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La théorie dite de Kelvin-Helmholtz

3.3 Le destin du Soleil : William Thomson et le second principe de la thermodynamique

3.3.2 La théorie dite de Kelvin-Helmholtz

Si Thomson prend conscience, face à l’accumulation des faits, que sa théorie n’est plus soutenable, sa conversion aux idées du physicien allemand ne s’est pas faite instantanément. Il l’avait d’ailleurs

écartée au départ sous le prétexte que la chaleur accumulée pendant la période de contraction de

119. Afin qu’elle ne puisse perturber le mouvement des planètes intérieures, celle-ci ne peut excéder 1/50e de celle

du Soleil, sinon des preuves observationnelles auraient déjà été aperçues. En outre, cette masse doit en représenter au moins 1/5000epour procurer 3 000 ans d’énergie au Soleil.

120. Ces travaux enclenchent une vaste programme d’observation afin de détecter cette supposée planète, nommée pour l’occasion Vulcain.

121. De manière opposée, l’observation d’un flash lumineux à la surface du Soleil par Carrington et Hodgson, en 1859, semble à leurs yeux apporter la preuve de la chute d’un météorite. Cet événement va amener par exemple l’astronome anglais Piazzy Smith à estimer cet événement comme une preuve probante de la théorie. Il avait d’ailleurs déjà entreprit des observations afin d’apporter des preuves à la théorie de Mayer dès 1855, mais elles restèrent isolées.

3.3 Le destin du Soleil : William Thomson et le second principe de la thermodynamique 127

la masse gazeuse originelle a due rayonner dans l’espace immédiatement après avoir été générée, ne retenant pas assez d’énergie pour en émettre au taux actuel. Il en avait conclut alors que « [...]

the present solar radiation is supplied chiefly from a store of heat contained in the mass, whether created there or generated mechanically by the impact of meteors which have fallen in during periods

of past time, appears very improbable. » Thomson va donc reprendre à partir de 1862 l’hypothèse proposée initialement par Helmholtz, mais dans une version quelque peu différente. A part certaines

modifications à la marge, il ne déviera plus de cette représentation du Soleil et de son évolution, ni des conséquences essentielles qu’il en tire à propos de son relatif jeune âge par rapport aux préten-

tions exorbitantes des géologues de l’école uniformitariste. Dans son allocution devant la Geological Association de Glasgow en 1868, puis la BAAS en 1871, il revient sur les raisons de l’abandon de sa

théorie dans sa forme première.

Dans le mémoire qui reste le plus connu sur le problème de l’énergie du Soleil, On the age of the

sun’s heat, Thomson déroule longuement ses arguments en faveur d’une chronologie très courte122. Dans la biographie de Thomson, Smith & Wise ont signalé que l’accent mis sur cet argument n’est

pas anodin, et fait suite à la sortie de l’Origin of species by means of natural selection de Charles Darwin123. Dans ce texte, le naturaliste anglais estime en effet le temps de formation de la vallée de la Weald par érosion à environ 300 millions d’années, sachant que dans son esprit il faut un temps encore plus long pour que le processus de sélection naturelle puisse avoir lieu. Le mémoire

de Thomson apporte un démenti sous la forme d’une démonstration mathématique, qui porte en elle une valeur supérieure face aux spéculations qualitatives des géologues. Cette méthodologie sera

critiquée vivement par le géologue Chamberlin à la fin du XIXe siècle.

Afin de réfuter la théorie uniformitariste sur son propre terrain, il publie également une série de

travaux à caractère géophysique comprenant l’étude de l’augmentation de la température interne de la croûte terrestre, le changement dans sa rotation lié à sa structure interne, à sa naissance à l’état fluide ou encore sa rigidité124. Comme nous l’avons fait remarquer, cette approche est conjointe à ses

122. Thomson (1862), On the age of the sun’s heat.

123. Smith & Wise, Energy and empire, volume 2, p. 524. Frank James pense pour sa part que la base théorique du mémoire de Thomson de 1862 n’avait pas spécifiquement été développée en réponse à Darwin, mais seulement comme conséquence de la formulation des deux lois de la thermodynamique. James (1982), Thermodynamics and sources of solar heat, 1846-1862, p. 155. Darwin expose son argumentation en faveur d’un temps géologique dans Darwin (1859), Origin of species by means of natural selection, p. 287.

124. Il développe ses arguments physiques contre la thèse uniformitariste dans plusieurs articles. Voir Thomson (1862), On the secular cooling of the earth, Thomson (1866), The ”Doctrine of uniformity” in geology briefly refuted, Thomson (1868), On geological time, Thomson (1869), On geological dynamics, Thomson (1876), The physical condition of the

travaux sur l’énergie du Soleil. Dans cette optique, il cherche toujours à faire converger les résultats obtenus par ces deux voies. Ses idées à propos de la constitution du Soleil sont-elle affectées par

cette nouvelle posture et à son adhésion pour l’hypothèse de Helmholtz ?

Contrairement à l’hypothèse météoritique où la source d’énergie était supplée par l’apport de

matière extérieure, celle basée sur la contraction suppose de prendre en compte les propriétés internes du Soleil. Deux alternatives s’offrent à Thomson, soit le Soleil est considéré comme un corps incan-

descent restituant seulement la chaleur accumulée par le processus de contraction, soit ce dernier continue à avoir lieu, ainsi qu’Helmholtz l’avait entrevu. A ce stade, Thomson opte pour la première.

Il écrit « [i]t is, however, also possible that the sun is now an incandescent liquid mass, radiating away, either primitively created in his substance, or, what seems far more probable, generated by

the falling in of meteors in past times, with no sensible compensation by a continuance of meteoric action.125 » Il garde ainsi une connexion avec sa précédente théorie en conservant un état initial sous forme de corps rocheux, et entretient même la possibilité que « [i]t is quite certain that some heat is generated in his atmosphere by the influx of meteoric matter. »126

Deux grandeurs physiques viennent maintenant contrôler le système formé par le Soleil en voie de condensation, à savoir la capacité thermique de la matière solaire et son coefficient de dilatation (ou de contraction). Il est intéressant de noter sur ce point que Thomson avait rejeté en 1854 l’hypothèse

du refroidissement du Soleil sous prétexte qu’en lui conférant une capacité thermique égale à celle de l’eau (la plus élevée connue), alors sa température devait chuter de 1,4˚C par an, ce qui aurait

du être détecté à notre échelle. Maintenant que la théorie météoritique est invalidé à ses yeux, et que l’hypothèse d’une source chimique demeure totalement exclue, il ne lui reste plus d’autre alternative.

En 1854, Stokes lui avait suggéré que le refroidissement pouvait se faire soit par conduction pour une masse solide, soit par convection pour une masse fluide. Dans le premier cas, le refroidissement eut été

earth.

125. Thomson (1862), On the age of the Sun’s heat, p. 351. Dans la première version délivrée devant la BAAS en 1861, et publié en février de l’année suivante dans le Philosophical Magazine, il est écrit « [...] that the sun is probably an incandescent liquid mass radiating away heat without any appreciable compensation by the influx of meteoric matter ». Thomson (1862), Physical considerations regarding the possible age of the sun’s heat, p. 142. La position de Thomson à l’égard des conditions initiales de la nébuleuse primitive reste donc identique. Lorsque Faye publie en 1865 sa théorie de la constitution physique du Soleil, l’hypothèse de la contraction gravitationnelle apparaît comme un ingrédient dont l’intégration est d’autant plus cohérente et vraisemblable qu’elle a été présentée par son concepteur même comme une conséquence directe de l’hypothèse de la nébuleuse de Laplace. Faye crédite en revanche systématiquement Helmholtz et non Thomson pour ces mêmes raisons.

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beaucoup trop rapide. Il ne lui reste plus qu’à admettre que le Soleil est une masse fluide perdant la chaleur qu’il a accumulée pendant sa phase de condensation lorsqu’il était à l’état de gaz. Helmholtz

avait simplement relevé que la très faible densité du Soleil était probablement une conséquence de sa haute température, et qu’ainsi elle pouvait encore croître sous l’action de la contraction, il ne lui

était pas nécessaire de faire des hypothèses sur un éventuel coefficient de dilatation. Thomson se voit donc obligé d’introduire ce paramètre.

Il estime de surcroît que la température à la surface du Soleil est de l’ordre de celles que l’on obtient dans certains dispositifs industriels. Ici, son argument est de considérer un rapport de pro-

portionnalité entre la chaleur dégagée et la température d’un corps, ce qui lui permet de raisonner de la manière suivante : le Soleil rayonne de la chaleur au taux équivalent à 7,000 chevaux-vapeurs par

pied carré. Si cette chaleur devait être dégagée par la combustion du charbon, il faudrait en brûler un peu moins qu’un pound en deux secondes pour une même surface. De plus, il a été estimé par

Rankine que dans les chaudières des locomotives un pound de charbon brûle entre 30 et 90 secondes, par pied carré de grille. Ainsi, le Soleil rayonne sa chaleur à un taux compris entre 15 et 45 fois plus

important que ce qui se déroule dans nos locomotives. Il peut ainsi déclarer que « [a]t his surface the sun’s temperature cannot, as we have many reasons for believing, be incomparably higher than

the temperatures attainable artificially in our laboratories. » Il vise probablement ici Waterston, qui a avancé peu avant, grâce à ses observations actinométriques, une valeur de 12 880 000˚C127. Il avance quant à lui la valeur de 14 000˚C. Pourquoi un tel nombre ? Il ne cite malheureusement pas les arguments qui lui ont permis de l’estimer128. Si les conditions qui règnent à la surface du Soleil sont commensurables avec celles de l’on rencontre dans les laboratoires, il est néanmoins contraint d’accroître la valeur de la capacité thermique de la matière solaire d’un facteur compris en 10 et 10

00.

En proposant des intervalles probables des grandeurs physiques qu’il utilise, multiples de celles

mesurées sur des matériaux terrestres, il arrive finalement à donner en guise de conclusion un enca- drement pour l’âge du Soleil, comme suit : « [...] the sun has not illuminated the earth for 100,000,000

127. Waterston (1862), An account of observations on solar radiations, p. 505. Nous aurons l’occasion de revenir sur le rôle de l’actinométrie dans les mesures de la température du Soleil au chapitre 6.

128. Si l’on cherche une valeur approximative de la température qui règne dans ces chaudières, nous trouvons environ 400˚C, et si l’on prend la moyenne du taux auquel le Soleil rayonne comparativement, c’est-à-dire 30 fois, alors 30.400 = 12 000˚C, ce qui donne le même ordre de grandeur. Cela indiquerait que Thomson considère que la relation entre flux d’énergie et température d’un corps incandescent est une relation de proportionnalité, comme la postule la loi de refroidissement de Newton.

years, and almost certain that he has not done so for 500,000,000 years.129» Il prend ainsi le contre- pied de Lyell, Playfair ou encore Darwin, nommément visé. Thomson peut alors conclure

« [w]hat then are we to think of such geological estimates as 300,000,000 years for the

”denudation of the Weald” ? Whether is it more probable that the physical conditions of the sun’s matter differ 1,000 times more than dynamics compel us to suppose they differ

from those of matter in our laboratory ; or that a stormy sea, with possibly channel tides of extrem violence, should encroach on a chalk cliff 1,000 times more rapidly that Mr.

Darwin’s estimate of one inch per century ? »

Il ne sera plus question de coefficient de dilatation quelques années plus tard. La démonstration

sera beaucoup plus simple et donnera directement le temps qui reste au Soleil en posant l’hypothèse beaucoup plus simple que sa densité se rapproche de celle d’un solide, le plomb par exemple. Il est

par contre intéressant de remarquer que lorsque Thomson va prendre connaissance du mémoire de Homer Lane, il va prendre en compte le fait que le Soleil puisse être une sphère gazeuse, et qu’en tant

que telle, et contrairement à ce qu’il avait soutenu, la contraction d’une sphère gazeuse augmente paradoxalement sa température.

La lecture du mémoire de 1862, aussi bien que ceux qui l’ont précédé ou qui suivront, permet de préciser la manière dont sa théorie du Soleil s’est construite. Son approche est résolument celle d’un

physicien et en tant que tel, elle nécessite de faire des hypothèses, d’extrapoler certaines lois. Cette extension du domaine de la physique indique chez Thomson une conception beaucoup moins étroite

des disciplines en fonction de leurs méthodes et leurs objets. Bien au contraire, le Soleil apparaît opportunément comme un objet-test sur lequel il est pertinent d’y appliquer les dernières théories.

Ses idées sont en outre guidées, ou légitimées, par sa farouche opposition à la thèse uniformitariste. Lorsqu’il demande dans la conclusion de son mémoire de 1862 de choisir entre accepter que la matière

du Soleil diffère de celle que l’on rencontre sur Terre, ou bien d’accélérer les processus géologiques, l’alternative tourne à la faveur d’une unité de la matière130. Les géologues doivent s’incliner face aux preuves physiques que Thomson construit inlassablement. Cette posture lui vaut d’ailleurs de distordre quelque peu les valeurs qu’il manipule afin de les réconcilier à ses vues.

Ce qui sera plus tard nommé la théorie de Kelvin-Helmholtz semble être devenue majoritaire-

129. Thomson (1862), On the age of the Sun’s heat, p. 368.

130. Les interrogations de Thomson sur l’existence de certains éléments chimiques sur le Soleil se sont vues apporter une réponse définitive grâce à la spectroscopie, ce que Stokes avait commencé à percevoir dès le début des années 1850, et dont il est fait mention dans leur correspondance.

3.4 Le destin du Soleil : William Thomson et le second principe de la thermodynamique 131

ment acceptée dans la communauté des astronomes. Agnes Clerke, dans son histoire de l’astronomie au XIXe siècle publié dans sa première édition en 1885, rapporte que « The theory of solar energy

now generally regarded as the true one, was enounced by Helmholtz [...]131 » Pourtant, quatre ans auparavant, l’astronome américain Charles Young, dans son livre The sun, écrit en faisant référence

aux deux théories (météoritique et de la contraction gravitationelle) : « Two different theories have been proposed, which are probably both true to some extent132 ». Son opinion semble bien moins tranchée que celle de Clerke. La théorie de Kelvin-Helmholtz va de fait subir différents tests obser- vationnels avant d’accéder à un statut prééminent chez la plupart des scientifiques. Nous voulons

dans ce paragraphe revenir sur la diffusion de la théorie de Thomson, de sa réception et des critiques dont elle fut l’objet de la part de ses pairs, afin de remettre en contexte les débats que cette théorie

a suscitée.

Il faudra attendre certaines avancées et nouvelles observations pour que la théorie de la contrac-

tion soit préférée à sa rivale. Cette primauté semble acquise après 1871, et s’explique par des obser- vations spectroscopiques réalisées par l’astronome anglais Norman Lockyer, prouvant que la vitesse

de l’atmosphère entourant le Soleil n’est que la vingtième de celle requise par la théorie de Thomson, dans laquelle un vortex de gaz incandescents doit circuler dans son plan équatorial. La théorie de

Mayer reçoit alors un démenti flagrant, et Thomson s’en fera l’écho dans son discours inaugural pré- sentée à la BAAS de Edinburgh en 1871. Cela n’empêchera pas celle-ci d’être toujours citée comme

une source, même mineure comparativement au mécanisme de contraction, dans les ouvrages d’as- tronomie.

La large diffusion de la théorie de Kelvin-Helmholtz ne doit pas occulter les tensions profondes entre des positions antinomiques à propos de la vision de l’économie de l’Univers. En forme d’op-

position, certains auteurs vont proposer des théories alternatives. S’ils forment une communauté très éclectique, ils n’en sont pas moins unis par une certaine (ou totale) incompréhension du second

principe, entretenue par des déterminants d’ordre philosophique.

131. Clerke (1885), A popular history of astronomy durong the nineteenth century, p. 352. 132. Young (1881), The sun, p. 270.

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Théories alternatives, ou comment échapper à la mort ther-