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L’analyse spectrale

inséré dans chacune d’elle, plus un dernier suspendu à l’air libre. Il décide d’utiliser son dispositif pour comparer la chaleur que délivre les rayons du soleil à deux altitudes différentes. Il constate

que la température à l’intérieur de la boite augmente puis se stabilise, marquant une différence de 38˚C par rapport à l’extérieur. Il va améliorer par la suite son appareil pour réduire les pertes

par rayonnement sur les parois des boites et confiner l’air à l’intérieur, c’est-à-dire empêcher tout mouvement de convection qui tendrait à amoindrir la température interne. Il arrive ainsi à une version

de son instrument qu’il baptise héliothermomètre. La différence de température entre l’intérieur et l’extérieur peut accuser un maximum de 71˚C.

Il conclut de ces expériences que le froid aux sommets des montagnes ne peut être attribué à une pureté particulière de l’atmosphère, ou d’un manque de « fluide igné », selon l’hypothèse de De

Luc. Il suppose pour sa part que la chaleur est produite par l’absorption de la lumière. L’air peut absorber la radiation directement ou être chauffé indirectement par le sol. La moindre densité de

l’air, et conséquemment la moindre quantité de chaleur absorbée, et son renouvellement permanent par les mouvements de l’atmosphère, explique ainsi le froid en haute altitude par rapport à la plaine. Ces études sur l’absorption du rayonnement en fonction de l’altitude, ainsi que les instruments mis

à leur service, vont devenir des ingrédients centraux pour espérer parvenir à une valeur absolue de la chaleur solaire en dehors de notre atmosphère. Nous allons y revenir bientôt.

Ainsi que le résume Peggy Kidwell, « Newton concluded from his computation of temperature near the sun that this star exerted no magnetic attraction, and that comets are durable, solid

bodies. Euler claimed from his calculations that the sun is too hot to be composed of matter like that on earth, and that corpuscular theories of light could never explain the sun’s vast radiation.

For Lambert, on the other hand, the computation of solar temperature was an independent problem of pyrometry. He was interested in the physical basis of this calculation, and not its implications for

astronomy or optics.53» Le Soleil reste toujours en marge de ces investigations, mais n’en constitue nullement un objet digne d’intéresser ces savants d’un point de vue physique.

1.4

L’analyse spectrale

L’analyse de la lumière solaire peut également s’effectuer grâce à sa décomposition par un prisme. Initiée par les travaux en optique de Newton, cette méthode d’analyse va se révéler extrêmement

puissante tant pour les astronomes que pour les chimistes, sous le nom de spectroscopie. La littérature

sur les débuts de la spectroscopie est suffisamment riche pour nous permettre d’y piocher les éléments qui nous semblent pertinent dans notre étude54. Il apparaît encore une fois que les découvertes réalisées dans ce domaine n’ont aucun impact immédiat sur la compréhension de la constitution du Soleil et n’entraîne aucune étude coordonnée. A l’instar des autres découvertes, elle n’est encore

qu’une source potentielle en attente d’un événement déclencheur.

En 1802, lorsqu’il étudie le pouvoir de réfraction et de dispersion de certains matériaux trans- parents à l’aide du prisme, le physicien anglais William Hyde Wollaston a l’idée de laisser passer

la lumière non par un trou, mais par une fine fente. A la sortie de son dispositif, il découvre pour la première fois que ce spectre est entrecoupé de raies sombres, dont il en dénombre sept au total.

Il pense naturellement que ces raies délimitent les différentes couleurs primaires, dont il réduit le nombre à quatre55.

Douze années plus tard, l’opticien de Munich Joseph Fraunhofer redécouvre indépendamment

ces raies sombres56. Fraunhofer cherche un moyen pour mesurer l’indice de réfraction de certaines variétés de verre pour différentes couleurs. Il fallait pour cela isoler un faisceau monochromatique,

mais les différentes couleurs du spectre ne sont pas clairement séparées. N’ayant pu parvenir à son but avec des liquides ou des verres colorés, ou encore avec des flammes, pour produire ce type de la

lumière, il parvient à mettre au point un dispositif optique qui convient à sa tâche57. En cherchant à reproduire l’expérience avec la lumière du Soleil, il examine par la lunette d’un théodolite58 la

54. Sur la littérature secondaire sur la spectroscopie, voir Introduction, note 33.

55. Wollaston (1802), A method of examining refractive and dispersive powers, by prismatic reflection, p. 378. Sur la découverte des raies spectrales, voir James (1985), The discovery of line spectra.

56. Sa contribution majeure sur les raies spectrales apparaît dans son mémoire écrit entre 1814 et 1815 Bestim- mung des Brechungs und Farbenzerstreuungs-Vermögens verschiedener Glasarten in bezug auf die Vervollkommnung achromatischer Fernröhre. Ce mémoire a été traduit en français en 1823 dans le deuxième volume des Astronomische Abhandlungen sous le titre Détermination du pouvoir réfringent et dispersif de différentes espèces de verre, recherches destinées au perfectionnement des lunettes achromatiques. Nous renvoyons au livre de Myles Jackson pour une mise en contexte du travail de précision de Fraunhofer. Jackson (2000), Spectrum Of Belief. Joseph Von Fraunhofer and the craft of precision optics. Sur le rapport entre spectroscopie et quantification, voir Dorries (1994), Balances, spectro- scopes, and the reflexive nature of experiment. Sur la découverte des raies spectrales, voir James (1985), The discovery of line spectra.

57. Voir le schéma dans Jackson (2000), Spectrum Of Belief. Joseph Von Fraunhofer and the craft of precision optics, pp. 68-69.

58. Un théodolite est un instrument de géodésie complété d’un instrument d’optique, mesurant des angles dans les deux plans horizontaux et verticaux afin de déterminer une direction. Il est utilisé pour réaliser les mesures d’une triangulation (mesure des angles d’un triangle), par exemple lors de la détermination de la distance sur un arc de méridien.

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Figure 1.3 – Spectre de la lumière solaire obtenu par Fraunhofer. La ligne décrite par les nombres 1, 2, 3 etc. représente le degré de visibilité de la lumière aux points A, B, C, etc., la lumière au

point le plus brillant étant prise pour unité. Gravure tirée de Brougham (1829), Natural Philosophy, volume 1, p. 329.

lumière solaire passée par une étroite fente et le prisme, et constate que le spectre était striés par une

myriades de raies plus ou moins sombres. Il en donne compte-rendu suivant : « [e]n cherchant s’il se trouveroit dans le spectre de la lumière du soleil une raie luisante, telle que dans le spectre, formé par

la lumière d’une lampe, je découvris, au lieu de cette raie, une infinité de raies ou lignes verticales de différente épaisseur. Ces raies sont plus foncées que le reste du spectre, quelques-unes d’entre elles

paraissent même toutes noires.59» Il trouve en tout 574 raies parsemant le spectre solaire et attribue aux plus sombres une lettre (Figure 1.3). Elles sont invariablement présentes dans le spectre analysé

au laboratoire, et après une analyse détaillée du phénomène, il en conclut que ces raies sombres ont leur cause « dans la nature de la lumière du soleil », entendant par là que la lumière émise par le

Soleil possède déjà cette caractéristique.

Fraunhofer tourne également son instrument vers la Lune, Mars, Vénus ainsi que quelques étoiles de première grandeur. Il constate que la lumière qu’envoie Vénus possède les mêmes caractéristiques

que celle du Soleil, alors que celle de Sirius possède trois raies larges, et les spectres des étoiles entres elles sont tout à fait différents. Il recommande alors de poursuivre ces observations avec un

objectif de plus grande dimension, en conclusion de quoi il ajoute : « [u]ne suite de ces essais est d’autant plus à désirer qu’ils servent en même temps à une comparaison exacte de la réfrangibilité

59. Fraunhofer (1823), Détermination du pouvoir réfringent et dispersif de différentes espèces de verre, recherches destinées au perfectionnement des lunettes achromatiques, p. 23.

de la lumière des étoiles et du soleil.60» Il ne développe malheureusement pas ce qu’il entend pas là et la façon dont cela pourrait être exploité.

De fait, le but de Fraunhofer était de concevoir des instruments d’optique achromatiques, et

non de rechercher leur cause. Ces raies, toujours placées à des positions fixes par rapport aux couleurs, était pour lui comme des graduations utilisé à des fins métrologiques pour mesurer l’indice de réfraction des lentilles. Elles sont rapidement devenues un outil inestimable pour l’optique de

précision. Son travail ne va toutefois pas avoir de conséquence immédiate sur notre connaissance du Soleil. Ainsi que le résume Myles Jackson, « Fraunhofer’s work on the dark lines of the spectrum

[...] was not the culmination of any concern on his part with the nature of light. Nor did he use those lines to analyse substances. Rather, his work was a product of artisanal training with a view

to perfect the construction of achromatic lenses for astronomical instruments such as telescopes and heliometers, as well as ordnance surveying instruments such as theodolites.9 » Il ne reviendra pas

sur la différence de spectre entre les étoiles et le Soleil, mais cette promesse de nouvelles découvertes ne restera pas lettre morte.

En débordant légèrement du cadre que l’on s’était fixé initialement dans ce chapitre, c’est-à-

dire antérieur à 1825, il est intéressant de noter qu’en parcourant l’article de John Herschel sur la lumière, publié dans le deuxième volume de l’Encyclopaedia Metropolitana en 1827, nous y croisons

ce commentaire sur les raies de Fraunhofer61: « [i]t is no impossible supposition, that the deficient rays in the light of the sun and stars may be absorbed in passing through their own atmospheres

[...]62». Ce phénomène prendrait selon lui son origine dans une sorte d’absorption sélective au sein des molécules constituant ces atmosphères. Herschel a déjà entamé depuis 1822 un long travail sur l’absorption de la lumière par les milieux colorés, ce qui l’amène ici à rectifier ce qu’avait juste

soulevé l’opticien allemand, à savoir que ces raies ne sont pas dans la nature même de la lumière du Soleil, mais générées dans son atmosphère. Il restreint en revanche la cause de cette effet à

la couche lumineuse, en adoptant la constitution physique qu’avait proposée son père, et non à une atmosphère étendue et partiellement transparente qui exercerait son action absorbante sur les

rayons émanant de la photosphère. Il s’en explique dans un passage précédent où il met en doute les mesures de Bouguer sur l’assombrissement de l’intensité lumineuse vers le bord, la vérification

desquelles amènerait à accepter la présence de cette atmosphère étendue. « This is certainly possible,

60. Ibid., p. 44.

61. Herschel connaît parfaitement le travail de Fraunhofer pour avoir visité son laboratoire en 1824. C’est d’ailleurs Herschel qui informe Fraunhofer des travaux précédents de Wollaston. Hentschel (2002), Mapping the spectrum, p. 33.

1.4 L’analyse spectrale 37

but our ignorance on the subject renders it unphilosophical to resort to a body so little within our reach for the establishment of any fundamental law of emanation.63» John Herschel ne veut pas s’engager dans une voie trop spéculative, et nous verrons très bientôt que son travail sur la mesure de la constante solaire, d’une manière analogue, ne débouchera sur aucune véritable connaissance

sur la physique du Soleil.

David Brewster est plus réceptif à cette découverte. Il entreprend dès 1822 des expériences sur

l’absorption de la lumière du Soleil par les milieux colorés, et par la suite poursuit le but de découvrir un principe générale d’analyse chimique64. Dans un mémoire lu en avril 1836, il expose sa méthode. Afin de palier aux difficultés de la méthode mise au point par Fraunhofer pour mesurer l’indice optique des verres, il substitue à la lumière du Soleil une source de lumière blanche provenant d’une

lampe artificielle et interpose avant le prisme une cuve contenant de la vapeur d’acide nitreux. Les raies observées sont plus nombreuses et plus intenses, mais surtout, ce dispositif lui permet de faire

varier leur intensité à volonté en modifiant l’épaisseur de gaz traversée. La comparaison du spectre de ce gaz avec celui de la lumière solaire l’amène à constater une coïncidence pour un certain ensemble

de raies, et non une identité complète, fait dont il cherche à rendre compte. A l’issu d’expériences supplémentaires où il examine les variations qui s’opèrent dans le spectre à mesure que le Soleil

décline vers l’horizon, il est en mesure de faire la part entre l’action de l’atmosphère du Soleil et celle de notre propre atmosphère sur la production des raies. Cet ensemble de faits lui semble indiquer

« [...] that the aparent body of the sun is not a flame in the ordinary sense of the word, but a solid body raised by intense heat to a state of brilliant incandescence.65 » Ainsi, entre les mains de Brewster, l’analyse du spectre de sa lumière donne accès à des informations sur l’état physique du Soleil, là où Herschel et Fraunhofer s’étaient retenu de toute inférence. Il est convaincu de la

présence de vapeur d’acide nitreux dans l’atmosphère du Soleil et de la Terre, et avance l’idée que l’on puisse également détecter la présence de ce gaz ou d’autres substances dans l’atmosphère des

planètes grâce à cette même technique d’analyse.

Brewster continuera son travail en optique en relation avec l’analyse spectrale, mais relevons

juste qu’à ce moment dans le développement de cette nouvelle technique, encore au stade d’ébauche, ses conclusions sur la constitution du Soleil n’ont aucune suite notable avant quelques années66.

63. Ibid., p. 347.

64. Voir à ce sujet James (1983), The debate on the nature of the absorption of light, 1830-1835 : a core-set analysis. 65. Brewster (1836), Observations on the lines of the solar spectrum, and on those produced by the Earth’s atmos- phere, and by the action of nitrous acid gas, p. 391.

66. Brewster, contrairement à Herschel, va rester opposé à la théorie ondulatoire de la lumière. De plus, il va soutenir l’hypothèse qu’il n’existe que trois couleurs dans le spectre, qui se retrouvent mélangées en proportion définie dans

Nous constatons d’autre part avec Herschel que cette séparation physique d’avec les astres est un facteur qui entrave la mise en place des conditions nécessaires pour une véritable instauration d’une

physique solaire. L’objet, de part sa distance, semble priver l’astronome et le physicien de l’emploi d’une méthodologie développée au contact des phénomènes de laboratoire. C’est pourtant là que se

forgent les instruments qui permettront de franchir cet espace, pour déchiffrer les hiéroglyphes de la lumière. Tant qu’une compréhension détaillée de la production des raies n’est pas disponible, il est

impossible de se servir de ce nouvel outil en dehors du laboratoire des opticiens. Il faudra attendre les travaux du physicien Gustav Kirchhoff et du chimiste Robert Bunsen, à la fin de 1859, pour

finalement arriver à formaliser les lois de l’analyse spectrale. Nous reviendrons en détail sur cette découverte dans le chapitre suivant.