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Les aMCIs : population prédémentielle à haut risque de conversion

PREMIERE PARTIE : ETAT DE L’ART

Chapitre 1. La maladie d’Alzheimer et son atteinte précoce

1. De la nécessité de comprendre les stades précoces de la maladie d’Alzheimer

2.2. Les aMCIs : population prédémentielle à haut risque de conversion

Les communautés médicale et scientifique ont redoublé d’efforts pour améliorer le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer et développer la recherche thérapeutique. Les avancées récentes dans l’utilisation des marqueurs prouvant in vivo la présence de la maladie d’Alzheimer a stimulé le développement de nouveaux critères qui conceptualisent le diagnostic autour d’un pattern spécifique, combinant l’évaluation clinique des changements cognitifs à des preuves de modification structurale et biologique.

Afin d’évaluer les atteintes et troubles qui précédent la démence, le concept de trouble cognitif léger ou MCI (de l’anglais « Mild Cognitive Impairment ») a été introduit. Selon les critères formalisés par Petersen et al. (1999), une personne est dite affectée d’un « MCI » si elle présente une plainte cognitive avec un trouble cognitif objectivé par des tests neuropsychométriques, mais conserve son autonomie quotidienne et ne présente pas de démence. Différents types de MCIs sont différentiables en fonction de la spécificité ou non du domaine cognitif affecté. Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, il a été montré que chez une population de MCI-« amnésiques » (ou aMCIs, c’est-à-dire présentant une altération isolée ou prédominante des fonctions mnésiques), environ la moitié convertiront dans les 3 à

5 ans (Peterson et al., 2004) et la population des aMCIs est ainsi devenu dans les années 2000 la population privilégiée pour étudier la phase prédémentielle de la maladie d’Alzheimer.

Ainsi, pendant une dizaine d’année, la recherche s’est concentrée sur l’étude du profil des aMCIs, des indices qui prédisent une conversion subséquente vers le stade de démence (via notamment le bénéfice des études longitudinales) à travers de nombreuses modalités (évaluation clinique, imagerie structurale, fonctionnelle et métabolique, marqueurs biologiques, etc.) et de facteurs génétiques (allèle e4 de l’ApoE, mutation génétique à l’origine de forme précoce de la maladie, etc.).

Cette lignée de recherche a conduit notamment, à la proposition, en 2007, de nouveaux critères ‘de recherche’ de Dubois et coll. pour la détection précoce de la maladie d’Alzheimer chez les aMCIs (voir Tableau 1).

Tableau 1. Critères ‘de recherche’ de détection précoce de la maladie d’Alzheimer selon Dubois et al 2007 (traduction par Ollat 2008). Pour la première fois, ces critères mettent l’attention sur la présence clinique, biologique, structurelle et biochimique de la maladie d’Alzheimer dans une phase prédémentielle, plutôt que sur

un syndrome de démence.

fois, à mettre en évidence la présence clinique, mais aussi pathologique (au travers d’indices biologiques, structurelles et biochimiques) de la maladie d’Alzheimer dans une phase prédémentielle. Ces critères associent donc plusieurs modalités exploratoires à l’approche clinique, dans le but d’augmenter la précision diagnostique.

Marqueurs cliniques : l’évaluation mnésique

Le critère principal de ces critères de recherche de la détection précoce de la maladie d’Alzheimer est clinique et concerne la présence de troubles mnésiques, mais plus particulièrement d’une atteinte de la mémoire épisodique. Cette mémoire, définit par Tulving (1972), correspond à la composante de la mémoire déclarative – explicite, consciente et verbalisable – qui touche à l’acquisition et la récupération d’évènements personnels vécus ou plus généralement d’informations acquises dans un contexte donné (voir « Mémoire épisodique vs mémoire sémantique : Tulving », p. 67 et suivantes). Les tests couramment utilisés pour l’évaluer reposent sur une procédure de rappel libre de mots (ex : le RL/RI-16 issu de la procédure de Grober & Buschke ; Van der Linden et al. 2004), d’une histoire (ex : le test de mémoire logique), ou encore de figures géométriques (ex : le test de la figure complexe de Rey-Osterrieth). Il est important de noter qu’un déficit de la performance à ce type de tests ne permet pas, à lui seul, d’expliquer quels mécanismes seraient atteints. Des troubles de l’attention (comme dans le cas de la dépression), de la récupération (comme dans le cas d’une démence fronto-temporale) ou encore de la consolidation (comme dans le cas de la maladie d’Alzheimer) peuvent tout aussi bien être à l’origine de pareils déficits (Dubois 2000, 2004). En revanche, en l’absence de tels déficits, le test du RL/RI-16 (score de rappel libre ou de rappel total, après indiçage) permettrait une bonne identification d’un syndrome amnésique de type hippocampique (Grober & Buschke, 1987, 1988). Au début du stade démentiel de la maladie d’Alzheimer, en effet, le RL serait déjà très déficitaire, et la sensibilité à l’indiçage diminuerait en parallèle de la progression de la démence (Tounsi et al.

1999). De plus, il a été montré que les participants âgés sains présentant des troubles au RL présenteraient un risque important de progresser vers un stade démentiel de la maladie d’Alzheimer dans les années suivantes (Grober et al 2000). En 2007, Sarrazin et coll.

rapportant les résultats d’une étude longitudinale menée sur une période de 3 ans, avec un suivi tous les 6 mois, de 217 participants aMCIs, montrent que parmi tous les tests subis par

fonctions exécutives et langage), les scores au RL/RI-16 étaient les plus prédicteurs d’une future conversion (avec 71% de sensibilité et 92% de spécificité). Les travaux d’Amieva et coll. (2008) sur la cohorte PAQUID mettent en exergue l’affaiblissement très précoce des scores de fluence verbale catégorielle (set test d’Isaac) qui se révèlent significativement diminués chez les participants douze ans avant le diagnostic de maladie d’Alzheimer (pour une description plus complète de l’évaluation mnésique, voir « L’hypothèse d’une atteinte fonctionnelle mesurable et spécifique au stade sous-hippocampique », p. 43 et suivantes).

Les critères secondaires de détection précoce de la maladie d’Alzheimer proposés par Dubois et collaborateur sont paracliniques et cherchent à rendre compte des conséquences biologiques qui accompagnent l’installation de la maladie d’Alzheimer pour compléter le bilan clinique.

Marqueurs anatomiques : IRM anatomique

Le premier des critères secondaires proposé par Dubois et al. (2007) correspond aux conséquences anatomiques de la progression de la maladie d’Alzheimer. Comme l’avaient montré Braak et Braak (1991, 1995), puis Delacourte et coll. (1999), c’est dans le lobe temporal interne (LTI) que se développent en premier lieu les DNF dans la maladie d’Alzheimer. Les mesures d’atrophie des structures du LTI ont ainsi été largement utilisées, révélant ,outre des changements sur le volume global du cerveau (Fo et al., 1999 ; Joseph et al., 2008 ; Schott et al., 2008 ; Sluimer et al., 2008a et b), des modifications volumétriques au niveau du cortex entorhinal (Cardenas et al., 2011), de l’hippocampe (Thompson et al., 2004

; Jack et al., 2004; Ridha et al., 2008; Morra et al., 2009) de l’ensemble du lobe temporal (Hua et al., 2009; Ho et al., 2010), de même que la mise en évidence d’un élargissement ventriculaire (Thompson et al., 2004 ; Jack et al., 2004 ; Ridha et al., 2008), corrélant de manière satisfaisante avec des changements cognitifs, et confirmant leur validité comme marqueurs de progression de la maladie.

Il existe plusieurs méthodes de mesure volumétrique à partir d’images d’IRM cérébrales anatomiques. Les approches en « régions d’intérêt » ou en « cerveau entier » peuvent être distinguées. Si les secondes sont toujours automatiques (VBM, étude de l’épaisseur corticale, Querbes et al., 2009), le « gold standard » des premières reste la segmentation manuelle (Insausti et al., 1998 ; Pruessner et al., 2000 ; 2002). Toutefois, ces méthodes manuelles pouvant être couteuses en temps et leurs reproductibilités nécessitant d’être validées auprès

2009b) ou semi-automatiques (ex : Feckzo et al., 2008) ont pu être développées.

En comparant les volumes du cortex des patients à ceux de participants contrôles, il a été montré qu’une atrophie du LTI est courante dans la maladie d’Alzheimer (DeLeon et al., 1997), en lien avec la sévérité de l’atteinte en PA et DNF (Jack et al., 2002 ; Gosche et al., 2002) et qu’elle permettrait de différencier des patients présentant une maladie d’Alzheimer des participants contrôles avec une sensibilité et une spécificité supérieure à 85% (Laakso et al., 1998 ; Schletens et al., 2002). Chez les aMCIs, l’atrophie de l’hippocampe et celle du cortex entorhinal existent, jusqu’à être aussi prononcées que celles rapportées chez des patients présentant une maladie d’Alzheimer à un stade démentiel, mais elles ne permettraient de différencier les patients des participants contrôles qu’avec une précision médiocre, autour de 60 à 75%, même en les combinant (voir par exemple Dickerson et al., 2001 ; Pennanen et al., 2004). Des études longitudinales ont montré que le risque de progression d'un aMCI vers la maladie d’Alzheimer est associé à l'importance de l'atrophie du LTI (par exemple Visser et al., 2002 ; Korf et al., 2004), de l'atrophie de l'hippocampe (par exemple Jack et al., 1999 ; 2004 ; Devanand et al., 2007) et de l'atrophie du cortex entorhinal (par exemple Jack et al., 2004 ; Stoub et al., 2005 ; Devanand et al., 2007). Cependant, la spécificité et la sensibilité de ces atrophies en terme de valeur diagnostique sont rarement supérieures à 80 %.

Autres marqueurs : imagerie fonctionnelle, biologie, génétique

D’autres marqueurs sont inclus dans la liste des critères secondaires de détection précoce de la maladie d’Alzheimer proposés par Dubois et collaborateur. Il s’agit de marqueurs biologiques, métaboliques ou encore génétiques de la maladie d’Alzheimer.

L’imagerie par TEP (Tomographie par Emission de Positons) ou encore par TEMP (pour

‘Tomographie par Emission MonoPhotonique’, ou SPECT pour ‘Single-photon emission computed tomography’ en anglais) permet d’observer des augmentations ou diminutions du métabolisme glucidique et du flux sanguin dans le cerveau. Dans la maladie d’Alzheimer, un hypométabolisme a ainsi pu être observé dans le cortex postérieur et le cortex temporo-pariétal (ex : Minoshima, 1997 ; Herholtz et al., 2002 ; Huang et al., 2002) et pourrait rendre compte des pertes neuronales ou ischémiques engendrés par la pathologie. Ses bonnes sensibilité et spécificité de l’ordre de 86% (ex : Patwardhan et al., 2004, méta-analyse de neuf études en TEP) permettraient de distinguer la maladie d’Alzheimer d’autres maladies comme

fronto-temporale (Koeppe et al., 2005) ou la démence vasculaire (Duara et al., 1989 ; Szelies et al., 1994). Chez les aMCIs, le même déficit est observable, et de façon plus marqué encore chez les aMCIs qui évolueront vers la démence en comparaison de ceux qui restent stables, et la sensibilité et la spécificité de ce profil métabolique en terme de prédiction vers la conversion des aMCIs ont été rapportées aux environs de 80% (ex : en TEP : Minoshima et al., 1997 ; Chételat et al., 2003 ; Mosconi et al., 2004 ; en TEMP : Johnson et al., 1998 ; Borroni et al., 2006 ; Johnson et al., 2007, etc.).

Récemment, de nouveaux radioligands, ou marqueurs, spécifiques de l’amyloïde ont été introduits en TEP. En particulier, le mieux documenté est le PiB (11C-Pittsburgh Compound-B), composé carboné qui semble discriminer efficacement les patients atteints de maladie d’Alzheimer des participants sains (Klunk et al., 2004; Drzezga, 2009; Rowe et al., 2010). La fixation la plus importante du PiB dans la maladie d’Alzheimer probable est ainsi observée dans le cortex préfrontal, orbitofrontal, temporal et pariétal (ex : Klunk et al., 2004 ; Rowe et al., 2007), comme chez les aMCIs, mais de façon moins sévère (ex : Pike et al., 2007 ; Forsberg et al., 2007 ; Jack et al., 2008). Un autre marqueur fluoré de l’amyloïde actuellement en plein essor est le florbetapir (18F-AV-45). Ce marqueur présente en effet une affinité et une sélectivité excellentes pour les plaques amyloïdes en étude d’autoradiographie (Choi et al., 2009 ; Choi et al., 2012 ; Poisnel et al., 2012), ainsi que de très bonnes propriétés pharmaco-dynamiques (Carpenter et al., 2009). Les patients ont montré une fixation principalement dans le précuneus, le lobe temporal et le lobe frontal, tandis que les participants contrôles présentent plutôt une fixation dans la substance blanche (Wong et al., 2010 ; Fleisher et al., 2011). La charge amyloïde cérébrale in vivo mesurée à l’aide de l’AV45 est corrélée chez les patients présentant une maladie d’Alzheimer avec les lésions retrouvées à l’examen anatomopathologique (Clark et al., 2011 ; Choi et al., 2012 ; Clark et al., 2012). Chez des patients MCI un pattern intermédiaire a pu être observé, avec une hyperfixation dans le cingulum postérieur par rapport aux participants contrôles (Camus et al., 2012). D’autres radioligands tels que le Florbetaben ou le Flutemetamol seraient susceptibles d’apporter des éléments comparables.

L’analyse des taux de protéines tau et du peptide AB42 dans le liquide céphalorachidien prélevé par ponction lombaire, s’est également révélé être un bon marqueur biologique de maladie d’Alzheimer (Mattson et al., 2009). Ainsi, une augmentation de la protéine tau (totale ou phosphorylée) permet de distinguer des patients atteint d’une maladie d’Alzheimer de

90% (Blennow, 2003). Un suivi de 180 aMCIs sur 4 à 6 ans (avec un taux de conversion de 42%) a permis de montrer qu’une utilisation combinée des taux de protéine tau totale et du peptide AB42 observée à l’entrée permettait d’identifier les aMCIs qui convertiront vers une maladie d’Alzheimer avec une sensibilité 95% de et une spécificité de 83% (Hansson et al., 2006). Toutefois cette méthode reste invasive, et peut seulement être utilisée en complément d’autres examens (Vemuri et al., 2009).

D’un point de vue génétique, l’apolipoprotéine E, synthétisée par les astrocytes, est la seule apolipoprotéine présente dans le cerveau. Elle assure le transport des lipides destinés aux neurones et ainsi joue un rôle essentiel dans la maintenance et la réparation des membranes neuronales, ainsi que dans les processus plastiques. Elle montre trois isoformes (apoE2, apoE3 et apoE4) qui sont codées respectivement par trois allèles différents du gène ApoE (respectivement epsilon2, epsilon3 et epsilon4). L’allèle epsilon4 représente un facteur de risque important pour la maladie d’Alzheimer, notamment car il faciliterait la fibrillation du peptide AB. L’allèle epsilon2 au contraire semble avoir des effets neuroprotecteurs (Wellington et al., 2004). Ainsi, une série d’études longitudinales ont montré que chez les participants âgés, ceux qui étaient porteurs de l’allèle epsilon4 présentaient un risque plus important de déclin de la mémoire épisodique et d’autres fonctions cognitives (ex : Wilson et al., 2002 et Bretsky et al., 2003), tandis que chez les aMCIs, les porteurs de l’allèle epsilon4 se caractérisaient par un risque de conversion fortement augmenté (ex : Aggarwal et al., 2005 et Devanand et al., 2005). Récemment, il a été montré que le phénotype clinique de la maladie pourrait être influencé par l’ApoE (Van der Flier et al., 2006 ; 2011).