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SUBORDONNEES INTERROGATIVES

Chapitre 4. La syntaxe des interrogatives

4.2. Une théorie pour les relatives en grec

Avant d’examiner les relatives qui nous intéressent particulièrement, arrêtons-nous un instant sur la théorie qui est propre à expliquer les relatives restrictives « ordinaires » du grec. Il existe trois théories5 : la théorie de l’adjonction de la relative au nom ; celle où le nom est généré dans la relative et en est extrait par dérivation ; celle du matching (le nom ‘antécédent’ est aussi présent dans la subordonnée et est supprimé, en raison de la présence de ce nom extérieur). Chacune rencontre des obstacles théoriques d’une part6, et avec les données du grec, d’autre part.

4.2.1. Adjonction de la relative à un nom

Il s’agit de la théorie la plus ancienne. On en trouve des développements intéressants dans Touratier (1980a) et Lehmann (1984). On préfère ici Lehmann (cf. p. 78 où l’on décrit le processus d’abstraction sur la proposition qui produit une propriété). La relative est traitée comme un adjectif. Cela donne pour [4.23] la même parenthétisation que pour [4.22].

[4.22] Le [gentil [chien]].

[4.23] Le [[chien] qui court].

Cette théorie rencontre néanmoins plusieurs obstacles. Le premier est celui de la médiation du relatif. En effet, le relatif abstrait sur un élément de type e et non de type <e, t>. Il faut donc que l’antécédent instancie un individu et non une propriété. Or le parenthésage

5 La monographie de Monteil (1963) ne peut malheureusement pas nous aider car elle est centrée sur le sémantisme des termes introducteurs, plutôt que sur la syntaxe des relatives.

6 Ceux-ci ont été très bien analysés dans le premier chapitre de Salzman (2006), auquel nous reprenons plusieurs analyses. Nous renvoyons le lecteur à ce travail et à la bibliographie qu’il contient pour plus d’informations sur les relatives à antécédent. Voir aussi Kleiber (1987) et de Vries (2002).

proposé instaure un lien entre chien et court, alors que le sujet de court n’est pas le N ou le SN chien, mais le SD le chien. Si l’on propose une structure comme [4.24], on tombe sur une structure qui est celle des appositives, et qui ne permet plus de dériver le sens. Le SD global désigne un individu qui a la double propriété d’être un chien et de courir. Mais il peut y avoir d’autres chiens avec d’autres propriétés dans le contexte. Dans la structure [4.24], « qui court » est la propriété de l’unique individu qui est un chien dans le contexte, ce qui n’est pas le sens.

[4.24] [Le chien] [qui court].

Bach et Cooper (1978) proposent de résoudre le problème en postulant une restriction de propriété attachée à tout SN (à ce stade théorique, le SD n’avait pas encore été proposé). Pour montrer le besoin de cette propriété, ils s’appuient sur les corrélatives en hittite, structures qui existent aussi en grec. Il s’agit de structure que l’on peut gloser en français : « [quel homme est venu]i, [chaque homme]i est gentil ». Le SD chaque homme ne renvoie pas à l’ensemble de l’humanité, mais seulement au sous-ensemble des hommes qui sont venus. Il y a donc une restriction sur l’extension de chaque homme qui n’est cependant pas indiquée dans le SD lui-même, mais par un syntagme qui lui est extérieur : la corrélative7. Il faut intégrer à l’intension du SD la propriété supplémentaire « étant venu ». Comme syntaxiquement, la corrélative ne forme pas un constituant avec chaque homme, il faut supposer que le SD chaque homme (et les SD en général) autorise dans sa dénotation une précision, apportée dans l’exemple par la corrélative, mais qui peut aussi être apportée contextuellement. Appelons avec Bach et Cooper (1978) cette précision R. Un SD est donc maintenant une fonction qui prend une propriété et retourne un individu : <<e, t>, e>8.

Si maintenant on revient à notre exemple [4.24], la corrélative peut être vue comme une propriété instanciant cette variable R.

[[Le chien]] = λR<e, t>.[ιx(chien(x) ∧ R(x))]9 (l’ensemble des propriétés du chien) [[qui court]] = λxe.[courir(x)] (l’ensemble des individus qui courent)

[[Le chien qui court]] = λR<e, t>.[ιx(chien(x) ∧ R(x))] (λye.[courir(y)]) → [ιx(chien(x) ∧

λye.[courir(y)] (x)] → [ιx(chien(x) ∧ [courir(x)] (l’individu unique qui se trouve avoir les propriétés d’être un chien et de courir)

La structure syntaxique des relatives restrictives et appositives reste [4.24]. On adopte la proposition sémantique de Bach et Cooper (1978) et on l’adapte à la structure que l’on propose pour distinguer restrictive et appositive (4.7.2 et Figure 4.4).

7 Dayal (1996) avance un argument qui va dans le même sens : dans celui qui est venu, celui n’est pas un proSN, mais un proSD. Dans ce cas-là, la composition sémantique ne serait pas non plus directement déductible de la composition syntaxique.

8 En réalité, si l’on adopte la théorie des quantificateurs généralisés, le type est <<e, t>, <<e, t>, t>>.

9 L’opérateur iota est le reflet de l’article défini singulier en langue naturelle (voir Partee (1987) pour discussion).

Un autre obstacle, du moins en grec, est que cette structure ne rend pas compte des nombreuses relatives où le nom est placé dans la subordonnée (que l’on peut nommer à tête interne, mais c’est déjà prendre parti sur la structure). [4.25] en donne un exemple.

Kallikratidas, le nouveau général spartiate, se prépare à se porter à la rencontre des Athéniens

[4.25] Αὐτὸς ὁ Καλλικρατίδας πρὸς αἷςi παρὰ Λυσάνδρου

pro-NOM.M.SG art-NOM.M.SG K-NOM vers rel-DAT.F.PL auprès.de L-GEN ἔλαβε __i ναυσὶ προσεπλήρωσεν (…) πεντήκοντα ναῦς.

prendre-IND.AOR.3SG bateau-DAT.PL armer-IND.AOR.3SG 50 bateau-ACC.PL

‘Kallikratidas lui-même, outre les navires qu’il avait reçus de Lysandre, en arma cinquante autres.’ (X. Hell. 1, 6, 3)

Dans les grammaires traditionnelles, un point est en suspens : est-ce le nom qui est déplacé dans la relative ou la relative qui vient « englober » le nom ? Dans les deux cas, la motivation est de mettre en avant l’information portée par la relative, plutôt que le nom. La relative est alors dite ‘substantivée’. On a affaire, en somme, à une relative libre, dont le relatif n’est pas un simple pronom, mais le déterminant d’un syntagme plus complexe.

Il est difficile d’accepter le déplacement du nom dans la relative, car il n’est régi par aucune règle, suppose une dérivation par mouvement vers la droite, et dans le cas où le nom « descend » dans la relative, il faut justifier son cas, qui est tantôt celui de la matrice, tantôt celui de la subordonnée, selon la même hiérarchie que celle de l’attraction (voir ci-dessous génitif > datif > accusatif > nominatif). Faire descendre le nom dans la relative impose qu’il ait reçu un cas et un article dans la matrice, que cet article soit supprimé, et que le cas soit remplacé par un autre. Même si l’on admet cela, cela contrevient au moins dans un cas à une règle du grec que l’on va voir plus tard : dans certains cas, un génitif serait effacé au profit d’un accusatif, ce qui est rigoureusement proscrit si l’on suit la hiérarchie de la prééminence des cas les uns sur les autres. Ainsi en [4.26], la phrase serait dérivée de … τῆς τροπῆς τῶν

νεῶν [bateau-GEN.PL] … ‘la déroute des bateaux qu’ils ont détruit, près du continent’10.

Après une bataille autour de Naupacte, les deux armées crient victoire

[4.26] Ἔστησαν καὶ οἱ Πελοποννήσιοι τροπαῖον dresser-IND.AOR.3PL aussi art-NOM.M.PL Péloponnésien-NOM.PL trophée-ACC.SG ὡς νενικηκότες τῆς τροπῆς,

comme.si vaincre-PART.PFT.NOM.M.PL art-GEN.F.SG déroute-GEN.SG

ἃςi πρὸς τῇ γῇ διέφθειραν __i ναῦς.

rel-ACC.F.PL du.côté.de art-DAT.F.SG terre-DAT.SG détruire-IND.AOR.3PL bateau-ACC.PL

‘Les Péloponnésiens aussi, comme s’ils avaient vaincu, dressèrent un trophée à la victoire sur les bateaux qu’ils avaient détruits près de la terre.’ (Th. 2, 92, 5)

Un élément est resté jusqu’à présent peu étudié dans la littérature sur la question : quand le nom est dans la subordonnée, il est presque toujours en dernière position (voir cependant Bakker (2007 : 80-83 et 268-270)). On verra plus tard les implications que cela a sur leur dérivation (section 4.5.2.3).

4.2.2. Génération du nom dans la relative

La deuxième théorie propose un mouvement inverse à la première. Le nom est généré dans la relative et « promu » en tête. Cela permet d’expliquer sans difficulté les cas où le nom est dans la relative, avec des cas d’attractions casuelles facultatives.

Quand le nom est à l’extérieur, il faut supposer une dérivation du type :

[4.27] a. Tu as construit [quelle [maison]j]i. b. [Quelle [maison]j]i tu as construit [ _]i. c. La [[quelle [maison]j]i tu as construit [ _]i].

d. [La [maison]j] [[que [ _ ]j ]i tu as construit(e) [ _]i].

[4.28] J’habite la maison que tu as construite.

Du point de vue de la théorie générativiste, extraire le nom à ce moment de la dérivation pose un problème, car il s’agit d’un mouvement contrecyclique11 si l’on considère que l’arbre doit toujours s’étendre par la racine et que c’est l’article qui déclenche la montée du syntagme relatif. Mais on peut aussi considérer, comme nous l’avons fait en [4.27]a-d, que la montée précède l’adjonction de l’article.

En outre, cela pose à nouveau un problème de cas, si celui-ci est différent dans la subordonnée et dans la matrice (Rijksbaron (1981 : 253)). Ce problème disparaît si l’on accepte que le terme peut être introduit fléchi dans l’arbre. Sa montée a alors pour motivation supplémentaire la vérification de son cas. Mais cette question reste controversée.

Un problème plus important est posé par la constituance. En effet, souvent, et encore plus en grec, la relative est très loin du SD auquel elle se rapporte. Voir [4.29], où la traduction française a dû couper la phrase et reprendre avec un pronom l’.

[4.29] Οὔκουν ἀπιστεῖν εἰκός, οὐδὲ τὰς ὄψεις τῶν πόλεων µᾶλλον σκοπεῖν ἢ τὰς δυνάµεις, νοµίζειν δὲ τὴν στρατείαν ἐκείνην µεγίστην µὲν γενέσθαι τῶν πρὸ αὑτῆς, λειποµένην δὲ τῶν