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Chapitre 2 Prendre en compte les facteurs subjectifs et techniques pour

2. Déterminants individuels du choix modal

2.4. Aspects symboliques et affectifs du choix modal

De nombreuses études montrent que les aspects symboliques sont aussi importants que les facteurs instrumentaux dans le choix d’un mode de transport (Anable, 2005; Ellaway, Macintyre, Hiscock, & Kearns, 2003; Thogersen, 2001). Récemment, dans une étude Danoise sur le choix du mode de déplacement, Thogersen (2001) réalise une étude longitudinale de 1998 à 2000 dans laquelle huit cent trente Danois sont interrogés trois fois au cours de cette période à intervalle d’un an. Les variables utilisées sont le comportement de mobilité antérieur, le comportement à l’égard des transports publics, les attitudes, les normes subjectives (c'est-à-dire les pressions sociales des parents, des amis ou de toute personne relevant du groupe de référence de l’individu sur la réalisation ou non d’un comportement), les normes personnelles, le contrôle perçu (qui fait référence à la perception de la facilité ou la difficulté de réaliser le comportement en question) et enfin les capacités matérielles telles que

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la possession d’une voiture, les moyens financiers. Les résultats indiquent que peu de Danois utilisent les transports publics lors de leurs déplacements quotidiens. En effet, les Danois les considèrent comme peu compétitifs même s’ils admettent qu’ils sont plus économiques. De plus, l’auteur montre, par des méthodes d’analyse multivariée, que l’aspect financier (le coefficient de régression standardisé, bêta = .014) et les considérations normatives (bêta = .0006) n’ont pas d’influence directe sur l’utilisation des transports publics. Seuls les facteurs motivationnels (attitude envers l’utilisation des transports publics, bêta = .17) et les contraintes perçues (possession ou non d’une voiture et contrôle perçu, bêta = .28) détermineraient l’utilisation des transports publics. L’utilisation de l’automobile est également influencée par des déterminants affectifs (plaisir et sensations fortes) et des déterminants symboliques (estime de soi, prestige).

2.4.1. La voiture comme source de plaisir et de sensations fortes

Steg, Vlek, Slotegraaf (2001), examinent l’importance des motivations symboliques dans l’attractivité de la voiture. Ils présentent à huit cent participants néerlandais un ensemble d’items relatifs aux aspects attractifs et non attractifs de la voiture et observent à l’issue d’une analyse factorielle, que l’utilisation de la voiture n’est pas seulement populaire à cause de ses fonctions instrumentales mais aussi parce qu’elle permet l’expression d’une position sociale. En effet, la voiture est perçue par les participants comme un mode prestigieux et source de plaisir et de sensation. En référence aux motivations affectives et symboliques, la voiture est devenue l’incarnation mécanique d’un ensemble d’attributs désirables, à savoir le signe de la modernité, du progrès, de la liberté, de l’individualité, de l’autonomie et de la responsabilisation, qui procurent des informations sur ce que l’on est et une identité dans une société dans laquelle « ce que l’on possède est perçu comme ce que l’on vaut » (Sachs, 1992, cité par Kenyon et Lyons, 2002). Selon Kenyon et Lyons, « l’effet de halo » est tel que les caractéristiques du mode de transport sont transférées sur celui qui les utilise. Celui qui voyage en voiture a les qualités décrites ci-dessus ; l’inverse est vrai pour celui qui voyage par des modes autres que la voiture solo. Pour les auteurs, les gens tendent à choisir les modes qui les font se sentir puissants et supérieurs par rapport à ceux qu’ils perçoivent comme manquant de contrôle, d’indépendance et de moyen de s’affirmer. Selon eux, ces valeurs et fonctions symboliques de la voiture sont présentes à la fois au niveau sociétal ou culturel, et au niveau individuel, psychologique, et influencent le choix modal. Ces niveaux ont été hélas peu considérés par les tentatives d’information et de marketing visant à induire un changement de mode.

2.4.2. La voiture comme marqueur de réussite sociale

Ellaway, Macintyre, Hiscock, et Kearns (2003) montrent que les personnes qui ont accès à une automobile semblent en retirer davantage de bénéfices psychologiques (maîtrise, estime de soi, sentiment d’autonomie, de protection et de prestige) que les usagers habituels des transports publics. De plus, le fait d’être conducteur confère plus de bénéfices que le fait d’être passager. Faut-il voir dans ce dernier résultat, une des raisons pour la préférence prononcée pour la voiture solo. L’estime de soi est surtout prononcée chez les hommes et est associée au type de véhicule chez les hommes et non chez les femmes. L’utilisation de la voiture semble conférer un certain statut, la possibilité d’exercer un contrôle et une certaine autonomie, et véhicule une valeur affective et symbolique. Ce que ne permettent pas les transports publics. A partir d’entretiens approfondis auprès de 43 adultes en Ecosse, Hiscock et al. (2002, cités par Ellaway et al., 2003), notent qu’en comparaison avec les transports publics, la voiture est perçue comme fournissant davantage de sentiment d’auto-réalisation, et d’affirmation de soi. La voiture est dans la société occidentale un objet de convoitise et d’identification. Il suffit d’observer les nombreuses publicités associant des automobiles puissantes au pouvoir de séduction de son conducteur. Parmi les attitudes associées à un usage plus important de l’automobile, Ellaway et ses collaborateurs ont identifié une composante associée au prestige et qui regroupe des notions d’admiration de la part des autres pour la voiture d’un tiers, de bien-être ressenti en s’imaginant au volant de cette voiture (Ellaway et al., 2003). En ce sens, cette notion de prestige lié à l’usage de l’automobile rejoint la composante symbolique présentée par Steg, Vlek et Slotegraaf (2001) et qui renvoie à l’idée d’une comparaison sociale entre individus basée sur le statut social et marquée par la voiture que l’on possède (ma voiture est plus agréable que d’autres à conduire). Gartman (2003) décrit clairement l’évolution de la place de l’automobile dans les sociétés occidentales ; ce qui explique la difficulté actuelle à se passer de l’automobile comme marqueur de réussite sociale. Par exemple, en se référent à l’ensemble des travaux du sociologue Bourdieu, Gartman (2003) souligne l’importance qu’a pris l’industrie automobile non pas seulement dans le développement de méthodes de production modernes mais également dans le démarrage d’une consommation de masse. Ainsi, l’automobile peut être considérée, tout comme n’importe quel bien de consommation, comme un marqueur de classe sociale. Ceci se confirme lorsqu’on observe dans une entreprise les différences entre les voitures des employés, des chefs d’équipes et des cadres supérieurs dans la flotte de l’entreprise. Dans sa thèse qui a donné lieu à un article, Dubois (Dubois, 2004; Dubois &

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Moch, 2006) explique et démontre que la perception de la voiture renvoie à la fois à des considérations symboliques et affectives qui ont un rapport avec la familiarité et l’intimité d’un territoire. Qui plus est, la voiture si elle est vécue comme un prolongement du domicile permet à certains automobilistes d’investir cet espace de façon individualisée. C’est par exemple ce qui est réalisé par les personnes qui pratiquent le « tunning » et personnalisent leur automobile à grand renfort d’accessoires de carrosserie ou d’équipements audiovisuels. Cependant, d’autres auteurs indiquent que l’importance accordée au prestige associé à une automobile tend à disparaître dans les sociétés occidentales du fait de la démocratisation de l’accès à l’automobile (Flamm, 2004).

En nous basant de nouveau sur les travaux de Strädling et de ses collaborateurs. (Stradling, Noble et al., 2004) nous pouvons indiquer que le manque d’intérêt pour les transports en commun peut également être lié à leur incapacité à répondre aux besoins affectifs et symboliques des usagers. Ainsi, parmi les huit bonnes raisons que ces auteurs ont identifié pour ne pas prendre le bus, sont cités : le besoin d’autonomie et de contrôle ; l’image de soi (pas une bonne impression) ; la volonté d’indépendance.

Les déterminants psychologiques du choix d’un mode de transport sont donc nombreux, qu’il s’agisse des perceptions des aspects instrumentaux ou symboliques associés à chaque mode de transport, des habitudes ou des aspects d’identification tels que les normes sociales. L’intérêt d’avoir présenté et clarifié ces déterminants est de permettre de les intégrer afin de mieux comprendre leur effet sur le choix modal. Un cadre théorique est tout trouvé puisque différentes théories en psychologie intègrent ces déterminants pour expliquer l’adoption de nombreux comportements. Dans la partie suivante nous présentons ces différents modèles et indiquons les applications possibles dans le domaine des transports.