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Théorisation de la différence entre ὅς et ὅστις

SUBORDONNEES INTERROGATIVES

3.5. Théorisation de la différence entre ὅς et ὅστις

Les remarques et analyses qui précèdent sont empiriques. Il est temps de les formaliser. Le Tableau 3.4 résume les différentes situations et hypothèses que l’on a avancées pour expliquer la différence entre ὅς et ὅστις.

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La présence de ἄν et le subjonctif fait de ὅστις, de manière non ambiguë, une relative, car ce mode accompagné de cette particule est strictement interdit et absent des subordonnées en τίς. Ainsi dans X. Cyr. 5, 3, 9 ou Dém. 1Phil. 51 (situation parallèle à celle de ὅς dans Dém. Leptine 163). En retour, cela rend suspectes toutes les propositions en ὅστις, pour lesquelles on pourra toujours invoquer une analyse relative, avec le sens de ‘quel que soit le …’. À noter que cela fait vraiment penser au contraste entre un εἰ conditionnel et un εἰ interrogatif. En effet, les relatives en ὅστις ἄν sont souvent prises dans des systèmes qui sont assimilés à des systèmes conditionnels (Wakker (1992)). Si l’on considère par ailleurs que les εἰ interrogatifs procèdent des εἰ conditionnels, on s’aperçoit que le terrain de ce stade du grec était peut-être favorable à un développement, qui n’a finalement pas eu lieu, vers la création d’interrogatives en ὅστις ἄν, avec, en quelque sorte, un mode particulier (comme le subjonctif latin est systématiquement utilisé en subordonnée interrogative).

Tableau 3.4 : interprétation de ὅς et de ὅστις (version 1)

ὅς ὅστις

1

relative (libre ou avec antécédent) passé/présent

défini ou indéfini

spécifique indéfini non spécifique

2

relative (libre ou avec antécédent) présent

général/futur

instanciation possible par un seul x ou par une seule

somme de x

instanciation possible par tous les x imaginables dans la limite de la sélection

sur verbe (ex : n’importe quel être animé…)

3 interrogative avec les

prédicats résolutifs connaissance absence de connaissance

Dans cette description, on a souvent été amené à comparer les relatives en ὅστις avec des expressions indéfinies. Il faut explorer cette piste plus avant pour voir si elle se tient. On aurait donc dans cette première hypothèse une distinction : relative libre en ὅς = défini / relative libre en ὅστις = indéfini. Mais on s’aperçoit à cause des cas de la section 3.4.2 que la distinction se fait plutôt entre spécificité et non spécificité.

Cette distinction se trouve à son tour insuffisante quand on arrive au cas du futur et de la généralité. Comme il a été dit plus tôt, dans cette situation, on a la sensation d’un décalage d’un cran. Aucune relative ne désigne quelque chose de spécifique, mais dans un cas (avec

ὅς), on connaît les caractéristiques qui permettront de déterminer de quel individu il s’agit ;

dans l’autre (avec ὅστις), cela n’est pas possible, ou sans intérêt.

Enfin, le dernier cas, celui qui nous intéresse le plus, celui des subordonnées interrogatives, pose également problème à cette hypothèse de la spécificité, car quand on pose une question, on présuppose l’existence d’un individu qui va instancier la réponse. On ne pose pas la question [3.27] sans présupposer qu’il existe quelqu’un qui a la propriété d’être venu.

[3.27] Qui est venu ?

S’il est vrai que la réponse « personne » est acceptable, on ne peut pas dire, en revanche, que quelqu’un utilisera ὅστις dans une subordonnée interrogative pour indiquer qu’il pense que la réponse est nulle. Là encore, on a une impression de différence de degré entre ὅς et ὅστις. Avec ὅς, qui n’est utilisé qu’avec des prédicats résolutifs, on a l’impression que la réponse est connue non seulement du locuteur, mais de l’interlocuteur, ou dans un récit, du sujet de la phrase et de la source d’information, tandis qu’avec ὅστις, il semble qu’un des deux partis seulement connaît la réponse. Cela fait penser à la description de Serbat (1985 : 10) :

Le “regard interrogateur” existe certes, mais il peut venir de n’importe où (ce qui rend possible l’emploi des personnes non premières, et celui des verbes non-percontatifs) ; (…) la mise en question vient de n’importe où, non sans être répercutée, selon un itinéraire anguleux – comme une bille de flipper – par ces bornes du parcours discursif que sont les personnes du verbe y compris l’illimité troisième personne.

Encore une fois, on est proche de la spécificité, mais cette fois-ci avec un degré en dessous de la spécificité des indéfinis ou des relatives au subjonctif du français que l’on évoquait ci-dessus.

Tableau 3.5 : les différents degrés auxquels ὅς et ὅστις s’opposent Domaine

d’action Syntaxe Interprétation

Intensionnel

relative (libre ou avec antécédent) présent

général/futur

Aucun des deux n’est spécifique, mais l’intension de ὅς l’est Extensionnel

relative (libre ou avec antécédent) passé/présent

Rapport spécifique/non spécifique

Pragmatique interrogative avec les prédicats résolutifs

Les deux sont spécifiques, mais avec ὅστις, au moins un des participants ne peut pas identifier

le référent

Dans un premier temps, nous conserverons comme approximation cette différence de degré de spécificité entre ὅς et ὅστις, bien que l’analyse en termes de spécificité puisse laisser croire que l’on considère les relatives libres comme des indéfinis et ne puisse pas être conservée en l’état.

On le voit, il est nécessaire de replacer chaque paradigme dans l’ensemble de ses emplois, mais aussi de connaître, dans les autres contextes, la répartition entre les différents paradigmes. Cela permet de placer les subordonnées interrogatives dans l’ensemble d’un système et de mieux les comprendre. Le chapitre suivant est consacré à la syntaxe des interrogatives et des relatives du grec. Le Chapitre 5 à la sémantique des relatives libres. Le Chapitre 6 revient sur la confrontation entre ὅς et ὅστις, ainsi que sur la place de τίς dans ce système.

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