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Implication du système PKC dans les troubles bipolaires

2. La voie de signalisation intracellulaire de la PKC

2.2. Implication du système PKC dans les troubles bipolaires

Au vu de son implication dans de nombreux processus cellulaires, il n’est pas surprenant qu’un dysfonctionnement de la voie de la PKC ait été mis en cause dans de nombreuses pathologies : le cancer, mais aussi les maladies cardiovasculaires, pulmonaires, immunitaires et infectieuses. En ce qui concerne les maladies du système nerveux central, une altération de l’activité PKC a également été avancée pour l’ischémie et les traumatismes cérébraux, la sclérose latérale amyotrophique, les maladies d’Alzheimer, de Parkinson, de Huntington, les troubles obsessionnels compulsifs, ou encore la schizophrénie (Battaini, 2001). Nous examinerons ci-après les preuves précliniques et cliniques qui suggèrent que ce système pourrait aussi être impliqué dans les troubles bipolaires.

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Cette dernière partie a fait l’objet d’une revue (annexe 1) :

PUBLICATION 1 : A Role for the PKC Signaling System in the Pathophysiology and Treatment of Mood Disorders: Involvement of a Functional Imbalance?

a. Données précliniques

Les traitements actuels du trouble bipolaire modulent la voie de la PKC

Cibles directes du lithium, l’IMPase et l’IPPase sont impliquées dans le recyclage du PIP2, en amont de la PKC (Gould et al., 2004b). De nombreuses données in vitro et in vivo viennent confirmer l’action inhibitrice du lithium sur la PKC et ses substrats.

Ainsi, in vitro, une exposition prolongée des cellules au lithium atténue l’activité de la PKC et diminue les niveaux des isoformes et (Bitran et al., 1995; Manji et Lenox, 1999). De même, in vivo, un traitement chronique (4-5 semaines) de lithium chez le rat diminue l’activité de la PKC dans l’hippocampe (Manji et al., 1993) et réduit les niveaux des PKC et PKC associées à la membrane, à la fois dans l'hippocampe et le cortex frontal, sans changer ceux de la PKC , PKC I, PKC II, PKC , ou PKC (Manji et Lenox, 1999). Il faut noter qu’aucune des isozymes citées n’est diminuée après 5 jours de traitement au lithium (Manji et Lenox, 1999), ce qui laisse penser que la baisse de la fonction PKC pourrait être corrélée à l’efficacité clinique du lithium, qui n’apparaît qu’après un délai comparable. En outre, l'administration chronique de lithium diminue également la phosphorylation de plusieurs substrats de la PKC, tels que MARCKS, la neurogranine, et les récepteurs NMDA et AMPA, dans l'hippocampe et le cortex des rongeurs (Lenox et al., 1992; Jensen et Mørk, 1997; Szabo et al., 2009).

Quoique structurellement dissemblables du lithium, le valproate et la carbamazépine semblent aussi affecter le système PKC. Tout comme le lithium, l'administration chronique de valproate semble réduire l'activité de la PKC et les niveaux des isozymes et (Chen et al., 1994; Manji et Lenox, 1999). Il a aussi été montré qu’un traitement chronique de

carbamazépine réduit la phosphorylation de plusieurs substrats endogènes de la PKC dans

le cerveau de rat (Jensen et Mørk, 1997). D’autre part, il a été rapporté que les

antipsychotiques atypiques, comme la clozapine, diminuent l'activité de la PKC ( Basta-Kaim et al., 2006).

Bien que l’utilisation des antidépresseurs dans le traitement des troubles bipolaires reste sujette à controverse, leur capacité à moduler l’humeur justifie amplement que l’on s’y

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intéresse. Toutefois, les résultats des quelques études sont mitigés. Ainsi, un traitement de 10 jours avec l’imipramine (un ATC) provoque une augmentation de l’activité de la PKC et de la phosphorylation de MARCKS (Szabo et al., 2009). Or, une autre étude a montré que l’administration chronique (3 semaines) de fluoxétine (un ISRS) ou de desipramine (un ATC), diminue l’activité de la PKC dans le cortex et l’hippocampe de rat, tandis qu’une dose unique de ces antidépresseurs est dépourvue d’effet dans ces mêmes structures (Mann et al., 1995). En accord avec cette deuxième étude, Rausch et al. (2002) ont rapporté une réduction sélective de l’expression de la PKC et dans le cerveau entier de rat, suite à un traitement chronique de fluoxétine.

Enfin, au-delà des effets des thérapies pharmacologiques, il est intéressant de noter que l’électroconvulsivothérapie, qui a démontré son efficacité chez les patients bipolaires et unipolaires, semble augmenter la phosphorylation de certains substrats de la PKC, à savoir GAP-43, MARCKS et la neurogranine, dans le cortex frontal et l'hippocampe de rat (Kim et

al., 2010). Il apparaît donc que la majorité des traitements utilisés pour le trouble bipolaire

influencent l’activité de la PKC. En conséquence, on peut se demander à juste titre si cette modulation sous-tend effectivement les effets thérapeutiques de ces traitements, ou s’il peut en effet s’agir d’un simple effet « collatéral ».

Les modulateurs de la PKC induisent un effet antimaniaque potentiel dans les modèles animaux de manie

Deux études récentes ont montré chez le rongeur que le tamoxifène (Nolvadex®), un œstrogène utilisé dans le traitement du cancer du sein et possédant une activité anti-PKC, est capable de diminuer l’hyperlocomotion induite par l’amphétamine (Einat et al.,

2007; Sabioni et al., 2008). Cet effet semble être médié par les deux propriétés du

tamoxifène. En effet, un inhibiteur sélectif de la PKC, la chélérythrine, bloque cette hyperlocomotion, et un anti-œstrogène sélectif, la médroxyprogestérone, la diminue partiellement (Sabioni et al., 2008). De façon intéressante, Szabo et al. (2009) ont montré qu’un traitement chronique à l’amphétamine augmente l’activité de la PKC membranaire et cytosolique, ainsi que la phosphorylation de MARCKS et de la neurogranine, dans le cortex frontal de rat, suggérant que les composés qui accélèrent le virage maniaque agiraient via une altération de la voie de la PKC.

Par ailleurs, un comportement dirigé vers des activités hédoniques mais à haut risque, comme la prise de drogues, constitue une autre facette de la manie. Chez l’animal, la valeur récompensante d’une drogue peut être évaluée par le paradigme de préférence de place conditionnée. L’inhibition pharmacologique de la PKC réduit la préférence de place

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conditionnée induite par diverses drogues d’abus (morphine, cocaine, méthamphétamine) (Cervo et al., 1997; Narita et al., 2004; Lai et al., 2008).

En synthèse, les résultats précliniques sont en faveur d'une possible défaillance du système PKC dans le trouble bipolaire, et en particulier une hyperactivité, ou une sur-régulation de cette voie, dans la phase maniaque.

b. Données cliniques

Les études génétiques ne statuent pas sur une implication claire de la voie de la PKC dans le trouble bipolaire

Comme évoqué précédemment, une étude d’association pangénomique a permis l’identification du gène de la DGK comme facteur de risque dans les troubles bipolaires

(Baum et al., 2008). Cependant, comme pour une majorité de gènes, une telle association

n’est que rarement répliquée par d’autres études (Tesli et al., 2009). Malgré tout, il a été rapporté que les gènes codant respectivement pour la PLC 1 et l’IMPase 2 conféraient un risque modeste de développer un trouble bipolaire (Turecki et al., 1998; Sjøholt et al., 2004; Ohnishi et al., 2007).

La voie de la PKC est altérée chez les sujets bipolaires

Un nombre restreint d’études postmortem a permis de fournir des données préliminaires sur l’intégrité fonctionnelle de la voie de la PKC chez les patients bipolaires (pour plus de détails, voir Abrial et al. 2011, table 1, p.210). Ainsi, l'activité de la PKC et les niveaux de ses isoformes , et semblent augmentés dans le cortex frontal des patients bipolaires par rapport aux témoins sains (Wang et Friedman, 1996). S’agissant de la PLC, deux études ont rapporté soit une absence d’effet (Jope et al., 1996), soit une augmentation de son activité corticale (Mathews et al., 1997).

A la différence des études postmortem pour lesquelles il est quasiment impossible de déterminer l’épisode thymique dans lequel se trouvait le patient, l’analyse des plaquettes

sanguines est une alternative intéressante. Cette approche offre la possibilité d’un suivi

longitudinal des patients, avant et après la prise de médicaments, et permet de déterminer si l'évolution de l'humeur est corrélée avec l'activité de la PKC. Chez les personnes en phase maniaque, il apparaît que l’activité de la PKC associée à la membrane est plus importante que chez les contrôles sains (Friedman et al., 1993; Wang et al., 1999; Hahn et al., 2005). Il semble également assez clair que le traitement au lithium ou au valproate réverse la

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suractivation de la PKC, concomitamment à l'amélioration de l'humeur (Friedman et al., 1993; Hahn et al., 2005) (voir Abrial et al. 2011, table 2, p.211).

Basée sur le même principe physique que l'IRM, la spectrométrie par résonance

magnétique est une technique qui permet de détecter certains métabolites cérébraux

résonant à des fréquences spécifiques, comme le myo-inositol. L’apport majeur de ces études réside dans la détermination des concentrations en myo-inositol pour toutes les phases du trouble bipolaire. Les résultats sont cependant à interpréter avec précaution, car la plupart des études ont été menées en utilisant des champs magnétiques faibles (de l’ordre de 1,5-2T), qui résulte souvent en un chevauchement des signaux (le myo-inositol avec la glycine, par exemple) (Silverstone et McGrath, 2009). Ces études ont toutefois permis de montrer une augmentation de la concentration de myo-inositol dans le cortex cingulaire antérieur chez des enfants bipolaires en phase maniaque (Davanzo et al., 2001, 2003), laquelle est réduite après une semaine de traitement au lithium (Davanzo et al., 2001). De plus, une augmentation de myo-inositol a été constatée dans les ganglions de la base de patients bipolaires de type I traités au lithium (Sharma et al., 1992), ce qui est étonnant car comme nous l’avons vu auparavant, le lithium ralentit le cycle des phosphoinositides en inhibant l’IPPase et l’IMPase (Gould et al., 2004b). Une diminution de la concentration de myo-inositol a été ensuite observée dans le lobe frontal des patients bipolaires dépressifs non traités (Frey et al., 1998), et sous lithium (Moore et al., 1999), bien qu’une autre étude ne trouve aucune différence entre individus bipolaires et sains (Dager et al., 2004). Enfin, la concentration de myo-inositol dans le lobe frontal est identique chez les sujets euthymiques non traités (Winsberg et al., 2000) ou traités au lithium ou au valproate (Silverstone et al., 2002).

Dans l’ensemble, et malgré quelques divergences notables, les études réalisées chez l’homme suggèrent que la phase maniaque serait accompagnée d’une suractivation de la

voie de la PKC, et que les thymoleptiques pourraient exercer leurs effets en contrecarrant cette hyperactivation. Ces anomalies sont en outre souvent observées dans les régions

limbiques, qui jouent un rôle-clé dans la régulation de l’humeur et des émotions. Toutefois, pour déterminer clairement si ces changements sont une caractéristique d’état ou de trait, d’autres investigations sont attendues, et tout particulièrement sur les phases dépressives et euthymiques. Enfin, il serait intéressant de savoir s’il existe des différences entre bipolaires de type I et II.

72 Efficacité antimaniaque du tamoxifène dans des études cliniques pilotes

Comme nous venons de le voir, la voie de signalisation PKC semble être une cible importante et pertinente pour le traitement du trouble bipolaire. Le tamoxifène est à l’heure actuelle le seul inhibiteur de la PKC – bien que non sélectif – capable de traverser la barrière hémato-encéphalique qui soit disponible pour les essais cliniques. À ce jour, cinq études pilotes ont démontré l'efficacité du tamoxifène dans le traitement de la manie aiguë. Administré seul (Bebchuk et al., 2000), en tant que traitement d'appoint au lithium (Kulkarni et al., 2006; Amrollahi et al., 2010), ou chez des patients traités au lorazépam (Zarate et al., 2007; Yildiz et al., 2008), le tamoxifène induit un effet antimaniaque, et semble plus efficace que le lithium (Amrollahi et al., 2010; Yildiz et al., 2011). Le taux de réponse au tamoxifène varie en effet de 48% à 95%, contre environ 50% pour un traitement de 3 à 4 semaines au lithium (Bowden, 1998). La figure 13 résume les effets antimaniaques du tamoxifène des deux principales études.

Figure 13.COMPARAISON DE LEFFICACITE DU TAMOXIFENE DANS LES DEUX PRINCIPALES ETUDES EN DOUBLE-AVEUGLE ET CONTROLEES PAR PLACEBO.D’après DiazGranados et Zarate (2008). Le pourcentage de patients ayant atteint les critères de réponse et de rémission est présenté. Le critère de réponse est atteint lorsque le patient a une réduction d’au moins 50% de score au Young Mania Rating Scale, une échelle d’évaluation clinique de la manie.

Cela étant, bien que le tamoxifène semble efficace à court terme, son efficacité à long

terme et son rôle éventuel dans la prévention des épisodes maniaques et dépressifs reste à

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nécessité de développer des inhibiteurs de la PKC sélectifs, capables de traverser la barrière hémato-encéphalique.

Enfin, Mallinger et al. (2008) ont montré que le vérapamil, un bloqueur de canaux calciques qui a également une activité inhibitrice de la PKC, n'avait aucun effet en monothérapie, mais montrait une efficacité antimaniaque lorsqu'il était combiné au lithium, chez des patients résistants au lithium. Ces travaux préliminaires suggèrent que cet effet antimaniaque peut être médié par des actions additives des deux agents sur la voie de la PKC, et viennent renforcer l’intérêt de cibler la PKC dans le traitement des troubles bipolaires.

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OBJECTIFS

Depuis la découverte des effets thymoleptiques du lithium et de certains antiépileptiques, aucun traitement véritablement efficace sur l’ensemble des symptômes bipolaires n’a été proposé. La méconnaissance des cibles moléculaires de ces thymoleptiques et de leurs mécanismes d’action a été un frein majeur à la compréhension de la physiopathologie du trouble bipolaire et au développement de nouveaux stabilisateurs de l’humeur. Des données récentes laissent envisager que la cascade de signalisation de la PKC pourrait être impliquée dans les effets du lithium et autres thymoleptiques. De plus, les premiers essais cliniques montrant qu’un inhibiteur non sélectif de la PKC, le tamoxifène, est efficace pour traiter la manie incitent à étudier davantage les liens entre la PKC et l’humeur.

Dans un tel contexte, l’objectif de cette thèse est d’examiner le rôle de la PKC dans les

phases maniaque et dépressive du trouble bipolaire. Pour cela, nous avons d’abord

étudié, chez le rat naïf, les conséquences d’une activation et d’une inhibition de la PKC dans des tests comportementaux reflétant des facettes de la manie (hyperactivité et prise de risque) et de la dépression (désespoir). Dans un second temps, nous avons cherché à examiner plus précisément l’impact de la modulation pharmacologique de la PKC dans un modèle de manie. Ainsi, nous nous sommes consacrés à la mise en place, puis à la validation comportementale et pharmacologique, d’un modèle basé sur une privation de sommeil, pour enfin évaluer l’efficacité de l’inhibition de la PKC sur les symptômes pseudomaniaques.

En parallèle, nous avons cherché à identifier quels sont les mécanismes d’action susceptibles de sous-tendre l’effet antimaniaque des inhibiteurs de la PKC. Dans la mesure où les phénomènes neuroplastiques semblent jouer un rôle important dans les troubles de l’humeur, nous avons successivement abordé les questions suivantes : la PKC est-elle impliquée dans la neuroplasticité ; si oui, quel est le lien avec ses effets sur l’humeur ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons examiné l’effet de l’inhibition de la PKC sur la prolifération cellulaire dans l’hippocampe des rats naïfs et privés de sommeil. Nous avons également cherché à savoir si la prolifération cellulaire hippocampique est essentielle à l’effet antimaniaque des inhibiteurs de la PKC. Nous avons ainsi recherché si cet effet est supprimé par le blocage de la prolifération cellulaire chez les animaux privés de sommeil.

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I- Animaux

Des rats mâles Sprague-Dawley de souche OFA (Charles River, l’Arbresle, France), pesant 200-225g à leur arrivée, ont été utilisés pour l’ensemble des expérimentations. Les animaux sont hébergés par groupe de 4 dans des cages en Plexiglas (longueur, largeur, hauteur : 42,5 x 26,5 x 19 cm), l’eau et la nourriture étant disponibles ad libitum, dans une pièce à température contrôlée (22 ± 1°C), en cycle jour/nuit 12/12h (éclairage entre 7h00 et 19h00). Les rats sont acclimatés à leur condition d’hébergement pendant une semaine avant le début de toute expérience. Durant cette semaine, les animaux sont pesés et habitués à l’expérimentateur 3 fois. Toutes les expériences ont été effectuées conformément à la Directive européenne (Dir. CE n°86/609) et la réglementation française (Décret n° 87-848, relatif aux soins et à l'utilisation des animaux de laboratoire).

II- Traitements