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Une approche originale : l’étude du temps de réaction minimum

spécialisation fonctionnelle de l’hippocampe et du cortex périrhinal ?

4. Approche temporelle des processus de la mémoire de reconnaissance

4.4. Une approche originale : l’étude du temps de réaction minimum

Dans une approche temporelle, la présentation d’un stimulus déclenche une série de processus cognitifs qui nécessitent chacun des temps différents pour s’exprimer. Habituellement, la vitesse de ces processus est évaluée en mesurant les temps de réaction moyen des participants à une tâche reposant directement sur le processus d’intérêt. Même si le calcul est fait pour différentes contraintes, c’est aussi ce qui est fait dans le paradigme SAT. Dans le paradigme RDP, la notion de vitesse n’existe plus directement, la mesure d’intérêt sera une performance vis-à-vis d’un temps (le temps-limite) fixé comme contrainte. L’approche de la distribution des temps de réaction, représentant le pourcentage de réponse pour les différents intervalles

du processus considéré. En effet, mis à part le temps de réaction moyen (parfois le temps de réaction médian), la valeur du pic de la distribution peut être choisie. Cependant, les réponses précédant cette valeur principale sont aussi des réponses valides, et indiquent que le processus peut être plus rapide que ces valeurs « centrales ». Dans la perspective d’une éventuelle dissociation des vitesses de la familiarité et de la recollection, cette imprécision est probablement la source des résultats contradictoires reportés plus haut. Quelle mesure pourrait permettre une estimation plus fine de la vitesse des processus ?

4.4.1. Le principe du temps de réaction minimum

Ma thèse, effectuée en co-direction, s’est déroulé dans deux laboratoires : l’INS (Institut de Neurosciences des Systèmes, Marseille) spécialisée notamment de la maladie d’Alzheimer et le CerCo (Centre de Recherche Cerveau & Cognition, Toulouse), spécialisé dans le traitement visuel. Depuis une dizaine d’année, le CerCo, a développé une expertise particulière dans l’étude comportementale de l’approche temporelle des processus cognitifs. En particulier, s’inspirant de travaux en électrophysiologie sur les potentiels évoqués, une mesure du temps de réaction minimum (TRmin) fut introduite afin d’estimer le temps le plus court qui est nécessaire à effectuer une tâche donnée, ou, dit autrement, le premier instant à partir duquel la tâche devient possible (ex : Rousselet et al., 2003).

En pratique, la tâche consiste en un paradigme de type ‘Go/No-Go’, c’est-à-dire que le participant répond positivement seulement (typiquement en relâchant le bouton d’un boîtier-réponse) ou ne répond pas. Les temps de réaction des réponses correctes (vrais positifs ou

‘Hits’ en anglais) et des réponses incorrectes (faux positifs ou ‘False alarms’ (FA) en anglais) sont enregistrés pour de très nombreux essais. Plus nombreux seront les essais, plus les distributions des deux types de réponses pourront alors être représentées pour des intervalles de temps petits en maintenant une bonne précision. Le TRmin est alors défini comme le premier intervalle de temps dans lequel les réponses correctes sont significativement plus nombreuses que les réponses incorrectes (Rousselet et al., 2003 ; Fabre-Thorpe et al., 2011 ; Figure 46). Puisque de nombreux intervalles consécutifs sont ainsi testés, un premier intervalle pourrait par hasard être significatifs (problème de comparaisons multiples). Aussi, il est généralement pris comme critère que le premier intervalle significatif est considéré comme le TRmin, s’il est lui-même suivi d’un certain nombre d’intervalles consécutifs montrant la significativité.

Figure 46. Temps de réaction minimum (TRmin, en pointillé) observés pour deux tâches différentes, et distribution des réponses correctes (ou ‘Hits’, traits épais) et incorrectes (ou ‘FAs’, traits fins). (Extrait et

modifié de Macé et al., 2009)

Le TRmin se distingue du x-intercept issu du paradigme SAT pour plusieurs raisons. La principale raison est que le x-intercept correspond à un temps auquel la performance est toujours au niveau de la chance (puisque c’est l’instant où la courbe SAT estimée se sépare du niveau de la chance). Le TRmin au contraire correspond à un temps auquel la performance est possible (puisque c’est le premier intervalle de temps dans lequel la tâche est significativement réalisée). De plus, le x-intercept est estimé, à partir d’un modèle, sur une courbe constituée d’agrégats de temps de réaction établis à travers différentes conditions (les différents lags), tandis que le TRmin est un paramètre calculé pour une condition donnée, se basant sur une distribution continue des temps de réaction. Ainsi, le TRmin n’est pas une valeur absolue, mais statistique (et dépendra donc de la puissance statistique disponible), et a donc l’intérêt d’indiquer une valeur empirique réelle ne dépendant pas d’un modèle. De cette façon, elle représente une information clé sur laquelle on peut raisonner quant au temps à partir duquel il est possible de faire la tâche.

4.4.2. Résultats obtenus par le passé et limites

Cette méthode a été développée dans le cadre du traitement perceptuel de l’objet. Ainsi, elle a par exemple permis de montrer qu’il est plus rapide de détecter qu’une image contient un

Macé et al., 2009 ; Figure 46). Dans ce domaine, ce résultat a pu être particulièrement intéressant, car il s’opposait à un modèle, le modèle de Rosch (1976), qui proposait que le traitement de l’objet visuel commence (et donc soit le plus rapide) au niveau basique, c’est-à-dire au niveau du point d’entrée lexical (une image présentant un oiseau sera plutôt décrite comme contenant un « oiseau », plutôt qu’un « animal », définissant le point d’entrée lexical au niveau basique (oiseau) et non au niveau superordonné (animal) ; Jolicoeur et al., 1984).

En fait, une explication possible de cette contradiction tiendrait à la nature des tâches utilisées. Dans un cas celles-ci étaient de nature plus lexicale (les tâches en faveur du modèle de Rosch ont généralement impliqué des tâches de dénomination ou de vérification de catégorie) et conduisait à des temps de réaction longs, tandis que dans l’autre cas, elles étaient de nature plus perceptuelles (la tâche de go/no-go de Macé et al., 2009, avec la consigne de répondre le plus vite possible à la catégorie cible à l’aide de son doigt, n’avait aucune demande lexicale) et conduisait à des traitements plutôt courts (Fabre-Thorpe et al., 2011). De nombreux travaux de l’équipe de Thorpe et Fabre-Thorpe sont basés sur ce type d’approche (ex : Van Rullen et al., 2001a ; Rousselet et al., 2003 ; Joubert el al., 2007, etc.). En outre, la méthode du TRmin donne une valeur quantitative du temps le plus court qui est nécessaire pour effectuer une tâche et, dans ce sens, fournit des contraintes fortes sur les processus neuronaux qui supportent ce type de tâche.

Cet exemple est intéressant car il illustre l’intérêt de contraindre les participants à répondre le plus vite possible, afin d’évaluer les processus directement nécessaires à effectuer la tâche.

Deux études récentes ont utilisé à leur tour cette approche dans des tâches de mémoire de reconnaissance de visages familiers (Ramon et al., 2010) ou célèbres (Barragan-Jason et al., 2012). Les deux études rapportent des temps de réaction minimum calculés à travers tous les participants (c’est-à-dire en cumulant les données de tous les participants comme un seul méta-participant) similaires, autour de 380 et 390 ms. Toutefois, les TRmin calculés par participant montraient une grande variabilité (Barragan-Jason et al., 2012 : moyenne = 500 ms, écart-type = 199 ms). De plus, certains participants montraient pour leur valeur de TRmin (c’est-à-dire le temps le plus court auquel ils se montraient capable d’effectuer la tâche) des valeurs très lentes (pouvant aller jusqu’à près de 700 ms). En particulier, ces valeurs étaient ainsi parfois supérieures aux temps-limites courts des paradigmes RDP, conditions dans lesquels les participants pouvaient montrer pourtant de bonnes performances. Ces résultats

suggèrent que dans les tâches de mémoire de reconnaissance, les participants utiliseraient spontanément des processus non-nécessaires.

Le développement de nouvelles méthodes permettant d’estimer plus directement les processus strictement nécessaires pour effectuer la tâche semble requis. Mais comment contraindre les participants à utiliser une stratégie minimisant l’emploi de processus non-nécessaires ? Et à l’aide d’une telle méthode, serait-il possible d’estimer et différencier la vitesse de la mémoire de reconnaissance basée sur la familiarité et de celle basée sur la recollection ?