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orale en langue étrangère

1. Les origines de la notion d’étayage

1.2 Les apports de la psychologie culturelle de Jérôme Seymour Bruner (1915-)

1.2.2 La théorie du langage

La théorie du langage élaborée par Bruner se situe dans la lignée des théories contextuelles du développement cognitif, notamment celle de Vygotsky. Pour Bruner, les connaissances et les contextes sont considérés comme des éléments primordiaux au cours du développement de l'individu. Les développements cognitif et langagier sont contextuels.

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Bruner s'intéresse assez précisément à l'entrée de l'enfant dans la culture de manière générale. Cette culture se construisant à travers la maîtrise du langage (celui-ci étant culturellement conventionnalisé).

L'entrée dans une culture se réalise grâce aux interactions sociales avec d'autres membres de la communauté linguistique. Pour l’enfant, il s’agit habituellement d’interactions avec la mère avec qui il interagit, parle et communique. Ainsi, ce dernier s'imprègne des conventions langagières (de sa forme et de sa signification) dans des contextes qui lui sont familiers et, par conséquent, qu'il reconnaît.

Pour Bruner, plutôt que d'apprendre le langage pour lui-même, l'enfant apprend l'utilisation de ce langage. En d'autres termes, l'accent est mis sur l'aspect communicatif du développement langagier et non sur la structure du langage. L'enfant possède des capacités à communiquer avec les membres qui appartiennent à sa culture. Apprendre à communiquer consiste à apprendre quand, comment et dans quelles circonstances sociales, ces significations doivent être utilisées. L'enfant doit donc apprendre et reconnaître, les contextes d'utilisation des mots. De ce fait, des interactions avec des personnes nombreuses et diversifiées facilitent ce processus. En effet, les nuances dans la communication vont guider les essais que l'enfant va être amené à faire pour sélectionner les mots et les phrases qui sont à la fois corrects grammaticalement mais aussi appropriés socialement.

Selon Bruner, l'apprentissage du langage suppose une double force: l'une est une force interne qui pousse l'enfant à apprendre le langage dans son ensemble. Bruner parle de "push force", assimilable à une force de pulsion centrifuge qui pousse donc le sujet vers l'extérieur. L'autre réfère à la présence du soutien de l'environnement; il s'agit ici d'une force qui aide l'enfant à apprendre le langage. Bruner parle alors de "pull force", semblable à une force d'attraction -centripète-, dirigée vers le sujet lui permettant un accroissement de ses connaissances. Cette seconde force prend la forme d'une ou d’un ensemble de personnes avec laquelle ou lesquelles l'enfant interagit. Elle prend également la forme de contextes réguliers et reconnaissables dans lesquels le langage est utilisé. Ce cadre est appelé L.A.S.S. (Language Acquisition Support System) ou Système de Soutien pour l'Acquisition du Langage. Ce système est crucial afin que l’enfant apprenne le langage grâce à l’assistance de l'adulte, qui étaie la tâche.

Il existe une relation étroite entre la capacité innée que l'enfant possède pour apprendre le langage et le soutien social qui lui est offert pour activer cette capacité.

41 Bruner cherche à expliquer comment ces deux forces se lient pour proposer un modèle du développement langagier.

1.2.2.1Le développement des savoir-faire, des compétences : tutelle et étayage

Pour Bruner, le développement de l'enfant s'organise autour du savoir-faire et du savoir comment accomplir ses intentions. Ceci exige une élaboration communautaire : une trame sociale des intentions et de leur accomplissement (Bruner, 1983).

Dans la maitrise des compétences et des savoir-faire, le rôle joué et l’aide apportée par une tierce personne compétente sont déterminants. L’aide, dont bénéficie l'enfant, de personnes plus expertes que lui, se réalise dans le cadre d'une interaction de tutelle.

Le développement de l'intelligence est lié à la capacité de construire des comportements intentionnels (l’intentionnalité). Ces intentions sont nécessairement neurobiologiques (on naît avec des intentions), mais surtout elles sont liées à la culture des individus d’une même communauté. Dans un premier temps, il y a intention ; ensuite, l'action a lieu : elle a un sens et un but. L'intentionnalité précède le savoir-faire. L'intention de l'enfant est repérée et interprétée par les membres de son entourage : ce fait est primordial pour le développement du langage. En effet, au sein des interactions entre la mère et l’enfant, chaque comportement de ce dernier (mimique, geste, vocalise…) est interprété par la mère comme le signe d'un désir ou d'une intention. Par la suite, elle peut nommer et donc permettre à l'enfant d'accéder au langage.

Le développement cognitif de l'enfant se fait dans des cadres contextuels d'interactions et d'échanges au cours desquels vont s'élaborer les savoir-faire. Les situations de communication constituent un sous-ensemble des situations interactives. Dans une situation de communication entre en jeu, un référent, connu de l'un des partenaires, et que l'autre doit reconnaître. Le but est qu’il y ait un transfert de significations : un émetteur, code un message destiné au partenaire (le récepteur) et le produit ; le message concerne un référent (objet, personne, etc.). Le récepteur interprète le message (le décode). Dans une situation de communication, se construit, entre les partenaires, une signification commune.

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Le contexte situationnel détermine le type d'échanges possibles. En effet, les savoir-faire s'élaborent dans le cadre contextuel de situations interactives, dans des contextes situationnels.

Des "formats" spécifiques se développent, en collaboration, dans ces contextes. Un format correspond à une situation d'actions-échanges dont on peut décrire les variables et les supports : tel type d'activité, avec telle séquence intention-réalisation-feedback, dans tel contexte humain, et où jouent simultanément divers langages et divers codes. Les formats désignent les contextes communicatifs dans lesquels le langage est maîtrisé par l'enfant. Ils représentent la structure de base des échanges. Formés par des régularités sociales, ils se réfèrent à des événements sociaux réguliers. Un format, qui implique au moins deux personnes dont l'enfant, présente une structure régulière, routinière, définissant des rôles et des pratiques.

L’enfant se trouve impliqué très tôt dans ces situations de routines interactives qui se répètent quotidiennement. C'est par cette répétition que l'échange se routinise. En d'autres termes, les premières expériences pratiques d'échanges sociaux sont réglées implicitement par des conventions dans la mesure où chaque routine « se singularise par un certain nombre de règles qui circonscrivent étroitement la signification des actes des deux partenaires. (En effet), ce qui est susceptible de constituer un contexte partagé ce n'est pas (...) l'interaction en général, mais un épisode interactif mis en forme et routinisé par les protagonistes eux-mêmes » (Deleau, 1990, p.86).

Lors de ces situations, la mère joue un rôle crucial dans la structuration des échanges. Elle reconnaît et donne sens aux tentatives de communication de l'enfant et elle favorise l'accès à la réciprocité des actions. Cela permet à l'enfant d'apprendre que la communication s'appuie sur une alternance de rôles et des réponses.

Vus comme des échanges habituels et des épisodes propices à la constitution d'un contexte partagé, les formats fournissent un cadre pour l'interprétation concrète de l'intention de communication entre mère et enfant. Aussi, leur valeur fonctionnelle pour l'ontogenèse de la communication est soulignée par Bruner: « L'acquisition du langage commence avant que l'enfant n'émette son premier discours lexico-grammatical. Elle commence quand la mère et l'enfant créent un format d'interaction prédictible qui peut servir de microcosme pour la communication et la constitution d'une réalité partagée. Les transactions qui se produisent dans de tels formats constituent "l'input" à partir duquel

43 l'enfant peut alors maîtriser la grammaire, comment référer et signifier, et comment réaliser ses intentions en communiquant » (Bruner, 1983, p.129).

Le concept de compétence est lié aux savoir-faire. La compétence, éventail de savoir-faire et de leurs applications, est perçue au sens de l'intelligence opérative (c'est-à-dire du savoir comment ("knowing how") plutôt que du savoir que ("knowing that"). La compétence suppose une action et une modification de l'environnement comme adaptation à cet environnement (Bruner, 1983, p.87). Elle suppose que l'on soit capable, dans une situation donnée, de sélectionner des informations pertinentes pour se fixer une ligne d'action, de mettre en œuvre une série d'activités dont le but est de réaliser l'objectif fixé, et enfin de prendre en compte ses réussites et échecs pour définir de nouveaux projets.

Dans la maitrise de cette compétence et de ces savoir-faire, le rôle d'une tierce personne compétente est déterminant : l'adulte soutient l'enfant en prenant en main les éléments de la tâche qui dépassent les compétences de l'enfant et lui permet ainsi de se concentrer sur les seuls éléments qui correspondent à ses compétences. Cette aide, dont bénéficie l'enfant, de personnes plus expertes que lui, se réalise dans le cadre d'une interaction de tutelle. Pour Bruner, le processus de tutelle consiste dans les moyens grâce auxquels un adulte ou un "spécialiste" vient en aide à quelqu'un qui est moins adulte ou moins spécialiste que lui.

L'interaction de tutelle comporte un processus d'étayage qui consiste pour le partenaire expert « à prendre en mains ceux des éléments de la tâche qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui demeurent dans son domaine de compétence et de les mener à terme » (Bruner, 1983, p.263). L’étayage est un processus d'enseignement qui facilite l'apprentissage chez l'enfant. Il s'agit d'un processus local, orienté vers la tâche à réaliser.

La notion d'étayage est intimement liée au concept vygotskien de Zone Proximale de Développement (ZDP), puisque Bruner l'utilise pour désigner l'ensemble des interactions de soutien et de guidage mises en œuvre par un adulte ou un autre tuteur pour aider l'enfant à résoudre seul un problème qu'il ne savait pas résoudre au préalable. L'étayage dirige donc l'enfant vers la réussite de la tâche grâce à la mise en place de petites étapes compréhensibles. Celui-ci correspond à un moyen de s'assurer si

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l'indication fournie à l'enfant est judicieuse ou appropriée à son niveau actuel et à son niveau potentiel de développement.

Mais, il est à remarquer qu’il ne faut pas directement assimiler la notion d'étayage utilisée par Bruner à celle de ZDP élaborée par Vygotsky. L'étayage réfère au processus de soutien de l'adulte et de l'aide apportée à l'enfant pour que celui-ci maîtrise un problème déterminé localement, qu'il soit d'ordre cognitif ou purement langagier. L'étayage réfère à une aide, l'accent étant mis sur le soutien approprié au succès d'un apprentissage. Il s'agit de s'intéresser plus aux processus d'instruction qu'aux compétences de l'enfant. La ZDP est un concept théorique qui décrit la distance potentielle entre la compétence avec et sans l'aide d'autrui. Selon Bruner, ce type d'étayage tire « le développement de l'enfant vers le haut » et correspond aux situations où des adultes (la mère en général), demandent à l'enfant plus d'informations tout en maintenant le centre d'intérêt sur le sujet dont il est question.

L’enfant (le novice) ne tire pas forcément profit d'une interaction sociale. Une condition essentielle doit être remplie : « l'apprenti doit être capable de reconnaître une solution d'une classe déterminée de problèmes avant d'être capable lui-même de produire les démarches qui y conduisent sans aide » (Bruner, 1983, p.263). C'est-à-dire que la compréhension de la solution doit précéder sa production.

Selon Bruner, le processus d'étayage implique six fonctions (Bruner, 1983, pp 277-278) :

1) l'enrôlement correspond aux comportements du tuteur (adulte ou enfant) par lesquels il