• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Le rôle explicatif de la réactance situationnelle dans l’échec des communications santé

2. Une mesure possible de la réactance situationnelle via le « modèle entrecroisé de la réactance »

2.2 La présentation du modèle de Dillard et Shen (2005)

Dillard et Shen (2005) ont répertorié dans la littérature quatre moyens distincts de caractériser la réactance afin de mieux l‟appréhender :

1) La réactance vue comme purement cognitive (dans la tradition de la recherche cognitive, e.g., Petty et Cacioppo, 1986 ou dans les travaux réalisés sur les manifestations cliniques de la réactance, e.g., Kelly et Nauta, 1997). De ce point de vue, sa mesure en est facilitée, puisqu‟elle peut être alors mesurée comme une contre-argumentation au message de la communication santé. 2) La seconde approche est affective. Elle a été développée notamment par Dillard et Meijenders (2002) et Nabi (2002), après que ces auteurs aient découvert des similitudes entre les effets de la réactance et les évaluations menant à la colère, permettant de percevoir la réactance, en tout ou partie, comme une émotion. Dillard et Shen (2005) expliquent d‟ailleurs que cette perspective se rapproche de celle de Brehm qui décrit la réactance comme l‟expérience de sentiments hostiles et agressifs (Seltzer, 1983 ; White et Zimbardo, 1980 ; Wicklund, 1974). Cette approche est également mesurable, en l‟opérationnalisant via une échelle mesurant la colère vécue par le sujet. 3) Une troisième option a pu être envisagée : la réactance comme ayant des effets cognitifs et affectifs. Dans la même veine que le modèle des réponses parallèles de Leventhal (1970), l‟individu peut avoir des réactions affectives et/ou cognitives suite à son exposition à un message persuasif, ces réactions entraînant des effets différents et spécifiques sur sa réponse face au message (e.g. Dillard et Peck , 2000, 2001 ; Witte, 1994).

4) Enfin, la dernière possibilité suggère que la réactance est le résultat de composantes affectives et cognitives. La réactance situationnelle se mesure donc comme un construit latent composé de colère et de réactions cognitives non favorables, négatives. Mais ces composantes sont entrecroisées, contrairement au troisième modèle, ce qui signifie que leurs effets sur la persuasion ne peuvent être séparés, dénoués. Les modèles sont présentés dans la figure 3.2.

Figure 3.2 Schéma développé par Dillard et Shen (2005) des 4 modèles de réactance

Dillard et Shen (2005) ont montré dans leur recherche que le dernier modèle, le modèle entrecroisé, était le plus abouti pour mesurer et appréhender l‟effet de la réactance sur la persuasion. Aussi, ces auteurs ont-ils préconisé d‟opérationnaliser l‟état de réactance comme une variable latente se composant de cognitions non favorables et d‟émotions négatives, en l‟occurrence de la colère. En effet, Dillard et Shen (2005) ont montré que les cognitions négatives que les individus reportaient avoir eues en lisant le message, i.e. les pensées négatives qu‟ils ont eues vis-à-vis du message, ajoutées à la colère, prédisent des résultats inverses à ceux attendus en terme d‟attitudes et de comportements. Les auteurs l‟ont testé dans deux contextes de prévention bien différents : la prévention de la vitesse excessive au volant et la prévention de l‟hygiène dentaire avec l‟utilisation du fil dentaire. Ce modèle entrecroisé de la réactance (ou Intertwined

Process model, IPM) offre ainsi une mesure de celle-ci, ce qui permet de la réintroduire dans les

modèles de persuasion des communications santé. Il est à noter que les auteurs ont montré que le modèle dans lequel les affects et les cognitions interagissent, le modèle entrecroisé, donne de meilleurs résultats prédictifs que le modèle dual.

Dillard et Shen (2005) ont donc permis de caractériser la réactance comme étant une combinaison d‟une émotion négative, la colère, et de cognitions également négatives envers le message. De plus, ils ont caractérisé la réactance comme étant situationnelle et ont ainsi ajouté un antécédent à cette réactance : un trait de réactance. De ce fait, la réactance situationnelle sera fonction non seulement de la menace perçue de liberté du message mais également du trait de réactance de l‟individu confronté au message. Telle que présentée d‟ailleurs, cette conclusion suggère également que le trait de réactance pourrait être aussi vu comme un modérateur de l‟effet de la perception de menace de liberté sur ses conséquences.

Selon la théorie de la réactance psychologique, la réactance situationnelle suit immédiatement une menace perçue (Brehm, 1966 ; Brehm et Brehm, 1981). Aussi, les auteurs estiment que la réactance situationnelle est un processus en deux étapes qui implique de modéliser ensemble une vérification du déclenchement et une mesure de la réactance situationnelle. La première étape se produit quand l‟individu perçoit la menace de sa liberté. La menace perçue de liberté fonctionne donc comme un antécédent de la réactance. A cette étape vient s‟ajouter le trait de réactance qui va influencer le niveau de réactance situationnelle générée. La deuxième étape est la réponse à cette menace, avec une réponse qui est la combinaison de colère et de cognitions négatives. Cette approche en deux étapes, qui prend en compte la menace perçue et l‟état de réactance comme médiateurs entre les caractéristiques du message déclenchant de la réactance et la restauration de la réactance a été confirmée au plan empirique (Quick et Considine, 2008 ; Quick et Stephenson, 2008).

La mesure, entièrement détaillée dans le tableau 3.1, comprend : a) une vérification sur la menace perçue afin de valider que le message est bien perçu comme une menace de liberté (Dillard et Shen, 2005), b) la mesure du trait de réactance, c) le déclenchement de la colère, d) les cognitions négatives générées. Le problème de cette dernière mesure est qu‟elle est réalisée via une question ouverte, qui est ensuite codée en quatre étapes par un minimum de deux codeurs, d‟où une complexité forte de la mesure.

Mesure Items de l’échelle a. La menace perçue de liberté

Echelle de mesure de quatre items en sept échelons (α=0.83),

1=pas du tout d‟accord à 7=tout à fait d‟accord

-Le message menace ma liberté de choix -Le message essaie de prendre une décision à ma place

-Le message essaie de me manipuler -Le message essaie de me persuader

b. Le trait de réactance

Deux échelles sont principalement utilisées pour mesurer le trait de réactance,

-celle de Dowd, Milne et Wise (1991), « The

Therapeutic Reactance Scale »

-et celle de Hong (Hong, 1990, 1992 ; Hong et Faedda, 1996)

Dillard et Shen (2005) utilisent l‟échelle de Hong en 14 items.

c. La colère

Dillard et Shen (2005) ou encore Quick et Considine (2008) ont pris une mesure de la colère avec trois items en sept échelons (α=0.97)

- Le message vous a-t-il fait vous sentir irrité ? - Le message vous a-t-il fait vous sentir en colère ?

- Le message vous a-t-il fait vous sentir sentie frustré(e) ?

d. Les cognitions négatives, non favorables au message

Dans l‟article de Dillard et Shen (2005), les auteurs précisent que les participants ont 90 secondes pour écrire les pensées qui leur sont venus pendant la lecture du message. La méthode du participant comme codeur a été utilisée : les participants identifient eux-mêmes chacune de leurs pensées comme étant favorable (i.e. en accord avec le message), défavorable ou neutre (Cacioppo, von Hippel et Ernst, 1997). Pour réduire le chevauchement entre les items de colère et les pensées qui contiennent des réponses affectives, les émotions ont été extraites par deux codeurs qui ont utilisé la liste compilée par Shaver, Schwartz, Kirson et O‟Connor (1987). Le nombre total de cognitions défavorables a été utilisé comme composante cognitive en conséquence de la réactance situationnelle (les indicateurs ont été standardisés entre les différentes échelles)

Tableau 3.1 Echelles de mesure utilisées par Dillard et Shen (2005) et traduites

Malgré cette dernière mesure, celle des cognitions négatives, lourde et complexe, cette opérationnalisation de la réactance situationnelle a donc permis de replacer la théorie de la

réactance psychologique (Psychological Reactance Theory, PRT) comme facteur d‟échec de persuasion dans des communications santé. Depuis le modèle entrecroisé de 2005, plusieurs travaux, qui seront présentés ci-dessous, ont permis de montrer la validité et la fiabilité de cette mesure.