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Supériorité de la pratique de l’astronome

4.4 La dynamique des taches solaires

4.4.1 Supériorité de la pratique de l’astronome

Même s’il critique l’hypothèse de Thomson ou celle de Kirchhoff, il ne peut faire l’économie de

telles découvertes dans le champs des sciences expérimentales, respectivement ici dans le domaine de la thermodynamique ou dans celui de la spectroscopie. Faye se trouve donc au début des années

1860 devant un ensemble de pièces qui constituent le puzzle solaire, qu’il faut maintenant assembler pour parvenir à une théorie cohérente et satisfaisante. Fayer va résorber la tension entre observation et expérimentation en empruntant une voie qui selon lui bénéficie des vertus qui sont au centre de

sa méthodologie et qu’il met en œuvre dans sa propre théorie du Soleil. Fidèle à ses principes, il préfère une approche privilégiant l’observation et les mesures directes, par l’intermédiaire de l’étude

de la dynamique des taches solaires.

La découverte de ces taches sombres à la surface du Soleil avait permis de mettre en évidence

sa rotation et d’en évaluer approximativement la valeur de sa période, de même que l’inclinaison de son axe par rapport à l’écliptique. Au cours des années 1830, un programme d’observation se mit en

place consistant à enregistrer le nombre de taches et leur position respective sur le disque solaire. Ces observations régulières mirent en évidence une périodicité dans leur apparition d’un peu plus

d’une dizaine d’années111, ainsi qu’une corrélation entre ce cycle et les enregistrement de l’activité

109. Janssen (1871), Sur la constitution du Soleil, p. 436.

110. Faye (1871b), Sur l’histoire, en l’état présent, de la théorie des comète (suite et fin), p. 1026.

111. Entre autre par l’astronome amateur allemand Heinrich Schwabe entre 1826 et 1850. Cette découverte frappe fortement Humboldt qui le relaye dans son second volume du Cosmos, que traduit Faye en 1851.

magnétique à la surface de la Terre. Mais les données les plus intéressantes à ce sujet revinrent à l’astronome amateur anglais Richard Carrington.

Carrington conçoit son propre programme d’observation lorsqu’il prend connaissance en 1852 des résultats de l’astronome allemand Heinrich Schwabe sur le cycle des taches solaires. Par un travail

minutieux et méthodique qu’il poursuit de novembre 1853 jusqu’à mars 1861, il note leur apparition et leur mouvement. Il découvre que la dynamique des taches suit un cycle de onze ans et qu’à

chaque début de cycle elles naissent vers +/- 35˚de latitude pour ensuite dériver vers l’équateur à mesure que qu’approche la fin du cycle, correspondant au minimum d’activité. L’inspection de ces

mouvements lui révèle un fait très important : la surface visible du Soleil ne possède pas une période de rotation unique mais que celle-ci va croissant du pôle à l’équateur. Autrement dit, la période de

rotation d’un point à la surface du Soleil est d’autant plus faible que sa latitude est élevée. Le Soleil manifeste donc un comportement bien singulier. Carrington propose une relation mathématique pour

traduire ce phénomène de rotation différentielle qu’il présente dans son imposant ouvrage sortie en 1863112, accompagnée de toutes ses observations des taches, s’élevant à 5290 !

Faye s’empare immédiatement de cette mine de données dès leur publication. Plus encore que

les nouvelles découvertes de la spectroscopie, celle de Carrington devient la base de sa théorie. Les deux années séparant la parution des travaux de ce dernier et la présentation de son mémoire font

figure de charnière dans l’élaboration de sa théorie, deux années durant lesquelles Faye reprend systématiquement l’ensemble des positions figurant dans le livre de l’astronome anglais et recalcule

à nouveau la loi de rotation différentielle113. Durant ces longs mois de labeurs, toutes les pièces s’assemblent enfin dans l’esprit de Faye pour finalement apparaître comme un ensemble cohérent.

La position des taches sont en effet mesurées avec toute la précision souhaitée, par une observation directe, ce qui confèrent à la loi de Carrington le caractère positif qui fait souvent défaut aux autres

hypothèses. « [C]ette loi ne m’a pas fourni l’occasion d’émettre une hypothèse », écrit Faye, « elle m’a dicté la théorie explicative [...]114». Elle s’est littéralement « manifest[ée] d’elle même », prenant acte

112. Carrington (1863), Observations of the spots on the sun, from november 9, 1853, to march 24, 1861. Il proposa initialement la formule empirique suivante, pour le mouvement angulaire diurne d’une tache, dont la latitude l suit la relation ±l = 8650∓ 1650 sin74(l − 1).

113. Rappelons qu’en 1863 également la comparaison des photographies de Secchi et de la Rue apporta la preuve irréfutable de la réalité des protubérances solaires.

114. Faye (1868b), Sur le Soleil, à propos d’un récent article du Macmillan’s Magazine, p. 190. Une première expli- cation du mouvement des taches par des vents balayant la surface du Soleil a été avancée par John Herschel et reprise ensuite par Kirchhoff. L’origine de ces vents devait se trouver dans la différence de température entre les pôles et l’équateur, par analogie avec l’atmosphère terrestre.

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que la précision et l’impartialité des données confèrent à l’expression mathématique son caractère de nécessité, qu’elle « n’est pas une simple formule d’interpolation, mais l’expression d’une véritable

loi.115 » Sur une telle base, il peut construire tout l’édifice. Le moment est donc venue pour lui « d’abandonner la voie conjecturale et de chercher, non plus à deviner comment les choses doivent

se passer [...] mais à rattacher l’ensemble des phénomènes à quelques lois générales, de telle sorte que les faits paraissent être de simples déductions logiques de ces lois.116 » Son but est donc d’englober le maximum de faits grâce à un minimum de lois les plus générales et les plus simples possibles.

L’étude de la dynamique des taches solaires va désormais constituer un canevas sur lequel les

autres phénomènes vont s’insérer naturellement. Chaque élément se retrouve lié aux autres dans des rapports causal de manière à présenter une grande cohérence d’ensemble. En effet, nous avons

fait remarquer que l’analyse spectrale contredisait l’expérience d’Arago. Mais alors, « [d]ès que la photosphère est considérée comme une enveloppe solide ou liquide, au pied de la lettre, il faut

chercher hors d’elle la cause des taches [...]117 » Or les taches sont en relation étroite avec la rotation du Soleil, comme la loi de Carrington le fait apparaître clairement. Elles ne possèdent pas toutes la

même période de rotation et n’apparaissent pas de manière uniforme sur l’ensemble du disque. Ce comportement trahit un phénomène qui a lieu à la surface du Soleil, sur sa photosphère, et non dans

sa supposée atmosphère. Leurs mouvements peuvent par conséquent renseigner sur sa constitution physique. Sa théorie permet donc de faire « sortir la théorie des taches du domaine restreint de la

perspective, pour la faire rentrer dans celui de la dynamique.118» Il faut seulement rendre explicite ce lien entre le mouvement des taches et la structure interne du Soleil.