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3. LE PROCESSUS DÉCISIONNEL DE CARRIÈRE

3.3 La théorie de l’action en contexte

Telle que l’évoque son nom, cette théorie adopte une perspective contextuelle et elle s’inscrit dans un paradigme épistémologique constructiviste. Elle considère que la société se construit par l’action (Young et al., 2006). C’est donc en posant des actions que les gens construisent leur vie, incluant la carrière (Young et Domene, 2012). Le développement de carrière se réalise et prend un sens lorsque la personne est en mouvement dans un contexte spécifique (Young et al., 2006). Ainsi, toute action est rattachée à un contexte particulier dans la vie quotidienne des gens et elle est liée à l’expérience et à l’histoire d’une personne (Ibid.).

L’action humaine constitue la notion centrale de cette théorie. Elle correspond, selon Young et al. (2006), à un construit utilisé par les gens pour donner du sens à leur propre comportement ainsi qu’à celui d’autrui. L’action tient compte des processus émotionnel et cognitif ainsi que des significations sociales. Elle est orientée et organisée selon des dimensions hiérarchiques, séquentielles et parallèles en plus d’être intentionnelle et dirigée vers un but (Young et al., 2002). Elle représente également la clé de compréhension du fonctionnement humain (Young et al., 2006).

Selon Young et al. (1996, 2005), cette conception s’articule autour de trois dimensions : 1) les perspectives de l’action, 2) les niveaux d’organisation de l’action ainsi que 3) les systèmes d’action. Ces éléments sont reliés entre eux de façon complexe et dynamique (Young et al., 2002).

En ce qui concerne la première dimension, soit les perspectives de l’action, elles sont au nombre de trois : 1) le comportement manifesté, 2) les processus internes et 3) la signification

sociale (Young, Valach, Marshall, Domene, Graham et Zaidman-Zait, 2010). La première perspective réfère à la manifestation d’un comportement externe ou la réalisation d’une activité comme le fait de parler, d’écouter, d’argumenter dans un contexte précis (Young, Valach et Domene, 2015). La deuxième perspective, les processus internes, concernent les processus cognitifs subjectifs et le processus émotionnel dont une personne fait l’expérience lors d’une activité. Ces processus conduisent vers la compréhension, le contrôle et la régulation de l’action procurant un sens à la réaction et au comportement produit de la personne (Ibid.). Puis, la troisième perspective, la signification sociale, représente l’explication qu’une personne construit au sujet de l’action pour elle-même et pour autrui à l’égard d’une situation. L’action intentionnelle est donc partagée socialement. Les normes, règlements et conventions procurent une signification sociale tout comme une personne poursuit des buts en agissant (Ibid.). Il apparaît également pour ces chercheurs que les conversations et les récits portant sur des actions se fondent sur une signification sociale. Il est précisé par Young et al. (2006) que ces trois perspectives de l’action sont aussi considérées de façon holistique, c’est-à-dire qu’elles concernent la personne dans sa globalité.

En ce qui a trait à la deuxième dimension de la conception de Young et al., (1996, 2005), soit les niveaux d’organisation de l’action, ils sont également au nombre de trois : 1) les éléments, 2) les étapes et 3) les buts. Au tout premier niveau se situent les éléments de l’action comme des phrases verbales, des mouvements physiques et des particularités de l’environnement impliquées dans la production d’une tâche. Un élément n’apparaît pas de façon isolée, mais plutôt séquentielle. Par exemple, l’action de participer à une conversation comporte plusieurs éléments comme des affirmations, des questions, des sourires, des haussements d’épaules ou la position assise dans une salle d’entrevue (Young et al., 2015). Une succession d’éléments précis dirigés vers un but

commun ou un objectif crée donc le second niveau d’organisation de l’action qui concerne les étapes. Ces étapes se définissent par les moyens intentionnels par lesquels une personne se dirige vers des buts par leurs actions (Ibid.). En reprenant l’exemple de la participation à une conversation, les étapes seraient l’introduction du sujet de discussion, la présentation des opinions, la recherche d’informations et la fin de la conversation permettant de s’engager dans une autre activité (Ibid.). C’est par les étapes qu’un ordre séquentiel de l’action se forme. Les étapes mènent aux buts par un processus de désir pour arriver à ses fins (Young et al., 1996, 2002; 2005). Le dernier niveau d’organisation de l’action est représenté par les buts de l’action. Les buts sont la somme des intentions et finalités visées par la personne qui s’engage dans l’action (Young et al. 2015). En poursuivant toujours avec le même exemple, il est possible de dégager que l’action de converser avec une autre personne peut servir à différentes fins dont celle de partager des informations concernant une personne ou d’obtenir des conseils pour faire face à une problématique vécue.

En ce qui concerne la troisième et dernière dimension de la conception de Young et al. (1996, 2005), soit les systèmes d’action, ils sont identifiés au nombre de quatre : 1) l’action individuelle, 2) l’action conjointe, 3) le projet et 4) la carrière. Ces systèmes sont hiérarchisés et organisés en éléments, but et étapes (niveaux d’organisation). Ils peuvent tous être perçus par la conduite manifestée, des processus internes ou des significations sociales et ils se distinguent par leur temporalité, leur degré de complexité et leur organisation de l’action (Young et al., 2006). Les deux premiers systèmes d’action, l’action individuelle et l’action conjointe, sont des actions à court terme ayant un ancrage cognitif, social et présent dans l’environnement de tous les jours. L’action individuelle est posée par une personne alors que l’action conjointe réfère à l’intentionnalité du

comportement d’un groupe de personnes à réaliser un but commun ou un processus commun (Collin et al., 2000; Young et al., 1997). Le troisième système d’action, le projet représente une série d’actions construite vers un but commun qui se situe dans un espace temporel à moyen terme (Young et al., 2002, 2005). Sans projet, il n’y a pas de carrière (Young et Valach, 2006). Puis, le quatrième système d’action, la carrière, correspond à l’organisation et à la construction de projets qui existent à long terme et qui occupent une place hautement significative dans la vie de la personne (Young et Valach, 2005). C’est une construction sociale qui se caractérise par sa complexité, sa durée et par la densité de ses interconnexions (Young et Valach, 2006). La carrière représente bien plus qu’une simple décision.

Elle doit plutôt être vue comme une construction sociale élaborée dans différentes perspectives (subjective, celle du système professionnel ou de la psychologie quotidienne) qui inclut d’autres systèmes, tels que les projets, et se réalise par l’engagement quotidien dans des actions individuelles et conjointes dans le cadre de ces projets. (Ibid., p. 501)

Selon Young et al. (1996, 2000, 2002), l’émotion est sous-représentée dans le domaine de la carrière alors que la carrière est essentiellement liée à l’émotion (Ibid., 1996). Dans cette conception, l’émotion concerne l’action et elle y occupe une place significative. C’est aussi par l’interaction entre l’action, la cognition et les émotions qu’une personne s’intègre dans une culture, dans la société (Ibid., 1996). Pour ces chercheurs, les émotions jouent trois principaux rôles dans le développement et le counseling de carrière. Premièrement, les émotions servent à énergiser et à motiver l’action. Elles influencent la conduite de l’action vers des buts (Ibid., 1997). Il semble

difficile d’imaginer qu’un projet ou une carrière puisse être engendré et maintenu à long terme sans le soutien des émotions. Par exemple, un musicien doit être motivé par l’amour de la musique pour pratiquer de façon répétitive une pièce qu’il veut maîtriser (Ibid., 2002). Deuxièmement, les émotions permettent de réguler l’action, le projet et la carrière. Les gens comptent sur les processus internes pour prendre des décisions lors des moments qui les mènent à l’action (Ibid.). Les émotions permettent à une personne de s’autoréguler pendant l’action (Ibid., 1996). Troisièmement, les émotions donnent du sens aux objectifs poursuivis (Ibid., 1996, 1997). Elles procurent la clé du récit du projet et de la carrière. Puisque les émotions sont associées aux besoins, aux désirs, aux objectifs et aux buts, il devient possible d’avoir accès, de développer et d’orienter le récit en lien avec le projet et la carrière (Ibid. 1997).

Les émotions peuvent donc faciliter ou nuire à l’action dans la vie quotidienne ainsi que dans le counseling de carrière (Domene et al., 2015). Ces chercheurs suggèrent aux clientes et aux clients, aux conseillères et aux conseillers d’opter pour l’exploration des émotions lorsqu’ils font face à une impasse en counseling de carrière. D’ailleurs, une approche en counseling se basant sur la théorie de l’action en contexte (Young et al., 2011, Domene et al., 2015) propose à la cliente ou à un client et à une conseillère ou à un conseiller de s’engager conjointement dans cinq tâches essentielles : 1) créer et maintenir une alliance de travail, 2) identifier l’organisation et les systèmes d’action qui sont importants dans la vie de la cliente ou du client, 3) aborder la problématique touchant les actions, projets et la carrière, 4) s’adresser aux émotions et à la mémoire émotionnelle, 5) s’intéresser à ce qui se produit dans la vie quotidienne de la cliente ou du client (Ibid.). En counseling de carrière avec une clientèle adolescente, il est recommandé aux conseillères et aux conseillers, selon cette approche, d’accorder plus d’importance à ce que font les adolescentes et

les adolescents puisque ces informations peuvent révéler comment leurs actions sont dirigées vers les buts qu’ils poursuivent à l’égard de leur carrière (Marshall, Nelson, Goessling, Chipman et Charles, 2015).