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Chapitre 3 Le rôle explicatif de la réactance situationnelle dans l’échec des communications santé

3. Se prémunir vis-à-vis de la réactance en communication de santé

3.3 Les apports de la littérature pour éviter de générer de la réactance

Cependant, si ces recherches montrent que les individus développent de la réactance situationnelle face à une communication santé, et que cet état va être un obstacle à la persuasion, il reste maintenant à savoir comment éviter d‟engendrer de la réactance, afin de rendre les communications plus efficaces à générer des attitudes et des comportements bons pour la santé des individus. En effet, l‟intérêt de comprendre et mesurer la réactance est justement de diminuer voir d‟éliminer l‟apparition de la réactance. Il est d‟ailleurs à noter que l‟on parle de stratégie oméga, c‟est-à-dire d‟une stratégie qui cherche à déterminer et éliminer les résistances du public- cible vis-à-vis du message, en opposition aux stratégies alpha qui cherchent avant tout à ce que le public visé adopte la recommandation (Knowles et Linn, 2004). Si les stratégies alpha ont

largement été prédominantes dans la littérature sur la persuasion, l‟émergence de littérature sur la résistance des individus, plus récente, et notamment celle de la réactance, prend donc le sujet à contre-pied afin d‟agrandir la connaissance de la compréhension de la persuasion.

Si le premier objectif de la mesure de la réactance psychologique consiste à comprendre l‟échec de persuasion de communications santé, le deuxième objectif est de trouver comment éviter de générer de la réactance chez le public ciblé. Récemment, les chercheurs ont mis en avant certaines caractéristiques permettant aux messages d‟être plus persuasifs en diminuant ou supprimant de possibles effets de réactance.

Ainsi, la recherche sur les caractéristiques des messages a identifié le langage dogmatique comme étant source de réactance. Les communications de santé utilisant un langage autoritaire (Miller et

al., 2007), contraignant (Quick et Considine, 2008), menaçant et coercitif (« threat-to-choice language », Quick et Stephenson, 2007) vont renforcer le sentiment de privation de liberté de

l‟individu et donc l‟amplitude de la réactance. Si le message dans les communications persuasives n‟est pas perçu comme autoritaire, dogmatique, les chances de persuader le public-cible devraient en être augmentées, et de fait, leur adoption du comportement recommandé. Il conviendrait donc d‟en tenir compte dans la formulation des messages préventifs, et en particulier, dans la formulation des recommandations.

Le tableau 3.4 résume les apports de la littérature sur les caractéristiques du message qui vont générer ou réduire la réactance.

Auteur Année Article Caractéristique du message et niveau de réactance générée

Zillmann et Brosius 2000 Exemplification in communication: the influence of case reports on the

perceptions of issues

Des messages vivaces augmenteront la réactance

Grandpre, Alvaro, Burgoon, Miller et Hall

2003 Adolescent reactance and anti-smoking campaigns: a theoretical approach

Des messages explicites augmenteront la réactance

Silvia 2005 Deflecting reactance: The role of similarity in increasing compliance and reducing resistance

La similarité interpersonnel perçue (similarité du récepteur avec la source), l‟engagement narratif et la référence aux proches réduira la réactance

Dillard et Shen 2005 On the nature of reactance and its role in persuasive health communication

Des messages au langage dogmatique sont associés avec la réactance situationnelle

Miller, Lane, Deatrick, Young et Potts

2007 Psychological reactance and promotional health messages: The effects of

controlling language, lexical concreteness, and the restoration of freedom.

Un langage prônant l'autonomie de l'individu réduira la réactance

Quick et Stephenson 2007 Further evidence that psychological reactance can be modeled as a combination of anger and negative cognitions

Des messages avec un langage contraignant, coercitif augmenteront la réactance

Rains et Turner 2007 psychological reactance and persuasive health communication: A test and extension of the intertwined model

Plus grande est l‟ampleur de la requête demandée dans le message, plus grande sera la réactance

Reinhart, Marshall, Feeley et Tutzauer

2007 The persuasive effects of message framing in organ donation: the mediating role of psychological reactance

Un cadrage de gain permettra de développer moins de réactance qu‟un cadrage de perte

Quick et Stephenson 2008 Examining the role of trait reactance and sensation seeking on perceived threat, state reactance, and reactance restoration

Des messages dogmatiques et vivaces augmenteront la réactance

Quick et Considine 2008 Examining the use of forceful langage when designing exercise advertisements for adults

Des messages avec un langage autoritaire augmenteront la réactance

Shen 2010 Mitigating psychological reactance: the role of message-induced empathy in persuasion

Des messages développant un état d‟empathie génèreront moins de réactance

Deux conclusions des chercheurs sur les caractéristiques des messages pouvant développer de la réactance sont particulièrement pertinentes dans le contexte de cette recherche. La première concerne le niveau de représentation de la recommandation. Rains et Turner (2007) ont établi que les messages qui induisaient une plus grande réactance étaient ceux dont l‟ampleur de la requête demandée dans le message était la plus importante, i.e. des messages avec des recommandations complexes, demandant du temps ou de l‟effort pour s‟y conformer. Cette conclusion milite donc en faveur d‟une recommandation à un niveau de représentation concret, facile à suivre et mettre en place.

La deuxième conclusion s‟intéresse à la réactance générée par un langage vivide. Quick et Stephenson (2008) décrivent le langage vivide (« vivid ») comme un langage utilisant des descriptions, voire des images, permettant de visualiser les conséquences de comportements. On peut opposer un tel langage qui va rentrer dans le détail des descriptions à un langage plus global, qui ne rentrera pas dans ce détail. Zillmann et Brosius (2000) avaient également noté une plus grande réactance des messages vivides et l‟expliquaient par le fait que la menace de privation de liberté du message est plus visible. De même, Grandpre et al. (2003) ont montré qu‟un langage explicite allait augmenter la réactance générée. Et pourtant, la littérature sur la persuasion encourage à utiliser un langage vivide pour augmenter la persuasion (e.g., Girandola, 2003). Notamment, dans la stratégie d‟appel à la peur, la méta-analyse de Witte et Allen (2000) montre l‟efficacité d‟un fort appel à la peur. Et afin d‟augmenter le niveau d‟appel à la peur, ils proposent que la composante verbale du message contienne des arguments concrets, des statistiques, renforçant la menace, donc un langage vivide.

Plus largement, il est assez paradoxal qu‟une communication de santé avec appel à la peur choisisse délibérément de menacer l‟individu, en tentant de lui faire peur, en lui expliquant en quoi son comportement fait planer sur lui un risque de maladie, de mort, ou encore un risque de rejet social, ou autre. La personne recevant le message peut se sentir doublement menacée : d‟une part, effectivement, par la menace assénée (de maladie, de mort, etc.), pensée pour la mener à suivre le comportement recommandé bon pour sa santé, et d‟autre part, par la menace même qui pèse sur sa liberté individuelle d‟opter pour le comportement qu‟elle souhaite. Cette dernière menace, involontaire de la part du concepteur de la communication, peut mener à un échec du message, puisque la personne va vouloir restaurer sa liberté menacée et s‟opposer au message en adoptant un comportement inverse à celui proposé. Aussi le concepteur de la communication santé avec appel à la peur doit arriver à menacer les individus sur le risque qu‟ils encourent à ne pas opter pour le comportement proposé, mais sans que les individus se sentent, par contre, menacés dans leur propre liberté de choisir leur comportement. Et ce travail n‟a, à notre connaissance, pas été proposé par la littérature jusqu‟à présent. A cela vient se rajouter la question

sur les divers arguments : un argument insistant sur les conséquences d‟un mauvais comportement pour l‟intégration sociale ou l‟apparence, ou encore la réussite personnelle, peut arriver à persuader les individus ou, à l‟inverse, peut les faire réagir de façon encore plus virulente face à un sentiment de manipulation et de menace perçue de leur liberté de comportement, d‟où l‟intérêt de mesurer la réactance générée, surtout pour des publics de jeunes dont le trait de réactance, déterminant de la réactance situationnelle, risque d‟être fort.

Conclusion

Alors que la théorie de la réactance psychologique est née il y a cinquante ans, les difficultés d‟opérationnalisation du concept de réactance ont rendu vaines les tentatives d‟intégration dans des modèles pour expliquer les échecs de certaines campagnes préventives à persuader des individus. Le modèle entrecroisé de Dillard et Shen (2005) a permis la résurgence de la réactance comme explication des échecs de communications santé. Il permet donc de comprendre comment éviter de générer la réactance, et donc de rendre les communications santé plus aptes à persuader leur public.

Il serait intéressant de réintégrer la réactance dans les nombreuses études faites sur la persuasion des communications, afin de voir si elle peut expliquer l‟échec des messages à persuader. Notamment, en communication de santé, l‟étude de la réactance s‟avère pertinente. Et dans le cadre d‟une stratégie avec appel à la peur, elle trouve toute sa place, notamment par le paradoxe qu‟elle dévoile.

Chapitre 4

Les questions de recherche et

choix méthodologiques

généraux

Introduction

Les trois premiers chapitres ont permis d‟aborder la littérature sur laquelle ce travail doctoral s‟appuie. Or, il est ressorti de cette présentation des recherches antérieures dans le domaine de l‟appel à la peur en santé que les résultats relatifs à l‟efficacité d‟une telle stratégie persuasive sont contrastés, ne permettant finalement pas d‟établir des règles précises sur ce que doit être un message d‟appel à la peur pour être performant. De même, il est apparu que le processus même du fonctionnement de l‟appel à la peur reste, lui-aussi, soumis à interrogations. Plusieurs visions s‟opposent et nul n‟est capable de dire aujourd‟hui de façon catégorique quelle est la meilleure. Il semble donc nécessaire d‟affiner encore la compréhension des modalités d‟action des stratégies persuasives d‟appel à la peur en santé et, plus particulièrement, dans le cadre de la prévention de l‟anorexie qui est au centre de l‟intérêt du présent travail. Une première piste a ainsi été mentionnée, celle de la réactance situationnelle qui pourrait venir aider à comprendre certains résultats discordants et qui pourrait utilement compléter certains modèles de persuasion existants et applicables au domaine de la santé, notamment certains modèles explicatifs de l‟appel à la peur. D‟autres pistes ont également été évoquées, du fait des interactions envisageables entre l‟appel à la peur et d‟autres caractéristiques et éléments contenus dans le message persuasif préventif fondé sur le recours à la menace, en particulier le type d‟argument.

Devant ces résultats contrastés et ces questionnements qui restent en suspens, il semble judicieux par conséquent de conduire un travail d‟analyse plus poussé sur certains aspects que la littérature a pointés ou que le terrain d‟application retenu conduit à mettre en exergue plus spécifiquement. Dans un premier temps, il est indispensable, après avoir rappelé la problématique du présent travail et son positionnement épistémologique, de confronter les grands questionnements et objectifs de recherche – définis en introduction – à la littérature présentée dans les trois chapitres précédents. Cela permettra de mettre en évidence les questions de recherche précises auxquelles ce travail doctoral va s‟attacher à répondre et les cadres théoriques et conceptuels qu‟elles vont mobiliser le cas échéant. Cela donnera ensuite l‟opportunité de définir les choix méthodologiques les plus adaptés pour pouvoir collecter et analyser les données qui permettront d‟apporter des éléments de réponse aux questions de recherche établies.

Toutefois, la décision a été prise de développer le corps d‟hypothèses étude par étude plutôt que, globalement, dans ce chapitre. En effet, face aux incertitudes qui subsistent quant aux modèles de fonctionnement de l‟appel à la peur, il semble préférable de tenir compte des résultats et conclusions qui vont émerger de chacune des études mises en place pour parfaire la connaissance existante et préciser, au fur et à mesure, les hypothèses les plus pertinentes. En conséquence,

plutôt que de poser tout de suite un corps d‟hypothèses figé une fois pour toutes, les hypothèses seront développées de manière à être associées à chaque groupe de questions de recherche particulières et à chaque étude. De même, tout ce qui sera spécifique à chaque étude sera détaillé au moment de la présentation de l‟étude et non dans ce chapitre.

Le présent chapitre vise donc à préciser dans une première partie le positionnement épistémologique retenu, puis les questions de recherche précises qui découlent des objectifs de recherche et de l‟analyse de la littérature, mais sans aller jusqu‟à la proposition d‟un modèle de recherche global et du corps d‟hypothèses sur lequel il s‟appuie. Dans une seconde partie, les choix méthodologiques transversaux de collecte comme d‟analyse des données seront précisés. Les quatre chapitres ultérieurs auront pour objectif de présenter chaque étude réalisée et tout ce qui se rattache à chacune d‟entre elles (éléments du cadre conceptuel sous-jacents aux hypothèses, corps d‟hypothèses, spécificités méthodologiques, mesures, analyses, résultats).

1. Mise en perspective des questions de recherche avec le positionnement

épistémologique et la problématique retenue

Dans une première partie, le positionnement épistémologique dans lequel se situe cette recherche sera présenté, puis, dans une deuxième partie, les questions découlant de la problématique centrale, des objectifs de recherche et de l‟analyse des travaux existants seront précisées et mises en lien avec les connaissances théoriques qui permettent de les éclairer.