• Aucun résultat trouvé

1.2. Démarche méthodologique

1.2.3. Traitement des données collectées

Les données recueillies nous ont permis de faire une description empirique des phénomènes de participation et une analyse approfondie des résultats d’observations à travers la restitution de la mise en scène de réunions sociales. « La description est là pour restituer

61

avec art le concret des situations, des interactions, des caractères » (Dumez, 2010 : 28). Elle implique selon cet auteur deux attitudes : la prise en compte des descriptions faites par les acteurs eux-mêmes et leur correction dans une perspective décalée en s’aidant des descriptions divergentes faites par les différents acteurs surtout sur l’un des dispositifs aussi complexes que celui d’Abomey. Notre description de chacun des dispositifs est accompagnée de schémas, pris au sens de Dumez (2010 : 37) comme des icônes abstraites de forme abréviative, une sorte de mise en série de caractéristiques fonctionnelles rapprochées sous une même présentation pour faire apparaître des relations et rendre possibles les comparaisons. Notre analyse prend en compte divers facteurs comme la prise de décision collective, la démarche cognitive de résolution des problèmes, l’usage des ressources techniques, les contraintes organisationnelles et les relations sociales (Darses, 2002). Elle a intégré à la fois la dynamique des dires (formes langagières) et des faires (formes non langagières d’action).

Pour le traitement du corpus de matériaux assemblés, nous avons eu recours à plusieurs formes d’analyse qualitative : la démarche de théorisation ancrée pour mettre en évidence les inférences théoriques et mettre en relation des concepts qui ont émergé de la collecte (Strauss et Corbin, 1994) et l’appréhension des phénomènes socio-spatiaux pour comprendre le fonctionnement des réalités (Gumuchian et Marois, 2000). Selon Paillé (1994 : 153-179), les étapes principales et successives de l’analyse par théorisation ancrée se résument en (1) une codification consistant à étiqueter l'ensemble des éléments présents dans le corpus initial, une catégorisation dans laquelle les aspects les plus importants de la participation sont nommés, (2) une mise en relation qui (marque véritablement le début de l'analyse) fournit les éléments permettant de cerner l’essentiel du propos pour leur meilleure intégration en vue de modélisation pour reproduire la dynamique des réalités participatives analysées; (3) une théorisation qui clôture la démarche pour, selon l’expression de Paillé (1994 : 149), « dégager

le sens d’un événement, lier dans un schéma explicatif divers éléments d’une situation et renouveler la compréhension d’un phénomène en le mettant différemment en lumière. » Quant

à l’approche par appréhension des processus socio-spatiaux complémentaire utilisée dans la démarche de traitement des données, elle a permis, entre autres, « de décrire en profondeur [notre] objet socio-spatial, de saisir les configurations internes des rapports entre divers acteurs, les processus de reproduction permanente, les dynamiques de transformation. Le but

62

consiste à élaborer, progressivement, un modèle fondé sur les observations, permettant de formuler des propositions d'interprétation des phénomènes observés » (Gumuchian et Marois, 2000 : 302).

Dans les enregistrements vidéos70, nous nous sommes intéressé aux échanges langagiers en étant le plus près du détail des débats publics, des délibérations publiques et des énonciations de différents acteurs pour en apprécier la dynamique communicationnelle.

À l’issue de ces opérations, nous avons analysé et apprécié la compréhension qu’ont les acteurs du processus formel des procédures et mesures, leurs façons de les vivre, l’écart de représentation entre les participants aux processus participatifs issus de la population et les acteurs institutionnels. Nous avons également fait une mise en parallèle des modes formels et informels pour ressortir les points de convergence ainsi que les réels échelons de décision auxquelles ils donnent accès aux acteurs. Nous leur avons donné ensuite un contenu clair par la définition de critères et/ou d’indicateurs de codécision en vue de leur normalisation et de la définition de nouvelles règles pragmatiques qui tiennent compte des modes formels et informels. Concrètement, nous avons fait la préparation des données par leur codage, l’analyse et la formulation des résultats par leur structuration autour de catégories identifiées.

Le codage est le mécanisme qui évite à l’analyse du matériau d’être polluée par la théorie (Ayache et Dumez, 2011b : 34). Dans cette perspective, notre analyse s’est structurée autour des axes suivants : connaissance des modèles et procédures de participation, logiques locales de prise de décision en environnement, comportements et modes d’organisation originaux et culturels, processus, acteurs et rapports à la participation, dynamique communicationnelle. Le matériau empirique a été recueilli sur cette base et traité dans le but de mettre en évidence les modèles originaux de participation ancrés dans les cultures et dans les milieux ainsi que leurs typologies, de mettre au jour les mécanismes de leur enchâssement

70 Le processus béninois fait obligation à ses acteurs de consigner par tous les moyens scripto-audiovisuels le

déroulement des audiences publiques. Ce qui offre une chance à une analyse ex post sur du matériel disponible.

63

avec des critères endogènes d’appréciation de la participation, de créer au besoin des concepts et d’établir des liens avec des théories générées par la démarche de traitement elle-même.

Le codage a consisté donc à dégager sept classes d’unités de sens : les modèles, les motivations et les freins à la participation, les acteurs et la légitimité des décisions, les critères d’évaluation, les questions mises en débat, la compétence communicationnelle, les forces et les faiblesses, articulées autour du point de vue gestionnaire (au plan de ce qui est dit de la participation et de la qualité de qui le dit), du point de vue des participants non institutionnels, du point de vue des populations locales et du statut de l’acteur qui parle (rapports à la participation et aux dispositifs, positionnement). Chacune de ces classes d’unités de sens a fait l’objet de plusieurs types de traitement comparatif pour analyser les ressemblances et les différences par comparaison croisée au niveau de chaque série et entre les séries. Ce processus de montée en généralité minimale qui travaille sur la différence significative la plus proche a signifié pour nous, au cours de ce travail de recherche de la compréhension de la participation du public à l’évaluation environnementale, de raisonner par rapport aux mécanismes de règlement des problèmes sociaux. Des sections entières d’entretiens présentant un intérêt pour notre recherche sont repérées, sélectionnées et mises de côté pour une analyse plus approfondie (Baribeau, 2009 : 141). Les résultats issus de ce type de démarche ont permis de produire les chapitres 3 et 4 de cette thèse. Ayache et Dumez (2011a : 31) résument en trois points ce processus de codage multinominal :

Premier point, les thèmes sont bricolés, mélangeant orientations théoriques et idées issues du matériau; deuxième point, ils se recoupent partiellement; troisième point, ils sont en nombre suffisant pour garantir une large diversité, mais en nombre pas trop grand pour permettre de gérer l’ensemble du matériau.

Ayache et Dumez, 2011a : 31

Ainsi, notre démarche de théorisation est partie du matériau recueilli et découpé en classes d’unités de sens auxquelles des noms (des catégories créées tout en évitant leur très grande généralité et l’appauvrissement des données recueillies) sont attribués. Les noms donnés à chaque classe d’unité de sens sont regroupés et saturés pour être transformés en

64

concepts, eux-mêmes mis en relations entretenues les uns avec les autres et qui les définissent pour en dégager une théorie71 (Blais et Martineau, 2006 : 8-9).

L’exercice de codage n’est pas à l’abri du risque de circularité72. Nous avons tenu compte de ce risque en évitant d’aborder le matériau recueilli avec nos a priori et les cadres théoriques prédéfinis susceptibles d’en polluer l’analyse. Nous avons évité surtout, comme le suggèrent les analystes par la théorisation ancrée, de rendre trop rigoureux le « bricolage » en cours du codage. Nous avons prêté dans l’analyse la même attention à tous les éléments de notre corpus en nous obligeant à nous mettre à l’écoute de la totalité du matériau. Nous avons procédé également à la triangulation des données en nous servant des mémos73 journaliers de notre journal de bord traités comme des données et intrants à la description de la méthodologie et à l’analyse en appui à la qualité de la recherche. L’intégration des mémos dans le corpus des données assure la validité externe74 de la recherche en établissant des liens entre la problématique et les résultats obtenus. Leur prise en compte au processus d’écriture de la recherche en général et de la méthodologie en particulier en assure la validité interne75 par l’établissement constant de liens entre les données et les analyses (Baribeau, 2005 : 110).

Le traitement des données collectées peut être, certes, entaché de biais. La réalité empirique saisie par le prisme de la connaissance du chercheur n’est pas indépendante de la culture et des rapports sociaux du contexte localisé et historique qui la génère, ce qui fait d’elle une co-construction à partir d’une interaction chercheur/participant traversée par les valeurs des deux (Anadon et Guillemette, 2007 : 28). Nous avons tenu compte de ce biais en incluant dans l’interprétation, les différents symboles, les gestes et les comportements sociaux

71 Legendre (1993 :1357) cité par Baribeau (2009 : 143) définit la théorie comme un ensemble structuré et

cohérent de concepts, de définitions, de propositions, de modèles, de principes et de lois concernant un objet ou un phénomène dans le but de le décrire, d’expliquer, d’interpréter, de prédire ou de prescrire.

72 Au sens de Ayache et Dumez (2011b: 44), la circularité « consiste à croire qu’on a validé le modèle

théorique sur le matériau, alors qu’on a formaté le matériau par le codage pour qu’il ne fasse que refléter le modèle théorique ».

73 Recommandé par la Grounded theory, le mémo est la consignation descriptive, analytique et interprétative

tout le long de la collecte de données dans notre journal de bord.

74 La validité externe est la relation entre la problématique et les résultats compte tenu du caractère unique de

la situation étudiée (Baribeau, 2009 : 145)

75 La validité interne concerne les liens entre les données recueillies et les analyses effectuées sur ces données

65

spécifiques associés aux lieux de débat relevés dans les grilles d’observation ainsi que la compréhension du sens de leur symbolisme (Ameigeiras, 2009 : 45-46). Ainsi, toute notre recherche a privilégié l’interaction chercheur/participant, l’attention accrue au contexte et à l’expression du vécu des participants en tant qu’acteurs sociaux et de leur propre interprétation de ce vécu (Anadon et Guillemette, 2007 : 26).

Cet exercice a montré toute la fécondité de la démarche qualitative. Celle-ci a permis de mettre en évidence des pistes intéressantes d’une théorie de l’offre contextualisée de la participation en contexte de communautés. Elle a permis aussi de mettre à jour la dimension fortement territorialisée des pratiques participatives traditionnelles et de construire les modèles participatifs traditionnels dans la dynamique d’un « design émergeant » où, à partir de découvertes successives pendant le processus de recherche, les caractéristiques essentielles des dispositifs mis en évidence sont validées à travers remise en question continue, lecture consensuelle des réalités participatives étudiées, dialogue, négociation du sens entre nous et nos informateurs-clés (Anadon et Guillemette, 2007 : 28). Ainsi, comme toute recherche doctorale, la nôtre s’est nourrie, pour reprendre les termes de Benelli (2011 : 47), d’échanges critiques et constructifs avec tiers et une mise à mot de la méthode adoptée qui a nécessité une séparation d’éléments entremêlés et imbriqués faits d’un important corpus de données empiriques variées, d’analyses, d’outils d’investigation et de traitement, d’hypothèses et de questionnements.