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Les apports de la notion « importée » d’interaction sur l’analyse du discours et de la langue

Conclusion intermédiaire

Chapitre 2 : Approche de l’oral

2.2 Les apports de la notion « importée » d’interaction sur l’analyse du discours et de la langue

Pour l’approche interactionniste, l’interaction sociale est constitutive des processus cognitifs, voire constructive des savoirs et des savoir-faire langagiers et de l’identité même de l’apprenant. L’interaction est comprise non pas comme un simple cadre qui fournirait des données langagières et permettrait de déclencher ou d’accélérer certains processus développementaux : elle est un facteur structurant le processus même de ce développement (Bange, 1992). Concevoir l’acquisition comme processus sociocognitif oblige à la penser comme phénomène situé dans des contextes sociaux variés et configuré par ces mêmes contextes, et à penser l’apprenant dans ses relations sociales, dans ses processus interprétatifs, dans ses représentations du monde (Pekarek Doehler, 2000).

Trois postulats de base, formant le cœur de l’approche interactionniste, peuvent être identifiés. Ces postulats sont les suivants :

 Le rôle constitutif de l’interaction pour le développement langagier (héritage vygotskien, Vygotsky, 1934)

 La sensibilité contextuelle des compétences langagières

 La nature située et réciproque de l’activité discursive (et cognitive)

« Ce qui constitue l’originalité de l’approche interactionniste, c’est qu’elle réunit ces trois postulats dans une démarche interprétative et analytique rigoureuse qui cherche à comprendre le fonctionnement socio-interactionnel (et même sociocognitif) lié à différents processus, conditions et occasions d’apprentissage. C’est sur la base de ce triangle que se forge, en effet, la compréhension de l’apprentissage, des compétences et de l’apprenant » (Pekarek Doehler, 2000, p.8).

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« Speaking is interacting » (Gumperz, 1982, p.29). Cette citation signifie d’une part que l'exercice de la parole implique normalement plusieurs participants et d’autre part, que ces participants exercent en permanence les uns sur les autres un réseau d'influences mutuelles : parler, c'est échanger, et c'est changer en échangeant.

Ces influences mutuelles sont plus ou moins fortes selon la nature de la situation communicative. Dans les échanges en face à face, la pression du destinataire est maximale, et la moindre de ses réactions peut venir infléchir l'activité du « locuteur en place ». Mais cette pression est évidemment plus faible lorsque l'émetteur s'adresse à un destinataire absent. En d'autres termes : les différentes situations discursives ne présentent pas toutes le même degré d'interactivité. L'approche interactionniste privilégie tout naturellement, sans pour autant exclure les autres formes de productions discursives, celles qui présentent le plus fort degré d'interactivité, comme les conversations. C'est-à-dire que cette approche nouvelle impose au linguiste de nouvelles priorités. Notons que le terme d'« interaction » désigne d'abord un certain type de processus (jeu d'actions et de réactions), puis par métonymie, un certain type d'objet caractérisé par la présence massive de ce processus : on dira de telle ou telle conversation que c'est une interaction (verbale), le terme désignant alors toute forme de discours produit collectivement, par l'action ordonnée et coordonnée de plusieurs « interactants » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p.55).

En ce qui concerne l'objet à analyser, la priorité est donnée au discours dialogué oral. En effet, le dialogue est admis comme étant la forme à la fois primitive et basique de l'exercice du langage. D’autre part, il est bien évident que les formes écrites de production langagière ont dans nos sociétés une importance considérable, et qu'il existe entre les productions orales et écrites une sorte de continuum. Mais il n'en reste pas moins que c'est d'abord sous forme orale que se réalise le langage verbal, comme le terme de « langue » en porte lui-même la trace. La linguistique moderne ne cesse de le répéter. Mais on ne peut pas dire que les descriptions proposées se soient toujours conformées à cette affirmation de principe : « tout en visant le langage oral, le linguiste a toujours travaillé sur de l'écrit » (Véron 1987, p. 208) - ou plutôt, presque toujours. Blanche-Benveniste et Jeanjean (1987) montrent bien que le retard dont souffrent les études sur l'oral est corrélatif d'une dévalorisation obstinée de la langue parlée, et d'une assimilation inconsciente de la langue à sa variante écrite.

115 Les gestes et les mimiques jouent un rôle important dans le fonctionnement des interactions en face à face, et c'est avec tout le corps (et pas seulement la « langue ») que les personnes conversent (Cosnier, 1982, Colletta, 2004, Tellier, 2008). La communication orale est « multicanale », et sa description doit idéalement rendre compte de l'ensemble des constituants du texte conversationnel, c'est-à-dire du « totexte » (Cosnier, 1982).

Concernant la méthodologie, un respect absolu des données est imposé. Il s’agit donc ici d’une réhabilitation de l’empirisme descriptif, et d’un souci de travailler à partir de corpus constitués d'enregistrements d'interactions autant que possible, authentiques. La méthodologie est strictement empirique et procède essentiellement par des micro-analyses d’interactions entre locuteurs non natifs et locuteurs natifs ou plus « experts ». Des enquêtes par questionnaires sont aussi utilisées dans l’investigation sur les représentations sociales. La recherche interactionniste se concentre sur l’identification et la description de certains processus (sollicitations, reformulations....) et conditions (rapports de rôles, tâches...) interactifs des rencontres exolingues. Sur le plan méthodologique, cela implique donc en premier lieu l’observation et la description détaillée des pratiques locales comme lieux possibles de la construction des savoirs et des savoir-faire.

Une émergence de nouveaux objets, traditionnellement négligés voire totalement « oubliés » en linguistique de l'écrit (mais qui deviennent incontournables dès lors que l'on s'occupe de productions orales) sont désormais observés.

Tout d’abord, les procédés qui permettent la construction progressive et collective du discours, les «petits faits» qui ont une grande importance dans le fonctionnement des conversations: les reprises et reformulations, les inachèvements et rectifications, les bafouillages et « soufflages », ainsi que les « petits mots » nombreux et fréquents, qui ponctuent, structurent et régulent les conversations (Traverso, 2009). «En chinois cantonais par exemple, le stock des particules spécifiques de l'oral comprend, d'après Kwong 1990, une bonne centaine d'unités, et il en apparaît en moyenne dans les conversations une toutes les secondes et demie » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p.58).

D’autre part, la dimension relationnelle est désormais prise en compte. Les discours naturels sont le lieu où se construisent en permanence l'identité sociale, et la relation interpersonnelle. Nombreuses sont en effet les études qui depuis deux décennies s'emploient à décrire comment se construit, dans et par l'interaction, une certaine relation

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entre les participants (de distance ou familiarité, d'égalité ou de hiérarchie, de connivence ou de conflit...).41

Par ailleurs, la composante affective, la strate émotionnelle joue dans le fonctionnement des interactions humaines un rôle fondamental.