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Conclusion intermédiaire

Chapitre 2 : Approche de l’oral

2.3 Les caractéristiques de la perspective interactionniste

Avant de faire un point sur les caractéristiques de la perspective interactionniste, il est important de préciser, dès le début, quelques notions dont la notion de « genre de l’oral ».

Longtemps utilisée pour classer les divers écrits, la notion de « genre » apparaît pour « classer l’oral » (Kerbrat-Orecchioni, 2004). Ces classifications en genres, paraissent incontournables, dans la mesure où l’« usage courant » y recourt abondamment. Ce concept de genre paraît être une notion pertinente pour la « description de l’oral ». Pour Bilger et Cappeau (2004), ce concept a longtemps été limité aux concepts littéraires, mais des travaux récents montrent de quelle manière cette notion peut être étendue à la description des productions orales. Effectivement, il est difficile de décrire une interaction quelconque sans prendre en compte le genre dont elle relève : « les genres étant définis comme des catégories abstraites qui regroupent, sur la base d’un certain nombre de critères, des unités empiriques se présentant sous forme de “textes” ou de “discours”. Si la définition des genres est la même pour l’oral et pour l’écrit, les problèmes posés sont à la fois communs et spécifiques » (Kerbrat-Orecchioni, 2004, p.2).

Comme les textes écrits, les productions orales relèvent de genres divers, c’est-à-dire qu’ils se distribuent en “familles” constituées de productions variées mais présentant un certain “air de famille”. Cela est attesté par l’existence des nombreux termes, pour caractériser tel échange particulier comme étant, par exemple, soit une conversation, une discussion, un débat, un entretien ou encore un cours, une conférence ou un rapport.

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.D’ailleurs, Kerbrat-Orecchioni dans « Les interactions verbales », ouvrage en trois tomes, a consacré un volume entier à cette question des marqueurs de la relation interpersonnelle, ainsi qu'à un type d'investigation qui est apparu aux Etats-Unis à la fin des années soixante-dix, et qui a connu depuis un développement spectaculaire. Il s’agit de la réflexion concernant la politesse linguistique, amorcée par Goffman, et développée surtout par P. Brown et S. Levinson.

117 « Les locuteurs disposent d’une foule de termes pour catégoriser l’immense variété des textes qui sont produits dans une société : “conversation”, “manuel”, “journal”, “tragédie”, “reality-show”, “roman sentimental”, “description”, “polémique”, “sonnet”, “récit”, “maxime”, “hebdo”, “tract”, “rapport de stage”, “mythe”, “carte de vœux”… On notera que la dénomination de ces genres s’appuie sur des critères très hétérogènes. (Maingueneau, 1998, p.45) La richesse du lexique utilisé pour étiqueter les genres n’a d’égal que la confusion qui le caractérise, et la situation ne s’est guère améliorée après le constat teinté d’optimisme que fait il y a cinquante ans Bakhtine. Il n’existe pas encore de nomenclature des genres oraux et on ne voit même pas encore le principe sur lequel on pourrait l’asseoir » (Kerbrat-Orecchioni, 2004, p.3).

Selon Kerbrat-Orecchioni (2004), il est possible de « classer l’oral » en deux grands genres :

 Les « Genre 1/G1 » correspondent à des types d’interactions ou d’événements de communication attestés dans une société donnée (colloques, entretiens d’embauche, interviews, etc.). Ce sont des unités qui relèvent du niveau macrotextuel.

 Les « Genre 2/G2 » correspondent aux catégories discursives qui ont déjà été reconnues pour l’écrit (narration, description, argumentation, etc.), auxquelles viennent s’adjoindre certains types d’échanges ou de séquences tels que la plainte, la confidence, la plaisanterie, etc. Ces unités, intermédiaires entre l’interaction globale et ces unités de rang inférieur que sont les tours de parole ou les actes de langage, relèvent du niveau “mésotextuel”. On les appellera types d’activités. D’une manière générale, les “types d’interactions” sont composés de diverses variétés de “types d’activités”.

La perspective interactionniste peut se définir par diverses caractéristiques. L'une des tâches de la linguistique est de chercher à comprendre comment les énoncés sont construits. Dans les interactions en face à face, les énoncés sont construits collectivement. « La construction des énoncés, loin d'être une activité individuelle, est en réalité à chaque instant déterminée, guidée, infléchie par les réactions du ou des différents récepteur(s), réactions auxquelles le locuteur s'adapte en « reformatant » au fur et à mesure son énoncé de manière à le rendre plus efficace dans l'interaction. On comprend alors combien le discours produit est le résultat d'un « bricolage interactif » incessant ; combien les fameux

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« ratés » de l'oral sont en réalité le plus souvent fonctionnels. » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p.60) En effet, « Le discours-en-interaction a pour particularité d'être co-produit et de résulter d'un incessant travail collaboratif » (Horlacher, 2007, p.99) Il y a aussi à l'oral des régularités, qui sont simplement d'une autre nature que celles qui s'observent à l'écrit, parce que les conditions de production / réception y sont elles-mêmes d'une autre nature.

Une des tâches de la linguistique est de comprendre comment les énoncés sont compris. Pour la linguistique interactionniste, l'analyste doit rendre compte des interprétations effectuées au fil du déroulement de l'échange par tous les participants à l'échange communicatif. Celles-ci peuvent fort bien ne pas coïncider. Et, les différents participants collaborent à l'interprétation des énoncés produits de part et d'autres, et négocient en permanence le sens qu'ils leur attribuent. Cette perspective a restitué au langage sa dimension temporelle, et a rappelé que le discours est un processus dynamique (pas un objet statique).

La perspective interactionniste a pour caractéristique majeure, la prise en compte de la variété des normes culturelles. La pragmatique contrastive (Kerbrat-Orecchioni, 2000) a d'abord pour objectif de décrire toutes les variations observables dans les comportements qu'adoptent les membres de différentes sociétés dans une situation communicative particulière. Mais ces descriptions de faits isolés doivent déboucher sur des généralisations de divers ordres. Elles doivent premièrement permettre de définir le profil communicatif propre à une société donnée : on peut en effet supposer que les différents comportements d'une même communauté obéissent à quelque cohérence profonde, et espérer que leur description systématique permette de dégager l'éthos de cette communauté, c'est-à-dire sa manière de se comporter et de se présenter dans l'interaction, en relation avec un certain nombre de valeurs partagées. Ainsi, on peut distinguer des sociétés à éthos plus ou moins proche ou distant, égalitaire ou hiérarchique, consensuel ou conflictuel, ou encore individualiste ou collectiviste. Ces caractérisations reposant sur un certain nombre de marqueurs pertinents. « Par exemple, pour déterminer si la culture envisagée est une culture à contact (c'est-à-dire à éthos de proximité), on se fondera sur les normes proxémiques en vigueur, la fréquence des contacts oculaires et gestuels, celle des appellatifs connotant la familiarité (prénoms, diminutifs), la facilité avec laquelle les locuteurs parlent à autrui de choses intimes ou lui donnent accès à leur territoire. Notons que tous ces marqueurs ne vont pas forcément dans le même sens : en France par exemple,

119 la bise est plus fréquente qu'aux Etats-Unis, mais l'usage du prénom est beaucoup plus rare » (Kerbrat-Orecchioni, 2000, p.7).

Ces descriptions débouchent alors sur une typologie des cultures, considérées sous l'angle de leur comportement dans la communication. « Elles doivent enfin, à terme, permettre de répondre à cette question tapie au cœur de la réflexion pragmatique. Quelle est la part relative des universaux et des variations culturelles dans le fonctionnement des interactions ? » (Kerbrat-Orecchioni, 2000, p.7)

Au-delà de nombreuses différences culturelles, le fonctionnement des interactions obéit à certains principes généraux transculturels. Il arrive que les variations soient suffisamment importantes pour entraîner des problèmes sérieux dans la communication interculturelle. Prenons donc l’exemple suivant, très significatif : « En Corée, au Viêt Nam ou en Chine, des questions telles que « D'où viens-tu ?, Où vas-tu ?, Que fais-tu là ?, Tu vas au marché ?, As-tu déjà mangé ? » doivent être prises comme de simples questions de salutation. Ces formules peuvent pourtant prêter à confusion, particulièrement la dernière lorsqu'elle s'adresse à un interlocuteur occidental, qui risque de l'interpréter à tort comme une invitation ! » (Kerbrat-Orecchioni, 2000, p.7)

« Traquant inlassablement le culturel sous le masque du naturel, la pragmatique contrastive nous aide à mieux comprendre l'autre, cet étranger qui cesse d'être étrange dès lors que l'on admet le caractère éminemment relatif et variable des normes communicatives » (Kerbrat-Orecchioni, 2000, p.8).

La notion de « script » de Schank & Abelson (1977) est une notion importante à prendre en compte (et tout particulièrement en situation interculturelle). En effet, à chaque événement de communication correspond un « script », qui peut être plus ou moins précis et contraignant selon les cas : dans les échanges informels, le script se réduit à un canevas à partir duquel on peut broder librement, alors que dans les interactions « protocolaires » la marge de manœuvre des participants est beaucoup plus réduite. Mais il est assez rare qu’elle soit totalement inexistante. Généralement, cette structure abstraite qui sous-tend le déroulement de l’interaction n’a d’autre existence qu’implicite. « Il est donc fatal que cette représentation mentale puisse diverger d’un participant à l’autre. C’est surtout à travers l’exemple des interactions dites « de service » qu’ont été mis en évidence, et la pertinence de la notion de script, et le caractère éminemment négociable de ces structures abstraites » (Kerbrat-Orecchioni & Traverso, 2002, p.47).

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Des facteurs comme la situation de parole ou le genre jouent un rôle déterminant : le locuteur doit respecter un certain nombre de contraintes que lui impose « le cadre » dans lequel il parle (Bilger & Cappeau, 2004, p.28). Le locuteur n’utilise pas les mêmes outils syntaxiques selon la situation.

Il peut arriver que deux interactants ne partagent pas exactement la même conception du script idéal. Cela se produit surtout en situation interculturelle, comme dans l’exemple suivant : « l’étude de Bailey sur les interactions entre des commerçants d’origine coréenne et leurs clients « afro-américains » : les deux groupes ont des « styles communicatifs » fort différents (…) les premiers considérant qu’il s’agit d’une interaction de type purement transactionnel, et les seconds qu’il y a dans un tel site place pour la parole « relationnelle » (blagues, small talk, récits conversationnels) » (Kerbrat-Orecchioni & Traverso, 2002 pp 47-48).

Pour conclure son article sur « La notion d'interaction en linguistique » (1998), Kerbrat-Orecchioni met en avant les divers intérêts de l’approche interactionniste : « Je n'hésiterai pas à affirmer une fois encore que l'approche interactionniste me paraît plus pertinente que les approches plus « classiques » - plus pertinente, c'est-à-dire mieux adaptée à ce qui constitue l'essence même du langage verbal, en nous rappelant opportunément le caractère social des systèmes linguistiques, et leur vocation communicative : pour reprendre une formule de Labov, la linguistique ainsi conçue est une linguistique en quelque sorte « remise sur ses pieds ». On peut dans cette mesure considérer que l'introduction de la notion d'interaction opère un recentrement de la linguistique sur son objet propre. Or ce n'est généralement pas ainsi qu'est considérée l'approche interactionniste : au mieux, on lui accorde une position « périphérique » dans le champ des études linguistiques ; au pire, on l'accuse de trahison et de déviationnisme... » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p.63)

L'introduction de cette notion bouscule quelque peu les découpages disciplinaires traditionnels comme le confirment Colletta et de Nuchèze (1995, p.5) : « Nous aimons l'abondance même de ce champ, son ouverture gourmande sur l'anthropologie, son obstination dérangeante à se dessiner un espace non conventionnel dans le milieu finalement très conformiste des sciences du langage, son énergie à mettre de l'ordre dans le désordre... »

121 Ainsi, la présente étude s’inscrit dans une perspective interactionniste, dans la mesure où elle considère le fonctionnement interactionnel comme lieu de mobilisation et de construction des compétences langagières. En effet, l’interaction est un facteur structurant le processus même, du développement langagier. L’acquisition est désormais vue comme un processus socio-cognitif, comme un phénomène situé dans un contexte social particulier et configuré par ce même contexte (Pekarek-Doehler, 2000).

Après avoir défini les apports et caractéristiques de la perspective interactionniste, faisons un point sur l’interaction dans le cadre de la classe : l’interaction sociale devient par conséquent didactique (Bouchard, 1998, 2007 ; Germain, 2004 ; Germain & Netten, 2004 ; Cicurel & Rivière, 2008).