Partie II — Questions de méthodes
Chapitre 5 -‐ Description des quatre opérations de recherche
1. Les acteurs parlementaires, analyses d'un discours public particulier sur le don de gamètes et
Dans ce chapitre, nous exposons le détail des différentes opérations de notre design méthodologique et de notre démarche de recherche. Nous présentons chaque population et méthode utilisée, ainsi que les corpus construits et les méthodes d’analyse. La Figure 3 reprend le déroulé temporel des opérations de recherche de la thèse.
Ci-‐après, le premier point s’attache à la description de l’analyse des débats parlementaires, forme particulière de communication sociale, hautement formelle, et pratique législative qui a conduit à l’institutionnalisation légale du don de gamètes et son recours. Le second point a trait aux enquêtes quantitatives et qualitatives que nous avons conduites auprès des parents par recours au don de spermatozoïdes rencontrés lors de leurs démarches au sein des centres. Nous préciserons les opérations de recherche qu’elles recouvrent (questionnaires ; entretiens individuels et focus groups).
Figure 3. Déroulé chronologique des opérations de recherche de la thèse
Pour l’heure, attachons-‐nous à la première opération concernant les acteurs parlementaires.
1. Les acteurs parlementaires, analyses d'un discours public particulier sur le don de gamètes et son recours
« Il suffit de demander un billet de séance à son député ! ». Ainsi, Renata Alessio, préparant alors sa thèse sur les représentations sociales et l’embryon humain (2012), nous convainquit de l’accompagner. Quoi de plus excitant que d’assister à la « fabrique de la loi » en train de se faire, lors de l’un de ses temps décisifs, alors même que son calendrier et son enjeu cristallisaient depuis des mois déjà des controverses publiques au cœur de notre intérêt de recherche ? Nous nous sommes donc empressées d’user de ce droit, et avons observé, juchées sur d’inconfortables bancs de bois tendus de velours rouge, les longues, et parfois tardives, séances parlementaires de la première lecture à l’Assemblée Nationale de la révision de la loi relative à la bioéthique. Certes, ce qui s’y expose n’est qu’une partie de l’ensemble du travail parlementaire (travaux des commissions, auditions, ensemble des lectures parlementaires, traduction en décrets d’application et autres arrêtés, etc.). Certes, le contexte de communication136 est apparu bien obscur au profane en Droit que nous sommes. Mais nous avions devant nous une matière originale pour l’étude des représentations sociales et des connaissances de sens commun. L’éventail des discours, la variété des implications, la force de la tension ressentie lors des interventions pour influer et convaincre, leurs réussites et leurs revers, nous ont persuadés de nous en saisir.
136 Les temps et tours de parole sont programmés et définis en fonction des groupes parlementaires, et la nature des
1.1. Originalité du matériau des débats parlementaires pour l’étude des représentations sociales
Avec l’étude des discussions parlementaires du projet de loi relatif à la bioéthique, nous souhaitons nous intéresser à des discours publics focalisés sur les phénomènes sociaux au cœur de notre travail. Ces délibérations peuvent être vues comme une part instituée, en relation avec, mais différenciée, de la controverse sociétale et publique qui s’est déployée en anticipation et à l’occasion de la révision de la loi relative à la bioéthique (cf. chapitre 1). Nous mobilisons ainsi l’opportunité de cette occasion de changements, de cette mise en débats « forcée » et utilisée : la communication s’y enrichit, les groupes y articulent et actualisent des significations, pour faire face aux bouleversements ou à leurs éventualités (Moscovici, 2000). Temps privilégiés de révélation des représentations sociales pour le chercheur, ils sont pourtant peu étudiés dans ce champ. En effet, si les discours politiques (Marchand & Ratinaud, 2012) ou les effets des modifications légales en termes de changements et de résistances publiques (Castro & Mouro, 2011 ; Castro, 2012) s’étendent comme objets d’études dans le champ, les débats parlementaires demeurent un matériel rarement usité (Alessio, 2012 ; Ratinaud & Marchand, 2015 ; Van Dijk, 2003, 2004, côté analyse discursive). Or l’intérêt du politique est un facteur majeur de cristallisation des représentations sociales et une expression des attitudes et valeurs d’une société à l’égard de l’objet considéré (cf. pour les biotechnologies, Gaskell & Bauer, 2001 ; Wagner, Kronberger & Seifert, 2002). Nous ne nous aventurerons pas dans une discussion des fonctions du Droit ou des relations entre la normativité juridique et les autres ordres normatifs (Hennette-‐Vauchez, 2009). Quelles que soient ces dernières, les délibérations parlementaires débouchent sur des pratiques législatives instituant une acception réifiée (le légal et l’illégal) qui a pour ambition un consensus sociétal quant aux phénomènes considérés, ne serait-‐ce que sous la forme du respect de la loi.
Il n’en reste pas moins que dans le déroulé des discussions, ce sont bien des groupes politiquement antagonistes qui s’affrontent. Afin de nous prémunir de l’écueil consistant à nous laisser entraîner trop avant dans une investigation de l’ordre de la politologie, nous avons pris le parti de nous situer, dans nos analyses, au niveau des arguments et de leur portée, au sens de la sociologie pragmatique (Chateauraynaud, 2007). Selon ce courant, penser l’argumentation en termes de portée, c’est la concevoir comme un dispositif décrivant, plus ou moins explicitement, son porteur (énonciateur), son objet (sa thématique) et son extension (ses conséquences). La proximité et la compatibilité théorique avec le concept de projet représentationnel sont manifestes (Bauer & Gaskell, 1999, 2008) 137, en ce sens que, dans l’approche pragmatique également, la question de la temporalité et de la dynamique temporelle est intégrée, ainsi que celle du contexte. Aussi, tout en nous en tenant au niveau des arguments échangés dans les débats parlementaires, nous considérons les aspects constitués de ceux-‐ci (par les représentations sociales qu’ils engagent, présentées comme holomorphiques de celles des citoyens, et actualisées dans les débats). Nous appréhendons également leur portée constituante – l’efficace sociale des arguments est visée, le dire est presque
137 Moscovici (2013d) définit les arguments comme des « croyances ou des propositions, associées de manière plus ou
moins stable dans une représentation » (p. 58). Il en distingue trois catégories : les arguments de classification (qui répartissent ou situent les objets plus ou moins hauts sur une échelle donnée), les arguments thématiques (qui reproduisent les notions du noyau par le biais d’une synonymie ou d’une dénomination), et les arguments performatifs (qui définissent « la qualité », la « force » ou le « charisme » d’une représentation sociale). L’adaptation des arguments à la structure reste une piste de travail. Il y voit un moyen d’analyse des thêmata. Selon lui, les thêmata, les noyaux et les arguments sont ce que nous découvrons dans la structure des représentations sociales.
une tautologie, son parangon pouvant être conçu ici comme sa traduction dans la loi. Fussent-‐elles inscrites dans un contexte explicite d’influences, de convictions et de mandats politiques, les délibérations parlementaires sont un lieu particulier d’appropriations symboliques collectives de phénomènes sociaux. À ce titre, elles offrent une fenêtre d’étude sur un état de société quant à ceux-‐ci. Nous considérons donc cette arène délibérative comme une situation sémiose (Jodelet, 2008) : « une « situation de production de sens (…) au sein [de laquelle] la représentation de la situation, de la tâche et du partenaire sont liées » (Jodelet, 2013, p. 5). Pour autant, nous ne nous situons exclusivement sur le terrain de l’intention politique stricte. Cela nous permet de rester ouverts à l’hétérogénéité des formes de savoirs138 qui sont mobilisés et créés pour penser et réviser l’institutionnalisation de la bioéthique et du don de gamètes.
Les délibérations parlementaires se présentent donc, pour nous, comme des discours publics portant haut des interprétations de la réalité sociale. Elles sont orientées vers l’action (le vote), impliquent des projets – changements ou statu quo – et sont adressées à une pluralité de « destinataires » réels ou symboliques, selon des modalités de communication réglées, le tout étant défini par le cadre et les fonctions institutionnels.
1.2. Corpus et analyses
a. Description du corpus
Le matériel est constitué des retranscriptions des discussions en séances publiques à l’Assemblée Nationale et au Sénat, établies par les rédacteurs des débats et publiées au Journal Officiel. Nous avons retenu les prises de parole qui ont eu lieu lors des premières lectures dans les deux chambres. Plus précisément, au sein de celles-‐ci, nous avons retenu les discussions générales des projets de loi, les explications de vote, et les défenses des amendements déposés pour les seuls articles de lois pertinents pour notre objet de recherche. Il s’agit des articles sous le Titre V « ANONYMAT DU DON DE
GAMÈTES », soit l’Article 14 – le plus discuté, les suivants en dépendant ; il s’agit des articles sous le
Titre VI « ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION », soient les Articles 19 et 20 relatifs aux conditions d’accès au don de gamètes et aux conditions d’accès aux recours à l’AMP et aux dons (voir Tableau 2).
Chambre Type d’échanges Séance Durée
Assemblée
Nationale Discussion Générale 1
ère et 2ème Séances du 08.02.2011 et du 09.02.2011 13h
Titre V – Article 14 2ème Séance du 10.02.2011
3h
Titre VI – Article 19 2ème et 3ème Séances du 10.02.2011
Titre VI – Article 20 3ème Séance du 10.02.2011
Sénat Discussion Générale Séance du 05.04.2011 4h
Titre V – Articles 14 à 18 Séance du 07.04.2011
1h
Titre VI – Article 19 Séance du 07.04.2011
Titre VI – Article 20 Séance du 07.04.2011
Tableau 2. Corpus -‐ 1ère lecture du projet de loi relatif à la bioéthique (LOI n° 2011-‐814 du 7 juillet 2011)
138 Il ne nous est apparu en rien heuristique de réduire les parlementaires à une fonction d’experts de la politique, et dans
ce cas présent, de la décision des lois, dont la finalité de la tâche déterminerait en soi la forme de pensée et de logique qui serait agissante dans les instances délibératives (cf. Van Dijk, 2003).
Ce corpus combine les niveaux de généralité. Il a ainsi l’avantage de nous permettre de présenter la discussion centrée sur le don de gamètes et son recours, telle qu’insérée dans le contexte général des débats parlementaires quant à la bioéthique (Discussions Générales), tout en accédant également à sa spécificité (Articles 14 à 20). Comme nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, nous arrêter à la première lecture dans les deux chambres est suffisant, l’ensemble des titres y étant abordé. Enfin, comme la discussion générale à l’Assemblée Nationale inaugure l’examen du projet en séances publiques, elle fait un point sur « l’état » des débats sociétaux et sur ceux s’étant tenus en commissions spéciales préalablement.
b. Méthodes d’analyse des débats parlementaires
Deux objectifs généraux ont guidé nos analyses : i) Analyser la manière dont s’organise le discours de l’ensemble du corpus (discussions générales et articles de lois ayant trait au don de gamètes et à son recours) ; ii) cartographier les arguments pro-‐anonymat et pro-‐identification des dons de gamètes, par l’analyse qualitative des discussions des articles de loi y afférant. Ces arguments auront été contextualisés par la première analyse. Nous aurons répondu à la question : dans le cadre de quels phénomènes et systèmes représentationnels pertinents sont-‐ils pensés ?
i) Analyse lexicométrique de l’ensemble du corpus
Méthode Alceste et classification hiérarchique descendante (CHD)
En raison, aussi, du volume du corpus, nous avons opté pour une analyse lexicométrique mettant en oeuvre la méthode Alceste (Reinert, 1999), et plus précisément une CHD139. Si la méthode Alceste (Analyse des Lexèmes Co-‐occurrents dans les Énoncés Simple d’un Texte) n’était pas initialement dévolue aux études utilisant l’approche des représentations sociales, la compatibilité de leurs postulats théoriques est attestée depuis (Lahlou, 2001; Klein & Licata, 2003; Caillaud, Kalampalikis & Flick, 2012). L’objectif de cette méthode est l’organisation topique du discours à travers la mise en évidence de « mondes lexicaux » (Kalampalikis, 2003 ; Kalampalikis & Moscovici, 2005). Le logiciel ne s’intéresse pas au sens des mots mais à leur présence ou absence conjointes pour « identifier des patterns répétitifs de langage » (Kronberger & Wagner, 2003) (fonctionnement décrit brièvement en Annexe 1). La méthode est donc utilisée pour une analyse pragmatique des discours (Kalampalikis & Moscovici, 2005)140. L’hypothèse sous-‐jacente est que le vocabulaire d’un énoncé constitue une trace reflétant une intention du sujet-‐énonciateur (Reinert, 1997, 2007). « Un monde lexical est donc la trace statistique d'un lieu dans le vocabulaire, lieu plus habituellement ‘habité’ par les énonciateurs » (Reinert, 1997, p. 273). Il s’agit de cartographier les principaux « lieux communs » d’un discours (Reinert, 1999). Le travail d’interprétation du chercheur est guidé ensuite par ce « commun » constituant chaque lieu et par les différences entre eux, appréhendables via la « généalogie de la
139 Nous avons utilisé pour ce faire le logiciel Iramuteq. Iramuteq reproduit la méthode de classification décrite par Reinert
(1983) (CHD sur un tableau croisant les formes pleines et des segments de texte). Ce logiciel libre est mis en service et enrichi continuellement par Pierre Ratinaud et propose d’autres fonctionnalités, comme les arbres maximums des similitudes et les nuages de mots. Nous les avons utilisés à titre illustratif dans les parties résultats (Ils ne reprennent pas les mots les plus spécifiques des classes mais les plus fréquents, ce qui peut parfois induire en erreur le lecteur. Leur pouvoir d’évocation étant tel, nous n’avons pu y renoncer). La terminologie d’Alceste étant sous copyright, une terminologie « Iramuteq » a été créée (cf. Annexe 1).
140 Selon Moscovici (1994b), l’analyse sémantique n’épuise pas une analyse psychosociale de la communication. C’est que
« trop souvent la communication d’un message ne coïncide pas avec la communication linguistique à proprement parler » (p. 165). Il y a nécessité de recourir au dialogique en prenant en compte le contexte partagé, c’est-‐à-‐dire les représentations sociales qui ne sont que partiellement explicitées par la communication linguistique.
classification » qu’est le dendrogramme (Kalampalikis, 2003)141. De plus, des variables externes, définies par le chercheur, sont associées aux lieux/classes, le cas échéant (calcul d’un χ2) – tel groupe en « habitant » certaines davantage ou, autre exemple, les discours tenus à tel moment étant plus constitutifs d’une partie des classes. Flick, Foster et Caillaud (2015) mettent en exergue la possibilité ainsi offerte de prendre en compte le contexte du discours. Son intérêt est à souligner pour l’analyse de la dynamique représentationnelle (Geka & Dargentas, 2010), notamment dans le modèle du collective symbolic coping (Gilles et al., 2011).
En ce qui concerne les débats parlementaires, quatre variables ont été considérées : -‐ la Chambre parlementaire : 2 modalités : Assemblée Nationale (AN) vs Sénat (S) -‐ la séance parlementaire : 12 modalités : numéro et date de la séance (ex. sean10802)
-‐ le type d’échanges : 9 modalités : Discussion Générale (DG) vs discussion des articles de loi (Titre V, A14 à A20)
-‐ le parlementaire : 113 modalités : chaque tour de parole a été encodé avec le numéro attribué à chaque parlementaire (-‐*Q2).
Par cette description à l’aide de variables, nous relèverons si l’organisation du discours est liée préférentiellement au contexte parlementaire, au passage du temps ou à l’avancée des débats, aux objets des discussions ou aux appartenances partisanes des énonciateurs.
Analyse de quelques indices pragmatiques
Nous nous sommes intéressés à certains indices pragmatiques (hapax, indice de diversité, indice de rareté ; cf. Annexe 2). Ceux-‐ci sont des « traces indirectes de la communication dans le vocabulaire » à même de nous renseigner sur la température informationnelle des classes (Kalampalikis & Moscovici, 2005)142, et sur leur « fonction »143. Croisés avec l’analyse du contenu des mondes lexicaux, ces indices informent l’usage des savoirs consensuels et réifiés dans l’exercice de conviction et de justification que sont les débats parlementaires.
ii) Analyse qualitative des discussions des articles de loi afférant à l’anonymat du donneur
Nous avons pris le parti de concentrer ensuite notre analyse sur l’élément-‐clé de la controverse sociétale anticipant la révision de la loi, concernant le don de gamètes (cf. chapitre1). Le sous-‐corpus
141 En pratique, l’interprétation consiste en la nomination des classes et des axes le long desquels se sont faites les
partitions successives. L’interprétation intra-‐classe est aidée par les mots contenus dans les segments de textes
significativement associés à chaque classe. Le calcul d’un χ2 rend ainsi compte de la force de la typicalité des mots et
segments de texte. L’interprétation inter-‐classe est aidée, par celle intra-‐classe, mais aussi par le dendrogramme et les projections possibles du contenu des classes sur des plans factoriels (AFC).
142 Pour simplifier grandement cette hypothèse, issue de la théorie mathématique de l’information, nous pouvons dire
qu’elle pose qu’à volume égal, un texte présentant une grande répétition des mêmes termes est peu informatif – mais vise à communiquer -‐, tandis qu’un texte contenant un grand nombre de termes différents, chacun étant donc peu répété, sera hautement informatif (id.). L’étude de Kmiec & Roland-‐Lévy (2014) en constitue une utilisation récente.
143 Ces indices pragmatiques peuvent être de bons indicateurs des mécanismes d’influence. Moscovici (1967, cité in
Kalampalikis & Moscovici, 2005) le note à partir d’une recherche sur les processus de communication et de langage : La pression à l’uniformité, au consensus, peut se faire parfois par une pression à la référence (quant à ce dont on parle ; ancrage du discours dans le lien ego-‐objet ; cf. fonction instrumentale/épistémique des représentations sociales), parfois par une pression à l’inférence sur les opinions et jugements des membres d’un groupe (ancrage du discours dans le lien alter-‐ego ; cf. fonction communicative/consommatoire des représentations sociales).
considéré consiste en les comptes rendus des séances consacrées à l’Article 14144. Deux analyses ont été réalisées : une première transversale aux Chambres et aux argumentations, une seconde par type d’arguments (pro-‐ vs contra-‐ anonymat).
1-‐ Nous avons procédé à une analyse de contenu catégorielle du sous-‐corpus (Bardin, 2003). Cette technique d’analyse, dite souvent analyse thématique, bien que ce terme tende à être utilisé de manière générique (Attride-‐Stirling, 2001 ; Braun & Clarke, 2006), a pour intérêt de progresser dans la compréhension du matériel étudié, en visant « un niveau différent de celui d’une simple lecture de sens commun » (Bardin, 2003, p. 243). Aussi, selon l’auteure, deux fonctions sont remplies : une fonction heuristique, mais également une fonction d’administration de la preuve. L’analyse est itérative, par des oscillations entre découverte et relevés rigoureux, le chercheur progressant par des allers retours successifs entre son matériel et les thèmes qu’il isole, les aménageant et les raffinant au cours de l’interprétation.
Plusieurs lectures du corpus ont donc été faites pour notre analyse transversale ; la première, à but d’immersion, la seconde, exploratoire, en vue de dégager les principaux thèmes. Cela a permis de constituer une première grille pour l’encodage du corpus. Un retour au corpus a été réalisé pour l’analyse thématique stricto sensu, à savoir l’attribution d’items de signification à des unités de codage préalablement déterminées (Bardin, 2001). Dans les faits, la grille se modifie à nouveau quelque peu dans la dernière confrontation au corpus. Les arguments, qui constituent ici notre unité d’analyse, étaient ensuite organisés au sein de chaque thématique en sous-‐thèmes et répartis selon qu’ils consistaient en un argument avers ou revers de l’intitulé du sous-‐thème (présentation en Annexe 5). Pour chaque extrait, la prise de position qu’il traduisait, pro-‐anonymat ou pro-‐ identification du donneur, est notée, ainsi que le groupe parlementaire de son énonciateur. L’objectif était de renseigner l’éventuelle distribution différente des arguments en fonction des appartenances politiques et la saillance de telle ou telle thématique selon celles-‐ci.
2 -‐ Nous avons souhaité poursuivre notre travail interprétatif au-‐delà de cette organisation thématique afin, aussi, d’en dépasser certains écueils qui seraient de se limiter à une visée descriptive (Provencher, 2011a). Nous avons conduit une seconde analyse, verticale, au sein de chaque prise de position : au sein des arguments pro-‐anonymat, d’une part ; au sein des arguments pro-‐identification, d’autre part. En conservant l’argument (et non l’énonciateur ou le système argumentatif) comme unité d’analyse, nous avions cette fois pour objectifs de mettre en évidence l’éventuelle pluralité des logiques de pensée au sein de chaque prise de position, et de renseigner les mécanismes d’influence ayant conduit au vote majoritaire de maintien de l’anonymat du donneur de gamètes.
Nous avons ainsi opéré un dernier retour plus déductif sur les données, mobilisant notre background théorique et les éléments interprétatifs issus de l’analyse textométrique du corpus global. L’ensemble visait à mettre au jour des postures idéologiques marquées et des systèmes congruents de savoirs et de croyances, à même de rendre compte des fragments de systèmes représentationnels mobilisés pour penser l’anonymat du donneur de gamètes au sein de la loi relative à la bioéthique, et son propre rôle de législateur.
144 Nous avons choisi d’arrêter notre analyse qualitative sur le corpus des discussions des articles de loi sans considérer les