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1. LES ÉMOTIONS ET LES DÉCISIONS DE CARRIÈRE À L ’ ADOLESCENCE

1.3 La prise de décision à l’adolescence et les émotions

Des travaux de recherche en neurosciences ont permis d’observer que les zones cérébrales plus particulièrement impliquées dans la prise de décision sont en maturation tout au long de l’adolescence (Blakmore et Robbins, 2012; Ernst, Nelson, Jazbec, McClure, Monk, Blair et Pine, 2005; Yurgelun-Todd, 2007). D’ailleurs, on remarque durant cette période, une hypersensibilité du ressenti émotionnel des adolescentes et des adolescents comparativement aux adultes, créé par une augmentation de l’activité du striatum ventral (plus spécifiquement, les noyaux accumbens).

Selon eux, cela permettrait entre autres d’expliquer la prise de risque accrue à l’adolescence ainsi que la présence de comportements plus impulsifs. En concordance avec ces affirmations, Blakmore et al. (2012) expliquent que l’activité accrue du striatum ventral rend les adolescentes et les adolescents plus sensibles aux anticipations positives, aux récompenses escomptées pouvant même les exagérer. Pour leur part, Gardner et Steinberg (2005) suggèrent que la prise de risques élevés dans les décisions des adolescentes et des adolescents serait liée au contexte socioémotionnel et à la présence des pairs, puisque de nombreuses décisions à l’adolescence se prennent dans un contexte social. Ainsi, la prise de décision à l’adolescence serait modulée par les émotions, mais également par le contexte social et la présence de pairs.

Selon Marty (2010), l’adolescence est une période où les émotions sont vécues avec le plus d’intensité au cours de la vie d’une personne. Ce chercheur en psychologie spécifie que les émotions manifestées à l’adolescence créent un mouvement, puisqu’en parlant avec l’adolescente ou l’adolescente de ce qui le bouleverse et de ses conduites, cela le pousse à agir et à penser. Pour lui, « À l’adolescence, plus qu’à tout âge de la vie, l’émotion nécessite d’être élaborée, intégrée à la subjectivité pour donner sens à ce qui est vécu, et pour l’intégrer à l’histoire subjective. » (Marty, 2010, p. 51). Selon Har (2018), une montée de l’activation émotionnelle interagit directement avec la capacité de mentaliser ce qui rend la régulation émotionnelle de l’adolescente ou de l’adolescent plus ardue et nécessite parfois un accompagnement afin d’expliciter le ressenti émotionnel. De plus, en développement de carrière, des recherches appuient qu’il existe des liens entre la stabilité émotionnelle et la prise de décision à la carrière (Bacnali, 2006; Lounsbury, Hutchens et Loveland, 2005) et tout particulièrement en ce qui concerne les adolescentes et les adolescents (Lounsbury et al., 2005). Soutenant que les émotions jouent un rôle important, souvent incompris ou méconnu

dans le processus décisionnel de carrière, Emmerling et al., (2003) suggèrent que la compréhension des émotions facilite le processus de prise de décision de carrière. Cependant, des lacunes sur le plan de la recherche empêchent actuellement la pleine compréhension de ce phénomène.

Même si plusieurs travaux de recherche confirment que les adolescentes et les adolescents sont exposés à de multiples influences lorsqu’ils effectuent un choix de carrière par exemple : la relation d’attachement avec les parents (Blustein, Prezioso, Schultheiss, 1995; Blustein, Walbridge, Friedlander et Palladino, 1991; Germeijs et Verschueren, 2009), l’influence parentale (Bregman et Killen, 1999; Levin et Hoffner, 2006; Young et Friesen, 1992), l’influence des pairs (Levin et Hoffner, 2006), l’influence familiale (Berríos-Allison, 2005), le statut socioéconomique (Lent et Brown, 1996; Lent, Brown et Hackett, 1994, 2002; Scott Lapour et Heppner, 2009), la culture (Gottfredson, 2005; Hirschi, 2009; Mitchell et al., 1996; Young, Valach et Collin, 2002), le sexe (Lupart, Cannon et Telfer, 2004; Rojewski et Hill, 1998), les aspirations professionnelles (Hirschi, 2010), les variables contextuelles (Constantine, Wallace et Kindaichi, 2005), le sentiment d’efficacité personnel (Bandura, Barbaranelli, Caprara et Pastorelli, 2001; Nota, Ferrari, Solberg, Soresi, 2007) la perspective temporelle (Ferrari, Nota et Soresi, 2010), la personnalité (Hirschi, Niles et Akos, 2009; Rogers, Creed, Glendon, 2008), les caractéristiques personnelles (Holland, 1973; Novakovic et Fouad, 2013), peu d’études empiriques permettent de comprendre la variable émotionnelle dans le processus décisionnel de carrière des adolescentes et des adolescents. Ainsi, les spécialistes de l’orientation qui œuvrent dans le domaine scolaire semblent détenir peu d’éléments de compréhension au sujet des émotions vécues lors du processus décisionnel de carrière.

D’ailleurs, Beaudoin (2007) et Cannard (2010) précisent qu’à l’adolescence une question fondamentale habite l’élève qui s’interroge sur son avenir, celle de savoir ce qu’il va devenir. C’est le moment où « chacun doit ainsi s’engager dans un processus de réflexivité à propos de ce qu’il veut faire de lui-même » (Guichard, 2008, p. 415). Considérant que l’adolescence correspond au passage de l’enfance à l’âge adulte, de nombreuses transformations sont observées sur le plan physiologique, psychologique et social (Cannard, 2010; Dahl, 2004; Erikson, 1972; Marty, 2010). N’étant plus des enfants et pas encore des adultes, il leur est plus difficile de se reconnaître. Sans ces ancrages identificatoires, des adolescentes et des adolescents se retrouvent désorientés, confus et incertains de ce qu’ils deviendront (Beaudoin, 2007; Kestemberg, 1999). Or, c’est également lors de cette période dite transitoire que les adolescentes et les adolescents doivent prendre des décisions concernant leur futur et leur carrière. D’ailleurs, plusieurs (Erikson, 1972; Gallant et Pilote, 2013; Head, 1997 ; Kroger, 2004; Lannegrand-Willems, 2008) affirment qu’à l’adolescence, un processus de construction identitaire important se produit.

Plusieurs adolescentes et adolescents peuvent vivre une période d’indécision liée à la carrière (Forner, 2001, 2007). Considérant que l’indécision réfère à une incapacité, une difficulté à prendre une décision relative à la carrière (Danvers, 2009; Feldman, 2003; Gati et al., 1996), elle représente également un état passager, voire transitoire (Forner, 2007; Gelatt, 1993; Osipow, 1999). À cet effet, Forner (2007) précise que les tenants d’une approche développementale de conception piagétienne conçoivent l’indécision de carrière comme une période nécessaire au cours de l’adolescence où les jeunes élaborent leurs choix. C’est par des habiletés cognitives (ex. : comprendre, analyser, raisonner), tout au long de leur maturation physique et psychologique, que les adolescentes et les adolescents comprennent la complexité de faire des choix dans la vie tout

en percevant la réalité à laquelle ils doivent faire face (Gottfredson, 2005). Une étude effectuée par Guay et al. (2006), a demandé à des collégiennes québécoises et collégiens québécois de remplir différents questionnaires visant à mesurer leur indécision de carrière, leur sentiment d’efficacité, leur perception de l’autonomie, le contrôle et le soutien parental ainsi que le contrôle et soutient des pairs. Les résultats révèlent que la moitié des élèves ayant terminé leurs études secondaires et s’engageant dans la formation collégiale au Québec était indécis face à leur carrière. De plus, environ le quart des étudiantes et des étudiants ont développé de l’indécision chronique. Larose et Roy (1993) indiquent également que plusieurs élèves amorcent leur formation collégiale, sans toutefois avoir la pleine certitude de leurs choix. Ils sont portés à abandonner ou à échouer leurs études puisque les contenus des cours ne rejoignent pas leurs intérêts et leurs aspirations. Ces comportements peuvent avoir des effets sur la durée de la formation des jeunes, leur motivation scolaire, la persévérance scolaire ainsi que retarder l’arrivée d’une main-d’œuvre qualifiée sur le marché du travail (Fédération des cégeps, 2010; Gouvernement du Québec, 2009, 2012). En tenant compte que l’indécision, vécue par les élèves de la dernière année des études secondaires, peut entraîner ces nombreuses conséquences pour l’individu et la société et que les émotions et les comportements agissent sur la confiance qu’ont les adolescentes et les adolescents dans la construction de leur carrière qui est très subjective et propre à chacune et chacun (Savickas, 2002), il apparaît pertinent de mieux comprendre l’expérience émotionnelle des adolescentes et des adolescentes lorsque ceux-ci sont incités à prendre une décision de carrière.

Malgré la complexité que peut représenter le processus décisionnel de carrière à l’adolescence, la dernière année de la formation secondaire générale est marquée par l’obligation d’effectuer un choix de carrière (Andreani et Lartigue, 2006; Beaudoin, 2007; Bourque et al. 2004;

Cannard, 2010; Gouvernement du Québec, 2007). Or, l’étape du choix de carrière s’avère difficile pour plusieurs d’entre eux (Fortier, 2003; Gouvernement du Québec, 2002, 2014). Il est précisé par Bujold et Gingras (2000) que la décision relative à la carrière peut être prise de façon impulsive, soudaine et inattendue, parfois même teintée d’anxiété. Serait-il légitime de présumer que les émotions des adolescentes et des adolescents peuvent intervenir lorsque ceux-ci font leur choix de carrière ? Plusieurs élèves du secondaire précipitent même leur choix scolaire et professionnel devant l’obligation de s’inscrire avant la date butoir (Fortier, 2003), et ce, en dépit des difficultés d’orientation que cela peut créer ultérieurement lors des études postsecondaires (Doray et al., 2009).