Partie II — Questions de méthodes
Chapitre 5 -‐ Description des quatre opérations de recherche
2. Les parents ayant eu recours au don, enquêtes auprès d'une population sensible
2. Les parents ayant eu recours au don, enquêtes auprès d'une population sensible
2.1. Enquête quantitative
L’enquête quantitative est celle qui est le plus intrinsèquement liée aux débuts de la recherche, menée par une équipe du laboratoire GRePS en partenariat scientifique avec la Fédération française des CECOS. Rappelons que la sollicitation émanant de cette dernière portait sur le point de vue des acteurs quant à l’encadrement législatif du don de gamètes et son recours. Il s’agissait également de pallier la position quelque peu en retrait de la France, concernant les recherches de grandes ampleurs en sciences humaines et sociales auprès de ces populations (donneurs et couples requérants ; Kalampalikis et al., 2009). L’équipe de recherche a souhaité s’orienter, pour les couples requérants, vers la construction d’un outil permettant de considérer des configurations psychosociales. Il s’agissait de les appréhender dans leurs variétés, à partir d’un outil à même de rendre compte de l’ancrage des questions soulevées (dont l’anonymat, la gratuité…) dans un réseau de significations plus larges, anthropologiques et sociales. Une hypothèse en particulier a été opérationnalisée grâce à ce questionnaire : « l’écart à la norme que constitue le recours à un tiers donneur dans le processus procréatif entraîne des stratégies symboliques de re-‐normalisation, qui peuvent passer par la négation du donneur, la préservation du secret, ou la recherche impérieuse de continuité par la ressemblance physique ou la transmission sociale » (Kalampalikis et al., 2009, p. 153). Comme nous l’avons noté, le contexte de controverse publique autour de l’anonymat et l’attention attirée sur le manque de données systématiques en matière de devenir des récits de conception suite à la naissance du premier enfant, nous ont engagés à réinvestir cet outil, lors d’une deuxième phase de recherche. L’objectif était de consolider l’échantillon et d’infléchir notre intérêt quant aux parents présents au sein des centres (Kalampalikis & Doumergue, 2013, 2016).
Le recueil quantitatif systématisé permet d’interroger une part plus conséquente de la population concernée qu’avec les méthodes qualitatives. Les constats chiffrés que nous en tirons, rendant compte de la distribution de prises de position et de certaines pratiques, ont également une visée comparative. En effet, ils autorisent un rapprochement aisé avec ceux réalisés dans d’autres pays, aux histoires législatives et culturelles différenciées de celle de la France en matière de don de gamètes. De plus, au-‐delà de ces résultats issus des analyses statistiques descriptives, et dans la continuité des objectifs ayant prévalu à la construction de l’outil, nous souhaitons mettre au jour l’organisation des éléments sociocognitifs au sein du champ représentationnel. Il s’agit ainsi de dégager, des réseaux de significations que nous supposons impliqués, les principes organisant les différentes prises de position dans un contexte social donné (Clémence, 2003). Nous empruntons ici un vocable et des concepts provenant d’une approche des représentations sociales différente de l’approche sociogénétique, mais compatible et en dialogue avec celle-‐ci. Cette approche genevoise s’intéresse aux représentations sociales en tant que prises de position et à leurs principes générateurs et organisateurs. Elle s’attache à l’explication des différentes prises de position individuelles dont les « variations systématiques s’ancrent dans les réalités collectives symboliques, dans les expériences psychosociales plus ou moins partagées par les individus, et dans leur croyance quant à la réalité sociale » (Doise, Spini & Clémence, 1999, p. 2). Avec le recours à cette méthode d’enquête dans cette thèse, nous procédons donc à une décomposition du phénomène représentatif à l’étude pour accéder à des mesures quantitatives des interactions entre certains de ces
composants, et avec des caractéristiques de la population. La recomposition du « tout » du phénomène aura lieu lors de la discussion croisée des résultats des différentes méthodes. Nous présentons à présent la procédure d’enquête, puis l’outil.
a. Procédure et échantillon
Le partenariat avec la Fédération française des CECOS nous a permis de réaliser cette enquête quantitative dans quasiment tous les centres au sein desquels la conservation et les dons de gamètes sont pratiqués en France (20 centres sur les 23 répartis sur l’ensemble du territoire national). Les passations du questionnaire auto-‐administré se sont déroulées sur deux périodes (d’avril à décembre 2008 et de juillet 2011 à mars 2012). Le recrutement des sujets a été réalisé par les professionnels des CECOS participants qui disposaient de consignes précises. Les passations étaient individuelles et, sauf rares exceptions, elles se sont déroulées sur place en présence d’un professionnel du centre, voire d’un membre de l’équipe de recherche – c’est le cas pour un quart d’entre elles, environ. Ce dispositif de recherche a permis de collecter des données auprès d’un échantillon total de 929 requérants145 (Kalampalikis & Doumergue, 2013). À titre indicatif, en 2010, 1393 couples étaient inscrits au CECOS pour une procréation avec don de spermatozoïdes (Hennebicq, Juillard & Fédération, 2016). Au sein de cet échantillon, 23% étaient parents d’au moins un enfant issus d’un précédent recours au don et revenaient aux centres pour une nouvelle démarche. Ce ratio est concordant à celui des statistiques globales quant à la file-‐active des CECOS (id.). Dans ce travail de thèse, nous nous concentrons sur les réponses des 215 parents ayant renseigné ce questionnaire. Ces parents étaient présents dans les centres à diverses étapes de leur démarche. Nous les interrogions avant ou après leurs consultations avec des médecins, biologistes ou psychologues, surtout au début de leur démarche ou pendant la période dite « d’attente ». Celle-‐ci peut s’étendre de 8 à 24 mois selon les centres. Cela est également le reflet de la sensibilité de la population : la fin de la période d’attente n’apparaît pas propice à une sollicitation, les couples venant pour les inséminations en tant que telles ou pour chercher les gamètes pour celles-‐ci.
Les questionnaires étaient anonymes et confidentiels, un code créé ad hoc était inscrit par les professionnels des centres, pour apparier les questionnaires par couple, le cas échéant.
b. Construction de l’outil et adaptation
Nous fournissons ici une synthèse des thèmes abordés dans le questionnaire. Le détail de sa construction est reproduit en Annexe 6 (sous sa forme actualisée en 2011). Il convient de noter qu’elle est le fruit d’une triangulation méthodologique : les étapes qualitatives et exploratoires menées par l’équipe de recherche lui avaient permis de disposer d’une solide première approche des enjeux liés au recours au don (Kalampalikis et al., 2009). L’outil intègre de plus des items issus de plusieurs études de la littérature scientifique internationale (Brewayes, Golombok, Naaktgeboren, de Bruyn & Van Hall, 1997 ; Hunter, Salter-‐Ling & Glover, 2000 ; Rumball & Adair, 1999; Van Berkel, Van der Veen, Kimmel & Velde, 1999 ; Grace, Daniels & Gillett, 2008). Il se structure autour de thèmes, détaillés ci-‐dessous, opérationnalisés par des items qui sont autant de propositions sur lesquelles les répondants avaient à se positionner via des échelles de Lickert.
Famille et recours au don de spermatozoïdes : Les répondants avaient à indiquer leur degré d’accord quant à différents éléments : entraient-‐ils dans la définition d’une famille ? Les propositions relevaient de quatre sous-‐thèmes que sont la procréation, la filiation sociale et génétique et l’histoire familiale. Dans le souci de mettre en évidence la dimension normative et le décalage perçu à la norme, les sujets répondaient à cette partie selon deux modalités : ils devaient se positionner en leur nom propre (Selon vous, une famille, c’est…) et comme le feraient selon eux les gens en général (Selon les gens en général…). Nous disposons ainsi des normes subjectives (ce que les sujets perçoivent des normes d’un groupe de référence) et de l’ampleur de leur adhésion ou non à ces éléments (Abric, 2003)146.
Le donneur et le don : Il était demandé aux répondants si le donneur allait avoir, à l’avenir, une place dans leur esprit. Un espace laissé libre invitait les sujets à en expliciter les raisons. Puis, nous proposions à l’évaluation un éventail de raisons qui pourraient conduire des couples à y penser. Ensuite, nous souhaitions porter notre attention sur des éléments relatifs au donneur, impliqués dans sa construction représentationnelle, ainsi que sur des termes qui seraient utilisés pour le qualifier. Enfin, la démarche de don de spermatozoïdes était appréhendée dans sa particularité ou relativisation, et au regard d’autres types de dons.
Penser le recours au don de spermatozoïdes pour construire une famille : Au cœur de notre questionnaire, se situaient deux volets de propositions visant à rendre compte de croyances, valeurs, et représentations quant à l’enjeu du secret, la question de l’anonymat, ainsi que des précisions quant à celle de la parenté et de la famille.
Principes régissant l’encadrement législatif du don de gamètes : Les répondants avaient ensuite à récapituler leurs prises de positions quant aux principes législatifs de l’anonymat et de la gratuité. Ce récapitulatif, retenu pour la présentation des résultats, faisait suite à un éventail très complet d’items relatifs au maintien de l’anonymat, sa levée partielle, conditionnée, selon plusieurs dispositifs, motifs et temporalités. Enfin, pour la version de 2011, nous demandions aux sujets de se positionner quant à plusieurs modifications de la loi qui avaient été discutées lors des débats anticipant sa révision.
Partage social et partage à l’enfant de son mode de conception : Nous interrogions les répondants : avaient-‐ils souhaité faire part de leur démarche dans leur entourage proche (familial et amical), cela avait-‐il été source de regrets pour eux ? Ensuite, une partie était consacrée à la décision de partage à l’enfant de son mode de conception : Outre le relevé de cette décision, un ensemble d’items explorait les manières et temporalités, le cas échéant. Dans la version de 2011, nous demandions aux
146 Nous sommes de ce fait en présence d’une technique de substitution intra-‐sujets, dans laquelle la distance des
répondants à l’objet investigué est extrêmement faible (une partie des items concernés porte sur le vécu-‐même de la démarche de recours au don lors de laquelle nous rencontrons les sujets). Si nous ajoutons à cela le fait que nous avons souhaité contrôler l’ordre et qu’ainsi, pour la moitié des questionnaires, les participants répondaient en leur nom puis selon les « gens en général », et pour l’autre moitié inversement, nous nous rapprochons du paradigme étudiant les questions de similarité dans la comparaison sociale. Celui-‐ci a mis en évidence le phénomène d’asymétrie des comparaisons Soi à Autrui et Autrui à Soi (Codol, 1984, 1987). Il a ainsi été montré que les comparaisons de Soi à Autrui produisent de l’assimilation et que les comparaisons d’Autrui à Soi génèrent du contraste (Mussweiler, 2001). Le premier type de comparaison (ici, Selon
les gens en général suivi de Selon vous) augmente la similarité perçue alors que la seconde augmente la dissimilarité perçue
et donc le contraste (ici, Selon vous suivi de Selon les gens en général). Nous nous attendons à ce qu’un écart ressenti à la norme le soit plus massivement dans cette dernière condition.
parents comptant en parler à leur enfant, si ils en avaient déjà eu l’opportunité. Un espace libre les invitait à s’exprimer à ce sujet.
Données socio-‐démographiques et situation vis-‐à-‐vis de leurs démarches : La dernière partie du questionnaire était consacrée aux principaux éléments permettant de caractériser les personnes interrogées tant du point de vue de leur situation sociale que de leur démarche de demande de don au sein des centres.
c. Description des analyses des données quantitatives
En premier lieu, un ensemble d’analyses de variance a été réalisé sur les prises de positions individuelles concernant un ensemble de questions cruciales :
-‐ ANOVA à un facteur avec une variable à deux modalités (mères-‐pères) / χ2 prenant le sexe comme variable indépendante (échelles dichotomiques).
-‐ ANOVA à un facteur (date de passation) avec une variable à deux modalités (2008-‐2011) : Il s’est agi de contrôler l’effet de la controverse publique et de la révision de la loi relative à la bioéthique, sur les prises de position quant à l’encadrement législatif.
-‐ ANOVA à un facteur avec une variable à deux modalités (le fait d’être en première demande ou parents d’un enfant issu d’un recours au don) : cela nous autorise à mettre en perspective les réponses des parents avec celles des requérants en première démarche (Kalampalikis & Doumergue, 2013).
L’hypothèse sous-‐jacente réside dans la dynamique du processus d’appropriation symbolique (Wagner, 1998), de remaniements de significations liées à des représentations hégémoniques de la parenté biogénétique occidentale. Aussi nous nous y intéressons plus particulièrement eu égard aux définitions de la famille et à l’écart ressenti entre la norme perçue et leur expérience de parenté. Nous pouvons imaginer qu’une distance temporelle plus importante vis-‐à-‐vis de l’annonce de la stérilité et du choix du recours au don, ainsi que la décision d’y faire appel à nouveau pour un puîné se traduisent chez les parents par un désinvestissement accru des éléments de définition attachés à la transmission génétique. L’écart à la norme ressenti serait ainsi également plus marqué, témoignant éventuellement de l’émergence de représentations émancipées. Le pendant serait l’hypothèse d’une re-‐normalisation de leur expérience et des significations attachées à la parenté intervenue suite à l’accession au statut de parents.
-‐ ANOVA à deux facteurs (sexe x effet d’ordre de la technique de substitution) à deux modalités (mères ou pères ; condition contraste ou condition assimilation) sur l’écart à la norme ressenti quant à la filiation biogénétique : Nous nous attendons à ce que les écarts soient d’autant plus importants que les répondants sont pères et en condition contraste.
En parallèle, nous avons conduit des analyses de corrélations en vue d’observer les liens éventuels entre certaines dimensions de notre questionnaire.
Pour l’ensemble des tests, seuls les effets de taille moyenne à élevée sont pris en considération (V de Cramer ≥ .10 ; η2 ≥ .03 ; r ≥ .3).
Les items mesurant un même construit ou une même dimension, comme cela est confirmé par les indices de consistance interne utilisés ont été combinés dans de nouvelles variables (indices de consistance interne utilisés : alpha de Cronbach (α) et, si nécessaire, rhô de Joreskog (ρ)147).
Les réponses aux questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse thématique.
En second lieu, nous nous sommes appuyés sur une analyse factorielle à composantes principales (ACP avec rotation varimax) sur la partie « penser le recours au don » et sur celle « don et donneur » (66 items au total). L’ACP identifie des regroupements cohérents d’items sur lesquels les individus peuvent différer selon leurs évaluations (Doise, Clémence & Lorenzi-‐Cioldi, 1992). Ils le peuvent dans la mesure où les regroupements sont pensés comme des concepts unitaires (les dimensions ou facteurs) qui structurent le champ représentationnel. Une fois identifiée la structuration des éléments du champ, afin d’étudier les ancrages des prises de positions sur ces principes organisateurs, nous avons réalisé des corrélations et des analyses de variances (ANOVA à un facteur) entre différentes variables pertinentes et deux des quatre dimensions retenues (anonymat et secret et leurs refus).
Certes, nous souhaitions observer si des effets positionnels émergeaient quant à ces deux dimensions. Mais nous souhaitions aller plus avant dans la recherche de dynamiques psychosociales complexes. Nous avons donc envisagé les relations qu’entretiennent entre elles les différentes dimensions ainsi que les liens avec d’autres aspects considérés dans le questionnaire. Plus précisément, nous avons mené des analyses de régressions linéaires multiples permettant de hiérarchiser les poids relatifs des différentes variables explicatives de l’anonymat (et son refus) et du secret (et son refus). Ont été contrôlées, dans ces analyses, des variables socio-‐démographiques, des variables et dimensions ayant trait à la figure représentationnelle du donneur, des variables relatives à l’expérience de partage social du recours au don, des variables rendant compte de l’écart ressenti entre la norme perçue quant à la famille et leur propre expérience, ainsi que, enfin, respectivement, la dimension « anonymat » ou « secret ». Nous avons donc testé à la fois l’hypothèse dynamique ayant préludé à la construction initiale du questionnaire, et celle d’un effet du registre d’anonymat ou d’identification du donneur sur les décisions parentales quant aux récits de conception à l’enfant148. Enfin, lorsque cela était pertinent, des analyses des processus médiateurs intervenant entre les variables explicatives et expliquées ont été conduites selon le modèle de Baron et Kenny (1986) (cf. également Brauer, 2000).
147 Ce second indice est moins sensible que l’alpha de Cronbach au nombre d’items impliqués et apparaît donc
particulièrement adapté lorsque ce nombre est faible. Tous deux sont tolérés entre .70 et .95 (cf. Lopez, 2013).
148 Ici, l’opérationnalisation de ces deux aspects passe par les deux dimensions organisant les prises de position quant à
2.2. Enquête qualitative
L’enquête qualitative est composée de deux méthodes de recueil qui donnent toute sa place à la communication. Or, Moscovici (2000) le notait d’une formule éloquente, « nous pensons avec la bouche ». La pensée sociale se traduit par la communication tout autant qu’elle se construit dans et par celle-‐ci. Après nous être attelés à « l’extensif » de l’enquête statistique prélevant des informations circonscrites, nous nous sommes engagés dans « l’intensif » de l’enquête qualitative (Olivier de Sardan, 1995), au moyen de méthodes de recueil constituant autant de situations sociales empreintes de dialogicité ; l’entretien individuel et le focus group.
L’entretien de recherche ne se définit pas comme un lieu de récollection, via un dispositif de dévoilement scrupuleux, de savoirs déjà-‐là, préalablement construits ex nihilo, pour lesquels le talent du chercheur relèverait de celui du saunier ou du mineur (Kvale, 1996). Il s’agit plutôt d’une situation de production. En tant que conversation et interaction, il revêt une dimension dynamique de co-‐ construction des savoirs et de re-‐construction des expériences qui y sont produits. C’est une performance interactive, non-‐reproductible, située, dont la résultante est en partie inconnue à l’avance des deux protagonistes. Pour autant, il se doit d’être appréhendé comme un cadre sémiotique (Olivier de Sardan, 1995 ; Nils & Rimé, 2003 ; Salazar Orvig, 2003), dont la fonction référentielle aux univers de significations, communs mais inégalement partagés, ne saurait être annihilée. Conférer une dimension tant dialogale (comme interlocution) que dialogique aux discours et aux échanges constitue une voie d’accès privilégiée à ces univers de signification (Salazar Orvig & Grossen, 2008) : il s’agit de rendre compte de l’efficacité du dialogue, comme élaboration des représentations et des savoirs sociaux, et de la relation en tension entretenue avec l’efficacité dialogique de chaque rencontre (Salazar Orvig, 2003). Deux niveaux dialogiques sont ainsi agissants dans l’entretien : in praesentia et in absentia (Salazar Orvig & Grossen, 2008)149. Pour une compréhension et une analyse pertinentes d’une construction conjointe, dynamique et référentielle du sens, il convient donc de resituer ce cadre dialogique, i.e. retracer « qui participe à l’échange, qui est à l’origine du dire, qui l’énonce, à qui s’adresse-‐t-‐il ? » (Salazar Orvig, 2003, p. 277). C’est-‐à-‐dire considérer la genèse du dialogue de la pensée dans la relation Alter-‐Ego-‐Objet (Marková, 2007). C’est que la question est cruciale : « comment la société pense-‐t-‐elle ? ». Le focus group constitue un dispositif dont les principes méthodologiques sont les plus propices pour y répondre (Marková, 2003, p. 224 ; Kitzinger, Marková, & Kalampalikis, 2004). Inclure cette méthode dans un design de recherche, visant l’étude du sens commun, c’est souhaiter mettre en place un dispositif s’approchant d’une « société pensante en miniature » (Farr et Tafoya, 1992 cités in Marková, 2003). Les focus groups se présentent comme des discussions collectives organisées spécifiquement dans un objectif de recherche, autour d’une thématique définie par le chercheur (Marková, 2003 ; Morgan, 1996). La méthode des focus groups se distingue véritablement des autres en ce que l’interaction en constitue le matériau même, l’unité d’analyse, la donnée de la recherche (Kitzinger, 1994). À ce titre, le matériau des focus groups n’apparaît pas le reflet passif d’une accumulation de prises de positions d’individus indépendants, préformées antérieurement et qui constituerait la contribution de chacun à la discussion. Lunt et Livingstone (1996) définissent cette méthode comme produisant des
149 Le premier renvoie au fait que les interlocuteurs interagissent littéralement et appuient ainsi leurs discours les uns sur
les autres. Le second a trait aux références faites aux discours de tiers absents lors de l’ici et maintenant de la situation d’interlocution. Ces tiers absents sont réels ou imaginaires. Les discours proviennent d’individus ou peuvent être des discours génériques (lois, proverbes, stéréotypes, etc.)(Grossen & Salazar Orvig, 2011).
« communications socialement situées » simulant « des contextes communicationnels routiniers », aptes à appréhender la manière dont différents groupes créent activement des significations et ainsi la nature dilemmatique des argumentations quotidiennes (Billig, 1987, cité in id.). C’est au cours d’actions relationnelles et sociales, telles que négocier, débattre, argumenter que la pensée sociale