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Chapitre 2 Le recours à l’appel à la peur en communication de santé et les conditions de son efficacité

2. L‟efficacité du recours à divers arguments

2.3 Le cadrage axé sur les pertes, une forme de stratégie de menace

Un pan de la littérature en communication persuasive, et en particulier dans le domaine de la santé, s‟intéresse à l‟effet de cadrage (pour une revue, voir, par exemple, Balbo, 2011). Le

cadrage des conséquences d‟un message de santé peut être de gains, i.e. proposer les conséquences positives, donc les gains, à suivre le comportement recommandé (e.g. « Arrêter de

fumer permet de prolonger son espérance de vie »), ou de pertes, quand le message expose les

pertes à ne pas suivre le comportement recommandé (« Fumer tue »).

Certains auteurs ont, d‟ailleurs, comparé l‟efficacité de certains arguments, selon qu‟ils faisaient l‟objet d‟un cadrage de gains ou d‟un cadrage de pertes. Par exemple, Powell et Miller (1967,

cités par Schoenbachler et Whittler, 1996) ont comparé un message neutre avec un message basé sur des arguments sociaux, présentés avec un cadrage de gains et un autre avec un cadrage de pertes et ce, dans le contexte du don du sang pour la Croix Rouge. Ils ont ainsi montré que le message mettant en avant les conséquences sociales négatives pour les individus du fait de ne pas donner son sang procurait de meilleurs résultats que le message neutre, mais également que le message portant sur les conséquences sociales positives du fait de donner son sang. De même, Zhao et Pechmann (2007), ou encore Balbo (2011), ont fait porter leurs recherches sur le cadrage des messages de santé en faisant varier le cadrage des arguments employés.

Dans une stratégie d‟appel à la peur, le cadrage retenu implicitement est forcément un cadrage de pertes. En effet, lors d‟une communication basée sur une stratégie d‟appel à la peur, la stratégie

reposant sur la menace, le cadrage implicite est celui axé sur les pertes, en l‟occurrence les pertes inhérentes au comportement incriminé. La comparaison de différents arguments se fait donc alors

sur la base d‟une comparaison d‟arguments tous menaçants, reposant soit sur un risque pour la santé soit sur un autre risque, qu‟il soit social ou de beauté. Dans la littérature, il est possible de constater que les arguments avec un cadrage de pertes sont parfois comparés mais sans pour autant évoquer, de fait, une stratégie d‟appel à la peur. Ainsi, le niveau de peur générée n‟est pas mesuré, ni le niveau de menace perçue. D‟ailleurs, alors même qu‟il s‟agit de déclencher une émotion de peur, la peur n‟est le plus souvent même pas mentionnée, et les modèles d‟appel à la peur ne sont pas mobilisés. Pourtant, le niveau de menace perçue ne sera pas forcément le même si la menace porte sur la santé ou si elle porte, par exemple, sur une désapprobation ou exclusion sociale. Outre les différences inhérentes au type d‟argument, il est pertinent de se demander si les différences ne pourraient pas venir aussi du niveau de menace générée. Il serait donc pertinent d‟adjoindre aux travaux relatifs au cadrage les éclairages et connaissances fournis par les théories relatives à l‟appel à la peur. Ho (1998) a d‟ailleurs totalement intégré cette idée et a

proposé de se servir du modèle de la motivation à la protection de Rogers (PMT ; 1983) afin d‟expliquer les résultats trouvés dans son étude. Il a en effet étudié si le modèle PMT pouvait expliquer des comportements d‟individus envers le tabac et si les arguments santé avaient plus ou moins de poids que des arguments sociaux dans le fait de fumer pour des jeunes et pour des adultes. Il en ressort que les arguments santé ont un poids significatif dans le comportement envers le tabac pour les deux publics. Cependant, pour les jeunes, l‟argument social augmente la variance expliquée de 15 points (passant de 23 à 38%). Ho (1998) a ainsi proposé de transposer les modèles permettant d‟expliquer l‟appel à la peur aux communications mettant en avant une menace, même si celle-ci n‟évoque pas de problème de santé, et ce, alors que l‟objectif est de faire adopter un bon comportement pour la santé des individus.

Par conséquent, pour la littérature concernant les arguments, il semble utile de retenir aussi les recherches comparant les arguments construits sur la base d‟un cadrage de pertes, i.e. celles montrant les risques qu‟il y a à ne pas suivre le comportement recommandé, que les arguments utilisés soient axés sur la santé, la beauté ou des considérations sociales. Même si l‟appel à la peur a été évoqué dans cette littérature relative à la comparaison entre divers types d‟arguments, très peu d‟études se sont servies des connaissances établies sur l‟appel à la peur pour mieux comprendre les résultats des messages et une seule, à notre connaissance, a comparé dans le même temps divers arguments et différents niveaux de menace. Il s‟agit de l‟étude de Schoenbachler et Whittler (1996) qui, lors d‟une campagne de prévention anti-drogue auprès d‟adolescents, ont comparé deux types de menace, de santé versus sociale, et trois niveaux de menace (faible, modérée, forte). Cependant, ils concluent que si la menace sociale fonctionne mieux que la menace santé, le niveau de menace n‟a pas eu d‟effet sur les réponses émotionnelles, dont la peur, et donc n‟a pas d‟effet sur l‟efficacité de la communication. Ce résultat, acquis en 1996, mérite d‟être éprouvé à la lueur des connaissances acquises sur l‟appel à la peur depuis vingt ans.

Conclusion

Dans les communications de santé, et malgré le développement de nombreux modèles et l‟étude de l‟appel à la peur depuis plusieurs décennies, le fonctionnement de l‟appel à la peur reste encore bien souvent incompris. D‟une part, sa mise en place opérationnelle reste complexe. D‟autre part, beaucoup de questionnements persistent sur l‟efficacité et le mécanisme de persuasion de l‟appel à la peur et de nouvelles interrogations ont plus récemment vu le jour concernant les relations entre l‟émotion de peur et d‟autres émotions possibles dans le cadre des appels à la peur. Enfin, un message avec appel à la peur risque de générer des réactions de défense de la part de l‟individu, notamment de la réactance (cf. chapitre suivant).

Par ailleurs, pour faire appel à la peur, les arguments menaçants utilisés reposent sur les conséquences négatives pour la santé des individus de leurs mauvais comportements. Or, un pan de la littérature récente en communication de santé se concentre sur le type d‟argument sur lequel faire reposer l‟annonce : alors même que l‟objectif est de faire adopter un bon comportement pour la santé, un argument autre que la santé peut se révéler plus efficace pour faire évoluer attitudes et comportements de santé, en particulier les arguments mettant en avant une dimension sociale ou encore la question de l‟apparence physique. De plus, quand le cadrage (framing) choisi est un cadrage de pertes, le choix du type d‟argumentation coïncide avec une stratégie de recours à différents types de menace, et donc des stratégies d‟appel à la peur relatives à différentes menaces qu‟il convient d‟intégrer dans la réflexion sur l‟appel à la peur.

Le prochain chapitre va s‟attacher à décrire maintenant le phénomène de réactance situationnelle déjà évoqué à plusieurs reprises.

Chapitre 3