaires induits par la privation de sommeil. Chez les animaux CC, en revanche, les différentes isoformes seraient dans un état basal d’activation, et une forte dose aiguë d’inhibiteurs bloquerait autant les isoformes anti-prolifératives que

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prolifératives, ce qui n’influencerait pas la balance de formation de nouvelles cellules. Bien que l’on ne connaisse pas encore quelles isoformes favorisent ou freinent la prolifération cellulaire dans le cerveau, cette hypothèse pourrait être partiellement vérifiée en quantifiant la phosphorylation (l’activation) des différentes isozymes pour chaque protocole.

Nous avons ensuite cherché à étudier si l’activation de la PKC produit des effets opposés aux inhibiteurs dans le test de la nage forcée. Ainsi, l’activation de la PKC par le PMA diminue l’immobilité dans ce test, ce qui suggère un effet antidépresseur. Cependant, l’activation de la PKC par le DCP-LA ne modifie pas la durée d’immobilité. L’absence d’effet du DCP-LA dans le test de la nage forcée pourrait vraisemblablement être imputée aux raisons évoquées précédemment (dose utilisée, sélectivité pour la PKC ). En faveur du potentiel antidépresseur de l’activation de la PKC, un activateur de la PKC qui n’appartient pas à la famille des esters de phorbol, la bryostatine-1, démontre aussi une activité antidépressive dans le test de nage dans un espace ouvert (Sun et Alkon, 2005). De plus, les souris KO pour la PKCI/HINT présentent un phénotype antidépresseur (Barbier et Wang, 2009).

Comme illustré dans la figure 56, l’ensemble de nos résultats, ainsi que des données de la littérature, sont en faveur d’une implication de la PKC à la fois dans les comportements pseudodépressifs et pseudomaniaques, et ce par une contribution opposée. Ils suggèrent une possible suractivation de la PKC dans la manie et une sous-activation dans la dépression. Conformément à cette hypothèse, l’activité ou l’expression de la PKC et de ses substrats est augmentée par l’injection d’amphétamine (Szabo et al., 2009) ou dans le modèle de privation de sommeil, et diminuée dans plusieurs modèles animaux de dépression comme le stress chronique modéré (Palumbo et al., 2009), la bulbectomie olfactive (Moriguchi et al., 2006), la résignation apprise (Dwivedi et al., 2005), et dans d’autres conditions qui provoquent des comportements pseudodépressifs (Alfonso et al., 2006; Wu et al., 2007).

Nos résultats nous ont également permis d’entrevoir la possibilité d’une régulation plus fine des comportements associés à l’humeur, au niveau des isozymes de la PKC. Si, effectivement, tel est le cas, le tableau serait beaucoup plus complexe que celui dépeint par des modulateurs généraux de la PKC comme le tamoxifène, la chélérythrine, ou le PMA. On pourrait ainsi penser que chaque isozyme pourrait avoir son propre profil d’activation, en fonction de l’état thymique (manie/dépression), ou même selon les différentes facettes d’un même état thymique (hyperactivité/prise de risque).

168 Les thymoleptiques (lithium, valproate)

diminuent l’activité de la PKC in vitro et in vivo

In h ib it io n d e l a P K C

Les inhibiteurs de la PKC atténuent les comportements pseudomaniaques dans des modèles animaux

Effets des antidépresseurs sur la voie de la PKC : pas de preuves convaincantes

Les activateurs de la PKC induisent un effet de type antidépresseur

Effets des activateurs de la PKC sur la dépression bipolaire : pas d’études cliniques

A c tiv a tio n d e la P K C

?

A c Humeur normale

Les thymoleptiques (lithium valproate)

K

C

Les patients bipolaires en phase maniaque présentent une augmentation de l’activité de la PKC

Activation anormale de la PKC dans

des modèles animaux de manie

Diminution de l’activité de la PKC dans des modèles animaux de dépression

manie

dépression

Altérations du système PKC chez les sujets en phase dépressive : pas de preuves convaincantes

Efficacité clinique d’un inhibiteur de la PKC (tamoxifène) dans le traitement de la manie

Figure 56. IMPLICATION DE LA CASCADE DE SIGNALISATION DE LA PKC DANS LA

PHYSIOPATHOLOGIE ET LE TRAITEMENT DES TROUBLES BIPOLAIRES.

Nos résultats, en lien avec d’autres études précliniques et cliniques, soutiennent l’hypothèse d’un déséquilibre fonctionnel de la voie la PKC dans les troubles bipolaires. Cette voie serait suractivée durant la phase maniaque, et par conséquent, l’inhibition de la PKC pourrait améliorer les symptômes maniaques. A l’inverse, même si les données ne sont pas encore suffisantes, la PKC serait sous-activée durant la phase dépressive du trouble bipolaire (en bleu : données issues de ce travail de thèse).

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IV- Implications thérapeutiques et cliniques

1. Quel est le potentiel des inhibiteurs de la PKC dans le