Partie I — Contexte, théorisation
Chapitre 2 -‐ La parenté et le don, constructions anthropologiques et actualités des champs
1. Tiers et technologies médicales de la reproduction dans la parenté
Intuitivement, on saisit bien que l’intervention de tiers dans la procréation – médical et aidant biologique ou génétique – peut contrevenir aux attendus majoritaires de la parenté occidentale (i.e. un géniteur et une génitrice sont tenus pour les parents d’un individu). Néanmoins, il peut apparaître utile d’expliciter en quoi c’est le cas. D’autant, que, plus généralement, le développement des technologies médicales de la reproduction (TR) a cristallisé un renouveau des manières de penser et d’étudier la parenté dans le champ de la socio-‐anthropologie anglo-‐saxonne. En effet, le courant des « nouvelles études sur la parenté » (new kinship studies) émerge dans les années 1990. Le renouveau du champ est dynamisé par l’analyse des réponses sociales, culturelles, légales et éthiques aux technologies médicales de la reproduction (TR) qui se sont développées, ces quarante dernières années, dans le monde occidental. Les fondateurs de ce mouvement culturaliste, essentiellement anglo-‐saxon, s’inscrivent dans la continuité de Schneider (1968 ; 1984) et de sa critique radicale des travaux de l’anthropologie sociale et culturelle de la parenté lui précédant. À savoir, les ethnographes et anthropologues occidentaux auraient imposé jusqu’alors les catégories de pensée ontologiques49 propres à leur culture à l’ensemble des autres. Cette impulsion critique est emblématique d’un tournant réflexif de l’anthropologie, dans les années 1970, via des approches herméneutiques (Geertz, 1973, cité in Franklin & Mckinnon, 2001), invitant à considérer les catégories émiques de la parenté (« du dedans », et non plus seulement étiques, posées en extériorité). Dans ce même élan, le versant anglo-‐saxon du champ se refonde, au travers de ces « nouvelles études sur la parenté », en se saisissant de la survenue et de la diffusion des TR. Une « prolifération anthropologique » (Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008) accompagne leur expansion : elles sont conçues comme explicitant les spécificités de la parenté euraméricaine, en en destituant le statut d’évidence. Ainsi, nous traitons ici autant la question de ce que « font » les TR aux conceptions de la parenté occidentale que de ce qu’elles révèlent et cristallisent de ses aspects ordinairement taken-‐for-‐granted (fondée en nature, produisant des individus et impliquant exclusivement un père et une mère).
1.1. Nature
Avec l’expansion des TR, le courant culturaliste de l’anthropologie de la parenté anglo-‐saxonne investit « l’idée de nature » comme objet de recherche. Strathern (1992) continue les travaux de Schneider. Elle les déborde en historicisant le rapport à la nature par son étude de l’évolution de la parenté britannique au regard, notamment, des TR. Ces dernières réitèrent, en quelque sorte spécifiquement pour la parenté, une évolution épistémologique datée de la fin de l’époque moderne, selon laquelle « nature no longer provides a model or analogy for the very idea of context » (1992, p. 195, citée in Franklin & McKinnon, 2001).
Évoquons brièvement ici le fait qu’un aboutissement des plus récents d’un structuralisme rénové consiste en le travail d’anthropologie comparée de Descola (2005). Celui-‐ci le conduit à démontrer la
49 Schneider (1968) conclut que, dans la parenté américaine (mais plus largement euraméricaine), ce qui fonde le modèle
de parenté, ce sont les relations sexuelles d’un homme géniteur et d’une femme génitrice, et donc, la transmission de matériel biogénétique (symbolisé par le « sang », et, plus récemment, les « gènes » ; cf. Porqueres & Wilgaux, 2009). Ainsi, au sein du modèle de parenté euraméricain, les relations de sang (« by blood ») prévalent sur les relations par l’alliance (« by law »), les premières étant perçues comme indéfectibles (« Blood is thicker than water »). Selon Schneider, ce modèle « biocentré » (« de la bilatéralité exclusive » ; cf. Déchaux, 2007, pp. 84-‐90) régnant dans l’aire euraméricaine aurait masqué, aux anthropologues de tradition anglo-‐saxonne, la parenté comme construction culturelle.
particularité de la dualité nature-‐culture occidentale au sein d’autres cosmologies ne considérant pas cette distinction. L’ontologie moderne occidentale, qu’il nomme « naturaliste », n’est ainsi qu’une option parmi d’autres (animiste, totémiste, analogiste). L’auteur propose de la sorte quatre schèmes de pensée distribuant l’identification des humains aux non-‐humains, selon la ressemblance ou la différence des intériorités et des physicalités. Le naturalisme opère d’une continuité des physicalités entre humains et non-‐humains et d’une rupture des intériorités. Ce faisant, et c’est sa « ruse suprême », son découpage des entités du monde apparaît, comme pour les autres découpages, comme des évidences spontanées aux yeux de ceux qui s’en servent comme principe de schématisation de l’expérience. Mais, de surcroît, le naturalisme « subordonne la société humaine et ses contingences culturelles à l’universalité des lois de la nature » (Descola, 2005, p. 278). Le naturalisme expose, c’est sa spécificité et l’imparable de son argumentaire, ses évidences comme fondées en nature.
Or l’intervention des technologies sur « la vie même » par les TR contribue à la déstabilisation de ce qui était tenu pour les soubassements immuables d’une nature donnée. La nature perd son rôle de fondement, à mesure que se développe la perception croissante d’une nature malléable, manipulable, et ayant, de plus, fréquemment besoin « d’un coup de main » (Franklin, 1997, p. 97, citée in Edwards, 2009b). L’un des apports reconnus majeurs de Strathern réside ainsi en l’analyse des manières dont les TR explicitent des composants ‘sociaux’ et ‘biologiques’ de la parenté, ou floutent l’intersection nature-‐culture telle qu’elle était précédemment considérée50 (Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008). De sorte que le concept de « kinship » (dont le terme recouvre en anglais à la fois les notions de parenté et de consanguinité) s’élargit pour rendre justice aux « nouvelles » données ethnographiques, à l’aide du concept d’apparentement (relatedness), dissocié de l’idée de procréation51 (Carsten, 2000 ; Edwards, 2000 ; Konrad, 2005 ; Thompson, 2005).
Par le recours aux technologies organisant une procréation sans sexualité, le coït perd « son rôle légitimateur central » de la parenté par le sang. Il le perd « doublement » lors du recours conjoint à des gamètes ou à des embryons initialement tiers (dissociant la procréation en en multipliant les protagonistes, voir infra) (Déchaux, 2014). Les TR introduisent ainsi une incertitude et des ambiguïtés dans les relations de parenté, en étant déconstructives des catégories de père et mères (Delaisi de Parseval & Collard, 2007). Le « parent biologique » émerge comme catégorie séparée (Strathern, 1992). Fait inédit, cette dernière peut être également déconstruite, puisque jusqu’à trois femmes peuvent être impliquées dans l’engendrement de l’enfant par GPA (maternités génétique, gestatrice, d’intention). « Il n’y a en effet pas d’équivalent ethnographique à une maternité de substitution seulement gestationnelle, nos sociétés modernes ayant totalement bouleversé la donne procréative avec l’invention de la FIV » (Delaisi de Parseval & Collard, 2007, p. 33). Pour autant, ces recours aux TR sont interprétés comme un attachement aux notions de parenté biologiquement basées. Des auteurs notent que le premier mouvement de beaucoup de couples infertiles est de rechercher à concevoir un enfant avec lequel ils auront « un lien de sang », en s’attachant d’abord aux pratiques de manipulations technologiques de leurs propres gamètes (cf. pour la GPA, Ragoné, 1996, citée in
50 Strathern (1992, pp. 27-‐28) le note de la sorte : « ARTs have created a new convention, the distinction between social
and biological parenting, out of an old one, kinship as the social construction of natural facts ».
51 « I use ‘relatedness’ to convey, however unsatisfactorily, a move away from a pre-‐given analytic opposition between the
biological and the social on which much anthropological study on kinship has rested. (…) ‘Relatedness’ makes possible comparisons between Inupiat and English and Nuers ways of being related without relying on an arbitrary distinction between biology and culture, and without presupposing what constitutes kinship » (Carsten, 2000, p. 5).
Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008). Par conséquent, la marginalisation de l’adoption serait un des effets des TR, adoption qui était perçue auparavant comme la solution historiquement « naturelle » à l’infertilité (Becker, 2000 ; Carsten, 2000, cités in Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008). Delaisi de Parseval et Collard (2007, p. 40) soulignent que le paradoxe des TR réside dans le fait qu’elles permettent de « revendiquer simultanément, dans certains cas, la prééminence du génétique, et dans d’autres, celles du lien social et de la volonté ». Dans notre étude auprès des couples requérants d’un don de spermatozoïdes en France (Kalampalikis et al., 2009), nous notions que l’adoption était envisagée en dernier recours, dans l’éventualité du non-‐aboutissement des procédures de procréation avec don. Si les justifications de cette hiérarchie de choix52 valorisaient l’idée que la future mère ait « une partie d’elle » dans l’enfant et l’expérience d’une grossesse vécue au sein du couple, elles mentionnaient également pour certaines des arguments traduisant une attitude réservée quant à l’adoption (temps et difficultés des procédures, vécu de l’enfant avant son arrivée, acceptation de celui-‐ci par la famille élargie, et « retours d’expériences » quant à des difficultés identitaires d’enfants adoptés).
Reste que, la relation directe posée par Schneider (1968, cité in Carsten, 2007, p. 406) entre les connaissances scientifiques quant aux relations biogénétiques et la parenté euraméricaine53 a fait long feu dans l’analyse des effets culturels et sociaux des TR. Avec le développement rapide des TR, nombre de tenants du courant des new kinship studies observent une « littéralisation » (cf. Strathern, 1992) des définitions de la parenté. C’est-‐à-‐dire que l’explicitation de leurs présupposés les rabattrait sur le seul symbole des connections biogénétiques. Cette idée est reprise et discutée abondamment depuis. Des oscillations sont marquées entre : i) le constat, aux accents critiques, de la continuation d’une imposition des savoirs naturalisants provenant d’un système explicatif scientifique dominant et de celle, congruente, d’un modèle « traditionnel », biocentré, de la parenté euraméricaine (Edwards, 2009a, 2009b ; Porqueres, 2009c). Les mutations des significations culturelles de la parenté, dans ce contexte, seraient à soupeser, tant leurs formes sont paradoxales. ii) un appel déconstructiviste à l’abandon de catégories de pensée qui seraient essentiellement étiques, le « biogénétique » dénoté n’étant jamais que du biogénétique. De plus, la réification du biologique ne peut plus être tenue, en tant que telle, pour une base stable de connaissance, dans la mesure où, la biologie se fait étrangère à elle-‐même54, par la création de « nouveaux faits biologiques » (cryopréservation des embryons, organismes transgéniques clonés, cellules germinales génétiquement modifiées, etc.) (Franklin, 2001). La création d’une relation épistémologique à la nature, comme phénomène social et culturel, se redouble d’un statut ontologique incertain des « faits de nature » ; l’invitation à l’analyse de l’interface entre science et société et à celle de leurs rapports de constitutions mutuelles est pleinement ouverte et investie (cf. le programme Public Understanding of Genetics ; Edwards & Salazar, 2009 ; Porqueres, 2009a).
52 Par ailleurs, il est à noter que l’arrivée de l’ICSI (injection in vitro du gamète mâle dans l’ovocyte) a fait chuté le nombre
d’indications de recours aux gamètes tiers. Cette chute peut être interprétée également comme le signe d’une prégnance de l’attachement aux liens biogénétiques (La Rochebrochard, 2003).
53 La parenté euraméricaine est ce que la science biogénétique tient pour parenté.
54 Ouvrant ainsi à une deuxième acception de la biologie (outre celle de « nature »), à savoir la capacité à transcender les
La naturalisation de la parenté est étudiée en tant que connaissance (Franklin & Mckinnon, 2001 ; cf. aussi Strathern, 2005, pp. 67-‐75) voire comme un pouvoir55. Cela refonde également les études du genre, et la proximité entre les new kinship studies et l’anthropologie féministe est grande (Fassin, 2002). Pour l’heure, nous nous contentons de noter très brièvement l’effet paradoxal qu’ont les TR à ce propos. En elles-‐mêmes, les TR sont des technologies avec des applications hautement spécifiques et différenciées sur le corps des hommes et sur le corps des femmes (Tain, 2001 ; Konrad, 2005), en étant beaucoup plus et plus longuement invasives pour ces dernières, que l’origine de l’infertilité ou de la stérilité soit masculine ou féminine56. Cela entraîne la perpétuation d’une imputation traditionnelle de la responsabilité des problèmes reproductifs aux femmes, et celle d’un « mandat maternel », malgré leur mise en cause par les études critiques (féministes) occidentales (Thompson, 2002, citée in Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008). Néanmoins, les hommes ne sont pas en reste du point de vue de l’atteinte au corps et des vécus subjectifs négatifs associés. Les opérations chirurgicales des testicules et la production du sperme (par masturbation) sont des procédures courantes à visée diagnostique, thérapeutique ou palliative (cf. Giami, 2011 ; pour une analyse des expériences vécues de la masturbation dans des locaux et un contexte inappropriés). Il n’en demeure pas moins qu’une partie de la littérature décrit le sentiment général pour les hommes, plus ou moins accentué, d’être traités en « second sexe » dans les procédures de reproduction assistée (Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008).
1.2. Individu
Selon Strathern (1992), avec les TR, la nature s’est explicitée comme concept extrinsèque à la parenté tout en devenant un objet sur lequel exercer des choix individuels. La notion d’individualité ferait l’objet d’une deuxième forme d’explicitation, de « littéralisation » en lien avec l’essor des TR. Cette notion est réinterrogée de manière quasi-‐existentielle, selon l’auteure, par l’évidence du corps embryonnaire rendu visible par les technologies de visualisation intra-‐utérine. Ces technologies (ainsi que l’extériorisation de l’embryon par les techniques in vitro) créeraient une entité biologique cognitivement isolée du giron maternel et des relations supposées le constituer. Cette interrogation de la notion d’individualité est lisible également dans les réflexions sur les droits de la personne, progressivement réduite à son individualité vivante (voir Franklin (1993) pour une analyse des débats parlementaires ayant eu lieu au Royaume-‐Uni, pour le Human Fertilisation and Embryology Act). Parallèlement, Strathern (1992) souligne que les éventualités du clonage et de la sélection embryonnaire (DPI) mettent radicalement en question le « caractère novateur du fait individuel », un individu de plus ne créant plus de la diversité supplémentaire (Porqueres, 2009c, p. 227). Strathern (1992) met en lumière par ces craintes, le modèle reproductif britannique selon lequel des individus reproduisent des individus (et non des relations sociales faites corps). Avec les TR, séparant la
55 Un exemple marquant consiste en les travaux de Yanagisako & Collier (1987, citées in Franklin & McKinnon, 2001) qui
posent que les différences naturalisées ne peuvent être tenues comme les bases pré-‐discursives, universelles, et immuables de la parenté, du genre, et de la reproduction. Elles proposent un modèle de la parenté qui ne débute pas par le fait de prendre les différences pour acquises en les traitant comme des faits pré-‐sociaux.
56 Le parcours médical est couramment décrit comme un « parcours du combattant » au sein duquel l’oscillation entre
espoir et déception est liée avec un engagement persistant dans les traitements, indépendamment des risques et des chances de succès (Becker & Nachtigall, 1994). Une étude qualitative rend compte de l’expérience des couples américains de leurs démarches poursuivies en vue d’obtenir ce qu’elle a appelé « l’embryon élusif » (Becker, 2000). Thompson (2005) a proposé quant à elle la notion de « chorégraphie ontologique » pour décrire la coordination d’acteurs et d’actions biologiques complexes (cryopréservation, injection d’hormones…), afin de parvenir à une fécondation.
procréation de la reproduction, le lien génétique est redéfini vers un nouveau potentiel en ce qui concerne l’identité, non plus collective (partage de « traits »), mais individuelle (ADN marqueur de l’individualité) (Strathern, 1995, citée in Collard, 2000)57. En contraste, notamment, avec la notion mélanésienne de personne divisible et strictement relationnelle, Strathern érige la situation contemporaine occidentale comme exceptionnelle en raison de la centralité de l’individu. Tout se passerait comme si la relation occidentale (qu’elle soit de parenté ou conceptuelle) se définit, dans notre modernité tardive, en fonction de la possibilité de dissocier les termes qu’elle unit. L’individu (l’élément) est premier et condition de toutes relations (Strathern, 1992). L’auteure dresse le constat d’une dilution de la référence à la collectivité et à la socialisation, en faveur de l’idée d’un individu libre d’exercer ses choix. « This individualism may involve other people, but it is the individualism that refers to the self as the source of choice-‐making and to the virtues of autonomous action. Parental determination is also parental autonomy » (Strathern, 2005, p. 17). La question connexe d’un individu objet et source d’agency est fréquente dans les new kinship studies, dans un contexte où certaines « pratiques d’entrée en parenté » par les TR, mais pas seulement, tendent à insister sur les notions de volonté, de choix, d’intention et de projet parental, relativisant le rôle des substances et de déterminisme du sang (Delaisi de Parseval & Collard, 2007 ; Porqueres, 2009c). Plus rarement, cette question est évoquée à propos de l’accès aux origines, dont le manque peut être appréhendé comme une incomplétude, dans la mesure où l’identité euraméricaine relève d’une connaissance de soi, et, ainsi, de sa parenté (cf. Edwards, 2000), mais également d’un sentiment de contrôle de sa vie (Carsten, 2007 ; cf. Joffe, 2015).
Plus largement, selon Franklin et Mckinnon (2001), il s’agirait d’être prudent en cadrant les usages de ces termes par une analyse des forces historiques et socioculturelles complexes qui produisent ou non de tels choix et capacités d’actions. Un second écueil serait celui consistant à réifier/radicaliser l’individualisme en en faisant une exceptionnalité de la contemporanéité occidentale isolée, occultant à nouveau le construit et le relationnel constituant (Porqueres, 2009c).
1.3. Exclusivité
Les « parentés sans sexualité » (Collard & Zonabend, 2013), dans lesquelles le ou les parents le sont d’enfants conçus totalement ou partiellement par d’autres, contreviennent aux attendus majoritaires d’exclusivité du modèle de parenté occidental, au sein duquel couple, sexualité et engendrement sont censés coïncider (Déchaux, 200758). En effet, certaines TR dissocient sexualité et procréation en démultipliant, de plus, les protagonistes de la procréation (dons d’embryons, de gamètes, avec ou sans GPA). La GPA, à ce titre, apparaît emblématique de l’inconfort sociétal face à cette multiplicité de la parenté (Collard & Delaisi de Parseval, 2007 ; Inhorn & Birenbaum-‐Carmeli, 2008). Mentionnons
57 Strathern (1995) note que l’effet est double sur la notion de relation en tant que telle, l’amenuisant et l’accentuant.
L’empreinte génétique devient le marqueur de l’individualité. Mais comme chacun est « une part de quelqu’un d’autre », l’individualité provient de l’individualité de la recombinaison génétique ; la relation unique des composants constituant l’individu. Porqueres et Wilgaux (2004, cités in Salazar, 2009) parlent à ce propos d’« individualité relationnelle ». Certains auteurs dénotent un changement dans les supports de représentations de la parenté « de la consubstantialité vers les gènes » (Delaisi de Parseval & Collard, 2007), ceux-‐ci référant au partage d’informations « non-‐matérielles, intangibles » (Silver, 2001, citée in Salazar, 2009) sur les qualités des personnes (Carsten, 2007), et non plus au partage de substances, « d’un même sang ». Salazar (2009) souligne, quant à lui, que, bien qu’exprimées en termes de « sang partagé », les définitions conventionnelles de la parenté occidentale se rapprochaient déjà davantage de cette idée que d’une « véritable » notion de consubstantialité (retrouvée bien plus dans d’autres modèles de parenté).
58 Contrairement à Déchaux (2014), nous n’avons pas traité ce en quoi les TR pouvaient également (par la cryopréservation
brièvement que d’autres formes d’entrée en parenté relèvent de fait de « parentés sans sexualité » : reconfigurations familiales (Martial, 2003) ; adoption ; parenté des couples de même sexe avec ou sans recours aux TR. Leur étude entraîne, au niveau conceptuel, un pas supplémentaire pour appréhender la parenté en tant que processus et construction. Le courant se dote d’un nouvel élargissement du concept de kinship via celui de kinning (familialisation ; Howell & Marre, 2006) qui réfère aux dispositifs mis en œuvre pour construire de l’intimité et de l’apparentement (relatedness). La métaphore du biologisme n’en est d’ailleurs pas absente (Déchaux, 2006). C’est notamment le cas par le motif de la ressemblance entre parents adoptifs et enfants, investi, entre autres, par ces premiers (Howell & Marre, 2006, 2009 ; Marre & Bestard, 2009). Des travaux menés sur les situations de parenté des couples de même sexe (Hayden, 1995, citée in Collard, 2000 ; Cadoret, 2009 ; Gross, 2014 ; Lewin, 2014, cités in Courduriès & Fine, 2014) rendent compte également d’utilisations et d’interprétations de symboles communs du biologisme59. Ils témoignent, de plus, de la rareté de la traduction d’une pluralité d’acteurs, par des formes de pluriparentalité, par une sortie du modèle de la bilatéralité60 (cf. Courduriès & Fine, 2014). « More ‘kinship’ does not necessarily lead to more relatives » (Strathern, 1995, p. 353). Plus de parenté ne conduit pas toujours à plus de parents, toutes les relations biogénétiques connues ne se traduisant pas en relations sociales. Des exemples congruents issus de l’adoption conduisent Carsten (2007) à conclure que plus de parenté ne crée pas plus de parenté. Elle choisit par cette formule de valoriser la parenté comme pratique contre l’idée selon laquelle le fait d’avoir connaissance de ses liens biogénétiques serait, dans le modèle euroaméricain, « constitutif » de parenté (Strathern, 1999, citée in Carsten, 2007)61. La valse de ces axiomes nous semble trahir la difficulté qu’il y a à considérer la parenté dans sa complexité et sa fluidité, censément actuelles, sans se départir de conceptualisations en extériorité pour la qualifier.
La question de l’engagement d’un tiers dans la procréation est traitée bien différemment par Godelier (2004). Celui-‐ci explicite le constat anthropologique majeur selon lequel « nulle part dans aucune société, un homme et une femme ne suffisent à eux seuls pour faire un enfant » (p. 409). Cet