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Conclusion bis repetita , Life Design et Lifelong

La psychologie de l’activité de travail de Blustein

1.2.7 Conclusion bis repetita , Life Design et Lifelong

guidance : vers un homo biographica ?

L’orientation tout au long de la vie est donc un processus qui permet à toute personne et à tous les âges ou moments de vie d’identifier leurs compétences, leurs intérêts, leurs capacités afin de choisir et d’utiliser ces compétences pour pouvoir gérer leurs parcours scolaires, leurs formations ou leurs professions (Concil of the European Union, 2008). Cette orientation « comprend des activités individuelles ou collectives d'information, de conseil, de bilan de compétences, d'accompagnement ainsi que d'enseignement des compétences nécessaires à la prise de décision et à la gestion de carrière » (p.2).

Le Lifelong guidance est déjà amorcé dans plusieurs pays, en témoigne par exemple, en Europe, les travaux entrepris par la Commission européenne pour réaliser un espace européen de l’éducation et de la formation tout au long de la vie (European Commission & Directorate-General for Employment Social Affairs and Inclusion, 2015). Des initiatives similaires se retrouvent dans d’autres États, comme aux États-Unis d’Amérique (United Nations, 2011) ou en Chine (Z. Zhang, 2016), par exemple.

Si la visée d’une orientation permanente couvre toutes les étapes de la vie (Arnkil, Spangar, & Vuorinen, 2017), les différentes actions visant l’aide à la construction de la personne, que l’on parle de Life Design pour répondre aux problèmes fondamentaux d’orientation de la personne adulte (ou jeune adulte/grand adolescent) dans une visée

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d’entretien ou de dialogue ou que l’on envisage une école ou une approche orientante permettant le développement personnel et professionnel des jeunes au cours de leur scolarité, doivent être repensées pour être positionnées sur un continuum, à la fois temporel et de construct73, constitué, comme toute histoire, par un paysage d’actions et un paysage de conscience (Bruner, 1986; Bubenzer, West, & Boughner, 1994) le premier induit par le second ou le définissant74. C’est, pour reprendre l’analogie de Pelletier (2001), permettre la cohabitation du Kaïros et du Chronos, du temps événementiel, non prévu, et du temps programmé, linéaire et prévisible.

La conception relevant de la construction narrative des individus au sein de ces deux types de paysages comme aide à l’orientation s’est d’ailleurs développée à travers plusieurs formes depuis les vingt dernières années et est considérée par Del Corso & Rehfuss (2011), cités par Watson & McMahon (2015, p. 76)75 comme « la clé pour aider les personnes à s'adapter dans un milieu de travail transitoire et en constante évolution ». Par analogie avec différentes caractérisations de l’homme effectuées tant dans le monde littéraire que dans le monde scientifique, nous sommes tentés d’essayer de donner un nom à cet homme en construction et surtout qui assure sa propre construction. Néanmoins, nous ne nous retrouvons pas dans le self-made-man américain

73 Nous entendons le terme construct dans le sens qu’il prend associé à la notion de validité. Le construct désigne « un objet mental (une construction de l’esprit) destiné à représenter quelque chose qui n’est pas explicitement concret, n’a pas en soi de grandeur et n’a de réalité que celle créée par l’opération de mesure » (N. André, Loye, & Laurencelle, 2015, p. 128). Dans notre cas, le continuum de construct représente les opérations de construction de l’individu émanant à la fois des caractéristiques personnelles, du contexte, des périodes d’âge, du développement, des aides reçues, etc. de l’individu. Puisque la construction de l’identité se fait par l’individu selon un ensemble de variables particulières et complexes (construction sociale et cognitive, notamment dans le cadre de l’orientation ; cf. les travaux de Lent et al., 1999, par exemple sur ce sujet) et que l’individu construit, déconstruit, reconstruit et coconstruit son indentité (Savickas, 2013b), ce sont bien ces (ses) opérations qui permettent de représenter le continuum de sa construction.

74 Basé, notamment sur les travaux de Bruner, White a développé, dans le cadre de l’aide thérapeutique, un modèle d’intervention reposant sur la narration des sujets. L’homme est engagé à réinterpréter son histoire, à la recréer : « Dans un cadre narratif, les problèmes humains sont considérés comme découlant d'histoires oppressantes qui dominent la vie de la personne. Les problèmes de l’homme surviennent lorsque le récit de leur histoire, raconté par eux-mêmes ou par d’autres personnes, ne correspond pas de façon significative à leur expérience vécue. En effet, des aspects importants de leur expérience vécue peuvent contredire le récit dominant dans leur vie. Le développement de solutions thérapeutiques à des problèmes, dans le cadre narratif, implique l'ouverture d'un espace pour l'écriture d'histoires alternatives, dont la possibilité a été marginalisée par la narration oppressive dominante qui maintient le problème. » (Carr, 1998, p. 486). 75 Watson et McMahon citent par exemple comme théories développées dans ce champ, outre le Life Design, le narrative career counseling (Cochran, 1997), le sociodynamic counseling (Peavy, 1998), l’active engagement (Amundson, 1998), le self-consctruction (Guichard, 2009), l’action theory (R. A. Young et al., 2011), le chaos theory of careers (Pryor & Bright, 2011) et le story-telling (M. McMahon & Watson, 2012a, 2012b). Nous proposons une approche de ces théories plus tôt dans ce chapitre. L’émergence d’un nombre important de concepts issus de la prise en compte de la “narration” dans la construction identitaire témoigne de l’intérêt porté au domaine dans le champ de l’aide à l’orientation.

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qui, parti de rien, a acquis fortune et place sociale élevée76 (Wyllie, 1954, 1955). De Keere (2014) met d’ailleurs en avant que le self-made-man a laissé sa place, dans la société capitalise qui s’est développée au cours du XXe siècle, à l’already-made-man, c’est-à-dire

un homme qui ne cherche pas à s’adapter à un travail, mais qui tend à choisir une profession en fonction de sa personnalité. Toutefois, il nous semble que les théories actuelles citées dans ce texte s’élaborent dans une perspective de co-construction entre l’individu et donc sa personnalité et la société. Nous nous retrouverions donc plutôt quelque part entre ces deux définitions.

En effet, l’homme se construit et se déconstruit lui-même, par lui et par la société. Il n’est pas non plus un Homme illustré (illustrated Man) pour reprendre les termes de Bradbury (1954), c’est-à-dire qu’il n’est pas couvert de tatouages apparus presque de façon magique et prédisant l’avenir : l’histoire de l’homme n’est pas écrite à l’avance et en orientation, cela se témoigne dans les actions visant à réduire les inégalités sociales par exemple.

L’homme d’aujourd’hui est-il alors l’homo faber proposé en 1907 par Bergson (Bergson, 2007) ou un tool-making animal comme le disait Benjamin Franklin (Sigaut, 2007) puisqu’il construit, mais construit-il uniquement des outils ? Se reconnaît-il exclusivement dans cette action ? Les outils lui servent-ils à se construire lui-même ?

Serait-il l’homo oeconomicus se développant de manière rationnelle et intéressée au sein de systèmes d’échanges économiques et sociaux (Kluver, Frazier, & Haidt, 2014), l’homo sociologicus qui voit ses pratiques définies par sa communauté (Mérand & Pouliot, 2008) ou leur version plus récente de l’homo situs (Zaoual, 1998, 2005), l’homme du site, social, transdisciplinaire et écologique, traditionnel et futuriste, pensant et agissant dans une situation donnée et surtout, communiquant avec son milieu ? Alors est-il peut-être un homo donator induit par ses pulsions à se satisfaire par le don (Godbout, 2005) ou un

homo duplex, basculant sans cesse entre deux idées, deux façons de voir les choses

différentes (Durkheim, 1914, cité par Kluver et al., 2014; Le Breton, 2010). Est-il aussi un homo heuristicus qui, par le fait qu’il ne possède pas l’entièreté des informations (quelle que soit leur origine) est plus à même de prendre en charge efficacement des situations incertaines77 (Gigerenzer & Brighton, 2009).

L’homme se construit, sur des bases complètes ou non et il se construit à travers la culture aussi où il devient un homo consultans d’après Kargulowa (2013). Finalement,

76 La notion de self-made-man est d’ailleurs discutée par Baker (2015) qui remet en cause son adéquation avec les caractéristiques de la société actuelle.

77 The less is more effect (Gigerenzer & Brighton, 2009) se rapproche des propos déjà tenus par Nietzsche (1878, IX 578) : « Le demi-savoir triomphe plus facilement que le savoir complet: il voit les choses plus simples qu’elles ne sont, et par là en donne une idée plus compréhensible et plus convaincante ».

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l’homme est assurément pluriel, empreint à diverses socialisations l’entraînant vers une individualisation de plus en plus marquée (Lahire, 1998).

Dans le jeu de l’adjectivation et dans le champ de l’orientation, basé sur la construction de l’individu, construction qui s’opère tout le temps, selon des méthodologies diverses, nous pensons que nous pouvons adjoindre à l’homme le terme biographique. D’ailleurs Guichard (2004) nous rappelle que Malrieu (2003) considère que l’individu va donner du sens à ses activités, en sortant cette activité de son contexte ou de son domaine et en la référant à d’autres domaines dans lesquels elle se verra une nouvelle fois retirer son sens et ensuite resignifiée. Les termes employés par Bujold & Gingras (2010) pour qualifier le caractère et les buts d’intervention des conceptions basées sur l’histoire des individus conviennent aussi à la perspective de définition de l’orientation que nous venons d’établir : basée sur un « caractère longitudinal, global, contextuel et préventif […] [elle vise] « à favoriser l’adaptabilité, la narrabilité, l’activité et l’intentionnalité » (p.76) de la personne.

L’homo biographica, le constructeur de sa vie, non seul, mais au sein des réalités plurielles qu’il côtoie.

Chapitre 2 Les

déterminants

de