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Chapitre 3 Le rôle explicatif de la réactance situationnelle dans l’échec des communications santé

1. La réactance situationnelle, une tentative de restauration de la liberté individuelle perçue comme menacée

1.1 La théorie de la réactance psychologique

La réactance psychologique correspond à « la réaction négative des individus à toute tentative de

contrainte de leur libre choix » (Darpy et Prim-Allaz, 2006, p.4). Brehm (1966) a introduit ce

concept de réactance, avec, comme postulat, le fait que les gens réagissent aux tentatives de contrôle de leur comportement et aux menaces de leur liberté de choix, en prenant une position de rejet.

La théorie de la réactance a été d‟abord étudiée pour expliquer des changements de préférence vis-à-vis d‟un produit : quand un consommateur se voit refuser la liberté de choisir une certaine alternative, même si celle-ci n‟avait pas sa préférence au départ, l‟alternative devient alors sa préférée (théorie illustrée dans le domaine des lessives par Mazis, Settle et Leslie, 1973, des sodas par Lessne et Notarantino, 1988). La réactance peut notamment se manifester lors du retrait d‟un produit, comme Ringold (1988) le montre pour expliquer l‟échec du « new Coke ». Les consommateurs se sont sentis privés de leur liberté de choix de boire le Coca-Cola original qu‟ils avaient l‟habitude de boire : ils ont ainsi développé de la réactance psychologique, qui s‟est traduit par un rejet du New Coke.

Ainsi, les tentatives de persuasion de toutes sortes, et en particulier celles des campagnes de prévention en santé, échouent souvent à convaincre leur cible (e.g., Wilde, 1993). Dans certains cas, elles ont même un effet inverse à celui recherché (e.g., Stewart et Martin, 1994). La théorie de la réactance psychologique a permis d‟apporter une réponse théorique à ces échecs de tentatives de persuasion : pour restaurer leur liberté, perçue comme menacée, les individus risquent de développer un sentiment d‟hostilité envers la communication, voire un rejet total, et d‟adopter un comportement de plainte ou de fuite. La théorie de la réactance permet donc d‟expliquer certains comportements inverses à ceux qui étaient recherchés par les annonceurs mettant en place des recommandations. La réactance est ainsi vue comme jouant un rôle médiateur dans les effets des caractéristiques du message sur les résultats de ce dernier. Or, « la

théorie de la réactance psychologique reste sous développée en recherche sur la communication »42 (Quick et Stephenson, 2008, p.449).

Les effets de la réactance sont, tout d‟abord, des effets psychologiques, puisque la tentative d‟influence du choix d‟un individu entraîne une modification de son jugement de valeur : les possibilités menacées vont devenir plus attrayantes (e.g., Pez, 2008). Ensuite, la réactance entraîne des effets comportementaux. Dans une situation donnée, la sensation de privation de contrôle d‟un individu peut entraîner des comportements de plainte ou de fuite (Clee et Wicklund, 1980) ou même des comportements inverses à ceux recommandés, les choses interdites ou impossibles étant particulièrement tentantes (Brehm, 1972 ; Wright et al., 1992).

L‟état de réactance ou réactance situationnelle est un concept central de la PRT (Psychological

Reactance Theory, PRT, i.e. théorie psychologique de la réactance), qui aborde spécifiquement le

processus qui permet de prédire la résistance des individus face à des messages persuasifs. La PRT (Brehm, 1966 ; Brehm et Brehm, 1981) pose que, quand sa liberté est perçue comme menacée, l‟individu va être motivé pour essayer de rétablir cette liberté. Cette théorie émane du fait que les êtres humains doivent satisfaire des besoins primaires pour survivre et, « avec un

niveau minimum de connaissances valides sur lui-même et son environnement, la liberté de choisir parmi différents comportements possibles va généralement aider l‟individu à survivre et prospérer » (Brehm, 1966, p.2). Selon la théorie de la réactance, les individus s‟attendent à être

libres d‟adopter certains comportements, comme fumer une cigarette ou choisir ce qu‟ils vont manger pour le dîner. La notion de liberté n‟est pas une notion générale, il ne s‟agit pas de « considérations abstraites mais de réalités comportementales concrètes » (Brehm et Brehm, 1981, p.12). Cependant le concept de comportements libres doit être étendu, en plus des actions, aux émotions et attitudes (Brehm, 1966 ; Wicklund, 1974).

Si ces libertés de choix sont remises en cause, un état motivationnel aversif va survenir, la réactance. En effet, puisque les individus ont certaines libertés, n‟importe quelle pression exercée sur eux limitant ou empêchant cette liberté va constituer une menace. Même un évènement extérieur, comme la météo, peut être perçu comme une menace s‟il les empêche d‟exercer librement leurs actions. Dans les campagnes de communications préventives, c‟est l‟influence sociale, normative, que le message dégage qui pourra être perçue comme une menace de la liberté individuelle.

La réactance psychologique peut donc être définie comme l‟état motivationnel qui peut être enclenché quand une liberté est supprimée ou menacée de suppression. La théorie suggère donc que, quand une liberté est supprimée ou menacée de suppression, l‟individu va être motivé pour

liberté menacée : 1) une préférence plus forte pour le choix menacé, 2) un dénigrement de la source de la menace, 3) la négation de l‟existence d‟une menace, 4) la mise en place d‟une autre action pour laquelle l‟individu se sent plus libre, afin de regagner un sentiment de contrôle (Wicklund, 1974). En conséquence, la PRT se compose de quatre éléments essentiels : la liberté, la menace perçue de liberté, la réactance et la restauration de la liberté. Un schéma est proposé en figure 3.1 afin d‟illustrer la PRT.

Figure 3.1 Proposition de schéma illustrant la théorie psychologique de la réactance (PRT)

Afin de clarifier le rôle que la réactance peut jouer dans le processus de persuasion des messages de santé, il est utile d‟examiner le construit d‟un point de vue conceptuel : la réactance peut être définie à travers ses antécédents et ses conséquences. D‟abord, la réactance a comme plus proche antécédent la menace perçue de liberté. La réactance est « l‟état émotionnel qui peut être enclenché quand une liberté est supprimée ou menacée de suppression » (Brehm et Brehm, 1981). De plus, la réactance va avoir comme conséquences les efforts faits par les individus pour rétablir leur liberté menacée par le biais de moyens directs ou indirects.