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La théorie de l’action raisonnée : effet des attitudes et des normes

Chapitre 2 Prendre en compte les facteurs subjectifs et techniques pour

3. Intégrer les déterminants psychologiques du choix modal dans un

3.1. La théorie de l’action raisonnée : effet des attitudes et des normes

sur un comportement

Le lien entre attitude et comportement est interrogé de longue date en psychologie si l’on se réfère à un certain nombre d’écrits sur le sujet (Ajzen & Fishbein, 1970, 1973, 1977; Fazio & Olson, 2003). En matière de transports, des études montrent par exemple qu’il existe un lien entre une perception (c’est le terme employé même si l’opérationnalisation qui est faite de la variable perception renvoie bien souvent en fait à une attitude) et le choix d’un mode de transport. Si nous avons présenté au début de ce chapitre de nombreuses études qui se sont intéressées à la perception de l’automobile ou des transports en commun, nous avons également souligné qu’elles traitent souvent de perception dans le sens où un psychologue entend attitude. Nous commencerons donc, pour clarifier la suite de notre exposé, par définir le concept d’attitude.

3.1.1. L’attitude comme prédicteur du comportement

Il semble difficile d’imaginer que nous puissions vivre dans un monde sans attitude, un monde dans lequel nous agirions sans évaluer le positif et le négatif des choses, la désirabilité ou l’indésirabilité des choix qui s’offrent à nous (Fazio & Olson, 2003). Ceci est également vrai pour ce qui est des pratiques de déplacement. Nous définissons donc dans cette section le concept d’attitude et précisons en quoi l’attitude envers un mode de transport peut être un déterminant du choix d’adopter ou non un mode de transport donné.

L’attitude envers un comportement peut être définie de nombreuses façons. Une définition synthétique de l’attitude est qu’elle correspond à une évaluation résumée d’un objet (au sens psychologique) à propos de caractéristiques telles que bon/mauvais, dangereux/bénéfique, plaisant/déplaisant ou agréable/désagréable (Ajzen, 1987, 2001). La notion d’attitude se distingue de la notion d’affect car selon Ajzen, l’affect correspond à une humeur ou à une émotion (bonheur, tristesse, joie). La notion d’attitude se distingue également de celle d’opinion selon Fishbein et Ajzen (1972). En effet, l’opinion est davantage une croyance concernant un objet particulier. Cette croyance ne prenant pas en compte la composante affective. L’attitude possède à la fois des composantes affectives, cognitives et conatives. La composante affective correspond à l’émotion ressentie envers l’objet considéré. La composante cognitive correspond à l’ensemble des connaissances ou des croyances

correspondant à l’objet et enfin, la composante conative correspond à une projection dans l’action avec l’objet considéré, c’est-à-dire une anticipation des comportements réalisés par, pour ou avec l’objet. Pour des auteurs comme Ajzen et Fishbein, l’attitude envers un comportement peut être définie comme le produit de la probabilité que le comportement aboutisse à un résultat escompté par l’évaluation que l’individu fait du comportement (Ajzen, 1991, 2001; Ajzen & Fishbein, 1973; Fishbein, 1963; Fishbein & Ajzen, 1972) soit :

Aact = ∑ Bi . Ai

Où B est la croyance quant à la probabilité de survenue du résultat du comportement et A est l’évaluation subjective de ce comportement.

Verplanken, Hofstee et Janssen (1998) ont montré que l’évaluation de la composante affective d’une attitude donne lieu à une réponse plus rapide que l’évaluation de la composante cognitive. Selon ces auteurs, cela confirme l’intérêt d’une modélisation à deux composantes de l’attitude dont l’une est basée sur les affects ressentis et plus facilement accessible et l’autre est basée sur des aspects cognitifs et moins facilement accessibles (demandant plus d’effort) qu’une modélisation à trois composantes. Un élément important à noter est que l’attitude ou l’évaluation d’un objet ou d’un comportement est en général automatique et hors du champ de la conscience de l’individu. En effet, selon Fazio (2001) la simple présentation d’un objet particulier suffit à rendre plus accessible en mémoire l’évaluation de cet objet et augmente donc la vitesse avec laquelle un individu est capable de reconnaître un mot de même valence affective. Autrement dit, la présentation d’un objet apprécié par un individu préalablement à un mot fait qu’il aura plus de facilité à identifier un terme positif qu’un terme négatif ; ce qui prouve que la confrontation à un objet que l’on perçoit favorablement active des réseaux neuronaux liés aux termes ou aux sentiments positifs. Directement en lien avec le choix d’un mode de transport, des études ont montré le lien entre l’attitude envers les transports en commun et le fait de les utilliser (Rebstein, Lovelock, & Dobson, 1980). Cette étude montre dans un premier temps qu’il existe un lien statistique (corrélation) entre l’attitude envers les transports en commun et le fait de les utiliser. Cependant, ce lien n’indique en rien un lien de cause à effet. Une seconde analyse des données est effectuée par les auteurs en utilisant une analyse simultanée à deux équations et montre que le lien entre attitude et comportement est bien récursif (mutuellement influencé) et surtout qu’il est dépendant des affects de l’individu . Dans une méta analyse récente, Glasman et Albarracìn (2006) démontrent que l’attitude est plus fortement prédictive d’un comportement lorsqu’elle est facilement accessible en mémoire et plus stable. L’attitude

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prédit également mieux le comportement lorsque l’individu interrogé est plus fréquemment confronté à l’objet étudié et qu’il est souvent interrogé sur son attitude envers cet objet. Une revue de littérature réalisée par Manstead (1996) rappelle que le lien entre attitude et comportement existe lorsque l’attitude est évaluée en situant clairement le comportement dans le temps. Ainsi, lorsque les individus doivent indiquer leur attitude envers la contraception orale, le lien attitude / comportement est plus fort lorsque l’attitude est évaluée par rapport à la prise de la pilule pendant les deux ans à venir que lorsqu’elle est évaluée par rapport à la prise de la pilule dans l’absolu. Qui plus est, une évaluation correcte du lien entre attitude et comportement est uniquement possible lorsque les individus ont eu à expérimenter le comportement ou lorsqu’il s’agit d’un comportement facilement imaginable14.

3.1.2. La norme subjective comme prédicteur du comportement

L’être humain est un être qui dès la naissance appartient à un groupe social. Comme tout groupe, le groupe auquel appartient l’individu possède des codes de référence (vestimentaires, langagiers, comportementaux, etc.). Le choix d’un mode de transport n’échappe vraisemblablement pas à cette règle si l’on considère par exemple le lien observé entre la catégorie socioprofessionnelle et l’utilisation d’une automobile (Barff et al., 1982; Simma & Axhausen, 2001).

La norme subjective peut être définie principalement comme « une pression sociale perçue en faveur de l’adoption ou de la non adoption d’un comportement » (Ajzen, 1991, p. 188). La mesure de la norme subjective concernant un comportement se réfère donc naturellement à ce que pensent les personnes proches de l’individu concerné (« la plupart des personnes qui comptent pour moi pensent que je devrais.. »). La norme subjective a pour ancrage également les attentes perçues par l’individu de la part de son entourage (« mes proches s’attendent à ce que... »). De nombreuses études illustrent l’impact des normes subjectives sur les intentions comportementales ou sur les comportements. Notre objectif ne peut donc être de présenter dans cette thèse la totalité de ces études. Mais à titre d’exemple illustratif, une étude a montré le lien entre la norme subjective face à la consommation d’alcool et l’intention d’en consommer (coefficient de régression standardisé bêta = .27) (Johnston & White, 2003). Cette étude montre également un lien entre la norme subjective et le comportement de consommation d’alcool de .15. Plus proche du comportement de mobilité

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Ce résultat n’est pas sans poser de problème lorsque l’on s’intéresse à un comportement assez novateur dans la population française tel que l’intermodalité. Nous y reviendrons par la suite.

qui nous concerne ici, une étude de Bamberg et Schmidt (2001) réalisée auprès de 3491 étudiants allemands montre un lien significatif entre la norme subjective en faveur des différents modes de transport possibles (voiture / vélo / transports en commun) et l’intention d’utiliser ces modes de transport (B = .37). L’intention d’utiliser l’un de ces modes de transport étant elle-même liée à leur utilisation effective (B = .72). Dans une seconde phase de leur étude (après avoir distribué un titre de transport gratuit pour les transports en commun), les auteurs montrent qu’il existe un lien identique (B = .30) entre la norme subjective et l’intention. Dans cette étude, il s’est avéré que la norme subjective est un meilleur prédicteur de l’intention et donc à travers l’intention du comportement que ne l’est l’attitude. Cependant, si le fait de distribuer un titre de transport gratuit a bien modifié les comportements de déplacement un an après l’intervention, cela ne provoque pas de changement apparent dans les attitudes et les normes subjectives. Une étude plus récente de Mathies, Klockner et Preibner (2006) s’est également intéressée à l’effet d’une intervention sur le changement de normes, d’attitudes et de comportements de déplacement. La mesure effectuée avant l’intervention montre que la norme subjective n’est pas liée au fait d’essayer un mode de transport alternatif à la voiture.

Il ressort de ces études que l’effet des normes subjectives sur l’intention comportementale n’est pas toujours observé et peut parfois ne pas varier malgré une intervention visant à réduire le recours à l’automobile couronnée de succès. L’impact des normes sur les comportements de mobilité demeure donc incertain et mérite selon nous des investigations complémentaires.

3.1.3. La prédiction d’un comportement à partir des attitudes, des normes et des intentions comportementales

Selon Ajzen et Fishbein (Ajzen & Fishbein, 1970, 1972, 1973, 1974, 1977; Ajzen & Madden, 1986; Ajzen & Timko, 1986; Armitage & Christian, 2003; Armitage & Conner, 1999a, 1999b), un comportement a nécessairement pour antécédent une intention préalable de l’adopter. Cette intention peut être vue comme une prédisposition individuelle à mettre en œuvre l’ensemble des séquences comportementales qui composent le comportement final. Cette intention est elle-même prédite conjointement par l’attitude envers le comportement et la pression sociale (norme subjective) qui peut être favorable ou défavorable envers le comportement. L’ensemble de ce modèle est résumé par l’équation [1] page 62.

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B ≈ BI = [Aact] ω0 + [NB(Mc)]ω1. [1]

Cette équation indique que le comportement adopté (B) est très proche de l’intention d’adopter ce comportement qui est elle même une composante de l’attitude envers ce comportement (Aact) et des croyances à propos du comportement attendu par l’entourage, autrement dit de la norme subjective (NB).

Une étude de Ajzen et Fishbein (1969) a montré que la prise en compte des attitudes, des normes subjectives et de l’intention comportementale envers un comportement permet de prédire efficacement le comportement. Mais cette étude indique surtout que prendre en compte les attitudes et les normes envers différents comportements alternatifs possibles permet d’améliorer la prédiction de l’intention d’adopter l’un des comportements en question. En effet, travailler sur la différence d’attitudes et de normes envers deux comportements qui s’excluent apporte davantage de précision dans la prédiction de l’intention comportementale. Cette étude qui nous semble intéressante ne concerne cependant pas des comportements de mobilité mais des comportements liés aux loisirs (regarder la télévision, jouer au poker, etc.). Enfin, dans une revue de littérature concernant le lien entre intention comportementale et comportement adopté, Conner et Armitage (1998) observent que la possibilité de prédire l’intention comportementale à partir des attitudes et des normes subjectives puis de prédire ensuite le comportement par l’intention dépend en fait du caractère volontaire du comportement. En effet, tous les comportements ne reposent pas simplement sur la volonté d’action individuelle. Par exemple, on peut être malade et souhaiter guérir, mais la guérison peut être dépendante entres autres de l’accès à certains soins et du sentiment de la capacité à se soigner