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PREMIERE PARTIE : ETAT DE L’ART

Chapitre 2. Le lobe temporal interne et la mémoire déclarative

1. Anatomie et connectivité du LTI

2.2. Mémoire épisodique vs mémoire sémantique : Tulving

En 1972, Endel Tulving propose la distinction entre la mémoire épisodique et sémantique.

Initialement, ces deux systèmes de mémoire étaient distingués sur la base de la nature des informations à mémoriser. La première concernait les évènements personnellement vécus inscrits dans un contexte spatial et temporel (par exemple : « Le week-end dernier, il faisait beau, nous marchions dans la rue lorsque nous avons croisé Christoph. ») ; la seconde les concepts, les faits généraux situés hors de tout contexte d’encodage (« Christoph est le colocataire de Rodika. »).

Depuis, ces définitions ont été reprises régulièrement par l’auteur. Lorsqu’il décrit la mémoire épisodique, l’auteur insiste en effet désormais sur l’expérience subjective de la récupération de ce type de mémoire et le « voyage mental dans le temps » à travers son propre passé qu’elle implique. L’état de conscience de ce type d’expérience est défini par Tulving comme la conscience autonoétique (« noèse » signifiant « l’acte par lequel on pense »), et fait référence à la conscience que le participant expérimente, de l’épisode récupéré et de la perspective de sa propre identité (le self) dans ce temps subjectif reparcouru mentalement (Tulving, 1985b). L’auteur met ainsi l’emphase sur l’expérience subjective, souvent accompagnée d’une impression de reviviscence, plutôt que sur l’exactitude du souvenir de l’évènement rappelé, dans sa définition de la mémoire épisodique.

La mémoire sémantique, quant à elle, fait référence à la compréhension et à l’utilisation du langage (les mots, leurs sens, les concepts…), mais aussi aux connaissances générales sur le monde (incluant celles sur soi : c’est la mémoire sémantique autobiographique, Tulving, 1985a ; Tulving, 2001 ; Levin et al., 2012). Lors de la récupération d’éléments de cette mémoire, Tulving suggère que le participant est dans un état de conscience noétique du monde, des objets, des évènements, cela indépendamment de la conscience autonoétique et du temps subjectif. La conscience noétique correspondrait à l’expérience de la connaissance du sens des choses qui nous entoure. C’est elle qui permettrait de pouvoir réfléchir aux éléments du monde, de pouvoir conduire une introspection, sans pour autant avoir une impression de reviviscence du passé qui caractérise la mémoire épisodique.

De nombreuses données neuropsychologiques documentent la dissociation entre ces deux mémoires. En fait, Tulving écrit que dès 1950, Nielsen l’avait entrevu (Nielsen, 1958), mais le patient HM (Milner et al., 1957) dont les deux formes de mémoires étaient atteints

« accaparait toute l’attention des chercheurs » (Tulving, 2002, 2004). Il a fallu ainsi attendre

neuropsychologique en faveur de la dissociation entre un système de mémoire épisodique et un système de mémoire sémantique, se trouve dans la préservation des connaissances sémantiques chez certains patients amnésiques avec troubles massifs de la mémoire épisodiques. Souvent néanmoins, cette dissociation a pu être critiquée, car elle opposait une atteinte de l’acquisition de nouveaux souvenirs avec la préservation des connaissances sémantiques acquises longtemps auparavant, se confondant avec la dissociation mémoire antérograde/mémoire rétrograde.

L’étude du patient KC a permis de clarifier cette ambiguïté. Victime en 1981, à l’âge de 30 ans d’un grave traumatisme crânien lors d’un accident de motocyclette, KC a subi de nombreuses lésions de régions corticales et sous-corticales. Notamment, ces lésions incluaient l’hippocampe, ainsi que les régions du gyrus parahippocampique de façon bilatérale, mais laissant préservée en particulier une partie du cortex parahippocampique droit (Rosenbaum et al., 2000, 2005). Son amnésie présentait une dissociation entre une atteinte de la mémoire épisodique et une préservation de la mémoire sémantique, et ce de façon rétrograde comme antérograde (Tulving, 2002, 2004).

KC montrait en effet une incapacité totale à se souvenir d’un seul évènement ou circonstance de sa propre vie depuis sa naissance jusqu’au jour présent. « La seule exception concerne les expériences vécues dans les deux minutes précédentes ». « [Quelques soient les] informations qu’on lui donne […], KC répond invariablement qu’il n’en a pas le moindre souvenir, pas le moindre sentiment de familiarité. » Ainsi pour Tulving, « ce qui est massivement perturbé chez lui, c’est sa perception du temps vécu subjectif, sa conscience autonoétique ». De plus, KC apparaît incapable de répondre, après qu’on lui pose la question, sur ce qu’il fera plus tard, le lendemain ou dans n’importe quel moment de son futur. Pour Tulving « cet aspect du syndrome suggère que le sens du temps dont se nourrit la conscience autonoétique ne couvre pas seulement le passé, mais aussi l’avenir » (Tulving, 2004).

En contraste, la mémoire sémantique accumulée dans la vie de KC jusqu’à l’accident demeuraient pratiquement intactes. Depuis ses connaissances acquises dans les différentes disciplines scolaires (mathématiques, histoire, géographie, etc.), jusqu’aux connaissances générales sur le monde, son savoir était comparable à celui d’une autre personne de son niveau d’éducation. Les connaissances sur sa propre vie étaient aussi toutes intactes (sa date de naissance, son adresse enfant, le nom des écoles qu’il a fréquenté, la marque et couleur de

était capable d’apprendre « lentement mais sûrement » des connaissances sémantiques. Une procédure spéciale de présentation répétée était nécessaire, mais il était capable de rappeler ses informations des semaines ou des mois, malgré son impossibilité à se rappeler ces séances d’apprentissage (Rosenbaum et al., 2005).

Figure 25. (A) IRM de K.C. Coupe axiale (gauche) et sagittale (droite) montrant l’atteinte bilatérale des hippocampes avec conservation des parties antérieures du lobe temporal, ainsi que partiellement du cortex parahippocampique droit. (B) Photographie de K.C. en train de jouer aux échecs. Le fait que K.C. soit toujours

capable de jouer aux échecs tient notamment à la préservation de sa mémoire sémantique. Il connaît parfaitement les règles, mais est incapable de rappeler quand et où il a commencé à y jouer, ni même avec qui il

a pu y joué par le passé.

Le cas de trois adolescents amnésiques Beth, Jon et Kate est un autre exemple remarquable.

Ces trois adolescents, découverts au milieu des années 1990, présentent une amnésie sévère secondaire à la suite de lésions d’origines anoxiques, limités à la formation hippocampique et contractés pendant la petite enfance (Vargha-Khadem et al., 1997). Les troubles conséquents étaient une perte d’autonomie, causé par leur désorientation spatiale et temporelle. De façon

scolarité. Ils pouvaient continuer d’acquérir des connaissances sémantiques, montrant une claire dissociation entre la mémoire épisodique et la mémoire sémantique.