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PREMIERE PARTIE : ETAT DE L’ART

Chapitre 2. Le lobe temporal interne et la mémoire déclarative

1. Anatomie et connectivité du LTI

3.2. Modèle SPI d’Endel Tulving

En 1995, considérant l’ensemble des données, dissociations et dichotomies conceptuelles recueillies sur la mémoire jusque-là, Tulving décrit deux grandes classes de concepts de la mémoire : les processus et les systèmes, et propose pour la première fois de tenter d’établir les relations existant entre elles. Selon lui, cinq grands systèmes peuvent être identifiés (Figure 26). La mémoire procédurale (MProc) qui s’exprime dans l’action (comportementale ou cognitive) indépendamment de toute représentation, correspond à des systèmes d’action au niveau comportemental et cognitive et s’opposent ainsi aux quatre autres grands systèmes, qui sont « des systèmes de représentations cognitives, […] véhiculant des changements dans la cognition, ou pensée ». Le système de représentation perceptive (SRP) sous-tend les effets d’amorçage et fournit les ébauches perceptives des éléments constituant la mémoire sémantique. Cette dernière qui serait mieux définie selon Tulving par l’expression

« connaissance générale sur le monde » correspond à la mémoire des faits au sens le plus général. Citant l’auteur : « la représentation structurée de cette information, la connaissance sémantique, modélise/modèle le monde » (Tulving 1995, p841). La mémoire primaire, ou mémoire de travail, enregistre et retient les informations entrantes sous une forme de haute accessibilité pour une courte période de temps. La mémoire épisodique permet au participant de se rappeler son expérience personnelle passée et est associée à cette forme toute particulière d’état de conscience qu’est la conscience autonoétique (voir plus haut). De plus, si ces cinq systèmes sont présentés dans cet ordre, c’est que pour Tulving, cet ordre correspond à celui de leur émergence supposée, tant au niveau phylogénétique qu’ontogénétique, mais aussi aux relations de dépendance qui gouvernent certains aspects de leurs opérations.

Figure 26. Les cinq grands systèmes de mémoire selon Tulving (1995). Le premier, la mémoire procédurale, est un système d’action. Les quatre suivants sont des systèmes de représentations cognitives.

Chacun de ces systèmes est directement concerné par la seconde grande classe de concepts de mémoire : les processus (l’encodage, le stockage et la récupération). Tulving se pose alors la question d’un moyen systématique pour intégrer les systèmes de la mémoire et les processus de la mémoire. C’est dans ce cadre qu’il propose son modèle SPI pour « Sériel, Parallèle et Indépendant », qui correspondent respectivement à la façon d’opérer des trois processus.

Ainsi, dans ce modèle, l'encodage se fait de façon sérielle, un système après l'autre (dans l’ordre d’émergence supposée de ces systèmes, les plus anciens correspondant au plus bas-niveau de la hiérarchie), la qualité de l’encodage à un bas-niveau reposant sur celle du bas-niveau précédent. Le stockage est parallèle, dans les différents systèmes en même temps. La récupération d’information dans un système donné est indépendante de la récupération dans les autres. L’auteur limite ce modèle aux systèmes cognitifs de mémoire, c’est-à-dire exclue la mémoire procédurale en indiquant que plus de travaux seraient nécessaires pour étendre le modèle jusqu’à elle. De plus, il est à noter que dans la suite de ses publications l’auteur met l’emphase sur les relations entre système perceptif, mémoire sémantique et mémoire épisodique, ne précisant plus les liens avec la mémoire de travail.

Mémoire épisodique

Mémoire sémantique

SRP

Encodage Stockage Récupération

Modèle SPI (de Tulving)

B

Figure 27. Modèle SPI de Tulving (1995).

Ce modèle est fondamental pour le domaine de la mémoire, car tout en restant structural, il précise l’organisation et les relations qui peuvent exister entre les systèmes. De plus, si celui-ci rend compte d’une multitude de données de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie, il permet aussi de formuler de nombreuses prédictions (Figure 27).

Considérant seulement la mémoire épisodique et la mémoire sémantique, trois prédictions très importantes sont possibles. Premièrement, si la mémoire épisodique est atteinte, les récupérations rétrograde et antérograde restant possibles pour les autres systèmes, il pourra être observé une dissociation de la mémoire épisodique et de la mémoire sémantique.

Deuxièmement, si la mémoire sémantique est atteinte, aucun nouvel encodage en mémoire épisodique ne sera possible et l’observation d’une double dissociation de la mémoire épisodique et de la mémoire sémantique est impossible concernant la mémoire antérograde.

Troisièmement et en revanche, si la mémoire sémantique est atteinte, une récupération rétrograde en mémoire épisodique reste possible et ce fait l’observation d’une double dissociation de la mémoire épisodique et de la mémoire sémantique concernant la mémoire rétrograde aussi.

La première prédiction a pu être vérifiée par de nombreuses données, chez des patients présentant un syndrome amnésique permanent (Van Der Linden et al., 1996 ; Verfaellie et al., 2000 ; Holdstock et al., 2002a ; Scmolk et al., 2002), chez des patients présentant un syndrome amnésique transitoire (Guillery et al., 2001), ou encore dans l’amnésie développementale (Vargha-Khadem et al., 1997 ; Gadian et al., 2000 ; Baddeley et al., 2001 ;

Cependant, Squire et Zola (1998) qui défendent une vision unitaire de la mémoire déclarative (voir partie suivante) avancent que les troubles des adolescents de Vargha-Khadem et coll.

(1997) ne concernent pas toute la mémoire épisodique et que leur mémoire sémantique n’est pas entièrement préservée. Plus récemment, une étude de deux patients présentant une large atteinte du LTI a montré que ceux-ci pouvait acquérir des connaissances sémantiques sous une forme appauvrie, dépendant non plus du LTI mais du néocortex temporal (Bayley et al., 2008a).

La deuxième prédiction est elle aussi mise en difficulté, face aux données de patients présentant le syndrome dit de démence sémantique. Cette maladie neurodégénérative, consiste en une dégénérescence corticale progressive débutant par le pôle temporal et se caractérise principalement par un trouble isolé et progressif de la mémoire sémantique. Toutefois, contrairement à ce que prédirait le modèle SPI, ces patients présentent la possibilité d’acquérir des éléments de souvenirs épisodiques (Graham et al., 2000 ; Simons et al., 2001).

Enfin, la troisième prédiction est bien corroborée par le stade précoce de la démence sémantique dans lequel un trouble de la récupération en mémoire sémantique est observé, en même temps qu’une préservation relative de la mémoire épisodique (Piolino et al., 2003 ; Matuszewski et al., 2009). Cependant, elle est discutée par Squire et coll. (voir plus loin).

Le modèle SPI de Tulving, décrit par lui-même plutôt comme une proposition d’organisation de la mémoire, présente ainsi de nombreuses limites, que les différents modèles proposés par la suite tentent de dépasser.