• Aucun résultat trouvé

Le rapprochement entre ὅστις et τίς

SUBORDONNEES INTERROGATIVES

3.2.3. Le rapprochement entre ὅστις et τίς

3.2.3.1. Les similitudes syntaxiques

Ils sont appariés par plusieurs tests syntaxiques, dont les propositions en ὅς sont exclues :

1) La subordonnée peut être annoncée par un pronom neutre dans la matrice (exemple [6.42]).

2) La subordonnée peut être substantivée par l’article neutre τό (exemple [1.4] et [9.99]).

3) Les subordonnées introduites par τίς, comme par ὅστις, peuvent contenir un subjonctif délibératif (Chapitre 11).

4) La subordonnée peut passer à l’optatif oblique en contexte passé (Chapitre 12). 5) La subordonnée peut voir son contenu élider.

6) Statistiquement, les subordonnées en τίς et en ὅστις apparaissent dans les mêmes proportions avec les prédicats résolutifs (Chapitre 6).

Le premier cas n’a qu’un seul bon contre-exemple dans la littérature (aucun dans mon corpus) : une subordonnée en ὅς annoncée par un pronom neutre. Il est fourni par Chanet

4 Et même tout le grec classique. De vastes élargissements de notre corpus et un relevé de toutes les grammaires et articles ne donnent que deux contre-exemples, tous deux cités par A.-M. Chanet (1999) : Hyp. Fr. 70 = Del. 4 et Is. 5, 70. Aucun des deux termes introducteurs n’a de fonction argumentale. Dans le premier exemple, la locution ἐν οἷς est employée, or on verra (7.3.4) qu’elle neutralise l’opposition entre relatives et interrogatives. Dans le second exemple, le verbe principal est πυνθάνοµαι qui est polysémique et appartient à la fois à la classe des rogatifs et des résolutifs (il est examiné en 9.2).

(1999 : 94) : [3.5]. Il faut d’abord noter que cette phrase pose des problèmes de texte, notamment quant à la place de δέ, qui varie selon les manuscrits.

Qui a le droit de faire de la poésie et par quel moyen ?

[3.5] Ὧι ἐξέστω καὶ µὴ δέ, τοῦτο νοµοθετησώµεθα. rel-DAT.M.SG être.permis-IMPE.3SG et nég ptc dém-ACC.N.SG légiférer-SUBJ.AOR.1PL

‘À qui cela doit être permis et à qui cela ne doit pas être permis, légiférons sur ce

point.’ (Pl. Lois, 935e)

Pour que cette phrase constitue un réel contre-exemple, il faut admettre que le relatif ᾧ est bien un datif masculin ‘à qui’, et non un instrumental neutre ‘avec quoi’ qui aurait pour « antécédent » le démonstratif neutre τοῦτο ‘cela’. Or, si le masculin est plus probable, il n’est pas fortement imposé par le contexte, puisque dans la phrase suivante on trouve deux datifs qui complètent l’impératif ἐξέστω ‘qu’il soit permis’ : le datif de la personne à qui on permet (ou en l’occurrence interdit), et le datif « instrumental » du moyen qu’elle peut ou non employer. Dans la suite [3.6], on discute à la fois les personnes qui sont autorisées à moquer les autres, et les moyens permis pour cela.

[3.6] Ποιητῇ δὴ κωµῳδίας ἤ τινος ἰάµβων ἢ µουσῶν µελῳδίας µὴ ἐξέστω µήτε λόγῳ µήτε εἰκόνι, µήτε θυµῷ µήτε ἄνευ θυµοῦ, µηδαµῶς µηδένα τῶν πολιτῶν κωµῳδεῖν. (…) Οἷς δ’ εἴρηται πρότερον ἐξουσίαν εἶναι περί του ποιεῖν, εἰς ἀλλήλους τούτοις ἄνευ θυµοῦ µὲν µετὰ παιδιᾶς ἐξέστω, σπουδῇ δὲ ἅµα καὶ θυµουµένοισιν µὴ ἐξέστω.

‘Que nul faiseur de comédie, de poésie iambique ou lyrique, n’ait donc licence soit en paroles, soit en gestes, soit avec colère, soit sans colère, de tourner en ridicule d’aucune façon aucun citoyen. (…) Quant à ceux à qui nous avons permis tout à l’heure de s’attaquer mutuellement dans leurs poèmes, ils auront le droit de le faire sans colère et par jeu, mais non pour de bon et avec rancœur.’ (Trad. A. Diès, C.U.F.)

De la même façon, le cas de la substantivation n’a qu’un contre-exemple connu et abondamment cité [3.7].

Il faut d’abord sauver les alliés d’Athènes de Philippe

[3.7] Τότε καὶ περὶ τοῦ τίνα τιµωρήσεταί τις alors et au.sujet.de art-GEN.N.SG int-ACC se. venger-IND.FUT.3SG indé-NOM καὶ ὃν τρόπον ἐξέσται σκοπεῖν.

et rel-ACC.M.SG manière-ACC.M.SG être.permis-IND.FUT examiner-INF.PST

‘Alors, il sera possible de réfléchir sur le problème de savoir de qui on se vengera et de quelle manière.’ (Dém. 3Ol. 2)

Mais ce dernier ne résiste pas à l’examen. En effet, le double καί va à l’encontre de l’interprétation de ὃν τρόπον comme une relative substantivée par τοῦ, car si la relative était

elle aussi sous la dépendance de l’article, le premier καί se trouverait entre τοῦ et τίνα. Cet argument ne tient pas si, comme le suggère F. Lambert (c. p.), le premier καί est adverbial.

Par ailleurs, un manuscrit (le Marcianus 416, du Xe siècle) donne, avec un texte certes un peu différent, περὶ τοῦ τίνα τρόπον τιµωρήσεταί τις ἐκεῖνον ‘au sujet de [la question de savoir] comment quelqu’un se vengera de cet homme’, ce qui est plus conforme au texte. La question n’est pas de savoir qui l’on doit châtier (Démosthène vient de dire que c’est Philippe), mais simplement la façon dont on va le faire.

Dans l’un ou l’autre cas, la substantivation de ὃν τρόπον est à rejeter. La seconde solution me semble cependant meilleure car, outre le fait que le Marcianus est un des meilleurs manuscrits, le sens du verbe σκοπέω ne relève pas de la sphère sémantique qui est sensible à la présence d’une subordonnée en ὅς (10.3).

Le subjonctif délibératif est bien attesté avec des interrogatifs ([3.8], [3.9]), et absent avec les relatifs (on en discute les deux seuls contre-exemples dans le chapitre consacré à ce mode (en 11.1.4.1)).

Αbradatas jure fidélité à Cyrus

[3.8] Οὐκ ἔχω τί µεῖζον εἴπω ἢ ὅτι (…) nég avoir-IND.PST.1SG int-ACC.N.SG grand-COMP.ACC.N.SG dire-SUBJ.AOR.1SG que que

litt. ‘Je n’ai pas que puis-je dire de plus que ...’

‘Je n’ai rien d’autre à te dire de mieux que …5 (X. Cyr. 6, 1, 48)

Philippe semble protéger Eschine

[3.9] Oὐκ ἔχω σκοπούµενος εὑρεῖν

nég avoir-IND.PST.1SG examiner-PART.PST.NOM.M.SG trouver-INF.AOR ὅ τι µεῖζον τούτου κατηγορήσω. ὅστις-ACC.N.SG grand-COMP.ACC.N.SG dém-GEN.N.SG accuser-SUBJ.AOR.1SG

‘Même à la réflexion, je n’arrive pas à trouver quelle accusation plus grande que cela je puis faire.’ (Dém. Ambassade, 134)

En revanche, on ne trouve pas de test syntaxique qui oppose τίς et ὅστις.

3.2.3.2. L’usage en question directe

Un bon argument supplémentaire pour les traiter sur le même plan nous est par ailleurs fourni par les questions directes. En grec, quand on se fait confirmer une question, on est

5

Telle qu’elle se présente, la traduction ne rend pas compte du fait que l’on a affaire à une subordonnée interrogative (voir 11.1.3 et 11.1.4).

obligé de la reprendre par une forme de ὅστις. On ne peut utiliser τίς que si l’on cite cette question6. Ainsi dans l’exemple [3.10].

[3.10] ΠΙΣΘΕΤΑΙΡΟΣ : Σὺ εἶ τίς ἀνδρῶν ; pro-NOM.2SG être-IND.PST.2SG int-NOM.SG homme-GEN.PL ΜΕΤΩΝ : Ὅστις εἴµ’ ἐγώ ;

ὅστις-NOM.SG être-IND.PST.1SG pro-NOM.1SG

‘Pisthétairos : Toi, qui es-tu (parmi les hommes) ? = Quel homme es-tu ?

Méton :[Tu demandes] quel homme je suis ?’ (Ar., Oiseaux, 997)

À l’inverse, la subordonnée en ὅς peut servir à répondre à une question : [3.11]. Il n’est donc pas très surprenant que les subordonnées en ὅς soient limitées aux verbes du type

savoir ou dire, qui sont plus dans la sphère de la réponse que de la question (prédicats

résolutifs).

[3.11] ΓΡΑΙΑ : Οὗτος δ’ ἐστὶ τίς ;

dém-NOM.M.SG ptc être-IND.PST.3SG int-NOM.M.SG

ΝΕΑΝΙΑΣ : Ὃς τοῖς νεκροῖσι ζωγραφεῖ τὰς ληκύθους. rel-NOM.M.SG art-DAT.M.PL mort-DAT.M.PL peindre-IND.PST.3SG art-ACC.F.PL vase-ACC.PL

‘La vieille : Cet homme, qui est-il ?

Le jeune homme : (l’homme) qui peint les vases funéraires.’

(Ar. Assemblée des femmes, 995)

Il apparaît donc bien que τίς et ὅστις relèvent des mêmes emplois, alors qu’ils semblent tous deux complémentaires de ὅς.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de différence entre τίς et ὅστις ? Certains en ont cherché une. Il faut d’abord dire que si différence il y a, elle se fait au sein des emplois dont

ὅς est exclu. Elle ne remet donc pas en question les résultats que l’on vient d’obtenir.

3.2.3.3. Une différence entre ὅστις et τίς dans les subordonnées

interrogatives ?

P. Monteil (1963 : 154-158) cherche une « ligne de démarcation fonctionnelle » entre

τίς et ὅστις, et finit par conclure que « dès qu’il apparaît dans l’emploi interrogatif indirect τίς,

beaucoup plus rare que ὅστις 7, n’en diffère plus en fonction ». La seule hypothèse qu’il avance est une différence stylistique, mais avec beaucoup de contre-exemples. Quand τίς et

6

Voir Biraud et Mellet (2000 : 13-14 et les notes 9 et 10). Elles montrent que la différence entre une reprise par le pronom direct et par le pronom indirect n’est pas anodine. Avec le pronom direct, on a affaire à une répétition du propos de l’interlocuteur ; avec le pronom indirect à une reformulation.

7 Il montre en effet que la genèse de cet emploi est différente pour chacun des deux, et que Óstij est premier chronologiquement dans cet emploi d’interrogatif indirect. T…j est plus rare pour la période dont s’occupe Monteil (d’Homère au Ve siècle), mais il n’y a plus de distinction de fréquence au IVe siècle.

ὅστις sont coordonnés, τίς viendrait en général en second. Il marquerait la croissance de

l’émotion, avec un retour vers l’interrogative directe. Syntaxiquement, le premier élément ὅσ- de ὅστις marquerait la subordination. Par économie, il ne serait plus nécessaire de répéter cet élément dans les autres subordonnées interrogatives. Les exemples sont cependant trop peu nombreux pour conclure.

De son côté, C. J. Ruijgh (1971 : 327) affirme qu’« au lieu du relatif indéfini [ὅστις], l’interrogatif [τίς] s’emploie si on veut souligner la notion inconnue : en principe, τίς représente un ‘qui’ plus fort que ὅς τις ». Il y aurait donc une échelle sur laquelle l’indéfinition (ὅστις) serait plus faible que l’ignorance (τίς). On essaie de rendre compte de cette intuition en 6.4, et notamment en 6.4.3.3 en termes d’intensionalité. On y explique pourquoi ὅστις et τίς sont neutralisés dans ces contextes.

3.3. L’enseignement de la morphologie : ὅστις et les