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Les défis que se propose de relever la théorie des SMCs sont les suivants : a. La structure plate [SD SX28] est-elle la bonne ?

b. Comment expliquer qu’une structure aussi minimale que [Mary clever] en [1.65] exprime une proposition ?

c. Quel est le lien exact entre les deux termes ?

d. Dans quelle mesure cette structure se retrouve-t-elle ailleurs ?

La réponse à la question a. remonte à un débat du début des années 1980. Pour Williams (1980 ; 1983), le SN est dans la matrice, et entretient un rapport de prédication avec le SV/SA/SD inférieur, tel qu’il le définit, c’est-à-dire un rapport de coindexation. Nous laisserons cette théorie de côté car elle ne rend pas compte de la constituance de la phrase.

Pour Stowell (1981) (qui se fonde sur des analyses de Jespersen de type nexus), la structure est [SN SX], ce qu’il appelle une SMC.

Mais alors, où ces syntagmes ont-ils reçu leur cas nominatif ? On peut le voir comme un cas par défaut, mais il est clair que ce problème nécessite de plus amples recherches.

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Quelle que soit la théorie adoptée, elle suppose toujours que toutes les SMCs ont la même structure.

En ce qui nous concerne, la question est de savoir si le fait que nos structures prolepsées contiennent une proposition font d’elles des SC. C’est-à-dire si la structure est [SC SD C’], ou si l’on a affaire à autre chose du type [SX (X) SD (X) SC], où le X reste à déterminer. Ce qu’on a vu ci-dessus nous fait déjà écarter [SC SD C’] (1.2.2.4). Reste à trouver ce qu’est ce X : la réponse à la question d. devrait nous y aider.

Répondre à ces questions devrait aussi nous permettre d’expliciter le rapport que le SD en tête de syntagme entretient avec la matrice. Pour cela nous examinons les différentes propositions. Pour les unes les SMCs sont des SC dont certains éléments sont muets. Pour les autres, il faut prendre acte de l’incomplétude de ce qu’on voit et proposer une structure réduite.

1.2.4.1. Pro-SC

Un premier groupe de linguistes est partisan d’une structure complète, c’est-à-dire avec un C (exprimé ou non). Voici leurs arguments :

La présence d’éléments tel que comme (as/for en anglais), qui servent de C par ailleurs. Starke (1995) propose cet argument, le pondère cependant de la remarque que la structure complète est présente, mais reste vide.

Grohman (2001) est, lui, amené à enrichir la structure dans son cadre syntaxique propre de l’antilocalité. Comme un mouvement ne peut avoir lieu dans un domaine trop proche, il faut supposer que, quand le SD monte dans la matrice pour aller chercher son accord, il sort d’une structure riche.

Finalement, les propositions qui visent à faire des SMCs des SCs sont dues à la volonté d’unifier la structure des différents types de propositions syntaxiques. On trouve également des positions nuancées comme celle de Contreras (1995), pour qui les structures [SD SA/SV] sont des SCs, mais pas les structures [SD SD/SP]. Sa démonstration, qui se fonde sur l’accessibilité de la proposition aux pronoms réfléchis, est cependant faussée par l’emploi dans ses exemples de pronoms tantôt réfléchis, tantôt réciproques.

1.2.4.2. Anti-SC

Les arguments en faveur d’une structure allégée ont plus de poids : la proposition enchâssée reçoit son temps de la principale (Guéron & Hoekstra (1995)) ; la négation doit être lexicale plutôt que propositionnelle (pour les langues qui font cette distinction). Ainsi si on veut nier [1.66] il n’est pas possible de le faire au moyen de pas comme en [1.67]. On est obligé d’utiliser [1.68].

[1.66] Je trouve cela agréable.

[1.67] *Je trouve cela pas agréable.

[1.68] Je trouve cela dés-agréable.

Pour l’interprétation sémantique d’une telle structure, on peut songer à la relation

sémantique minimale de Lemaréchal (1997 : 102) le « degré zéro de la relation » (voir aussi

(1997 : 152-153)).

Soit un segment et, dans ce segment, deux segments constituants du premier, sachant que l’ensemble ainsi constitué est “bien formé” dans la langue considérée. Ce que nous appellerons “relation minimale” n’a aucun signifiant qui indiquerait qu’il y ait une relation entre les deux éléments, sauf le fait qu’on ait un segment plus large englobant ces deux éléments : ainsi le signifiant est la simple cooccurrence de deux segments comme constituants d’un plus grand. Quand au signifié, c’est seulement : “il y a une relation, on ne sait pas laquelle, entre les deux segments englobés par le plus grand”. (Lemaréchal (1997 : 102))

Depuis lors, les partisans de la théorie de Stowell ont été bien plus nombreux que ceux de la théorie de Williams. Il s’est agi de raffiner la structure interne. Un des enjeux est de savoir quel genre de proposition est exprimé par une structure aussi minime que [SD SX]. Il s’agit là de répondre aux questions b. et c. Pour certains, le fait qu’il n’y ait pas de marqueur de temps, par exemple, en fait l’expression d’une situation ou d’un événement, bref d’une entité du deuxième ordre. Pour d’autres, il faut y voir une proposition complète, dont seulement certains éléments sont exprimés.

Aarts (1992 : 45) constate également les difficultés qu’il y a à considérer les SMCs comme des SC. Néanmoins, les tests qu’il propose et que nous reproduisons ici en [1.69] et [1.70] tendent à montrer que les SMCs sont des propositions sémantiques. Sa démonstration se fonde sur l’hypothèse que l’adverbe de modalité épistémique probably modifie un contenu propositionnel. [1.69] peut être glosée par [1.70], où probably porte sur le SV. Cela garantit donc que le complément de found a une interprétation propositionnelle.

[1.69] I must admit that I have found [these summer international schools probably the most rewarding part of my work].

[1.70] I must admit that I have probably found [these summer international schools the most rewarding part of my work].

Cela est confirmé par Basilico (2003), et permet d’écarter l’hypothèse SC. Basilico (2003 : 10-13) montre très bien que dans une SMCs on peut trouver un rapport topique/focus, sans pour autant avoir un SC. Cela va dans le sens de Sauzet (1989 : 245) pour qui « la topicalisation est une prédication ».

La conclusion est donc qu’une SMC est un ST, permettant ainsi de combiner sa nature propositionnelle et l’absence de C.

1.2.4.3. Une approche polymorphe

Nous appelons approches polymorphes les approches qui considèrent que l’on ne peut attribuer un seul type aux SMCs.

Dans un cadre minimaliste, Lundin (2003 : 52-56) affine cette approche. Selon elle, les SMCs sont des Sv (Sa, Sp, Sd, en fonction de la nature du prédicat). Les v, a, p, d portent un trait τ, c’est-à-dire temporel, qui n’est pas vérifié, puisque le temps de la SMC est dépendant de celui de la matrice. C’est le SD « sujet » de la SMC qui est chargé, en se déplaçant en haut de la SMC, de vérifier les traits φ [traits nominaux] (avec le prédicat enchâssé) et le trait τ (avec le verbe de la matrice). C’est cette position à l’interface entre matrice et SMC qui est similaire à celle que l’on a dans le cas de la prolepse. C’est le moyen le plus élégant de rendre compte de la double fonction dans la matrice et la subordonnée, sans se pencher sur le problème des thêta-rôles. Le cas est inséré directement dans le Sv.

Toutefois, cela est difficilement applicable à notre problème. En effet, on a montré que la prolepse n’était pas issue d’un mouvement. En outre, la subordonnée est, dans le cas de la prolepse, une proposition finie. La motivation du mouvement pour une vérification d’un trait temporel ininterprétable dans la subordonnée ne peut donc pas jouer. Nous laisserons donc cette proposition de côté.

Au vu de cette variété d’analyses, on se rend compte que les SMCs ne peuvent pas être des SC, mais qu’elles sont des objets polymorphes, équivalant à un événement ou une proposition (avec un verbe considérer, trouver), voire un acte de langage, ce qui est plus discutable. Cela ne résout pas pour autant le problème du rapport entre le SD et son prédicat.

1.2.4.4. Confrontation avec la prolepse

Dans cette section nous tentons d’expliquer le rapport entre le SD et son prédicat, que ce soit dans une SMC ou dans une structure à prolepse. Pour cela nous généralisons la structure proposée dans Rafel (2001) et qu’il appelle Complex Small Clause (CSCl).

Cette structure est la suivante : [SY SDi [Y [SX PROi [X ]]]]. Elle dit que le rapport entre le SD et le SX a pour intermédiaire une tête Y. Elle indique également qu’il y a deux prédications, une en interne et une en externe, ce qui correspond bien à la structure de la prolepse [SD SC [SD T’]]. La prédication qui nous intéresse est la prédication externe, qui, selon les principes vus en introduction, et rappelés par le test de Aarts avec l’adverbe

verbe qui l’introduit. Comme on l’a vu, il s’agira plutôt d’une proposition, puisque les verbes qui introduisent des prolepses sélectionnent des propositions.

Cette structure a l’avantage de faire l’économie de catégories vides. La seule à supposer est la tête Y qui est parfois réalisée sous la forme d’un as/for en anglais, d’un comme en français, d’un ὡς en grec. Elle correspond à une structure prédicative (mise en rapport de deux constituants). Elle permet d’éviter le problème d’accessibilité du SD depuis la matrice.

La tête Y est une tête nominalisatrice, au sens où c’est elle qui assure l’intégration de la subordonnée dans la matrice, et surtout qui lui permet d’occuper une place argumentale, réservée aux SD. C’est du reste le principe sur lequel s’appuient les grammaires puisqu’elles parlent souvent de « propositions substantives » (voir l’article de Boone (1994) « La complétive : un cas de nominalisation externe ? » et 1.1).

On peut se pencher sur deux problèmes que résout la structure que l’on propose : le marquage en cas et le choix entre réfléchi et pronom anaphorique. En effet, ces deux éléments conduisent à penser que les SD/pronoms sont directement accessibles au verbe de la matrice. C’est notamment un des arguments de Grohman (2001) pour sa structure.

Le marquage en cas du SD en tête de structure est un effet de la diffusion du cas (proposition de Christol (1989), voir 1.2.2.3). Dans le syntagme à prolepse/la SMC [SY SDi [Y [SX proi [X ]]]], c’est la tête Y qui est marquée en cas par le verbe de la matrice. Puis le cas se diffuse sur les autres éléments du syntagme (voir p. 99). On passe donc de l’explication proposée en [1.71] à [1.72]. En [1.72]29, le cas se porte donc sur la tête Y, puis se diffuse sur l’ensemble des sous-constituants du syntagme SY. Enfin, dans une dernière étape, on élimine le marquage des éléments qui ne peuvent être marqués en cas. C’est cela que symbolisent les parenthèses à la dernière étape. Par exemple un C ne peut pas recevoir de cas. Cela a toutefois été invoqué pour ὅτι en grec, car il s’agit d’une ancienne forme d’accusatif neutre. Mais, outre le fait que la forme est désormais figée, le genre et le nombre ne sont pas commandés par ceux du SN. L’ancien cas de ὅτι est d’ailleurs désormais contingent, car on ne peut l’invoquer pour les autres C comme ὡς.

[1.71] [V [S’ SN [S ]]acc]  [ S’ SNacc [S ]]]

[1.72] [SY SNi [Yacc [SX proi [X ]]]]  [SY SNacci [Y [SX proi [Xacc ]]]]  [ SY SNacci [Y [SX proi [X(acc) ]]]]

L’autre point est celui du pronom réfléchi. En [1.73] l’élément prolepsé est coréférent avec le sujet du verbe matrice et il est un pronom réfléchi30. Cela confirme une fois de plus que la limite gauche du syntagme à prolepse n’est pas une barrière et que le verbe de la matrice peut s’introduire dans le SY.

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Nous prenons ici l’exemple de l’accusatif, mais il peut aussi s’agir du génitif.

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Strepsiade envoie son fils Phidippidès chez Socrate pour s’instruire

[1.73] Γνώσει δὲ σαυτὸν 31 ὡς ἀµαθὴς εἶ καὶ παχύς.

savoir-IND.FUT.2SG ptc réfl-ACC.M.2SG que ignorant-NOM.M.SG être-IND.PST.2SG et épais-NOM.M.SG

‘Tu sauras que, toi, tu es ignorant et mal dégrossi.’ (Ar. Nuées, 842)

Notons cependant que la syntaxe du réfléchi en grec classique est mal connue32, et qu’elle est obscurcie par l’existence, à l’état de vestige ou encore bien vivant, en fonction des personnes grammaticales, d’un pronom dit « réfléchi indirect ». Ainsi le verbe κελεύω ‘ordonner’ est suivi d’une infinitive qui peut contenir un pronom renvoyant au sujet de ce verbe. Dans ce cas-là, à la troisième personne, on trouve, avec une égale fréquence, le pronom anaphorique [1.74], le réfléchi [1.75] et [1.76], et le « réfléchi indirect » [1.77].

Cyrus essaie de regrouper le plus grand nombre d’hommes

[1.74] Τοὺς φυγάδας ἐκέλευσεi σὺν αὐτῷi στρατεύεσθαι.

art-ACC.M.PL banni-ACC.M.PL ordonner-IND.AOR.3SG avec pro-DAT.M.SG faire.campagne-INF.PST

‘Ili ordonna aux bannis de faire campagne avec luii.’ (X. An. 1, 2, 2)

Une fois les Grecs arrivés dans les villages d’Arménie, Polycrate veut partir piller

[1.75] Πολυκράτηςi (…) ἐκέλευσεν ἀφιέναι ἑαυτόνi.

Polycratès-NOM ordonner-IND.AOR.3SG laisser-INF.PST réfl-ACC.M.SG

‘Polycratèsi ordonna qu’on lei laisse faire.’ (X. An. 4, 5, 24)

Après avoir fait passer le Danube à ses troupes

[1.76] ∆αρεῖοςi ἐκέλευσε τούς Ἴωνας τὴν σχεδίην

Darius-NOM ordonner-IND.AOR.3SG art-ACC.M.PL Ionien-ACC.PL art-ACC.F.SG pont.mobile-ACC.SG λύσαντας ἕπεσθαι κατ’ ἤπειρον ἑωυτῷi.

délier-PART.AOR.ACC.M.PL suivre-INF.PST sur continent-ACC réfl-DAT.M.SG

‘Dariusi ordonna que les Ioniens rompissent le pont (de bateaux) et lei suivissent sur le

continent.’ (Hdt, 4, 97)

Xénophon renforce ses troupes avant de partir à l’assaut d’une colline

[1.77] Κελεύειi οἱi συµπέµψαι

ordonner-IND.PST.3SG réfl.indirect-DAT envoyer.avec-INF.AOR ἀπὸ τοῦ στόµατος ἄνδρας.

depuis art-GEN.N.SG bouche-GEN.SG homme-ACC.PL

‘Il ordonne que l’on envoie avec lui des hommes du front.’ (X. An. 3, 4, 42)

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C. de Lamberterie nous fait observer la proximité de ce passage avec la célèbre formule γνῶθι σεαυτόν. Le jeu littéraire est évident.

32 On trouvera néanmoins des éléments dans Petit (1999), bien que ce livre s’intéresse surtout au simple ἕ, οὗ etc. attesté comme réfléchi à la période archaïque, et qu’il soit tourné vers la grammaire comparée des langues indo-européennes.

En revanche, aux première et deuxième personnes, c’est le pronom personnel non réfléchi qui est utilisé [1.78], à de rares exceptions près [1.79]. Ce problème est bien trop complexe pour qu’on l’aborde ici, nous le laissons donc de côté.

Un personnage cherche son manteau

[1.78] Οὐδὲ τὴν γυναῖκ’ ἐκέλευσάς σοι φράσαι ; pas.même art-ACC.F.SG femme-ACC.SG ordonner-IND.AOR.2SG pro-DAT.2SG indiquer-INF.AOR

‘Tu n’as même pas ordonné à ta femme de te l’indiquer ?’

(Ar. Assemblées des femmes, 335)

Polos se prétend aussi fort que Gorgias

[1.79] Οὐκοῦν καὶ σὺ κελεύεις σαυτὸν ἐρωτᾶν (…) ; ne.pas.donc aussi pro-NOM.2SG ordonner-IND.PST.2SG réfl-ACC.M.2SG interroger-INF.PST

‘Est-ce que toi aussi tu invites (les gens) à t’interroger ?’ (Pl. Gorgias, 462a)

Une proposition à prolepse aura dans la structure suivante [1.80] et Figure 1.6. Nous revenons en conclusion sur le rôle de la tête Y et le rapport de cette structure avec ce qu’on a dégagé pour les complétives du grec en 1.1.

[1.80] [SY SDacci [Y [SC [C proi]]]]

Figure 1.6 : la structure des propositions subordonnées du grec (version 1)