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Chapitre 1 La communication persuasive au service des comportements de santé

3. La communication préventive de l‟anorexie, enjeux, spécificités et intérêt scientifique

3.1 La prévention de l‟anorexie, un enjeu de santé publique

L‟intérêt de travailler l‟efficacité d‟une campagne de prévention primaire de l‟anorexie et de la maigreur extrême est de deux ordres : un intérêt sociétal d‟abord et un intérêt managérial ensuite. En effet, si la France a déclaré l‟anorexie « enjeu de santé publique »13, elle n‟a pas encore mis en

place de prévention, malgré les annonces faites, et à l‟inverse d‟autres pays, qui ont compris l‟importance, l‟urgence, mais aussi l‟utilité, à agir. Les familles de personnes victimes de la maladie, regroupées en France en 29 associations, sont d‟ailleurs en attente de ce type de campagnes de prévention14. Cependant, étant donné le coût que peut représenter une telle campagne, a fortiori en ces périodes difficiles économiquement, il est primordial de s‟assurer de l‟efficacité d‟une telle campagne.

C‟est l‟enjeu de ce travail : mieux comprendre les rouages de la communication préventive, en s‟inspirant des résultats obtenus dans la recherche en communication persuasive et en s‟attachant à mieux cerner les mécanismes impliqués dans une des stratégies les plus couramment utilisées dans les contextes préventifs en santé (l‟appel à la peur) et à identifier les leviers les plus influents pour agir sur la persuasion des cibles visées. Cette meilleure compréhension devrait permettre de faire des préconisations et recommandations managériales aux concepteurs d‟une telle campagne de prévention de l‟anorexie et de la maigreur extrême, que ce soit le ministère de la santé, un

13

Conférence de presse de la ministre de la santé, 2007

14 Information obtenue directement auprès des représentants de ces associations présents lors de la conférence de

Wilhelm M.-C. & Gavard-Perret M.-L. (2014), Le rôle des médias dans le développement, le maintien et la

prévention de l‟anorexie et de la maigreur extrême, 25° édition de la semaine d‟information sur la santé mentale,

organisme public ou encore une association à but non lucratif, pour rendre cette campagne la plus efficiente possible.

L‟enjeu social et sociétal que représente la prévention de l‟anorexie a été clairement affiché d‟ailleurs par les plus hauts représentants de la santé. En effet, en 2007, la ministre française de la santé déclarait : « La lutte contre l‟anorexie est désormais un enjeu de solidarité collective »15. Cette volonté, exprimée au plus haut niveau des instances de la santé publique, renvoie à une réalité, souvent peu ou mal connue, parfois cachée par les familles ou celles et ceux qui y sont confrontés, mais qui est pourtant particulièrement préoccupante. La Fondation de France16 a d‟ailleurs récemment tiré la sonnette d‟alarme : « Chaque année en France, 15000 personnes

décèdent des suites d‟une anorexie ou d‟une boulimie et ce chiffre continue d‟augmenter ».

Afin de mieux comprendre ce qu‟il en est de ces pathologies, il est important de préciser que les deux formes principales d‟anorexie sont l‟anorexie de restriction et l‟anorexie-boulimie. Si le sujet présente des crises de boulimie, des vomissements et recourt à des purgatifs, il s‟agit d‟une anorexie de type Anorexie-Boulimie, à l‟inverse de l'anorexie de type restrictif, où la personne réduit considérablement son alimentation17. L‟anorexie est de plus en plus présente chez les jeunes, en particulier les jeunes femmes : « l‟anorexie mentale remplit inéluctablement les

services de psychiatrie d‟enfants ou d‟adolescents, prenant l‟allure d‟un authentique phénomène de société que les medias ne manquent pas de répercuter. Pathologie à prédominance féminine, elle développe un singulier rapport au corps, objet de toutes les contraintes et de tous les défis. »

(Vincent, 2000).

Certes, ce n‟est pas forcément le nombre des personnes touchées par l‟anorexie qui est inquiétant, si on le compare à celui d‟autres pathologies pour lesquelles il est possible désormais dans certains pays de parler d‟épidémie ou de pandémie (comme l‟obésité par exemple). En revanche, ainsi que le souligne le communiqué de la Fondation de France ci-dessus, les conséquences de ce trouble sont particulièrement sévères. L‟anorexie toucherait par exemple 1,3% des jeunes femmes entre 15 et 20 ans, mais avec des effets très sérieux, puisque 4 à 10% d‟entre elles en mourront, voire 20% pour un suivi à 20 ans (Godart, Perdereau et Jeammet, 2004).

Si la cible peut donc paraître restreinte, deux points importants sont cependant à prendre en compte. Premièrement, les chiffres des personnes anorexiques ou maigres à l‟extrême sont sous- estimés. En effet, les données disponibles concernent les personnes qui sont déclarées comme anorexiques, parce qu‟elles ont consulté ou ont été hospitalisées, ce qui occulte une partie

importante des personnes touchées, puisque de nombreuses personnes victimes d‟anorexie, boulimie ou autres TCA ne consultent pas. L‟appel fait par la Fondation de France18

précise ainsi que : « ces maladies restent difficiles à détecter, car souvent vécues dans le déni ». Il est facile de constater, par de simples discussions avec les médecins19, que, alors que les femmes n‟hésitent pas à prendre rendez-vous avec leur généraliste si leur poids augmente, elles ne le font que beaucoup plus rarement si leur poids diminue (très souvent d‟ailleurs, car cet état de fait les satisfait, dans la quête absolue de la minceur qui est celle de nombreuses personnes aujourd‟hui). De plus, les études sur la prévalence des troubles alimentaires sont faussées dans leurs résultats car les personnes ayant justement des troubles n‟y répondent pas. Ainsi, Beglin et Fairburn (1992) expliquent que les femmes ayant des troubles alimentaires ou des problèmes de poids sont ainsi surreprésentées dans celles qui choisissent de ne pas participer à de telles études.

Deuxièmement, la cible qui pourrait être celle d‟une campagne de prévention de l‟anorexie et de la maigreur extrême serait plus large que celle des personnes présentant déjà des symptômes de la maladie ou ayant déjà été diagnostiquées. En effet, dans une démarche de prévention primaire, l‟objectif est d‟intervenir en amont, afin de sensibiliser et prévenir des sujets susceptibles, soit en raison de leurs caractéristiques personnelles, soit en raison de facteurs situationnels (ou les deux), de mettre en place des comportements inadéquats qui pourraient alors les conduire à développer le trouble en question, en l‟occurrence un trouble du comportement alimentaire. De plus, l‟anorexie et la maigreur extrême sont caractéristiques des TCA (troubles du comportement alimentaire). Switzer et al. (2001) indiquent que, alors que des études rapportent que 6% des jeunes femmes sont concernées par la boulimie et l‟anorexie, 25 à 40% indiquent avoir des troubles alimentaires modérés comme des inquiétudes sur le contrôle de leur poids, sur l‟image de leur corps ou une alimentation hors de contrôle. De même, Callahan et al. (2003) ont réalisé une étude dans des collèges, lycées et université, niveaux licences, de Toulouse. Ils ont montré que 55,5% des jeunes femmes étaient maigres ou extrêmement maigres et 39,6% des garçons. Sur le total, 30% étaient concernés par des TCA, d‟intensité légère à sévère : 13,1% de tous les étudiants interrogés étaient concernés par des compulsions alimentaires (« binge-eating disorders »), 8% par des problèmes de boulimie, 2,3% par de l‟anorexie, 2% par de la restriction alimentaire chronique et 2.8% par de l‟hyperphagie avec restrictions. Ces troubles alimentaires sont en majorité dus à une volonté de perdre du poids. Aussi, prévenir l‟engrenage des régimes pouvant mener parfois à l‟engrenage de

18 http://www.fondationdefrance.org/Votre-espace/Entreprises/Appels-a-partenariat/Faire-reculer-l-anorexie-et-

la-boulimie-chez-les-jeunes

19 Sur le site de la Fondation de France, un commentaire d‟un médecin va d‟ailleurs dans ce sens : «L‟anorexie

mentale entretient une espèce de gêne, explique Jean-Luc Vénisse, professeur de psychiatrie et d‟addictologie au CHU de Nantes. » ; http://www.fondationdefrance.org/Votre-espace/Entreprises/Appels-a-partenariat/Faire- reculer-l-anorexie-et-la-boulimie-chez-les-jeunes

la maigreur voire de l‟anorexie permet plus largement de prévenir contre les risques de régimes déséquilibrés et néfastes pour la santé et de prévenir contre les troubles du comportement alimentaire en général. L‟intérêt d‟une communication de prévention a d‟ailleurs été confirmé par des personnes concernées par le sujet. Ainsi, un endocrinologue ayant travaillé avec des personnes anorexiques ou présentant d‟autres TCA, le Dr Uzan, a confirmé l‟intérêt de communiquer sur le sujet. De plus, l‟accueil réservé à un tel projet, détaillé lors d‟une conférence dans le cadre de la semaine d‟information de la santé mentale en mars 2014, a été extrêmement favorable, notamment de la part de l‟association ABMP. Quant au site de la Fondation de France, il fait bien référence lui-aussi au caractère essentiel de la prévention, même si elle est plus considérée dans ce cas comme étant destinée aux professionnels.

Concernant les conséquences dramatiques que l‟anorexie peut avoir, Roux, Chapelon et Godart (2013) alertent d‟ailleurs sur « la considérable morbi-mortalité de l‟anorexie mentale et le

retentissement considérable sur la vie sociale des sujets ». Ils soulignent aussi le fait que,

contrairement à certaines croyances et stéréotypes, « L‟anorexie mentale n‟est pas une simple

crise d‟adolescence compte tenu de la morbidité et de la mortalité qui sont considérables »

(Roux, Chapelon et Godart, 2013). Le site de la Fondation de France évoque ainsi le fait que « les

troubles du comportement alimentaire (TCA) constituent la première cause de mortalité psychiatrique et la seconde cause de décès chez les jeunes, après les accidents de la voie publique ». Et même si l‟issue de l‟anorexie et des TCA n‟est, heureusement, pas toujours aussi

dramatique, les conséquences sur la vie sociale, professionnelle, sentimentale sont souvent extrêmement lourdes et douloureuses et les complications psychologiques comme physiques sont nombreuses.

Il est donc urgent d‟alerter les jeunes femmes (qui sont les personnes les plus touchées) des risques liés à l‟anorexie et à la maigreur extrême. Et pourtant, la France, malgré l‟engagement pris d‟en faire une cause de santé publique, n‟a pas encore mis en place de communication préventive sur ce thème, à l‟inverse d‟autres pays, comme les Etats-Unis, l‟Allemagne ou la Suède.

De même, la prévention primaire de la maigreur extrême et de l‟anorexie, n‟a, à ce jour, pas fait l‟objet de recherches en communication santé. Pourtant, il est primordial pour les concepteurs de communication préventive de savoir comment proposer la campagne de prévention la plus efficace pour aider les jeunes femmes à ne pas tomber dans l‟engrenage de l‟anorexie. Outre le bien-être des jeunes femmes, il existe un autre enjeu sociétal lié à l‟identification des clés d‟une

Or, l‟examen des campagnes déjà menées dans les autres pays pour prévenir l‟anorexie permet de constater qu‟elles sont en très large majorité basées sur des stratégies d‟appel à la peur (cf. Chapitre 2). Ce n‟est d‟ailleurs pas étonnant puisqu‟il s‟agit d‟une stratégie couramment utilisée pour persuader les individus d‟adopter un comportement bon pour la santé (ou de cesser un comportement nocif). Pourtant, le chapitre suivant qui sera dédié à la compréhension des mécanismes et des effets de ce type de stratégie montrera qu‟il subsiste encore bien des questions et des zones d‟ombre. Un terrain d‟application permettant par conséquent d‟envisager une telle stratégie et permettant d‟en étudier les rouages et les conséquences dans un cadre persuasif s‟avère donc parfaitement pertinent d‟un point de vue scientifique. En outre, ainsi que cela a été précisé ci-dessus, alors que d‟autres causes de santé ont déjà fait l‟objet de nombreuses recherches dans le domaine de la communication préventive (tabac, sida, protection solaire, etc.), l‟anorexie et plus largement les TCA n‟ont pas encore reçu cette attention. Le terrain d‟application, en plus d‟être pertinent managérialement, socialement et scientifiquement, est également original.

De plus, d‟un point de vue éthique, le marketing et les médias ne peuvent se dédouaner de leur part de responsabilité dans le possible développement de troubles alimentaires et dans le conditionnement, parfois extrêmement destructeur, autour d‟un idéal de beauté qui affiche la minceur, voire la maigreur, parfois même extrême, comme étant sa caractéristique majeure. Si l‟objectif du présent travail n‟est pas d‟agir sur cet état de fait en soi, il importe cependant d‟en évaluer les effets et d‟en comprendre les mécanismes car, une campagne de prévention telle que celle qui sera détaillée dans les prochains chapitres, pourrait venir contrebalancer, dans une certaine mesure, le discours ambiant aux effets préjudiciables autour de la nécessité pour les femmes de faire des régimes en permanence, et le plus souvent complètement déséquilibrés.