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Qu’est-ce qu’une école orientante ?

Chapitre 1 L’évolution de l’orientation : perspectives historiques et théoriques perspectives historiques et théoriques

1.2.3 Les théories centrées sur le processus

Les théories centrées sur les processus, qui se sont principalement développées à partir des années 50, étudient les étapes, les changements intervenant dans le développement de l’individu. Souvent, elles considèrent des stades par lesquels les personnes passent et qui jalonnent, comme autant de balises, leurs constructions

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personnelles et professionnelles. La dimension temporelle et le caractère dynamique de ces processus sont au cœur de ces théories (Patton & McMahon, 2014).

Dans cette partie sont développées la théorie développementale Ginzberg et ses collègues (Ginzberg et al., 1951), la théorie de la construction de la carrière professionnelle dans l’espace et le cours de la vie de Super (1963, 1980, 1990), la théorie de la circonscription et du compromis de Gottfredson (1981, 1996, 2005) et l’approche du développement de l’individu de Tiedeman et ses collègues [Miller-Tiedeman (1999); Miller-Tiedeman & Tiedeman (1990)]

La théorie développementale de Ginzberg et ses collègues

Au début de la deuxième moitié du vingtième siècle, la première grande évolution concernant les théories de l’orientation provient des travaux d’un économiste appelé Ginzberg. Celui-ci critiquait les aides à l’orientation, car elles ne reposaient sur aucune théorie scientifique et utilisaient simplement les tests traits/facteurs sans prendre en compte l’évolution des individus (Savickas, 2008b). Ginzberg et ses collègues (Ginzberg et al., 1951) ont mis au point une théorie développementale, considérée souvent comme la première de ce type (Zunker, 2012), du choix professionnel. Ces auteurs ont proposé de définir le développement professionnel comme un processus linéaire subdivisé en périodes et en stades (Austin, 2013; Canzittu & Demeuse, 2017; Guichard & Huteau, 2006a; Hughes, 2014; Huteau, 2007a; Patton & McMahon, 2014) :

• La première période est intitulée période des choix fantaisistes (avant 11 ans) où le choix vocationnel n’est pas vraiment réfléchi et correspond plutôt à des activités jugées positivement par les parents et l’enfant.

• La deuxième période est celle des choix provisoires (de 11 à 17 ans). Cette période est divisée en quatre stades : le stade des intérêts, le stade des capacités, le stade des valeurs et le stade de la transition. Ainsi, la personne décidera d’un choix à partir de ses intérêts puis de ses capacités, puis selon ses valeurs et enfin selon des facteurs liés à la réalité.

• La dernière période, celle des choix réalistes (après 17 ans) comporte trois stades que sont le stade de l’exploration (recherche d’informations sur les possibilités de formations et de carrières envisageables), le stade de la cristallisation (évaluation générale selon divers facteurs d’un ou plusieurs choix) et le stade de la spécification (délimitation et précision d’objectifs professionnels spécifiques).

Outre ces périodes et ces stades, les auteurs ont délimité des types de personnalité (personnalités orientées vers le travail ou vers le plaisir) et deux attitudes vis-à-vis des

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choix d’orientation (individu actif ou passif). De plus, ces auteurs ont mis en avant cinq facteurs influençant très fortement le choix professionnel de l’individu : « le rôle de la famille, la préparation en vue du travail, le mariage, la résistance à admettre des erreurs de planification et des échecs, les inconvénients d’un changement de plan » (Bujold & Gingras, 2000, p. 9).

La théorie de Ginzberg et ses collègues repose sur trois éléments clés : le processus, le compromis et l’irréversibilité (Ginzberg, 1972, cité par Patton & McMahon, 2014). Le processus concerne la prise de décision de carrière et l’engagement professionnel (Patton & McMahon, 2014). Selon Ginzberg et al. (1951), les choix de carrière peuvent être caractérisés par des compromis, c’est-à-dire par la recherche d’une adéquation efficiente entre différents facteurs, tels que les intérêts des individus, leurs capacités et la réalité du monde du travail (Ginzberg, 1972, cité par Patton & McMahon, 2014). Ces compromis revêtent un caractère irréversible, une fois ceux-ci opérés, l’individu ne peut pas les outrepasser, les choix professionnels étant alors (à l’époque des auteurs) considérés comme presque immuables et les apprentissages scolaires les conduisant vers un type de métier particulier.

La théorie de Ginzberg, Ginsburg, Axelrad et Herma peut être considérée comme un précurseur des théories modernes de l’orientation (Canzittu & Demeuse, 2017), car elle stipule que :

• le choix d’une formation ou d’une profession est un processus complexe et tributaire du développement à la fois psychologique et physique de la personne ;

• les choix vocationnels sont influencés à la fois par la sphère familiale, le contexte dans lequel vit la personne ainsi que les intérêts, les capacités et les valeurs de l’individu ;

• l’évolution et la construction des choix professionnels s’articulent selon trois étapes passant par la recherche d’informations, l’évaluation du choix posé et la précision d’objectifs spécifiques.

Ginzberg (1984) a proposé une révision de cette théorie où les périodes de choix ne s’étendent plus à une période d’environ dix ans, mais constituent un processus se développant tout au long de la vie.

La théorie de Ginzberg a également ceci d’intéressant qu’elle a servi de base au développement de deux théories de l’orientation, à savoir la théorie de Holland et la théorie de Super. Néanmoins, bien que la théorie de Ginzberg et ses collègues ait engendré une vague de recherches dans les années qui suivirent sa publication, elle n'a

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eu que peu d'impact sur la pratique des aides en orientation, qui est restée très proche des modèles traits/facteurs (D. Brown, 2002a).

La théorie de la construction de la carrière professionnelle dans l’espace et le cours de la vie

La théorie de Super fait partie de celles ayant eu le plus d’impact dans le monde de l’orientation scolaire et a évolué des années 50 jusqu’en 1994 (Šverko, 2006). Les travaux de Super ont pour but premier de « définir les principes pour des interventions d’orientation et de conseil efficaces » (Guichard & Huteau, 2006a, p. 169). Il se détachera rapidement des théories « traits-facteurs » qu’il juge trop figées.

Selon Guichard (2013), Super a introduit trois changements principaux par rapport au modèle de l’appariement :

1. La subjectivité des individus (traduite, notamment, par le concept de soi professionnel) est aussi importante que les considérations objectives dont les résultats aux tests constituent l’actualisation. 2. Le concept de soi professionnel trouve sens par ses liens avec les autres

concepts de soi de la personne.

3. Les métiers ou les professions doivent être envisagés à travers la notion de carrière qui prend en compte une dimension plus large du parcours professionnel au cours de la vie et qui ne réduit donc pas l’individu à un ensemble de capacités uniquement professionnelles.

En fait, ses travaux s’articulent dans une conception du développement de la carrière basée sur l'espace et le cours de la vie41 (Gingras, 2005), c’est-à-dire comme un processus développemental continu (Betz, 2008) de mise en œuvre du concept de soi, démarrant à l’enfance et se terminant à la vieillesse (Leung, 2008). D’ailleurs, pour Super, choisir une profession c’est une manière de réaliser un concept de soi (Super, 1951). Ce concept de soi est influencé, notamment, par la croissance de l’individu, son développement cognitif, ses expériences, son environnement… (Leung, 2008).

Le processus d’exploration vocationnelle, c’est-à-dire le « processus psychologique qui permet l’émergence de préférences pour des voies d’études et des professions » (Huteau, 2007b, p. 191), repose sur la clarification et la transposition du concept de soi en termes professionnels (Jordaan, 1963, cité par Dupont, 2001). Le concept de soi vocationnel se définit alors comme « la constellation des attributs de soi

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que l’individu considère comme pertinents sur le plan vocationnel et qui peuvent se traduire ou non dans une préférence professionnelle » (Super, 1963, cité par Dupont, 2001, p. 88). Pour Super (1990, p. 249), les « concepts de soi, y compris des qualités aussi diverses que l'estime de soi, l'auto-efficacité et la traduction professionnelle des traits de caractère auto-perçus, sont également des aspects importants de la personne que l'on peut évaluer dans le counseling », ce dernier faisant partie du développement global de la personne.

Super (1990; Super et al., 1996) définit ce développement de l’individu comme un enchaînement de cinq phases principales :

1. La croissance (environ de 4 à 13 ans) : stade du développement des compétences utiles à l’activité professionnelle, aux habitudes de travail et au sentiment d’efficacité personnelle (Guichard, 2007a).

2. L’exploration (environ de 14 à 24 ans) : stade où le jeune tente de se