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B – L’adénocarcinome pancréatique en pratique clinique

3- Les thérapeutiques émergentes

La connaissance de la biologie du cancer évolue rapidement et permet d’entrevoir de nouvelles approches et cibles thérapeutiques pour le cancer du pancréas.

A l’heure actuelle, les voies de recherche pour améliorer le pronostic du cancer pancréatique sont :

- le développement de traitements complémentaires ou plus efficaces que la gemcitabine pour ralentir la progression de la maladie ;

- l’identification de marqueurs moléculaires spécifiques et fiables permettant, si possible, un diagnostic plus précoce, voire d’apprécier le pronostic et/ou la réponse thérapeutique à la gemcitabine.

a- Les inhibiteurs de la topoisomérase I

Les topoisomérases interviennent dans la relaxation de la chaîne d’ADN au cours de la réplication ou de la transcription, ce qui entraîne des petites interruptions dans la chaîne d’ADN. Les inhibiteurs de topoisomérases freinent le processus de religation et bloquent ainsi la réplication et la transcription de l’ADN. Ces inhibiteurs ont pour avantage d’être très spécifiques de leur cible et sont des analogues structuraux de la camptothécine. Ces anti- topoisomérases tels l’irinotécan®, le topotécan® et plus récemment le rubitécan®, en cours d’investigation clinique, contribueront dans le futur au traitement du cancer pancréatique chez l’homme.

b- Les inhibiteurs de la transduction du signal

Un certain nombre de molécules ont été développées afin de stopper une signalisation aberrante rencontrée dans les cellules néoplasiques pancréatiques.

Le PTZ/ZK (SU5416 ou vatalinib®) est un puissant inhibiteur sélectif du récepteur flk-1/KDR, récepteur au facteur de croissance vasculaire VEGF ; il inhibe la croissance cellulaire et empêche le développement d’une vascularisation tumorale dense dans des modèles expérimentaux de tumeurs humaines. Il a ainsi été montré que cette molécule inhibait la croissance tumorale de cellules cancéreuses pancréatiques dans un modèle in vivo de xénogreffe chez la souris Nude (Bocci et al., 2004). Des résultats de phase III d’étude clinique d’utilisation de cette molécule dans le traitement du cancer colorectal sont par ailleurs encourageants.

Des petites molécules inhibitrices de l’activité tyrosine kinase telles que le OSI-774 (Erlotimib®) s’opposant à la transduction du signal induit par l’EGF ont été testées. L’Erlotimib permet effectivement d’apporter un gain de survie (bien que modeste) en association à la gemcitabine par rapport à la gemcitabine seule pour le cancer du pancréas (Senderowicz et al., 2007).

Le TNP-470, analogue de la fumagilline, inhibe l’angiogenèse. Il a été rapporté une réponse complète chez certains patients présentant un cancer cervical métastatique ou de la prostate (Kudelka et al., 1997 ; Logothetis et al., 2001). Par ailleurs, deux autres molécules, l’endostatine (peptide de la collagénase XVIII) et l’angiostatine (peptide du plasminogène) présentent une activité anti-tumorale prouvée sur différents modèles. Elles font actuellement l’objet d’études cliniques pour évaluer leur potentialité anti-angiogénique dans le cancer du pancréas.

• L’utilisation d’inhibiteurs de l’activité du récepteur au TGF-β, TGFβRI, a montré leur efficacité pour inhiber in vitro et in vivo le pouvoir migratoire, invasif et métastatique de ces cellules cancéreuses pancréatiques dans des modèles de xénogreffes sous-cutanées et orthotopiques de cellules cancéreuses pancréatiques chez la souris Nude (Subramanian et al., 2004).

• L’expression de la cyclo-oxygénase 2 (Cox-2) dans les cellules cancéreuses leur confère un avantage de croissance par activation de la prolifération cellulaire, inhibition de l’apoptose et stimulation de l’angiogenèse. De plus, son expression se trouve augmentée dans les cancers pancréatiques humains (Tucker et al., 1999) ce qui laisse présager d’utiliser des inhibiteurs spécifiques de la Cox-2 (rofecoxib®, celecoxib®) dans le traitement du cancer du pancréas (Kokawa et al., 2001).

• Enfin, un nouvel antagoniste compétitif du facteur angiogénique HGF, le NK4, possède une action anti-tumorale in vitro et in vivo significative en inhibant l’angiogenèse et

21 l’invasion tumorale. Encore non-évaluée chez l’homme, ce puissant inhibiteur apparaît très prometteur (Saimura et al., 2002).

D’autres agents anti-cancéreux tels que les inhibiteurs de l’histone déacétylase (CI994), les composés de la famille des taxanes (Paclitaxel®, Docétaxel®) agissant sur le cytosquelette sont également une voie de recherche actuelle.

c- Thérapie génique

Malgré l’amélioration des techniques chirurgicales et de la prise en charge en situation palliative ces dernières années, les résultats en terme de survie restent décevants. Le médecin se retrouve souvent démuni face à son patient et à une maladie qui ne laisse que peu d’espoir. Avec l’avancée des technologies dérivées de la biologie moléculaire et du génie génétique, de nombreux groupes ont vu en la thérapie génique une nouvelle voie thérapeutique pour le cancer du pancréas.

Le rétablissement de gènes à activité anti-oncogénique (comme le gène du récepteur sst2) peut constituer une voie thérapeutique par approche de thérapie génique. En effet, des études précliniques ont permis à l’équipe de Christiane Susini de montrer que la réexpression de sst2 par transfert de gènes dans des modèles de cancer pancréatique induisait un effet anti- oncogénique, anti-métastatique et chimio-sensibilisant. Ces résultats ont amené notre équipe, en collaboration avec d’autres groupes de recherche, à déposer un projet d’essai de thérapie génique de phases I et II visant à induire un effet anti-tumoral et de chimio-sensibilisation à la gemcitabine par transfert de gènes anti-tumoraux, dont le sst2, chez des patients présentant un cancer pancréatique localement avancé.

d- Les essais avortés

• Des anticorps monoclonaux humanisés anti-EGF récepteur (puissant inhibiteur de la prolifération cellulaire, appelé IMC-225 ou Cetuximab® ou Erbitux®) (Huang et al., 2003) et anti-c-erbB-2 (Trastuzumab® ou Herceptine®) (Safran et al., 2001) ont été développés et ont montré des résultats encourageants en association avec la gemcitabine lors des essais précliniques et de phase II (réponse objective de 22% chez des patients avec un adénocarcinome pancréatique traités par gemcitabine plus Herceptine par rapport à la gemcitabine en monothérapie) mais les réponses obtenues en phase III ont été très décevantes (Moore et al., 2007).

• Le facteur de croissance VEGF, responsable de la prolifération et de la migration des cellules endothéliales au sein de foyers tumoraux est surexprimé dans les cancers pancréatiques. Un anticorps anti-VEGF (Bevacizumab®) a été jusqu’à en essai de phase III mais n’a pas confirmé les espoirs donnés par les études précliniques (Margolin et al., 2001).

• Les MMP sont des enzymes protéolytiques qui dégradent des composés de la matrice extracellulaire ; l’expression de ces enzymes est plus importante dans le tissu tumoral que le tissu pancréatique normal, suggérant son rôle prépondérant dans l’invasion tumorale. De nombreux MMPI ont été développés et testés dans la thérapie du cancer du pancréas. Parmi eux, le Marimastat® a été évalué en phase III chez des patients non-résécables et s’est révélé très toxique d’un point de vue musculaire ; par ailleurs, la survie moyenne des patients traités par ce MMPI est similaire à celle des patients traités uniquement par gemcitabine (Bramhall et al., 2001).

• Les inhibiteurs de la farnesyl-transférase sont des dérivés des quinolones qui ont pour but d’empêcher le recrutement à la membrane plasmique et donc l’activation de l’oncoprotéine K-ras ; ils sont bien tolérés et ont montré une activité anti-tumorale dans des essais cliniques de phase I ; les essais de phase II et III n’ont cependant pas été aussi concluants, aussi l’avenir de ces inhibiteurs dans le traitement du cancer du pancréas est fortement remis en cause (Crul et al., 2002 ; Caponigro et al., 2003).

Il existe donc une dissociation entre les résultats expérimentaux prometteurs acquis in

vitro et in vivo et la réalité clinique. Si l’on fait un parallèle avec d’autres cancers, des sous-

groupes de patients répondeurs sont peut-être à identifier en fonction de l’équipement moléculaire des cellules cancéreuses ou de leur environnement. Cette piste est peu explorée dans le cancer pancréatique, surtout en situation palliative où les thérapies ciblées sont actuellement indiquées. Devant le caractère agressif de ce cancer, des associations d’inhibiteurs ou d’anticorps sont peut-être à évaluer au plan expérimental et clinique. Ainsi, le travail de l’équipe de A. Pelegrin a montré l’efficacité de la combinaison des anticorps anti- EGFR et anti-HER2 lors d’études pré-cliniques sur des cellules cancéreuses pancréatiques (Larbouret et al., 2007). L’impact de molécules agissant sur l’équilibre des molécules pro- et anti-apoptotiques doit aussi être évalué.

En conclusion, malgré de nombreuses études et des moyens techniques de plus en plus importants, il est encore difficile d’isoler un ou plusieurs marqueurs moléculaires applicables

23 au diagnostic, au pronostic ou au traitement du cancer pancréatique. Des profils d’expression spécifiques ont certes été isolés, mais leur validation clinique est plus longue et difficile. En effet, compte-tenu du caractère non-réséquable de ce type de tumeur, l’intervention chirurgicale n’est réalisée que chez moins de 20% des patients et les ressources biologiques à des fins de recherches scientifiques font défaut. D’autre part, des cytoponctions sous écho- endoscopie sont actuellement réalisées à des fins diagnostiques mais n’apportent qu’une faible quantité de matériel, ce qui est souvent incompatible avec des analyses à large échelle. Si l’analyse de la mutation de l’oncogène K-ras à partir de cytoponctions sous écho- endoscopie va sûrement permette de régler certains problèmes de diagnostic positif et différentiel, les autres marqueurs sont encore à l’épreuve. Sur le plan thérapeutique, si les cibles sont parfois bien identifiées (facteurs de croissance, d’invasion ou facteurs pro- angiogéniques), les biothérapies et traitements ciblés sont pour l’instant peu efficaces. La solution viendra peut-être de l’identification de sous-groupes de patients pouvant bénéficier de ces traitements car répondant à ces thérapies. L’établissement de la carte d’identité des tumeurs « répondeuses » à une ou plusieurs thérapies données permettra ainsi de cibler des populations de patients à traiter avec une molécule donnée, de manière à améliorer le pronostic vital de ces patients. Enfin, l’étude des lésions précancéreuses, qui ont été maintenant bien identifiées, va permettre de reconstruire le chemin de la carcinogenèse pancréatique en replaçant les acteurs moléculaires clés qui seront peut-être autant de cibles potentielles.

C- La gemcitabine

1- Généralités

La gemcitabine (commercialisée sous le nom de Gemzar®) est une molécule anti- cancéreuse utilisée en première intention dans le traitement palliatif de l’adénocarcinome pancréatique localement avancé et métastatique chez l’homme.

Egalement appelée 2’2’-difluorodéoxycytidine (dFdC), c’est un analogue synthétique de la déoxycytidine (déoxypyrimidine naturelle) avec laquelle elle rentre en compétition lors de son incorporation dans l’ADN en élongation. D’un point de vue pharmacologique, la gemcitabine est un anti-néoplasique cytotoxique appartenant au groupe des anti-métabolites pyrimidiques. Si elle présente certaines similitudes avec d’autres analogues nucléosidiques

(cytosine arabinoside), elle en diffère par de nombreuses propriétés (métaboliques et enzymatiques) et un spectre d’activité qui lui est propre.

2- Voies métaboliques