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PREMIERE PARTIE : ETAT DE L’ART

Chapitre 2. Le lobe temporal interne et la mémoire déclarative

4. Modèles anatomo-fonctionnels : dissociations fonctionnelles au sein du LTI ?

4.3. Théorie représentationnelle-hiérarchique

Murray, Bussey et Saksida font une proposition radicalement différente des modèles comme celui de Mishkin ou de Squire, pour qui les structures temporales internes et la mémoire déclarative forme un système anatomo-fonctionnel distinct et relativement indépendant d’autres systèmes (comme le système visuel). En effet, ils proposent que les structures temporales internes participent à la perception (Saksida & Bussey, 2010).

Son principe fondamental

La perception visuelle est connue pour être sous-tendues par deux voies, la voie visuelle ventrale (VVV) et la voie visuelle dorsale (VVD) (Mishkin et al., 1983). L’information visuelle capturée par la rétine est avant tout acheminée vers le cortex visuel primaire (V1) situé à l’extrémité postérieure du cerveau, après un relai au niveau du corps genouillé latéral (un noyau du thalamus). A partir de ce cortex primaire, l’information progresse vers les aires visuelles secondaires (V2) puis se sépare pour emprunter les deux voies ou succession d’aires cérébrales que sont la VVV et la VVD. La première se situe sur la face ventrale des lobes temporaux où elle rejoint les aires temporales inférieures, et correspond à la voie du traitement visuel de l’objet. La seconde située sur la face dorsale du lobe pariétale où elle rejoint les aires pariétales inférieures et correspond à la voie du traitement spatial de la scène visuelle. La progression de l’information a ainsi lieu des aires les plus postérieures aux aires les plus antérieures. De façon remarquable, il a de plus été montré que ces voies aurait pour

de l’information plus abstraite (de la catégorie de l’objet pour la VVV, de l’orientation et de l’emplacement pour la VVD) à mesure que l’information progresse. On parle de traitement hiérarchique. Enfin, comme nous l’avons évoqué lors de la description de l’anatomie et de la connectivité du LTI, chacune de deux voies projettent sur le LTI, et plus particulièrement sur le cortex périrhinal en ce qui concerne la VVV et sur le cortex parahippocampique en ce qui concerne la VVD.

La proposition de la théorie de Murray, Bussey et Saksida est que le LTI lui-même est impliqué dans la perception visuelle et que la continuité qui existe dans chacune des voies visuelles se poursuit jusque dans le LTI. Ainsi, si les aires les plus antérieures de la VVV par exemple sont impliquées dans la représentation de l’objet la plus complexe, le LTI serait lui impliqué dans la représentation visuelle à un degré de complexité supplémentaire. De façon plus générale, à travers les deux voies visuelles et le LTI, les structures les plus postérieures seraient impliquées dans le traitement des représentations simples, les structures intermédiaires seraient impliquées dans le traitement des représentations plus élaborées et les structures les plus antérieures (le LTI) dans le traitement des représentations les plus complexes. Ainsi, dans cette vision la VVV, la VVD et le LTI forment un système à travers lequel le traitement de la représentation perceptuelle est effectué hiérarchiquement. Les auteurs parlent d’un système représentationnel-hiérarchique.

Plus précisément, et dans l’idée d’un prolongement des voies visuelles, les auteurs proposent que le fonctionnement général de ce système est de combiner progressivement les traits caractéristiques (ou ‘features’ en anglais) des objets et des scènes au fur et à mesure que le traitement progresse dans la hiérarchie. Ce serait ainsi la conjonction de traits que traite ce système (Figure 32).

Pour résumer, le système représentationnel-hiérarchique s’organise en deux grandes voies hiérarchiques : une voie ventrale, impliquée dans le traitement des objets et des stimuli individuels en général, incluant en haut de la hiérarchie le cortex périrhinal ; et une voie dorsale, impliquée dans le traitement des scènes, incluant en haut de la hiérarchie l’hippocampe.

Conséquences directes

Cette théorie a plusieurs conséquences directes. En effet, de façon critique, cette théorie implique que c’est la nature de la représentation nécessaire à la tâche qui définit le niveau du système qui sera nécessaire pour l’effectuer.

Ainsi, si la tâche ne nécessite pas une représentation élaborée en termes de conjonction de traits, le LTI ne sera pas nécessairement recrutée, même si la tâche est mnésique. Par conséquent, pour la première fois, le rôle du LTI n’est pas essentiellement de nature mnésique, ni déclaratif, mais peut être impliqué pour des tâches de perception, de mémoire de travail, de mémoire implicite, etc. si le niveau de représentation le demande.

Enfin, selon cette théorie, le rôle du cortex périrhinal est de nature différente de celui de l’hippocampe, décrivant donc un LTI non unifié pour la mémoire déclarative (Murray &

Wise, 2004) et est donc incompatible avec le modèle unitaire de Squire.

A B

Figure 32. Principe de la théorie représentationnelle-hiérarchique (modifié et adapté de Barense et al., 2012).

(A) Vue latérale du cortex cérébral humain montrant le schéma de la VVV selon la théorie représentationnelle-hiérarchique. Le cortex périrhinal est proposé se situer à l’extrémité de cette hiérarchie pour contenir les représentations complexes des objets. (B) Organisation schématique de la représentation visuelle de l’objet à

travers la VVV selon la théorie représentationnelle-hiérarchique. A, B, C et D réfèrent à des traits caractéristiques simples de l’objet représenté dans les régions postérieures. Des conjonctions plus complexes de

ces traits sont représentées dans les régions plus antérieures incluant le cortex périrhinal.

D’abord proposée chez l’animal à la fin des années 90 (Murray & Bussey, 1999), la théorie représentationnelle-hiérarchique a progressivement été enrichie par la suite avec des travaux expérimentaux et computationnels (Cowel et al., 2006 ; Bussey & Saksida, 2007 ; Murray et al., 2007). C’est à la suite d’une série de travaux de l’équipe de Kim Graham (en collaboration avec Murray et Bussey) qu’elle a été proposée chez l’homme. En effet, ces derniers montraient, qu’une atteinte spécifique du cortex périrhinal s’accompagnait de déficits dans des tâches de comparaison de stimuli présentant de grand nombre de trait en commun.

Par ailleurs, une atteinte de l’hippocampe au contraire paraissait engendrer des déficits lors de l’identification de la même scène présentée dans un autre angle (Hanulla & Ranganath, 2008 ; mais voir aussi Barense et al., 2005 ; Lee et al., 2005 ; Graham et al., 2006 ; O’Neil et al., 2009). L’utilisation des modèles de la maladie d’Alzheimer et de la démence sémantique ont permis de montrer les mêmes résultats (Lee et al., 2006, 2007). Ces résultats montraient pour la première de fois façon claire qu’une atteinte de structures du LTI, avait aussi des conséquences sur la perception visuelle.

D’autres résultats concordants ont été trouvés en faveur d’une représentation du cortex périrhinal cruciale pour la discrimination visuelle (Buckley & Gaffan, 1998 ; Bussey et al., 2002 ; Bussey & Saksida, 2002, 2005). Depuis, cette théorie a suscité de nombreuses études en IRM fonctionnel (IRMf) notamment, qui montrent comment le cortex périrhinal est impliqué dans l’intégration des multiples traits des objets à un niveau de représentation plus abstrait (Buckley & Gaffan, 2006 ; Murray et al., 2007 ; Devlin & Price, 2007 ; Lee et al., 2008 ; O’Neil et al., 2009 ; Barense et al., 2010 ; pour une revue thèse-antithèse voir Baxter, 2009 ; Suzuki, 2009). De façon intéressante, une de ces études par exemple montre que l’activation du cortex périrhinal est aussi importante dans une tâche de discrimination de visages ‘morphés’ (c’est-à-dire de visages obtenus en fusionnant deux visages avec différentes proportions), que dans une tâche de reconnaissance de ces visages préalablement présentés (O’Neil et al., 2009). En électrophysiologie, l’activation synchrone de toute la VVV à 240 ms, mais pas de l’hippocampe, et la synchronisation des cortex visuel du cortex périrhinal dans la bande de fréquence théta dans le rappel (Barbeau et al., 2005 ; Barbeau et al., 2008) sont des résultats aussi cohérents avec cette théorie.

La théorie représentationnelle-hiérarchique offre une perspective nouvelle pour aborder

unitaire qui étaient centrées sur le LTI et le dissociait du reste du cerveau. En effet, au niveau conceptuel, le modèle représentationnel-hiérarchique reprend les notions de continuité et de hiérarchie sur lesquels insistaient respectivement Squire et Mishkin, et les étend à toutes les régions de toutes la VVV jusqu’au LTI inclus. De plus, il met l’accent sur le degré de complexité et la nature de la représentation et sort du paradigme de la mémoire déclarative comme rôle essentiel au LTI. Il est a noté qu’à ce titre, cette théorie peut être rapprochée d’autres modèles qui contestent aussi l’implication unique du LTI dans la mémoire à long-terme ou dans la mémoire consciente (ex : Henke, 2010).