I. Données cliniques et épidémiologiques
4. Traitements
i. Le seul moyen curatif : retirer l’unité fœto-placentaire
Le seul moyen efficace de stopper la progression de la prééclampsie et de guérir la patiente est de retirer le placenta et donc le fœtus. Le défi majeur est donc de permettre à la grossesse de se poursuivre le plus longtemps possible, afin d’améliorer le pronostic pour
l’enfant sans pour autant mettre la mère en danger.
Les recommandations pour interrompre la grossesse en cas de PE sont les suivantes :
au delà de γ6 semaines d’aménorrhée, il est conseillé de déclencher l’accouchement ou de
réaliser une césarienne. Au delà de γ4 semaines d’aménorrhée, il faut interrompre la grossesse si la PE est sévère. En cas de PE sévère avant 24 semaines d’aménorrhée, il faut proposer une interruption médicale de la grossesse aux parents. Entre β4 et γ4 semaines d’aménorrhée, la
décision d’interrompre la grossesse dépend de l’état de santé de la mère et de celui du fœtus.
Ainsi, l’arrêt de la grossesse est pratiqué immédiatement si la mère présente une hypertension
non contrôlée, une éclampsie, un œdème aigu du poumon, un hématome rétro-placentaire, une
thrombopénie sévère ou un hématome sous-capsulaire hépatique. En cas d’insuffisance rénale
d’aggravation rapide, de signes persistants d’imminence d’une éclampsie (céphalées ou
troubles visuels), d’une douleur épigastrique persistante, ou d’un syndrome HELLP évolutif, la grossesse est éventuellement prolongée de 48 h afin qu’une corticothérapie anténatale puisse être réalisée pour induire une maturation pulmonaire fœtale. Des anomalies du rythme
cardiaque fœtal, un retard de croissance intra-utérin sévère au delà de 32 semaines d’aménorrhée sont également des indications pour déclencher l’accouchement (Pottecher et al., 2009).
Lorsque l’interruption de la grossesse est décidée sans qu’il y ait une nécessité absolue d’arrêt immédiat, il est possible de déclencher l’accouchement après maturation cervicale. Il
71 est également recommandé de mettre rapidement en place une analgésie péri-médullaire parce
qu’elle est bénéfique pour l’évolution de la pression artérielle et pour l’hémodynamique
utéro-placentaire, et parce qu’elle facilite la prise en charge en cas de recours à une césarienne.
ii. Les traitements des symptômes
Afin de permettre à la grossesse de se poursuivre harmonieusement pour améliorer le
pronostic fœtal, des traitements médicamenteux existent, visant principalement à faire baisser l’hypertension et prévenir et/ou contrôler la crise d’éclampsie.
Ainsi, au cours de la PE sévère, il est recommandé de traiter l’hypertension
artérielle lorsque la pression artérielle systolique est supérieure à 160 mmHg ou la pression
artérielle diastolique est supérieure à 110 mmHg. Il s’agit alors de prescrire un traitement antihypertenseur. Tous les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des
récepteurs de l’angiotensine II (sartans) sont contre-indiqués aux cours de la grossesse (car ils
présentent une toxicité avérée pour l’appareil rénal et la voûte crânienne du fœtus) (Centre de
Référence sur les Agents Tératogènes, 2013). Les antihypertenseurs de référence pour la PE
sont donc des antihypertenseurs centraux (méthyldopa), des inhibiteurs calciques (nifédipine ou nicardipine) et/ou des bétabloquants (labétalol, oxprénolol).
Le traitement antihypertenseur est principalement recommandé pour prévenir un accident vasculaire cérébral. Le but n’est pas d’optimiser la pression artérielle, mais de la réduire de 20%, de manière progressive, avec pour objectif d’atteindre une pression artérielle systolique comprise entre 140 et 160 mmHg et une pression diastolique entre 90 et 110 mmHg (Petit et al., 2009). En effet, une diminution trop importante de la pression artérielle
est néfaste à la croissance fœtale (Von Dadelszen and Magee, 2002). Il est en effet suggéré
que l’hypertension dans le cas d’une prééclampsie serait un moyen de contrebalancer une
insuffisance placentaire, et de pouvoir ainsi assurer une croissance fœtale suffisante.
En cas de PE sévère, la prévention de la crise d’éclampsie par du sulfate de
magnésium (MgSO4) est recommandée face à l’apparition de signes neurologiques
(céphalées rebelles, troubles visuels) et en l’absence de contre-indication (insuffisance rénale, maladies neuromusculaires) (Pottecher et al., 2009). En effet, le MgSO4, utilisé depuis plus
de 80 ans aux États-Unis par exemple, diminue de 60% le risque de faire une crise
72 bloque les canaux calciques voltage-dépendants d'où son effet vasodilatateur (effet renversé par le chlorure de calcium). C’est le traitement de référence pour le traitement de la crise en cours et la prévention des récidives. Après la dernière crise, il est conseillé de maintenir une perfusion de MgSO4 pendant une durée de 24 heures (Pottecher et al., 2009).
En cas de néphropathie, un avis spécialisé est recommandé afin d’instituer une prise en
charge conjointe de la grossesse (obstétricien, néphrologue, anesthésiste-réanimateur),
permettant, entre autres, d’informer la patiente sur les risques personnels et fœtaux, de discuter l’indication des diurétiques et d’envisager un arrêt de la grossesse en cas d’aggravation rapide de l’insuffisance rénale (Pottecher et al., 2009).
iii. Les traitements préventifs
Les traitements curatifs sont donc très limités et leur efficacité modérée. C’est
pourquoi d’autres stratégies ont été envisagées, visant à éviter le développement de la PE, plutôt que d’agir sur ses symptômes. Ainsi, plusieurs traitements préventifs ont été testés.
Le traitement le plus prometteur est sans conteste l’aspirine à faible dose (à environ 100 mg/jour). Son utilisation a été fortement débattue (Rossi and Mullin, 2011). Cependant,
un consensus émerge. L’utilisation d’aspirine à 100 mg/jour est efficace à condition que l’administration commence tôt au cours de la grossesse (avant 16 semaines d’aménorrhée)
(Bakhti and Vaiman, 2011; Roberge et al., 2012a, 2012b). Ces études montrent que
l’aspirine fait diminuer les risques de développer une prééclampsie précoce de 90 %, et une
prééclampsie sévère de 80%. De façon intéressante, il semble que l’heure de prise de
l’aspirine ait un impact important sur l’efficacité de ce traitement : si l’aspirine est prise au réveil, elle n’aurait aucun effet, alors que prise au coucher, elle réduirait bien le risque de
prééclampsie (Ayala et al., 2012).
Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) auraient également un effet bénéfique (à 1 mg/kg), en particulier lorsqu’il existe un risque thrombotique (Kupferminc et al., 2011), et amélioreraient la prévention en association avec de l’aspirine (Gris et al., 2011; de Vries et al., 2012). L’effet bénéfique de ces HBPM serait basé sur leur interférence
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l’environnement vasculaire et endothélial. Par exemple, l’héparine réduit l’adhésion des
leucocytes aux cellules endothéliales, ce qui participe à son effet anti-inflammatoire. De plus,
l’héparine a été montrée comme capable d’induire l’expression de facteurs de croissance tel
que le VEGF in vitro (Mello et al., 2005). L’effet bénéfique de l’aspirine passerait par son action anti-plaquettaire, en effet, à faible dose, l’aspirine inhibe plus spécifiquement la production de thromboxane (pro-aggrégant), sans altérer la production de prostacycline (vasodilatateur et anti-aggrégant) (Vainio et al., 1999).
Une supplémentation en calcium serait également bénéfique, en particulier dans les pays en voie de développement et pour les populations ayant une carence calcique (Patrelli et al., 2012). Cette supplémentation a été tentée car une carence calcique est un facteur de risque pour les maladies hypertensives.
Par ailleurs, les antioxydants (tels que les vitamines C et E), les donneurs d’oxide nitrique (NO) et la vitamine D, n’ont pas prouvé leur efficacité (Meher and Duley, 2007; Parrish et al., 2013; Rossi and Mullin, 2011; Thorne-Lyman and Fawzi, 2012). Ces agents ont été testés car un stress oxydatif, une diminution des taux de NO et de vitamin D sont observés en cas de prééclampsie (Aghajafari et al., 2013; Bernardi et al., 2008; Hung and Burton, 2006).
Il est cependant important de noter qu’actuellement, ces traitements préventifs sont
réservés aux patientes à risque élevé, c’est-à-dire à celles ayant eu au moins un antécédent
de PE sévère et précoce (Pottecher et al., 2009). Cela signifie que 75 % des prééclampsies ne seront pas évitées (celles se développant chez des primipares). En effet, il est impensable
d’encourager toutes les primipares à prendre un traitement préventif alors que plus de 95 % d’entre elles ne seront pas concernées par la PE. Il est ainsi extrêmement important de pouvoir
mieux prédire quelles femmes, parmi les nullipares, sont les plus à risque de développer une PE, afin de pouvoir leur proposer spécifiquement un traitement préventif. En ce sens, la recherche de marqueurs précoces de la PE (détectables au 1er trimestre) est en plein développement.
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