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Première étape : une placentation défectueuse

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III. Physiopathologie de la prééclampsie

2. Première étape : une placentation défectueuse

L’existence de défauts de placentation en cas de prééclampsie est étayée par des

analyses anatomopathologiques et histologiques des placentas obtenus après l’accouchement. Ainsi, les placentas prééclamptiques présentent des lésions placentaires ischémiques (liées à une diminution ou un arrêt temporaire de la vascularisation). Ces lésions peuvent être des athéroses, des infarctus plus ou moins volumineux, et des rétrécissements scléreux des artérioles (Khong, 1991; Nessmann and Larroche, 2001; De Wolf et al., 1975). L’athérose

est une lésion des artères caractérisée par des dépôts intra-épithéliaux d'immunoglobulines (entrainant une infiltration de lymphocytes T et de macrophages) et par une nécrose fibrinoïde de la paroi. Cette lésion peut entraîner une réduction considérable de la lumière vasculaire

83 voire une oblitération (thrombose) altérant le débit utéro-placentaire (Meekins et al., 1994a).

Ces lésions d’athérose sont à l’origine des diverses lésions placentaires observées : les lésions d’ischémie-hypoxie villositaire, les infarctus, les lésions typiques de nécrose ischémique, l’hématome rétroplacentaire, les chorioangiomes et la thrombose sous-choriale massive

(Khong, 1991). L’ensemble de ces lésions peut être responsable d’une altération des

échanges fœto-placentaires et donc induire un retard de croissance intra-utérin. Ces lésions placentaires sont inconstantes et impliquent un pourcentage variable du volume placentaire.

Des analyses plus fines montrent que la PE est liée à une placentation sous-optimale. Des biopsies effectuées au niveau du lit placentaire de patientes prééclamptiques révèlent une invasion cytotrophoblastique trop superficielle. Ainsi, si dans des placentas issus de grossesses non compliquées, 100 % des artères spiralées déciduales et 76 % des artères myométriales sont remodelées, seules 44 % des artères déciduales et 18 % des artères

myométriales le sont dans le cas d’une prééclampsie (Meekins et al., 1994b). Les anomalies structurelles qui entraînent les lésions placentaires sont donc situées au niveau du lit placentaire (Brosens, 1964; Lyall, 2002). Certains vaisseaux ne sont donc pas remodelés, et

lorsqu’ils le sont, le remodelage ne dépasse pas la limite muqueuse de l’utérus, alors que dans la grossesse normale ces modifications s’étendent jusqu’au premier tiers du myomètre. Les

artères utéro-placentaires ont conservé une média vasoréactive ainsi qu’une limitante

élastique interne, ce qui témoigne du maintien d’un certain degré de contractilité. Il y a donc

un défaut de remodelage des artères spiralées utérines par les cytotrophoblastes extravilleux (Figure 26). Ce défaut de remodelage des artères utérines spiralées, dû à une

invasion trop superficielle, entraîne une augmentation de la résistance vasculaire et la réduction de la perfusion utéro-placentaire ainsi que les lésions secondaires telles que

l’athérose et les ischémies placentaires (Marcorelles, 2010; Meekins et al., 1994b). Ces observations sont cohérentes avec les anomalies de résistance et de pulsatilité détectées par doppler des artères utérines à la fin du premier trimestre chez les femmes qui vont par la suite développer une prééclampsie (Carbillon, 2012).

Figure 26 : Le défaut de remodelage des artères spiralées utérines en cas de prééclampsie

84 Cependant, les causes de ce défaut de placentation restent mystérieuses. Et elles sont

d’autant plus difficiles à élucider que le matériel biologique accessible (placentas à terme) est

un tissu où causes et conséquences de la pathologie sont indiscernables. Ainsi, les observations qui y sont faites doivent être interprétées avec prudence.

Il semble que les cytotrophoblastes extravilleux (CEV) constituent les cellules clés

de la physiopathologie de la prééclampsie. Et d’un point de vue moléculaire, les CEV des

placentas prééclamptiques présentent un déficit quantitatif et fonctionnel.

Concernant le déficit quantitatif, il pourrait être expliqué par une destruction des cellules trophoblastiques par le système immunitaire maternel, due à un défaut d’immunotolérance. En ce sens, il a été observé l’induction de la mort de cellules trophoblastiques par des macrophages maternels en cas de PE (Petsas et al., 2012). De plus,

l’expression de HLA-G par le trophoblaste est diminuée dans la PE (Le Bouteiller et al., 2003), cela pourrait limiter la protection des trophoblastes de l’attaque par les cellules uNK au niveau du site d’implantation (Moffett-King, 2002). Enfin, le risque accru de PE observé avec certaines combinaisons alléliques de KIR/HLA-C supporte également cette hypothèse. En effet, ce sont les femmes ayant deux allèles KIR-A, dont les cellules uNK ne présentent pas de récepteurs activateurs liant l’HLA-C2, qui ont un risque accru de PE, en cas de

présentation d’HLA-C2 par les trophoblastes. Ces résultats suggèrent un rôle des cellules uNK dans l’allo-reconnaissance des antigènes paternels, et dans l’induction d’une

immunotolérance (impliquant peut-être les cellules utérines Natural Killer et/ou les lymphocytes T régulateurs).

Concernant le défaut qualitatif, les molécules d'adhésion impliquées dans la migration de CEV, dans leur ancrage et dans leur migration au sein de l'endomètre maternel sont modifiées (Zhou et al., 1993). Par exemple, les CEV expriment uniquement des

intégrines épithéliales (αγ 4, α6 4) et interstitielles (α5 1). Les études montrent que les CEV

prolifèrent, mais perdent leur capacité invasive. Il a notamment été montré que les CEV de placentas prééclamptiques surexprimaient MUC1, et que cette surexpression avait un impact négatif sur les capacités invasives de ces cellules (Shyu et al., 2011). Ce défaut d’invasion se

traduit également par une altération de l’expression des gènes impliqués dans la dégradation

de la matrice extracellulaire. Par exemple, la MMP-9 est moins exprimée par les CEV en cas de PE (Lim et al., 1997b). Il semble également qu’il y ait un défaut de différenciation en

85 les molécules d'adhésion de type vasculaire VCAM-1 et PECAM-1 ou les intégrines αv 5 et

αv γ, caractéristiques de l'endothélium. De même, la VE-cadhérine, marqueur des cellules

endothéliales activées n'est pas exprimée (Zhou et al., 1997b). Il a été suggéré que le déficit quantitatif et fonctionnel des CEV participe au défaut de remodelage des artères et au maintien de la paroi musculaire à haute résistance sur les artères utérines spiralées (Kaufmann et al., 2003). Ceci occasionnerait un défaut de perfusion placentaire avec une hypoxie et un stress oxydatif (Hung and Burton, 2006; Hung et al., 2001). Le rôle de l’hypoxie dans

l’apparition du syndrome prééclamptique est cohérent avec l’aspect ischémique des placentas

prééclamptiques qui suggère également la présence de cette hypoxie placentaire. Au niveau moléculaire cette idée est soutenue par les concentrations élevées des facteurs de

transcription HIF-1 et HIF-2 observées dans les placentas prééclamptiques (Rajakumar et al., 2003). De plus, l’hypoxie pourrait entretenir les anomalies de différenciation des CEV ou les aggraver. En effet, le phénotype des CEV in vivo dans la PE est similaire au phénotype des CEV non différenciés obtenus in vitro en condition hypoxique. Le maintien d’une situation hypoxique va avoir pour conséquence le maintien d’un profil d’expression génique inadéquat perturbant le signal de différenciation des CEV interstitiels en CEV invasifs et altérant donc

l’invasion. Par exemple, la surexpression de HIF-1 active la transcription de plusieurs gènes,

dont celui codant le TGF- . Cette surexpression du TGF- inhibe l'invasion trophoblastique

(Caniggia et al., 1999, 2000). Le niveau inadéquat de HIF-1 et les défauts de placentation couplés au stress oxydatif seraient donc responsables des lésions d’ischémie placentaire observées en anatomopathologie. Une question clé demeure : lequel de ces mécanismes (l’hypoxie placentaire et le défaut de différenciation des CEV) précède l’autre ?

Il faut en ce sens noter que des facteurs trophoblastiques (notamment le VEGF, le

PlGF, et l’hCG) sont directement impliqués dans des processus d’angiogénèse utérine et de

remodelage des vaisseaux utérins indépendamment de l’invasion de la paroi des vaisseaux par la cellule trophoblastique. Ainsi, ce sont peut-être des anomalies au niveau de ces facteurs qui causent une hypoxie responsable du défaut de différenciation des CEV et ainsi le défaut de remodelage des artères spiralées par les CEV endovasculaires.

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