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Chapitre 2 Le recours à l’appel à la peur en communication de santé et les conditions de son efficacité

2. L‟efficacité du recours à divers arguments

2.2 L‟efficacité de l‟utilisation d‟arguments autres que l‟argument santé

La recherche en communication persuasive a comparé différents arguments afin de voir lesquels étaient les plus efficaces. Outre les arguments sociaux ou basés sur l‟apparence physique, sur lesquels nous allons revenir ci-après, d‟autres arguments que l‟argument santé pour soi-même ont été examinés dans le cadre de la communication persuasive en santé. La recherche évoque ainsi des arguments psychologiques, d‟élévation de stress ou de perte d‟énergie (Van Kleef, van Trip et Luning, 2005), des arguments tournés vers la santé des autres (e.g., Keller et Block, 1996), des arguments de santé à court-terme versus à long terme (Goldman et Glantz, 1998), etc. Les recherches portant sur l‟efficacité de divers types d‟arguments dans les communications en santé sont assez récentes puisqu‟elles ont essentiellement débuter dans les années 90. L‟analyse effectuée ici se limite à exploiter les travaux réalisés sur les arguments portant sur l‟apparence physique et sur l‟intégration sociale, deux arguments qui semblent particulièrement pertinents dans le contexte de notre problématique (à savoir la prévention de l‟anorexie auprès des jeunes femmes). Le tableau 2.3 ci-après se propose de répertorier les principales études réalisées sur divers types d‟arguments, comparant un argument santé avec un autre argument, et testées dans des communications de santé. Il permet ainsi de constater que les études ont comparé les messages deux à deux (hormis Goldman et Glantz, 1998, qui ont recensé plusieurs communications existantes), en confrontant un argument autre, souvent social ou beauté, avec un argument santé. Mais, aucune hiérarchie dans les arguments auxquels les individus pourraient être sensibles, n‟a été proposée, à notre connaissance, à l‟issue de ces diverses recherches partielles. De plus, il est à noter qu‟il ne semble pas exister de travaux réalisés sur une comparaison entre un argument santé et des arguments tels que la réussite des études, par exemple, alors même que ce dernier pourrait être pertinent pour convaincre des jeunes insérés dans un contexte d‟études.

Auteurs Année Terrain d’application Type d’arguments utilisés

Flora et Maibach 1990 Prévention du SIDA Argument rationnel

versus argument émotionnel

Klohn et Rogers 1992 Prévention de l‟ostéoporose Argument santé

versus argument basé sur l‟apparence

Jones et Leary 1994 Prévention du cancer de la peau (exposition au soleil)

Argument santé

versus argument basé sur l‟apparence

Schoenbachler et Whittler

1996 Prévention des drogues Argument santé

versus argument social

Goldman et Glantz 1998 Prévention du tabac Argument santé (court terme), argument santé (long-terme) argument social (rejet amoureux)

et encore 5 autres arguments différents (effet de la fumée sur les proches, manipulation de l‟industrie du tabac,…).

Laroche, Toffoli, Zhang et Pons

2001 Prévention du tabac Argument santé

versus argument social

Pechmann, Zhao, Goldberg et Reibling

2003 Prévention du tabac auprès des adolescents Argument santé

versus argument social

Van Kleef, van Trip et Luning

2005 Promotion d‟alicaments (« functional food ») Argument de santé physiologique et argument de santé psychologique

Hoek, Newcombe et Walker

2011 Prévention du tabac auprès des jeunes Argument santé

versus argument social

Charry et Pecheux 2011 Promotion de l‟alimentation saine auprès des enfants

Argument santé (menace incapacité sportive)

versus argument social (menace rejet social)

Werle, Boesen-

Mariani, Gavard-Perret et Berthaud

2012 Prévention de l‟obésité auprès des adolescents Argument santé

versus argument social

Tableau 2.3 Les principales études réalisées sur divers types d‟arguments, comparant un argument santé avec un autre argument, et testées dans des communications santé.

L‟analyse de ces articles sera proposée dans les trois sous-parties suivantes, la première s‟intéressant à l‟efficacité de l‟argument portant sur l‟apparence physique, la deuxième précisant l‟intérêt d‟un argument portant sur l‟intégration sociale, puis, la dernière s‟intéressant à la combinaison possible entre appel à la peur et type d‟argumentation.

2.2.1 Efficacité de l’argument portant sur l’apparence physique

Dans leur article de 1987, Hayes et Ross ont souligné le fait que certains individus se sentent concernés au moins autant par leur apparence que par leur santé. Tant que le comportement à adopter est le même pour améliorer son apparence et préserver sa santé, il n‟y aura pas de difficulté à faire adopter le bon comportement. Le problème se produit en revanche quand les comportements sont différents, comme dans l‟exemple de l‟exposition au soleil. Le comportement pour améliorer son apparence consiste à bronzer, en s‟exposant au soleil longuement, avec une faible protection, voire sans protection, et aux heures les plus chaudes, alors que le comportement bon pour la santé est différent, puisqu‟il faudra au contraire se protéger et ne pas s‟exposer à certaines heures. Dans ce cas, la recherche Hayes et Ross (1987) montre que, pour un certain nombre d‟individus, le fait de s‟exposer au soleil est lié fortement au fait de vouloir être séduisant physiquement. Aussi, quand des individus sont motivés pour bronzer car ils pensent que le bronzage augmente leur potentiel d‟attractivité et de séduction, des communications qui mettant en avant les risques potentiels de l‟exposition au soleil pour leur santé risquent d‟être inefficaces. Jones et Leary (1994) notent aussi que, pour un public cible de jeunes adultes, un message axé sur les effets négatifs pour l‟apparence est plus efficace qu‟un message mettant l‟emphase sur les risques pour la santé. Il en va de même pour les habitudes alimentaires : « La préoccupation pour

l‟apparence affecte significativement les habitudes alimentaires. En moyenne, les préoccupations concernant l‟apparence ont plus d‟effet sur les habitudes alimentaires que les préoccupations pour la santé » (Hayes et Ross, 1987)39. Les résultats de cette étude sur l‟importance de

l‟apparence comme déterminant de comportements de prévention santé ont des conséquences dérangeantes pour la santé du public. En effet, tant que les comportements qui sont bons pour la santé coïncident avec des comportements qui permettent d‟améliorer l‟apparence, les personnes œuvreront pour leur santé. C‟est d‟ailleurs souvent le cas puisqu‟être en bonne forme, i.e. musclé et mince, coïncide en général avec des comportements bons pour la santé. Mais, d‟une part, les normes sociales concernant l‟apparence peuvent changer (le bronzage est devenu beaucoup moins à la mode dans un certain nombre de pays ces dernières années par exemple) et, d‟autre part,

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“Concern with appearance also significantly affects eating habits. For the average person, appearance

certains comportements axés sur la séduction et l‟apparence peuvent être contraires à des comportements sains.

De ce fait, un argument basé sur l‟apparence physique pourrait être plus efficace qu‟un argument santé puisque le déterminant d‟un comportement de santé, notamment dans le cas de l‟alimentation, peut être la préoccupation pour son apparence, et ce, d‟autant plus pour certains publics, particulièrement sensibles aux préoccupations concernant leur apparence. En effet, les femmes, par exemple, reçoivent constamment des messages sur l‟importance de leur apparence et vont ainsi adopter des comportements parfois au détriment de leur santé, comme se priver de nourriture ou prendre des médicaments pour maigrir (e.g., Hayes et Ross, 1987) ou encore, fumer pour contrôler leur poids (Charlton, 1984). Ce constat est également vrai pour les jeunes, qui sont davantage jugés sur leur apparence que les personnes plus âgées (Adams, 1977 ; Mathes et Kahn, 1975), et donc a fortiori pour les femmes jeunes.

L‟argument portant sur l‟apparence physique rejoint d‟ailleurs parfois l‟argument portant sur l‟intégration sociale, puisque les deux éléments sont assez étroitement liés. Ainsi, les personnes

préoccupées par leur apparence physique peuvent l‟être pour être mieux acceptées et intégrées socialement. Barocas et Karoly (1972) par exemple, évoquent le fait que les personnes séduisantes ont des contacts sociaux plus positifs et plus de succès dans leur environnement social que les autres. De même, Bosson et Gygax (2007) évoquant une conséquence sociale négative de la fumée du tabac retiennent un argument qui pourrait tout à fait être considéré comme un argument concernant l‟apparence physique : « la fumée cause une mauvaise haleine et des dents jaunes ». Par conséquent, les deux arguments sont proches et peuvent être utilisés soit pour appuyer un argument social soit un argument de beauté. Cependant la littérature les distingue et montre en quoi un argument portant sur l‟intégration sociale peut aussi être efficace.

2.2.2 Efficacité de l’argument portant sur l’intégration sociale

Certaines cibles, notamment les jeunes, sont particulièrement sensibles à des normes subjectives, à l‟intégration dans un groupe et se soucient beaucoup de la perception que les autres ont d'eux- mêmes. Ainsi, bien que l‟attitude d‟un jeune puisse être en faveur d‟un certain comportement, le poids de la norme sociale peut venir contrebalancer cette attitude raisonnable. Si les jeunes pensent que le comportement adopté est un comportement approuvé par leur groupe de référence,

façon implicite ou explicite au jugement des autres, et notamment des pairs. D'ailleurs, sur le site de prévention canadien anti-drogue40, on peut trouver le conseil suivant, aisément transposable à d‟autres situations : "les concepteurs de programmes doivent tenir compte des normes, des

valeurs, du langage et de la culture propres à la jeunesse (…) : se tailler une place dans un environnement économique compétitif, gérer ses relations, s‟intégrer et certaines situations qui sont rattachées à la santé comme la séduction et la gestion du stress".

La proposition consistant à fournir un argument fondé sur la norme sociale pour provoquer un changement attitudinal et d‟intention comportementale est conforme avec les modèles de l‟action raisonnée et du comportement planifié (Fishbein et Ajzen, 1975 ; Ajzen, 1985, cf. chapitre 1), puisque ces modèles indiquent que les normes subjectives, associées aux croyances normatives sont des déterminants des comportements liés à la santé. D‟ailleurs, comme le soulignent Werle et

al. (2012), « la méta-analyse d‟Albarracin et alii (2001) souligne la pertinence de ces modèles théoriques dans la prédiction de l‟usage des préservatifs et confirme le rôle des normes dans cette prédiction ». A fortiori, les jeunes seront sensibles à ces arguments d‟intégration sociale ou de norme sociale, dans une période où ils sont en recherche de leur identité et dans une volonté d‟être acceptés par leurs pairs. Ainsi, Bloom (1988) a mis en avant l‟influence de la pression

sociale pour les jeunes dans leurs comportements tabagiques, arrivant aux mêmes conclusions que Worden, Flynn et Secker-Walker (1998) qui ont conclu que des messages basés sur la norme sociale sont plus efficaces. Pechmann et al. (2003) ont également montré que, pour le public cible adolescent, les messages qui obtiennent les meilleures intentions de ne pas fumer sont ceux qui mettent en avant le risque sévère de désapprobation sociale (trois messages sur les sept testés) et non ceux proposant les risques encourus pour la santé. Hoek, Newcombe et Walker (2011) notent

également le fait que les campagnes efficaces contre le tabac sont celles qui proposent les conséquences sociales négatives de la cigarette. Enfin, sur une mesure comportementale,

l‟argument social est plus performant que l‟argument santé, dans le cas de la prévention de l‟obésité auprès d‟adolescents (Werle et al., 2012). Ho (1998), lui-aussi, mentionne que l‟argument social fonctionne mieux que l‟argument santé, mais ceci uniquement pour le public particulier des jeunes. L‟auteur explique que les jeunes sont conscients des risques du tabac pour leur santé et ont l‟intention d‟arrêter de fumer pour ces raisons rationnelles, mais qu‟ils continuent de fumer pour des raisons sociales : « les dimensions de maladie, sévérité, susceptibilité, auto-

efficacité et efficacité de la réponse, contribuent significativement à expliquer l‟intention perçue

d‟arrêter de fumer parmi les jeunes et les adultes fumeurs, […] cependant les dimensions sociales contribuent significativement à prédire le comportement des jeunes fumeurs»41 (Ho, 1998). Cependant, même si l‟argument social semble plus efficace qu‟un argument santé, du moins auprès des jeunes, Goldman et Glantz (1998), eux, ne parviennent pas au même constat. Ils ont testé l‟efficacité de huit campagnes de communication anti-tabac différentes auprès de jeunes et d‟adultes. Ils montrent que les plus efficaces pour réduire la consommation de tabac sont également celles jugées les plus agressives, i.e. celle montrant la manipulation par les industries du tabac et celle sur les effets que provoque la fumée pour les personnes autour du fumeur (comme les bébés ou les jeunes enfants). Les autres communications ont été jugées peu efficaces, comme celles sur les effets à court terme ou à long terme sur la santé, ou encore un argument social basé sur le risque de rejet amoureux.

Même si les résultats sur l‟argument le plus persuasif ne permettent pas d‟atteindre un consensus, il n‟en demeure pas moins que la difficulté à obtenir une communication qui persuade un public- cible réside dans le choix de l‟argument le plus efficace pour faire adopter un comportement. Or, cet argument ne sera pas nécessairement un argument portant sur la santé, alors même que la finalité reste pourtant toujours d‟améliorer ou de garantir la bonne santé des individus.

Par ailleurs, un autre élément peut intervenir dans ce contexte de choix d‟arguments, c‟est le cadrage (framing) qui va être adopté dans la présentation de l‟argument. Ce cadrage peut porter soit sur les pertes soit sur les gains. Or, si le choix est fait d‟un cadrage de pertes, le message va indiquer aux individus les divers risques ou menaces encourus à ne pas suivre la recommandation proposée, et, ce faisant, cette stratégie va s‟apparenter à une stratégie de recours à l‟appel à la peur. C‟est ce lien qui va être développé dans la partie suivante.