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Une nouvelle objectivité : photographie et administration de la preuve

4.2 Éclipse, photographie et la nouvelle objectivité des sciences

4.2.2 Une nouvelle objectivité : photographie et administration de la preuve

Pour Hervé Faye, la photographie n’est pas qu’un instrument annexe, elle est véritablement

amené à révolutionner l’astronomie et surtout notre rapport à l’observation. Dès 1849, soit seule- ment dix ans après qu’Arago ait présenté publiquement l’invention de Daguerre à l’Académie des

sciences, Faye suggéra que l’usage le plus important des procédés photographiques que pouvaient faire les astronomes était de résoudre le problème que Bessel avait appelé « l’équation personnelle »,

c’est-à-dire les fluctuations qui apparaissaient entre différents observateurs dans l’enregistrement du temps de transit des astres au méridien42. La méthode employée pour ce faire était de compter les battements sonores d’une horloge pendant que l’astre passait derrière les fils du réticule. Arago avait déjà tenté de régler une partie du problème en séparant les composantes optiques et auditive lors de l’observation grâce à un mécanisme déclencheur marquant le temps écoulé sur un chronomètre :

« Quand on voudra, à l’avenir, se rendre indépendant des erreurs personnelles, il faudra, pour parler ainsi, laisser à un chronomètre à détente le soin d’évaluer la seconde et la fraction de seconde cor-

respondant aux passages des étoiles derrière le fil du réticule.43 » C’est dans une direction tout à fait similaire dans laquelle s’était engagé Faye mais beaucoup plus radicale. Pour se débarrasser du

problème de l’équation personnelle, causée par « [...] une imperfection inhérente à la nature intime, à l’individualité même des observateurs44 », il faut rien moins que supprimer ces derniers. C’est donc

40. Secchi (1852), Extract of a letter from Professor Secchi to Mr. Grant.

41. Sur l’apparition de la photographie et ses applications en astronomie, voir Radau (1878), Les applications scientifiques de la photographie, Rothermel (1993), Images of the Sun : Warren De la Rue, George Biddell Airy and celestial photography, Tresch (2007), The daguerreotype’s first frame : Francois Arago’s moral economy of instruments. 42. Sur ce sujet, voir Schaffer (1988), Astronomers mark time ; Canales (2001), Exit the Frog, Enter the Human : Astronomy, Physiology and Experimental Psychology in the Nineteenth Century ; Schmidgen (2003), Time and Noise : The Stable Surroundings of Reaction Experiments, 1860-1890 ; Canales (2009), Tenth of a second, chapitre 2.

43. Arago (1853), p. 282. Mémoire repris dans Arago (1855), Œuvres complètes, volume 2, pp. 233-244. Dans un article de Simon Schaffer, la citation est légèrement différente : « Si l’on veut, à l’avenir, s’affranchir des erreurs personnelles, il deviendra nécessaire, pour parler ainsi, de se décharger sur le chronomètre du fardeau d’évaluer de la seconde ou de la fraction de seconde correspondant aux passages des étoiles. » A ma connaissance, cette citation n’apparaît pas ainsi dans les écrits d’Arago. Schaffer (1995), On the developpement of the experimental approach in solar astronomy.

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sa vue et son ouïe qui doivent être supplées. Ainsi « l’œil infidèle de l’observateur45 » est remplacé par une plaque sensible et son oreille par un procédé électro-magnétique enregistrant le temps au

moment de la prise de vue. Ce dernier procédé était déjà à l’œuvre à l’observatoire de Greenwich lorsque Faye y séjourna en 1854 lorsqu’il travaillait pour relier télégraphiquement les méridiens de

Paris et Londres46. La photographie promet d’amener à une détermination de l’erreur absolue47. Ainsi le 15 mars 1858, lors de l’éclipse partielle visible à Paris, Faye – aidé de ses collègues Ignazio Porro et Quinet – testa un nouvel appareil conjuguant justement la photographie et la télégraphie

électrique. L’heure à laquelle était prise chaque photographie était notée par un chronomètre et simultanément par un appareil télégraphique, inventé et construit pour l’occasion, qui notait à la

fois les battements d’une pendule sidérale, les opérations photographiques et les observations astro- nomiques faites visuellement sur une plus petite lunette. Ce procédé marcha si bien qu’il put mettre

le jour même sous les yeux des savants de l’Académie les épreuves tirées de l’éclipse48. Enthou- siasmé par ses résultats, Faye déclara qu’il y avait un réel avantage « [...] à remplacer des myriades

d’observations entachées d’erreurs personnelles, par quelques centaines d’observations beaucoup plus précises et d’une irrécusable véracité [...] » car ici, « [...] le système nerveux de l’astronome n’est

plus en jeu ; c’est le soleil qui imprime lui-même son passage.49 » Faye reprend ici la métaphore de la nature peignant elle-même son tableau, livrant un décalque fidèle – une « empreinte » comme est

quelquefois nommée la photographie – sans qu’aucune intervention humaine susceptible de perturber le résultat ne soit nécessaire. Dans son livre sur la photographie appliqué aux sciences, publié en

1878, l’astronome Rodolphe Radau ne dira pas autre chose, en des termes encore plus suggestifs : « [la Photographie] nous assujettit le monde des formes [...] cette fidélité de la reproduction est

précisément son mérite principal dès qu’il s’agit d’une application scientifique. Le peintre, et même le graveur, doivent traduire et commenter ; mais la Science préfère le mot à mot.50 » La photogra- phie devient ainsi plus qu’une extension de notre vue, en s’y substituant elle pallie nos faiblesses d’ordre physiologiques qui résident dans l’imparfaite coordination de nos sens. Elle revêt alors un

caractère de précision, d’exactitude et de détail que ne possède pas les relevées habituels. Une des

45. Ibid., p. 242.

46. Le dispositif que Faye indique ici a été effectivement conçu par Bond à Harvard en 1851 et installé ensuite à Greenwich par Airy. Voir Schaffer (1988), Astronomers mark time, p. 124.

47. La technique photographique, automatisée, pourrait lui permettre de déterminer « l’équation personnelle absolue de l’observateur. » Lettre de Faye à Peters, 31 octobre 1861, Archives de la Preusische Staatsbibliothek zu Berlin.

48. Faye (1858b), Observations photographiques de l’éclipse, faites avec la grande lunette de M. Porro, p. 507. 49. Faye (1858c), Sur les photographies de l’éclipse du 15 mars, présentées par MM. Porro et Quinet, pp. 708-709. 50. Radau (1878), La photographie et ses applications scientifiques, p. 4.

premières vertus qui caractérise la photographie aux yeux de Faye réside donc dans cette fidélité de reproduction, cette neutralité de l’image qui échappe à la suspicion d’erreurs inévitables de la part

de l’observateur. La photographie possède donc de fait, sinon de droit, une force de persuasion, une autorité en matière de preuve que n’a pas le compte-rendu individuel de l’astronome. « Qu’opposer

à de tels témoignages quand le témoin [...] c’est ici l’impartiale photographie [...] ? » écrira plus tard Faye à ce sujet51. Notons cependant que la photographie est systématiquement unie à des procédés de mesures micrométriques sur les clichés, ce qui lui confère finalement toute sa valeur et sa fiabilité.

La photographie est donc une vision sans défaut. C’est aussi une vision globale. En effet, l’astro-

nome ne voit forcément qu’une partie de ce qui s’offre à son regard, fruit d’une sélection préétablie, objet de toute sa concentration, éliminant par ce biais ce qui se trouve à sa périphérie. Tout au

contraire la photographie apparaît d’entrée comme complète et dévoile a posteriori la totalité du champ du télescope, elle bénéficie de cette « merveilleuse propriété de tout enregistrer ». Elle réunifie

ce qui est fragmenté. L’œil n’a plus qu’à parcourir l’image produite pour retrouver ce qu’il scrutait et ce faisant découvrir des faits auxquels l’observateur ne songeait nullement au moment même de

l’enregistrement. Elle gomme par surcroît la multiplicité des points de vue qui, par la disparité des comptes-rendus d’observations, manifeste plus la subjectivité de l’observateur qu’une vision uni-

voque de l’événement. Et les photographies n’ont pas seulement une valeur « instantanée », mais également rétrospective, qui en font « [...] des témoins irrécusables et complets, qu’on consultera

avec fruit dans un siècle comme aujourd’hui52 » En Angleterre, l’Observatoire de Kew va utiliser la photographie pour justement réaliser ce que Faye appelle de ses vœux : « une histoire photo-

graphique du soleil, jour par jour, et qu’on conservât soigneusement les clichés pour fournir à la postérité des éléments précieux dont nous regrettons aujourd’hui l’absence.53 » Mais cette avan- tage de la photographie ne saurait être réalisée pleinement sans l’automatisation du dispositif. Faye avait déjà signalé la simplicité du procédé lors de ses essais avec Porro et Quinet, au point qu’une

jeune enfant ait pu en actionner le mécanisme. Point besoin d’être expert pour obtenir des clichés dignes d’intérêt. Cela démontre, dira-t-il en 1864 en revenant sur ces expériences, « la supériorité

51. Faye (1866e), Réponse aux observations critiques de M. Spoerer, relativement à l’inégalité parallactique des taches solaires (Deuxième partie), p. 1023.

52. Faye (1862b), Rapport sur les dessins astronomiques et les épreuves photographiques de M. Warren de le Rue, p. 547.

53. Faye (1858c), Sur les photographies de l’éclipse du 15 mars, présentées par MM. Porro et Quinet, p. 710. John Herschel, dans une lettre adressée lors de la BAAS de Liverpool en 1854, milite très tôt pour l’établissement d’un relevé photographique à l’Observatoire de Kew de la surface du Soleil. Report of the 24th meeting of the British Association for the Advancement of Science (1855), p. xxxiv.

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de l’observation automatique sur l’ancienne méthode basée sur nos sens : en thèse générale, on ne voit que les choses qui intéressent à l’instant de l’observation ; le reste échappe, au contraire presque

toujours à l’attention non prévenue. L’observation automatique, au contraire, enregistre tout, ce que l’on cherche actuellement et ce que l’on cherchera plus tard.54 »

L’étude des éclipses et l’émergence concomitante d’un nouveau média pour imprimer ces phé- nomènes fugitifs – mais également comme précieux auxiliaire dans les observations routinières de

l’astronome – nous permet à ce stade d’établir un premier aperçu de la méthodologie d’Hervé Faye. Nous venons de montrer qu’à ses yeux la photographie se distingue par de nombreux avantages, qu’il

qualifie par les termes de fidélité, impartialité, exactitude, etc... Il va même jusqu’à lui octroyer la fa- veur d’éviter de « [...] perdre son temps à la poursuite d’une idée inexacte [...] » et ainsi de permettre

à l’observateur de se soustraire à l’influence de sa propre psyché, d’échapper à ses idées préconçues – en somme à sa subjectivité –, et non plus seulement comme palliatif à ses défauts physiologiques. Elle revient à rayer toute médiation humaine au profit d’une automatisation de l’enregistrement de

l’image. La photographie incarne en définitive une sorte d’idéal que Faye s’évertue à mettre en œuvre en rejetant ou en limitant constamment les hypothèses et les conjectures dans les théories physiques

et en écartant les idées a priori.

Curieusement, Faye ne qualifie pas la photographie elle-même d’« objective ». Pourtant, à sa

suite, on serait prêt à accorder à la photographie la vertu épistémique d’objectivité telle que la définissent Lorraine Daston et Peter Galison : « [t]o be objective is to aspire to knowledge that bears

no trace of the knower – knowledge unmarked by prejudice or skill, fantasy or judgment, wishing or striving. Objectivity is blind sight, seeing without inference, interpretation, or intelligence.55 » La position de Faye illustre bien cette notion d’« objectivité mécanique »56 liée à la photographie.

54. Faye (1864), Sur les erreurs d’origine physiologique, p. 479. En 1861, Faye décrit à l’astronome allemand Christian Peters, directeur de l’observatoire d’Altona (Hambourg), cette méthode qu’il a mis au point avec l’ingénieur Porro. Celle-ci allie un procédé complètement automatique de déclenchement de la photographie en parallèle avec la mesure du temps. Lettre de Faye à Peters, 31 octobre 1861, Archives de la Preusische Staatsbibliothek zu Berlin. Voir la description qu’en fait Jimena Canales dans Canales (2009), Tenth of a second, pp. 104-106.

55. Daston & Galison (2007), Objectivity, p. 17.

56. La notion d’objectivité a une histoire, comme le démontre Loraine Daston et Peter Galison dans leur livre Objectivity. Cette « mechanical objectivity », d’après eux, viendrait se substituer graduellement à une notion précé- dente appelée « truth-to-nature », avant que celle-ci ne soit aussi remplacer progressivement par une nouvelle façon d’envisager l’objectivité appelée « trained judgment ». La photographie n’est pas selon eux le déterminant essentiel dans l’émergence de cette objectivité mécanique, mais l’une des manières parmi d’autres d’automatiser au maximum la production d’images, sans retouche ni intervention humaine. Cette posture d’esprit demande de la part du scien- tifique une certaine mise en retrait, une certaine violence à l’encontre de sa volonté d’intervenir, consciemment ou

Les notions d’objectivité et de subjectivité se sont effectivement transformées au cours du XVIIIe

et XIXesiècles, comme l’ont bien souligné également Daston & Galison dans leur ouvrage. Ce qu’il

y avait d’objectif et d’éternel dans la science de Descartes et de Leibniz reposait sur des concepts a priori. Le philosophe Abel Rey écrira en 1908 que « [l]’arbitraire et l’erreur était au contraire le

fruit de l’expérience », et que « l’objet était saisi ou constitué par la raison, et l’expérience était subjective57. » Tout au contraire, la dérive sémantique fait s’inverser les pôles entre l’apriorisme et l’empirisme, entre l’objectif et le subjectif, du fait de la progression des sciences expérimentales. Le changement est complet, comme Rey le décrit clairement :

« Ce qui mérite notre confiance ce sont les résultats de l’expérience. L’objectif, le vrai, le réel, viennent de là, et uniquement de là. Tout ce que l’esprit introduit de lui dans

la science, tout ce qui vient de l’entendement et de la raison, risque d’être arbitraire, conventionnel, subjectif. L’expérience le doit confirmer pour lui donner l’objectivité :

car, seule, elle peut nous mettre en rapport avec la réalité, nous la faire connaître et l’établir. La conformité avec les résultats de l’expérience, voilà le criterium de la vérité.

Seule l’expérience est objective.58 »

On ne saurait mieux résumer l’esprit avec lequel Faye s’engage systématiquement dans ses re-

cherches. Il privilégie les faits, les observations directes, les mesures précises, et au contraire évite soigneusement l’irruption des préjugés et des idées a priori. Cet a priori devient le signe de l’arbi-

traire. Faye a justement critiqué cette aspect de la théorie de Laplace pour le rayonnement de la photosphère. Cette interprétation de la notion d’objectivité est suffisamment bien formulée dans la

lettre envoyée à l’Abbé Moigno de 1859. En revenant sur le problème des protubérances, il écrit : « [c]es hypothèses se divisent en deux catégories opposées : les unes prenant les protubérances des éclipses pour des réalités, les autres pour des apparences. Les Allemands diraient qu’il s’agit de savoir

si le phénomène est objectif ou subjectif. Je tiens, moi, pour la subjectivité [...]59 »

En résumé, la photographie – insérée dans un réseaux de techniques modernes d’automatisation

et de standardisation – apparaît donc aux yeux de Faye comme un garant d’une certaine idée de la méthode scientifique de l’astronome. Contrairement au télescope qui n’est qu’une extension de notre vue, la photographie promet l’élimination pure et simple de l’observateur en tant que médiateur

inconsciemment, dans la production du savoir. Daston et Galison résume cela parfaitement en écrivant « [i]nstead of freedom of will, machines offered freedom from will » Daston & Galison (2007), Objectivity, p. 123.

57. Rey (1908), L’a priori et l’expérience dans la méthode scientifique, p. 883. 58. Ibid., p. 884.

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entre le phénomène et sa parfaite reproduction sensible, ultime obstacle pour accéder aux faits objectifs60. Ce faisant, elle atteint un degré de précision inégalé aux yeux de Faye. Mais l’utilisation de la photographie comme preuve scientifique n’est pas sans poser de problème, car même s’il est possible d’imaginer une prise d’image complètement automatisée, il n’en reste pas moins qu’à la

dernière étape il faut un homme pour interpréter ces images. Tournons-nous maintenant sur les phénomènes observées lors de l’éclipse de 1860.

Faye est fin prêt à investir ses appareils et ses efforts dans cette éclipse du 18 juillet 1860, dont il est assuré de conduire la mission en Espagne pour le compte de l’Observatoire impériale61. Comme en rend compte la revue Cosmos, « il mettait la dernière main à ses appareils ; il s’apprêtait presque à partir, lorsque des explications inattendues sont venues lui apprendre d’abord qu’il ne

pouvait pas compter sur le concours indispensable de l’Observatoire impérial, et l’amener bientôt à résigner entre les mains de M. le ministre de l’instruction publique l’autorisation et les pouvoirs

qu’il en avait reçus.62 » Ce retournement de situation résulte d’un désaccord survenu entre lui et Le Verrier, directeur de l’Observatoire. C’est donc ce dernier qui prend la tête de la mission,

accompagné des astronomes Yvon Villarceau et Jean Chacornac et du physicien Léon Foucault. La station d’observation a été choisie : elle se trouve au centre de l’Espagne, à environ 1400 mètres au-

dessus de Tarrazona, au somment du Moncayo. Faye participe tout de même à la mission organisée par l’École Polytechnique et sous la direction de l’astronome Aimé Laussedat, qui a choisi un site

d’observation en Algérie, à Batna, mais ne les accompagnera pas dans ce périple. Ainsi Faye est obligé de rester à Paris avec ses instruments, au grand désespoir de ses collègues et des artisans

qu’ils l’ont aidé patiemment à les construire et à les préparer.

Deux autres missions importantes vont prendre pied sur le sol espagnol. L’équipe anglaise de

l’Observatoire de Kew – mené par l’astronome Warren de la Rue et sous la direction de Airy, directeur de l’Observatoire de Greenwich – a choisi le site de Rivabellosa. L’équipe italienne de

l’Observatoire de Rome – dirigée par le Père Secchi – s’installent sur le site de Desierto de las

60. Cette mise à l’écart de l’observateur semble excessive aux yeux de certains. C’est ainsi que l’on peut lire dans la revue du Magasin Pittoresque de 1863 la réflexion suivante : « [...] aucun perfectionnement des arts ne peut dispenser le savant de se mettre lui-même en rapport direct avec le monde extérieur. Ces inventions ingénieuses de M. Faye ne dispensent pas plus l’astronome de placer l’œil à l’oculaire des télescopes que l’usage des télescopes eux-mêmes ne lui avait épargné la peine de se servir de ses yeux et d’inspecter la voûte étoilée comme le faisait les Chaldéens. » Magasin Pittoresque, 31, 1863, p. 237)

61. Annoncé par Le Verrier à l’Académie des sciences, séance du 13 février 1860. Dans CRAS (1860), 50, p. 351. 62. Cosmos, 16, 1860, pp. 441-443.

Palmas, plus dans le sud63. Chacun compte sur la photographie pour prendre des clichés de l’éclipse. L’astronome de la Rue est d’ailleurs un spécialiste de la photographie solaire depuis qu’il a mis en

service en 1857 à l’Observatoire de Kew un appareil spécialement adapté à la photographie solaire : le photohéliographe. Il a d’ailleurs amené son instrument avec lui. Tout le monde espère régler

l’importante question des protubérances.

A la vue des observations directes et des clichés de l’éclipse, les astronomes qui pensaient déjà que les protubérances étaient bien des phénomènes réels appartenant au Soleil se trouvent confortés dans

leur opinion, à l’instar de de la Rue, Secchi ou encore Foucault et Le Verrier. Mais Faye va recevoir l’appui du directeur de l’Observatoire de Genève Philippe Plantamour ainsi que de l’astronome von

Feilitzsch. En commentant les observations de Plantamour, Faye conclue « [...] tout nous montre qu’il s’agit d’une cause purement optique et non d’un échafaudage de réalités64», un « simple jeux de lumière65 ». En réponse à une communication de l’astronome italien qui, tout en acceptant la réalité des protubérances, proposait d’expliquer certaines caractéristiques de ces proéminences par

un phénomène d’irradiation, Faye rappelle qu’il fut le seul onze ans auparavant à soutenir que « [...] les phénomènes des éclipses totales n’étaient pas des réalités objectives, mais bien des phénomènes

d’optique du plus grand intérêt pour la science [...] ; que l’atmosphère solaire et les nuages [...] étaient des hypothèses inadmissibles.66 » Il ne varie donc pas d’opinion67

Lorsque Faye présente les épreuves de de la Rue devant l’Académie des sciences en 1862 (Figure

4.2), il se borne à dire que « le fait de l’impression des protubérances ne prouve nullement que ces apparences soient des objets réels flottant dans l’atmosphère supposée du Soleil.68 » Afin de prêter à ces photographies une valeur de preuve définitive, elles doivent être accompagnées de mesures.

63. Rivabellosa est une petite ville proche de Bilbao, et le site de Desierto de las Palmas est situé sur la côte