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0.5. L’ordre des mots

0.5.1.2. Le topique suspendu

Comme nous l’avons dit, nous considérons la présence obligatoire47 de la reprise ou du redoublement par un clitique en français comme une marque de génération « en place ». Elle permet un placement loin de la place fonctionnelle du syntagme. Elle permet un placement du topique très loin de la proposition où il joue un rôle : [0.42] doit être mise en contraste avec [0.27].

[0.42] Mariei, je crois que Robert sait que Pierre va luii offrir un livre.

Un indice encore plus probant de l’absence de mouvement dans ces cas-là réside dans le fait que le syntagme en position topique peut ne pas avoir de fonction dans la phrase suivante. C’est un phénomène que l’on relève souvent dans la langue parlée, mais dont les exemples sont très acceptables, comme la réponse de B dans le court dialogue [0.43]. Cela fait à nouveau penser au nominativus pendens48.

[0.43] A. On a acheté un cadeau pour tout le monde, sauf pour Mathilde. B. Mathilde, je ne sais pas si je t’ai dit, mais j’ai déjà un cadeau.

Cela rappelle les introducteurs de topique comme quant à, en ce qui concerne [0.44].

[0.44] Quant à Mathilde, je ne sais pas si je t’ai dit, mais j’ai déjà un cadeau.

On ne traitera pas ici de la dislocation à droite (Riegel, Pellat, Rioul (2004 : 426-430)49,50), qui serait un sujet en soi. Il s’agit pourtant plutôt à notre avis d’une stratégie de réparation (le locuteur précise quelque chose qu’il a oublié de préciser avant) qu’une stratégie de topicalisation51.

Pour nous résumer, le topique suspendu est hors-phrase, comme l’indique l’absence de marquage casuel sur les syntagmes arguments, tandis que la topicalisation et la focalisation

47 Cette précision est nécessaire, car, quand le topique est marqué en cas, il peut apparaître, apparemment

optionnellement, un clitique qui marque la trace laissée par le mouvement. (i) est tout à fait acceptable en

français parlé.

(i) À Marie, je lui ai offert un livre.

48 Voir pour l’étude de ce phénomène Slings (1992 : 96-101 ; 1997 : 192 ; 202-203).

49 Désormais abrégé RPR.

50 Dans cette grammaire, la distinction n’est pas faite entre ce qu’on a appelé « topicalisation », et ce type de dislocation, l’existence du premier phénomène étant passé sous silence. Le traitement du focus par clivée est appelée « extraction », ce qui implique bien une idée de mouvement. On pourrait étendre ce terme à la topicalisation en distinguant l’extraction topicalisante et l’extraction focalisante.

51

Voir pourtant la distinction qu’essaie d’introduire López (2009 : 7-8) entre la Clitic Right Dislocation (CLRD) et les « afterthoughts ».

déplacent des syntagmes dans une position qui est dédiée à ces syntagmes dans la structure syntaxique (ce dernier point est particulièrement important pour le grec ancien, comme on le verra).

0.5.1.3. Conclusion

On a constaté que les travaux ne traitent en général que d’un type d’opération de mise en évidence des fonctions de discours (topique, focus). Rizzi (1997) ne traite que des cas avec mouvement, la RPR (2004) ne traite que des cas sans mouvement. Cet excursus méthodologique sur le français nous a montré que les deux sont probablement nécessaires pour la description de la plupart des langues. La distinction est en tout cas pertinente pour le grec ancien, avec la possibilité d’utiliser un syntagme avec un cas non marqué (nominativus

pendens voir l’exemple [1.50]), ou bien extrait et déplacé en tête de la proposition depuis sa

place d’origine (le cas est celui de la fonction par rapport au verbe).

La fonction topique, que le topique soit cadre ou continu, est récursive comme le montre [0.45], où trois topiques sont présents.

[0.45] Moi, mon frère, son appartementi, je ne l’i aime pas.

On laisse de côté la question des circonstants, car le fait qu’ils ne soient pas arguments du verbe leur donne une plus grande liberté de placement dans la phrase. Cependant, il nous semble que l’on peut garder notre distinction entre deux types de topiques, comme le montre les exemples [0.46] (emprunté à la RPR (2004 : 427)) et [0.47].

[0.46] Dans les Alpes, on peut pratiquer le ski toute l’année.

[0.47] Les Alpesi, on peut yi pratiquer le ski toute l’année.

Se pose ensuite la question de la correspondance entre les deux types de topique définis préalablement (topique-cadre, topique continu, l’un et l’autre possiblement contrastifs), et la place des syntagmes topicaux. Le topique suspendu est souvent un topique-cadre, qu’il soit contrastif ou non. Mais cela n’est pas interdit à la topicalisation, qui semble déplacer des topiques-cadres et topiques continus [0.48]. Quand des opérations de mouvement et un topique suspendu sont utilisés dans la même phrase, le topique suspendu vient toujours avant, ce qui est normal, puisqu’il est hors-phrase. Cela est confirmé par les exemples suivants et le contraste entre [0.49] et [0.50].

[0.48] À Noël, à Mathilde on va offrir UN LIVRE, à mon frère UN DISQUE, à Yann, UNE

BOUTEILLE

[0.49] *À Noël, quant à Mathilde, on va lui offrir un livre.

Il est important de noter que les topiques continus apparaissent après les topiques-cadres (si les deux sont présents dans une phrase), comme on peut le voir en [0.51].

[0.51] Mathilde a fait ses courses. Elle a acheté un disque pour son frère. [Le jour de Noël]Top-cadre,

[lui]Top-continu, il aura le plaisir de découvrir un nouveau genre musical.

De même, la position basse du topique est interdite au topique suspendu et au topique-cadre, même dans le cas d’une clivée [0.52]/[0.53]. Il est donc réservé au topique continu. Comme on peut s’y attendre, un topique moins marqué est dans une position moins en évidence.

[0.52] ? Mais c’est UN DISQUE qu’à ma femme j’ai offert.

[0.53] *Mais c’est UN DISQUE (ma femme) que (ma femme) je lui ai offert.

Enfin, on peut aussi avoir des topiques et des focus in situ. Les langues qui ont cette stratégie marquent la différence entre les fonctions de topique et de focus par l’intonation ou par des marques spécifiques comme des particules. Voir par exemple en [0.48] pour les focus, les termes qui sont en petites majuscules, même si le français n’est pas la langue qui marque le plus fortement ces topiques et focus.

Le Tableau 0.2 donne le schéma des fonctions pragmatiques marquées par leur position.

Tableau 0.2 : les fonctions pragmatiques marquées par les positions dans la phrase et hors-phrase

Hors-phrase Phrase Hors-phrase

Topique-cadre (topique suspendu) Topique -cadre Topique-continu Focus Topique-continu Reste de la phrase Dislocation droite (stratégie de réparation) Les positions hors-phrase sont reconnues dans la FDG (Hengeveld et Mackenzie (2008 : 312)) pour des phrases comme [0.54] (topique suspendu) et [0.55] (dislocation droite). Contrairement aux autres positions dans la phrase, ces deux positions sont des positions absolues.

[0.54] As for his ideas, I don’t like them.

[0.55] I don’t like them, his ideas.

Ce schéma suit quelques principes (fonctionnalistes) que l’on peut considérer comme universels : le support de l’information précède l’information ; le connu ou le présupposé (topique) tend à précéder le nouveau ou l’informatif (focus) ; le plus saillant (topique-cadre)

tend à précéder le moins saillant (topique continu). C’est pourquoi ce schéma, qui peut connaître des variations à travers les langues, doit pourtant avoir un nombre limité de réalisations possibles. C’est ce que montre la comparaison de ce schéma établi sur le français avec les données du grec ancien.

0.5.2. Les opérations sur les fonctions pragmatiques et l’ordre des