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Réception des travaux de Pouillet Le début avorté de la physique solaire

1.5 L’analyse polariscopique

2.1.2 Réception des travaux de Pouillet Le début avorté de la physique solaire

Son mémoire de 1824 a très peu de répercussion dans la presse spécialisée française38. Dans le

compte rendu de la séance du 28 juin 1824 du Bulletin des sciences technologiques39 , par exemple, il n’est pas même fait mention de la communication de Pouillet. La Revue Européenne ou l’esprit

et ses productions se fend de son côté d’un bref compte rendu négatif, en faisant remarquer que « [c]e résultat diffère si complètement de ce que nous attendions des lois de la radiation, que nous

soupçonnons quelque erreur dans la nature de l’expérience.40 » Nous trouvons seulement une

36. Pouillet (1836), Recherches sur les hautes températures et sur plusieurs phénomènes qui en dépendent.

37. Pouillet aurait commencé à retravailler sur le sujet durant 1837. Un mémoire de Poisson paraît cette année-là sur les températures de la partie solide de globe, de l’atmosphère et de l’espace. Et début 1838, on trouve dans un mémoire de Biot sur la constitution de l’atmosphère cette indication : « [..] un de nos confrères, M. Pouillet, s’occupe de cette recherche, et ce travail pourra bientôt nous fournir l’importante notion qui nous reste à désirer. » En parallèle, on note qu’en 1836, Arago lit une lettre de John Herschel faisant référence pour la première fois à l’utilisation de son « actinomètre » pendant son séjour au Cape. Voir le paragraphe ci-après sur le rôle de Herschel dans la mesure de la constante solaire.

38. Il faut rappeler que sous l’impulsion d’Arago, les séances de l’Académie sont ouvertes au publique. Sur le fonctionnement de l’Académie des Sciences, voir Crosland (1992), Science under control The French Academy of Sciences 1795-1914, pp. 353-355.

39. Bulletin des sciences technologiques (1824), 2, p. 253.

40. Revue Européenne ou l’esprit et ses productions (1826), 3, pp. 150-151. L’article rapporte une valeur erronée de la température du Soleil, en lui attribuant la valeur de 2552˚C.

référence dans le Journal de Pharmacie de la même année dans lequel la valeur calculée de la température du Soleil est explicitement donnée41. Une traduction de cette brève notice va néanmoins paraître en Angleterre dans différentes revues aussi importantes que le Philosophical Magazine ou le Edinburgh Philosophical Magazine42. Il n’y a donc pas de véritable suite et ses travaux sombrent dans l’oubli.

Un savant a néanmoins relayé sa communication, en la personne de Fourier. Dans le bilan scien-

tifique de l’année 1824 inséré au début des Mémoires de l’Académie des Sciences, le secrétaire perpé- tuel43 écrit « M. le professeur Pouillet, qui contribue à l’avancement des sciences physiques autant par ses propres recherches que par les succès de l’enseignement, a entrepris une suite d’observations très-précises qui lui ont servi à déterminer par l’expérience et par le calcul les effets de la chaleur

solaire, question importante liée à l’étude des plus grands phénomènes de la nature. » Fourier juge positivement la valeur de son travail, et souligne surtout la précision de ses mesures, dont on sait la

valeur de légitimité qu’elle revêt en physique. Il est bien naturel qu’il tienne ces propos, le problème de la chaleur solaire et de son rôle dans l’équilibre des températures sur Terre présente un intérêt

majeur pour lui et nous avons vu comment Pouillet s’en est inspiré. Pourtant, Fourier se garde de rappeler les conséquences que Pouillet a tirées de ses mesures sur la température du Soleil.

Fourier rédige la même année un mémoire pour présenter de manière concise les conséquences

principales de sa théorie. Celui-ci s’ouvre à nouveau en soulignant que la question des températures terrestres est l’une des plus remarquables et des plus difficiles de toute la philosophie naturelle44.

Dans ce même mémoire, il ne fait aucune référence aux résultats de Pouillet, mais il s’en justifie en indiquant que, nonobstant le « grand intérêt » qu’il a porté au mémoire du jeune physicien, c’est

« uniquement pour ne pas anticiper sur le rapport qui doit en être fait.45 » Ainsi donc, un rapport doit être rendu pour ce travail, ce qui montre qu’il a suscité un certain intérêt, du moins chez Fourier.

Les commissaires en sont Fourier, Dulong et Poisson. Mais à la demande d’un membre anonyme de l’Académie, Arago est adjoint à la commission chargée d’examiner le mémoire de Pouillet46. Et puis plus rien... En dehors de Fourier – et encore restreint-il son jugement sur la qualité expérimentale du travail de Pouillet – nous constatons ainsi que ses résultats ne semblent guère avoir convaincu

41. Journal de Pharmacie (1824), 10, p. 415.

42. The Philosophical Magazine (1824), 64, p. 382 ; The Edinburgh Philosophical Magazine (1825), 12, p. 405. 43. Fourier prit le siège de secrétaire perpétuel en 1822 après le décès de Delambre. Il fut l’un des trois candidats pour ce poste, les deux autres étant Arago et Biot. Il cédera finalement sa place à Arago en 1830.

44. Fourier (1824), Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, p. 136. 45. Ibid., p. 166.

2.1 Claude Pouillet, un pionnier de la physique solaire 57

ses pairs. Que peut nous apprendre un tel constat ?

Au début des années 1820, la science française présente de fait un visage singulier. Dominée par la physique laplacienne47 , elle s’est construite sur une vision du monde basée essentiellement sur la conception newtonienne des forces à distance, répulsive ou attractive, entre particules de matière ou encore entre celles des fluides impondérables48. Ces derniers sont invoqués pour expliquer les phénomènes de l’électricité, du magnétisme et de la chaleur. Pouillet appartient ouvertement à cette école, comme nous le montre son adhésion sans faille à la théorie du calorique à travers les

différentes éditions de ses ouvrages, et il débute sa carrière sous la protection de Biot49. Ce dernier définie dans son Traité de physique expérimentale et mathématique, ouvrage considéré comme le

premier du genre, une science vouée à la précision et au traitement mathématique. Même si la précision n’est cependant pas parfaite, il faut savoir distinguer l’usage raisonné du calcul et l’abus

que l’on peut en faire. Le pire, selon lui, est de chercher « [...] à combiner ainsi des élémens vagues ou hypothétiques, car on ne fait que réaliser l’incertitude et donner un corps à l’erreur.50» La physique ne peut souffrir d’hypothèses aussi vague que celle que Pouillet est obligé de faire intervenir dans ses calculs, comme la capacité thermique de la matière solaire. Son traitement théorique n’est pas,

de ce point de vue, compatible avec les normes édictées par Biot. Le programme de recherche qui à cette époque commence à émerger en France insiste sur l’aspect purement quantitatif des lois, et

non sur des extrapolations mal maîtrisées. Le physicien Victor Regnault deviendra le représentant le plus prestigieux de cette école expérimentale qui chérie la précision au dépend de la spéculation

sur les causes. Dumas, dans son éloge de Regnault, soulignera d’ailleurs que dans ses leçons, « tout culte de l’imagination était banni [...].51 »

On trouve à nouveau cette séparation entre les mesures expérimentales et les extrapolations qui en sont faites. Dans la notice sur les mémoires de Pouillet présentés à l’Académie des sciences

jusqu’à l’année 1835, il est indiqué à propos sa communication du mois d’août que le principal résultat de son travail a été la détermination de la constante solaire à Paris. Ses résultats sont

47. Sur l’émergence et l’évolution de la physique laplacienne, voir Fox (1974), Rise and fall of the laplacian physics. 48. La physique laplacienne déclinera à partir des années 1820, et entraînera l’abandon de ces différents fluides. Robert Fox écrit à ce propos « [...] the symptoms of the decline can be seen as early as the 1820s, in the growing disenchantement with theory and a consequent preoccupation with the accumulation of data and with mathematical treatments in which the discussion of causes was eliminated or made irrelevant. » Fox (1971), The caloric theory of gases from Lavoisier to Regnault, p. 317.

49. Grattan-Guinness (1990), Convolutions in French mathematics, 1800-1840, volume 2, p. 867. 50. Biot (1819, Traité de physique expérimentale et mathématique, volume 1, p. xi

effectivement jugés suffisants pour déterminer, « avec une grande approximation », la quantité de chaleur reçue par la Terre au cours d’une année et donc celle que reçoit chaque planète sachant que

l’intensité varie comme la distance au carré. Mais, en ce qui concerne la température du soleil, les commentaires indique seulement que « [d]e cette donné fondamentale on pourrait déduire encore la

température moyenne des couches rayonnantes du soleil, si l’on connaissait leur pouvoir rayonnant moyen, et si les lois de refroidissement établies par MM. Dulong et Petit s’étendaient jusqu’aux plus

hautes températures ; mais, dans l’état actuel de la science, on peut seulement indiquer les principes desquels dépend la solution de cette question.52 » Le conditionnel est donc de mise, et le rédacteur de cette notice écarte les extrapolations auxquels s’est livré Pouillet, tant les connaissances sur les propriétés thermiques du Soleil sont précaires. De plus, la loi de refroidissement des corps évoquée

dans ce passage, celle de Dulong et Petit, n’est définie que sur l’intervalle de température allant jusqu’à 300˚C, ce qui est trop restreint pour tolérer son utilisation à des températures de plusieurs

milliers de degrés.

Les savants ne semblent donc pas encore prêt à accepter qu’une théorie physique puisse s’appli-

quer à un objet dont on ne connaît rien d’un point de vue physique – si on excepte sa densité53. Étudier la constitution du Soleil, c’est appliquer une méthode issue du monde du laboratoire à un

système qui ne peut être expérimenté dans des conditions conformes à la pratique du physicien. Si la physique de Laplace fait appel à l’attraction gravitationnelle comme paradigme, une loi pourtant découverte dans un cadre astronomique, elle s’interdit en revanche le mouvement inverse. Si dans

l’esprit de Newton la physique ne rencontrait pas de frontière, et unifiait ce qui était auparavant séparé, les progrès ultérieurs semblent avoir eu l’effet contraire54. Faire des mesures, aussi précises

soient-elles, ne suffit donc pas pour faire accepter toutes les conclusions que l’on peut tirer, et la voie

52. Notice sur les mémoires présentés à l’Académie des Sciences par M. Pouillet, Dossier Pouillet, Archives de l’Académie des Sciences.

53. A l’inverse, le problème de la mesure de la température de l’espace ne semble pas souffrir d’un tel scepticisme. Il s’inscrit dans le cadre d’un problème de physique terrestre initié par les travaux de Fourier.

54. L’astronomie est de fait considérée comme parvenue au stade de science exacte, dernière étape de son dévelop- pement. D’un autre côté, la constitution d’une physique quantitative et théorique, surtout sous l’impulsion des savants français, a accrue la séparation entre les deux disciplines, suivant leurs objets et leurs méthodes. Si nous consultons les définitions de la physique dans les traités et manuels, dans le premier tiers du XIXesiècle, nous trouvons qu’elle

s’occupe essentiellement des corps terrestres, et tant que leurs nature ne change pas au cours de leurs interactions – au- quel cas l’explication de ces transformations sont du domaine de la chimie. Cette séparation entre l’astronomie comme science pure de l’observation, dénuée de manipulation pratique et d’expérimentation, et les sciences expérimentales, est une vue, quoique extrême, que soutient Auguste Comte par exemple.

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empruntée par Pouillet ne s’avère pas encore légitime. Dans le cas présent, les mesures sont réalisées, elles sont jugées précises à l’aune des standards de la physique, mais elles se heurtent à l’écueil d’une

perception compartimentée des disciplines. Le domaine que Pouillet a souhaité investir reste encore écartelé entre le monde de l’astronomie de position et celui de la paillasse du laboratoire, un espace

encore à inventer. Pour cela, il faut un cadre théorique dans lequel le Soleil, en tant qu’objet de recherche, puisse légitimer sa pertinence, et que n’apporte pas pour l’instant la physique telle qu’elle

se pratique à ce moment.

Cependant, d’autres causes peuvent également entrer en ligne de compte. Nous avons noté qu’à

la suite de l’admission d’Arago dans la commission chargée d’examiner le mémoire de Pouillet, le rapport n’a jamais été rendu, malgré un avis favorable de Fourier. Nous avons également vu au début

de ce chapitre qu’Arago avait effectué des mesures de polarisation sur la lumière émanant du bord du disque du Soleil dès 1811. Il arrivait à la conclusion que sa surface devait être gazeuse, et non

un liquide ou un solide à l’incandescence. Il ne publia pas ses résultats tout de suite, et ce n’est que le 14 juin 1824, soit deux semaines seulement avant que Dulong ne lise la lettre de Pouillet relatant

ses travaux préliminaires, qu’il consent à en diffuser la teneur. Avait-il un motif à cela ? Arago, avec son expérience polariscopique, apporte une preuve substantielle à la théorie de William Herschel :

le Soleil n’est qu’un globe sombre, froid, entouré d’une atmosphère transparente couverte de nuages lumineux. Pour Pouillet, le Soleil est une sphère de matière portée à haute température – qu’il évalue,

nous l’avons vu, entre 1200 et 1500˚C55. Il en déduit qu’il se refroidit au taux de 1˚C par siècle56. Les données nous conduisent directement au résultat approché de 174 000 ans ! A aucun moment les

travaux de Pouillet ne sont cité dans son Astronomie Populaire, bien que les hypothèses d’Herschel soient largement présentées et commentées. Qu’un conflit se soit installé entre Pouillet et Arago

au sujet de la constitution du Soleil est étayé par cette remarque de l’Abbé Jacques-Paul Migne : « [d]ans son mémoire sur la chaleur solaire, lu à l’Académie des sciences dans la séance du 18 juin

1838, M . Pouillet avait fait intervenir dans ses opérations la masse et la densité du corps même du Soleil. M. Arago s’est empressé de rappeler à l’Académie que les observations astronomiques les plus

55. Pouillet l’explicitera effectivement en 1838, et nous pouvons seulement supposé que cela en était de même en 1824. Mais si le calcul du taux de refroidissement du Soleil conduit à se représenter le Soleil comme un corps solide porté à incandescence, il n’en est pas de même du calcul de sa température, qui repose seule sur la loi de Dulong et Petit.

56. Notons au passage que de manière surprenante, il ne va pas jusqu’au bout de son raisonnement, à savoir calculer le temps qu’il reste au Soleil avant qu’il ne devienne aussi froid que l’espace dans lequel il se meut, c’est-à-dire à -142˚C, selon Pouillet. Cela donnerait un résultat compris entre 150 000 et 180 000 ans.

exactes et les plus rigoureuses ne permettent plus de considérer cette astre autrement que comme un noyau noir enveloppé d’une atmosphère transparente, puis d’une atmosphère lumineuse.57 »

Ce mémoire de 1838, le plus connu de Pouillet, est le second et le dernier dans lequel il expose ses idées sur la constitution du Soleil. Il pose également les bases de ce qui deviendra l’actinométrie.

Il est donc utile dans analyser le contenu.