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Entre rupture et continuité

3.4 Théories alternatives, ou comment échapper à la mort thermique de l’Univers

4.1.2 Entre rupture et continuité

Faye a indéniablement hérité de cette culture. Nous pouvons déjà nous en rendre compte dans le résumé de ses travaux effectués à l’Observatoire qu’il présente en 1847, à l’occasion de son élection

à l’Académie des sciences19. Il souligne que les travaux entrepris par les grands astronomes, tels que Bessel, Struve, Argelander, Maedler, ou encore Arago, « [...] accusent une tendance manifeste à

soumettre les théories au contrôle de l’observation directe, et à substituer des mesures précises, des calculs rigoureux, aux spéculations pures.20 » Ces critères sont identiques avec ceux qu’édictaient Arago, et seront pour Faye ces pierres de touches auxquelles toute théorie doit se frotter. Mais si

17. Arago (1851), Constitution physique du Soleil et des étoiles, p. 341. Ce discours est lu par Laugier à la place d’Arago, devant les cinq académies, le 25 octobre 1851. Ce mémoire est présenté pour rendre compte des observations réalisées à la suite à l’éclipse du 28 juillet 1851.

18. Ibid., p. 346.

19. Faye est élu le lundi 25 janvier 1847 à l’Académie des Sciences, sous le patronage de Arago et Humboldt. 20. Faye (1847), Note sur les travaux astronomiques de H. Faye, ancien élève de l’École Polytechnique, astronome attaché à l’Observatoire royal de Paris. Archives de l’Académie des Sciences.

Faye lui emprunte son épistémologie, il la poussera avec encore plus de zèle, quitte à rompre avec le directeur de l’Observatoire sur la question de la constitution physique du Soleil.

Ses réflexions sur le sujet ont pour origine la nature des « flammes » ou « nuages » aperçues lors de l’éclipse de 1842. Celle-ci a été vivement débattue, et continue d’être une énigme au moment

où Faye s’intéresse à ces phénomènes. Ces apparitions seraient, pour Arago, des nuages flottant dans une atmosphère extérieure, devenant par conséquent une troisième enveloppe, en sus des deux

précédentes qu’Herschel avait imaginées pour expliquer l’apparence des taches solaires. Faye voit dans cette théorie du Soleil ainsi constituée une construction disgracieuse et compliquée, un simple

empilement de conjectures. Pour résoudre un tel problème, il faut selon lui inverser cette habitude de forger une nouvelle hypothèse à chaque fois qu’un nouveau fait se présente. Les protubérances

n’auraient donc pas de réalité en soi, mais seraient semblables à une illusion d’optique, ce qui lui permet de rattacher ces phénomènes à ceux bien connus des mirages terrestres. Dans une lettre au

Père Secchi, directeur de l’observatoire pontifical de Rome, et lui aussi observateur assidu du Soleil, il écrit en 1852 :

« Si on veut que ce soit des nuages solaires, il faut donc admettre qu’il y a une couche

continue et permanente tout autour du Soleil, et tout près de la surface lumineuse, tandis que d’autres nuages beaucoup plus élevés se formeraient passagèrement au-dessus. Je

tiens beaucoup à cette couche inférieure de nuages rosés continue et permanents : ce sera, si vous le voulez bien, une nouvelle enveloppe du Soleil, et en y joignant celle de Mr

Dawes, et toutes celles d’Herschel, nous aurons autant d’enveloppes pour le Soleil que l’ancienne astronomie avait d’épicycles et d’excentriques pour les planètes. Sérieusement,

il est grand temps d’attaquer ces questions d’une manière plus scientifiques, et je vous félicite de tout mon cœur de nous avoir enfin montré la voie.21 »

Il est pour lui grand temps de guider les recherches par des méthodes plus saines, et sa com-

paraison avec l’astronomie pré-copernicienne souligne la rupture qu’il s’apprête à créer par rapport aux opinions de ses contemporains. Pour cela il faut commencer par remettre en question les acquis,

et l’étude du Soleil ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la méthode à adopter. Cette refonte méthodologique est liée à sa prise de conscience que le Soleil, étudié physiquement, et non plus pour

ses seules attributs géométriques ou son mouvement, possède un statut nouveau, comme l’avait déjà souligné Arago. Sa nature échappe à notre expérience directe, contrairement à un dispositif de la-

boratoire, et pourtant il doit être abordé avec l’œil du physicien en plus de celui de l’astronome. Il

4.1 Le problème de l’atmosphère du Soleil. Sur les pas d’Arago... entre rupture et continuité 149

lui faut développer une approche au carrefour de deux disciplines, science d’observation d’un côté, science de laboratoire de l’autre. Il livre ainsi ce constat :

« Nous savons qu’en astronomie la partie physique n’est pas très avancée, malgré les efforts des hommes considérables qui s’en sont occupés. A quoi tient cette infériorité ?

Elle provient sans doute, et avant tout de la difficulté propre à toute recherche physique sur des objets que nous ne pouvons éprouver que par un seul sens, celui de la vue,

mais elle tient aussi, à mon avis, à la différence des méthodes usités. Dans l’astronomie de mouvement on proscrit les hypothèses et l’on pense avec raison avoir suffisamment

expliqué les faits quand on les a rattachés logiquement à des faits plus connus, plus familiers. Dans l’astronomie des phénomènes et des figures, on a recours à tout instant à

des hypothèses. Là l’apparition d’un fait nouveau provoque immédiatement la création d’une hypothèse spéciale destinée à en rendre compte.22 »

Entre rupture et continuité, Faye initie une astronomie physique dont on verra qu’elle se caracté- rise par une approche en relation avec sa pratique d’astronome, en y incluant cependant les progrès

réalisés dans les autres disciplines. Ce faisant, il s’affranchit progressivement de la pensée d’Arago, avec qui il est d’ailleurs ouvertement en conflit, tant personnellement qu’à propos de la théorie du

Soleil ; un Arago qui aurait, aux yeux de Faye, « [...] un droit de propriété sur le Soleil depuis la fameuse expérience où il a réussi à démontrer que la photosphère est gazeuse, ce dont personne

ne doutait, et que son intensité lumineuse est la même au centre qu’aux bords, ce que personne n’admet.23 »

Selon l’opinion de James Lequeux que nous avons précédemment rappelée, l’astrophysique serait morte prématurément avec Arago, avant sa seconde renaissance plus tardive avec l’avènement de

la spectroscopie24. Existe-t-il véritablement un vide scientifique en France entre Arago et Janssen ? Nous voulons justement montrer comment Faye, à sa façon, s’avère être ce chaînon manquant.

En digne successeur d’Arago, il ne cessera de faire vivre cette tradition d’une science unifiée par l’expérience et la mesure, embrassant différentes disciplines dans un esprit proche également de celui

d’Alexandre von Humboldt, l’ami intime d’Arago. Faye a eu d’ailleurs l’occasion de se familiariser avec la pensée de Humboldt lorsqu’il lui échut la tâche de traduire son œuvre majeur, le Cosmos, entre

1848 et 1851. Mais cela suffit-il pour faire de Faye un représentant d’une « science humboldtienne »,

22. Lettre de Faye à Secchi, non datée, Archives de l’Académie des Sciences.

23. Lettre de Faye à Secchi, 17 février 1853, Archives de l’Université Grégorienne. Arago décède à Paris le 2 octobre de la même année.

terme forgé par l’historienne Suzan Canon25? Nous tenterons également de répondre à cette question au fil de ce chapitre. Faye porte donc cette idée de science de la mesure au cœur de sa méthode,

et ses travaux vont marquer une avancé considérable dans l’étude du Soleil (et également d’autres phénomènes astronomiques comme celui des comètes).

Revenons pour l’instant au problème de l’atmosphère solaire et des protubérances. La photo- graphie va se révéler ici un instrument puissant pour les étudier, et Faye devient rapidement l’un de ses plus ardents promoteurs. Cependant, comme pour tout nouvel instrument employé à l’étude

physique du Soleil, Faye en interroge la pertinence et le statut.