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Les processus décisionnels de carrière tenant compte de l’expérience émotionnelle

3. LE PROCESSUS DÉCISIONNEL DE CARRIÈRE

3.1 Les processus décisionnels de carrière tenant compte de l’expérience émotionnelle

Afin de mieux comprendre comment s’effectue ce processus décisionnel de carrière, une analyse conceptuelle permet d’observer la présence de certains éléments les caractérisant. Bien que la présence d’une interprétation subjective de la part de la personne qui prend une décision ainsi que d’un traitement perceptuel et cognitif soit observée par plusieurs auteures et auteurs (Forner, 1998, 2001, 2007; Gati, et al., 1996, 2003; Krieshok et al., 2009; Mitchell et al., 1990, 1996; Peterson et al., 1991, 1996 : Young et al., 1996), on relève d’autres caractéristiques, dont la conscience, la rationalité, l’information, l’objectif, les facteurs externes ainsi que les facteurs internes, présentés dans les paragraphes suivants.

Le processus décisionnel de carrière semble se produire à la fois de façon consciente et inconsciente. Même si toutes les auteures et tous les auteurs retenus (Forner, 1998, 2001, 2007; Gati et al., 1996, Gati et Tal, 2008; Gelatt, 1989; Krieshok et al., 2009; Mitchell et al., 1990, 1996; Peterson et al., 1991, 1996) indiquent que le processus décisionnel s’effectue de façon consciente, la conception de Krieshok et al. (2009) ainsi que celle de Young et Domene (2012) précisent que la décision peut aussi se réaliser de façon inconsciente, c’est-à-dire qu’elle ne requiert pas nécessairement la conscience de la pensée (ex. : l’intuition).

En ce qui concerne la vision de la rationalité dans la prise de décision, deux postures sont observées : rationnelle et autre que rationnelle8. La première, comme l’indiquent Hartung et al.

(2002), considère que les modèles de prise de décision sont rationnels, logiques, objectifs et indépendants. La seconde, qualifiée comme étant une vision autre que rationnelle par Philipps (1997), prend en considération la complexité des interactions entre les différents rôles à laquelle un individu est confronté tout au long de sa vie, dans un monde où le marché du travail est en constante évolution et les changements sont multiples. Parmi les conceptions de la décision et de l’indécision vocationnelle tenant compte de l’expérience émotionnelle, Krieshok et al. (2009) ainsi que Young et al. (1996) se distinguent nettement des autres en adoptant une perspective qui reconnaît des aspects considérés non rationnels, comme les émotions. Ces auteurs spécifient que le raisonnement concernant la carrière ne repose pas que sur la cognition. À cet effet, Gelatt (1962) qui préconisait une approche totalement rationnelle de la prise de décision a fait volte-face en 1989 en proposant l’incertitude positive. Pour ce spécialiste de la prise de décision qui ne se dédie pas exclusivement à la décision de carrière, les méthodes de prise de décision rationnelle, logique et scientifique ne sont pas nécessairement obsolètes, mais elles s’avèrent insuffisantes dans un contexte où tout change rapidement. Il précise qu’un équilibre est nécessaire entre les décisions rationnelles issues de la science classique et l’intuition appartenant à la science moderne. Un conseil formulé par Gelatt (1993) illustre bien ce principe : « Utilisez un processus logique de prise de décision et servez-vous aussi d’autre chose » (p. 3).

La notion d’information est un élément qui caractérise également la décision. Le traitement de l’information et son intégration semblent occuper une place importante dans les modèles théoriques des processus décisionnels. Lors de la prise de décision, plusieurs informations sont traitées par la personne qui se questionne concernant la carrière. La plupart des auteures et des auteurs (Forner 1998, 2001, 2007, Gati et al., 1996; Mitchell et al., 1990, 1996; Peterson et al.,

1996) conviennent que l’information est principalement liée à soi, au monde scolaire et au monde professionnel. Pour Mitchell et al., (1996), Young et al. (1996, 2006) ainsi que Krieshok et al. (2009) qui partagent une vision socioconstructiviste, l’information se créée par l’apprentissage expérientiel. L’information, en étant traitée et intégrée, est donc amenée à changer puisqu’elle fluctue selon l’interaction d’une personne dans son environnement. Cette vision est appuyée par Gelatt (1989) qui souligne que l’information est organisée et réorganisée dans le processus de décision puisque l’information et les faits changent rapidement; ce qui est certain aujourd’hui ne le sera pas forcément demain (Gelatt, 1989). Les auteures et les auteurs (Forner, 1998, 2001, 2007; Gati et al., 1996; Gelatt, 1989; Krieshok et al., 2009; Mitchell et al., 1996; Peterson et al., 1996; Young et Valach, 2006) s’entendent également sur la subjectivité avec laquelle un individu reçoit et traite l’information. Dans la conception de l’indécision vocationnelle de Gati et al. (1996) ainsi que celle de Forner (1998, 2001, 2007), le manque d’information constitue une entrave à la décision. Bien que ces auteurs tiennent compte de l’information lors du processus décisionnel, la conception de Peterson et al. (1996) est celle qui la considère davantage. Elle aborde la décision vocationnelle comme un traitement cognitif de l’information visant à résoudre un problème d’orientation.

Les processus décisionnels de carrière examinés visent tous le même objectif : effectuer un choix permettant la résolution d’un problème d’orientation (Forner, 1998, 2001, 2007; Gati et al., 1996, 2008 ; Krieshok et al., 2009; Mitchell et al., 1990, 1996 et Peterson et al., 1991, 1996) afin qu’un individu puisse prendre la meilleure décision possible compte tenu du contexte dans lequel il se développe. La conception de Young et al. (1996, 2006), pour sa part, porte plutôt sur les actions orientées vers des buts et des intentions lors du développement de carrière.

La prise de décision de carrière semble pouvoir s’observer par la manifestation d’une finalité qui peut être variable selon les conceptions. L’observation de comportements, d’actions, d’attitudes ou de conduites, de la part de l’individu qui décide, est reconnue par presque toutes les théories du processus décisionnel tenant compte de l’expérience émotionnelle. Parmi les auteures et auteurs consultés, seulement Gati et al. (1996) considèrent qu’il en résulte des manifestations cognitives, des croyances ainsi que des anticipations à l’égard du futur. Peterson et al. (1996) ainsi que par Mitchell et al. (1996) conviennent que la prise de décision peut permettre l’acquisition d’habiletés et de connaissances. De plus, Peterson et al. (1996) et Krieshok et al., (2009) ajoutent que la prise de décision de carrière peut aussi se traduire par un engagement.

Une dernière caractéristique des processus décisionnels concerne la présence de deux types de facteurs susceptibles d’influencer le processus décisionnel : internes et externes. Les facteurs considérés internes – proviennent de la personne elle-même – concernent de façon importante les émotions et les cognitions. Les facteurs externes – proviennent de l’extérieur de la personne – sont liés à l’environnement de l’individu. Toutes les conceptions ciblées, à l’exception de Peterson et al. (1996), spécifient la complexité des interactions de l’individu dans l’environnement.

Eu égard à ce qui précède, il est possible de proposer une définition synthèse du processus décisionnel en ce qui concerne les principales caractéristiques observées. Bien qu’il existe des ressemblances et des divergences entre des théoriciennes et des théoriciens, des caractéristiques communes peuvent être relevées. Elles sont illustrées par la figure 5 en reprenant chacune des caractéristiques énoncées précédemment.

Figure 5. Synthèse des caractéristiques du processus décisionnel de carrière tenant compte de l’expérience émotionnelle

Ainsi, il apparaît que le processus décisionnel de carrière tenant compte de l’expérience émotionnelle s’articule de façon consciente ou inconsciente en engageant la rationalité ainsi que des éléments autres que rationnels, comme les émotions. Il implique le traitement de l’information et son intégration en vue de faire un choix qui se manifeste par des comportements, des actions ou des cognitions. Le processus décisionnel de carrière est aussi influencé par des facteurs externes et internes de la personne.

3.2 La conception retenue

Dans le but d’améliorer la compréhension du processus décisionnel de carrière auquel est confronté l’élève de la dernière année des études secondaires, le choix d’un modèle théorique

permet d’offrir un référentiel sur lequel s’appuyer lors de l’analyse des résultats tout en fournissant des balises théoriques à la recherche (Fortin, 2010).

La théorie de l’action en contexte (Young et al., 1996, 2006; Young et Valach, 2008) semble prometteuse pour expliquer le processus décisionnel de carrière dans le cadre de la présente recherche. Elle est retenue pour diverses raisons. Tout d’abord, elle contient toutes les caractéristiques relevées dans la figure 5, ce qui, à notre avis, la rend très complète. Dans cette conception (Young et al., 1996, 2006, 2008), il est possible d’y observer que l’information est perçue et traitée de façon subjective par la personne qui prend une décision (Young et al., 2002, 2005, 2008; Young, Valach et Domene, 2015). Les actions et les projets de carrière qui se réalisent peuvent survenir de façon consciente ou inconsciente (Ibid., 2008). La théorie de l’action en contexte, ne considère pas la carrière dans une perspective dualiste ou rationnelle séparant l’émotion de la cognition, et elle prend en considération la participation de facteurs internes et externes (Ibid., 1996). La prise de décision est observable par des comportements manifestés et des actions qui soutiennent des intentions et des buts (Young et al., 1996, 2002, 2005, 2006, 2008). Elle tient également compte des dimensions biologique, psychologique et sociale des émotions. La théorie de l’action est celle qui reconnaît le plus la contribution active des émotions ainsi que leur intégration dans les actions du processus décisionnel de carrière. Sa perspective adaptative semble tenir compte de la réalité du 21e siècle dans lequel les élèves ont à prendre une décision de

carrière. D’ailleurs, la théorie de l’action en contexte (Young et al., 1996) a donné suite à des recherches empiriques (Young et Domene, 2012; Young et al., 1997) réalisées auprès d’une clientèle adolescente, comme indiqué dans le chapitre précédent. Cette conception est présentée au point suivant afin de bien saisir l’apport théorique qu’elle peut offrir à la présente recherche.