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La théorie des conventions comme socle de la modélisation

Une modélisation "intersubjectiviste" de l'entrepreneuriat immigré

3.2. La théorie des conventions comme socle de la modélisation

La théorie des conventions, même si elle ne constitue pas un corpus unifié, s’ancre dans les travaux d’ELSTER (1986, 1991) et de BOLTANSKI et THEVENOT (1987, 1991) qui suggèrent qu’il existe une pluralité de modèles de rationalisation des actions sociales. C’est une théorie de « la justice locale » qui, en ce sens, prend le contre-pied des « théories de la justice globale » évoquées au chapitre précédent. De ce fait, elle ouvre la voie à une approche renouvelée du phénomène entrepreneurial immigré comme nous le recommandions.

3.2.1. La théorie des conventions, une théorie de la justice locale

Nous avons montré que les « théories de la justice », celle de RAWLS d’abord, puis celle des communautariens établie en réaction à la première, constituaient les soubassements philosophiques des modélisations anglo-saxonnes de l’entrepreneuriat immigré. Elles sont des

« théories de la justice globale». L’option conventionaliste préconisée consiste, au contraire, à se référer à des « théories de la justice locale » (ELSTER, 1991, 1995 ; BOLTANSKI et THEVENOT, 1987, 1991) qui, plutôt que de préconiser des règles universelles (que la justice soit centrée sur la liberté individuelle comme chez Rawls, l’individu étant alors sous-socialisé, ou qu’elle soit basée sur une définition communautarienne), s’intéressent à des contextes précis où, pour reprendre les mots de BOLTANSKI et THEVENOT, à des « mondes » dans lesquels prévalent des critères qui fournissent l’aune des actions éthiquement valides ou des buts communs à atteindre par les individus évoluant dans ces différents contextes.

Dans le même ordre d’idées, pour ELSTER (1986), « il n’ y a pas de moi unique ; il n’y a que des moi multiples » qui peuvent entrer en conflit. Par ces formules, ELSTER rappelle que l’individu est caractérisé par plusieurs identités ou différentes références qui peuvent entrer en

tension. Cette axiomatique fait de la multi-appartenance, un problème anthropologique

fondamental109. Il est indéniable qu’elle caractérise l’immigré plus qu’aucun autre. Selon ces auteurs, l’issue des tensions résultant de cette multi-appartenance est généralement un compromis. Ainsi, BOLTANSKI et THEVENOT (1991), en soulignant que la philosophie moderne s’est construite sur la base d’une compartimentation des espaces de justification, montrent ensuite que l’analyse des pratiques et des discours des acteurs atteste, au contraire, de l’imbrication des différents critères de justification.

Identifiant six « cités » correspondant aux six critères de justification des actions qu’ils repèrent dans la littérature, ils affirment que la plupart des actions humaines font appel à des compromis entre ces énoncés de justification.

Suivant le contexte, le critère de justice locale sera différent. Les critères universalistes marchands des néo-libéraux et ceux, culturalistes, des communautariens ne sont que des critères possibles parmi d’autres. BOLTANSKI et THEVENOT (1987, 1991) évoquent ainsi le « critère marchand110, le critère « industriel »111, le critère « domestique »112, le critère

109 Isabelle GUERIN (2003, p. 43) montre de manière convaincante que cette axiomatique que nous attribuons à ELSTER et à BOLTANSKI et THEVENOT est à rapprocher de celle de SEN (1993). SEN (1993, p. 233) soulignait que le fait que chacun puisse simultanément « être membre d’une classe sociale, d’un groupe professionnel, d’une nation ou d’une communauté » était de nature à créer une incertitude et une tension pour l’évaluation de ce qui est juste, puisque chaque appartenance inspire un mode d’évaluation du juste qui peut, dans certains contextes, différer de celui qu’inspirent les autres appartenances. Il importe de mentionner, toutefois, que pour ELSTER comme pour SEN, le conflit entre principes de justice est d’abord un conflit intra-individuel. C’est parce que l’individu possède de multiples appartenances sociales qu’il est soumis à des arbitrages qui lui appartiennent entre principes de justice.

110 Les actions sont légitimées sur la base de principes marchands. 111 Les actions sont évaluées et légitimées à l’aune de standards attendus.

« civique »113, le critère du renom »114 et le critère « divin»115 comme étant combinables pour juger et justifier des actions.

Pour bien mesurer le lien entre ces approches de la justification et la théorie des conventions que les auteurs revendiquent eux-mêmes, il suffit de rappeler que pour GOMEZ (1994, p. 110), l’énoncé d’une convention repose sur trois items :

-le principe supérieur commun qui constitue l’objet de la convention sur lequel portent les travaux de BOLTANSKI et THEVENOT ;

-la distinction qui permet, le cas échéant et non systématiquement, d’établir une hiérarchie entre les adhérents ;

-la sanction qui offre la possibilité « d’exclure » en définissant la limite entre ceux qui adhèrent au principe commun et ceux qui n’y adhèrent pas.

Les deux derniers items apparaissent comme des modalités subordonnées au principe supérieur commun qui est constitutif de la convention.

Pour éclairer ces concepts, on peut faire référence à un travail dans lequel nous avions proposé d'utiliser la théorie de la justification et des conventions pour décrypter une situation de tension organisationnelle (LEVY, 1998a). L’organisation, une institution d’enseignement supérieur était en proie à des oppositions de logiques et nous avions suggéré que la direction de l’institution adoptait plutôt un principe commun « domestique », tandis qu’un groupe d’intervenants réformateurs s’appuyaient sur une autre logique, un « arrangement » entre logique « civique » et « logique du renom ».

La sanction est ce qui sépare les deux groupes. Dans le premier cas, il s’agit d’une soumission presque aveugle au Prince, une assise sur la tradition et un grand sens du bien commun. Dans le second cas, une importance accordée à l’expression de tous les acteurs et à la prise en compte de leurs attentes est retenue. Enfin, même si plusieurs acteurs adhéraient au principe « domestique » (respect du Prince), la distinction précise que leur implication dans le conflit organisationnel n’était pas la même, le directeur étant en première ligne par rapport à ses subordonnés. De même, du côté des intervenants, on distinguait des niveaux d’implication différents.

112 C’est la tradition ou la réputation qui servent à guider les comportements.

113 L’action est évaluée par rapport au bien commun. 114 L’action serait évaluée à partir de l’opinion.

Ce détour aura permis de bien faire comprendre, s’il en était besoin, que l’approche de BOLTANSKI et de THEVENOT constitue un lexique fondamental pour la théorie des conventions, et plus largement, pour les théories de l’action. Les six « cités » envisagées par les auteurs jouent le rôle de méta-modèles de conventions applicables suivant les contextes. On a ainsi pu montrer (EYMARD-DUVERNAY, 1989 ; BIENCOURT, 1994 ; LEVY, 1998a,b ; LEVY, 2002a ) que c’est cette grille qui décrypte l’économie de la qualité à la lumière de la théorie des conventions.

L’intérêt de cette approche est qu’elle admet une pluralité des formes de

justification de l’action d’autant que des combinaisons et des arbitrages entre critères sont possibles.

C’est donc sur ces bases épistémologiques renouvelées que nous pensons qu’il est possible de construire une modélisation de l’entrepreneuriat immigré français qui laisse toute sa place à la diversité des trajectoires individuelles de l’entrepreneur immigré et à la multiplicité des ressources (essentiellement les réseaux d’accompagnement) qu’il peut mobiliser.

A la suite des travaux de GOMEZ (1994, 1996), la théorie des conventions a déjà été appliquée à l’entreprise et à l’entrepreneuriat. Nous évoquerons ces travaux en envisageant comment la théorie sert de socle à nos réflexions pour l’objet spécifique que constitue l’Entrepreneuriat immigré.

3.2.2. La théorie des conventions et l’entrepreneuriat

immigré

Pour GOMEZ (1994, p. 183), l’entreprise est assimilée à « une convention d’effort », c'est-à-dire à « une convention sur le niveau d’implication attendu » de ses différents partenaires. Le rôle de l’entrepreneur s’énonce comme constructif de cette convention.

Pour MARCO et HERNANDEZ (2002, p. 133), dans cette perspective théorique, « Entreprendre, c’est convaincre les acteurs nécessaires à la réalisation d’un objectif

115 Dans la « cité de Dieu », l’action est fondée sur la grâce ou sur l’inspiration divine.

commun ». Dans les termes conventionnalistes, le porteur de projet cherche à faire adhérer son entourage et ses partenaires à sa convention d’effort. « Il croit à son projet et sait faire partager sa croyance aux autres. (…) Il n’est ni un sur-homme, ni un démiurge. Il est celui qui crée du sens, l’acteur d’un système de conviction qui rend la convention proposée plus cohérente que toute autre alternative » (MARCO, HERNANDEZ, op. cit., p. 134).

Pour construire cette convention, l’entrepreneur immigré opère un arbitrage entre les différents ordres de jugement auxquels il est confronté. On modélise alors son positionnement entrepreneurial comme la résultante d’influences diverses desquelles émerge une convention.

Pour GOMEZ (1994, p. 108), une convention est « une structure de coordination des

comportements ». C’est un guide pour l’action et un instrument discursif de légitimation des actions (BOLTANSKI, THEVENOT, 1987, 1991).

Représenter l’entrepreneuriat immigré sous cet angle n’est pas neutre. En suivant GOMEZ (1994, p. 98), la convention est une forme de coordination et de définition des comportements individuels et collectifs qui se présente comme une alternative à d’autres formes de coordination parmi lesquelles l’auteur mentionne le marché, la panique et « l’approche culturelle ». Pour l’auteur, dans l’approche culturelle, « la coordination se fait relativement à l’appartenance à un groupe culturel ». Au contraire, dans notre représentation, la coordination se fait relativement à des choix individuels qui résultent d’un arbitrage entre des critères de jugement différents énoncés dans l’interaction.

Le modèle résultant de cette perspective dont la figure 3.3 offre une schématisation, tout en reprenant les traits généraux relevés dans la littérature anglo-saxonne (influence du projet d’intégration sur la forme de l’entreprise ; difficultés spécifiques de l’immigrant ; possibilités

de se référer à un héritage culturel différent), conçoit le phénomène entrepreneurial

immigré comme une dialectique de relations inter-individuelles .

L’entrepreneur immigré et l’organisation qu’il impulse (VERSTRAETE, 2001) sont au centre du dispositif. Notre positionnement adopte l’approche processuelle aujourd’hui dominante en Entrepreneuriat que nous revendiquions en introduction. Mais cette dialectique Entrepreneur-Organisation est influencée par toutes les relations et les influences de l’entrepreneur (représentées sur le schéma par des flèches). Or, chaque relation étant orientée vers l’action

entrepreneuriale donne lieu à une controverse entre principes de justification de l’action ou, en d’autres termes, à une tension entre conventions.

Trois niveaux principaux de tension peuvent être identifiés.

1. En premier lieu, il y a tension de l’entrepreneur immigré avec le contexte local dans lequel il est immergé. Ces tensions se manifestent par les difficultés à obtenir un crédit, par la perception de discriminations ou, au contraire, par une adhésion forte aux conventions des individus avec qui il est en relation. C’est dans cet espace que se construit le projet entrepreneurial. Toutefois, l’entrepreneur immigré est également soumis aux influences culturelles et communautaires qui constituent éventuellement un nouveau point de tension.

2. Les « conventions » culturelles que partage la communauté de l’entrepreneur

entrent en conflit avec les conventions auxquelles l’entrepreneur se rattache. B. SAPORTA et L. KOMBOU (2000) donnaient une esquisse de ce genre de tensions en montrant que les valeurs entrepreneuriales occidentales étaient en opposition avec les valeurs traditionnelles africaines. Il y aurait lieu de décrire comment l’entrepreneur immigré « accommode » ces deux espaces de convention.

Parfois, l’accommodation aboutit à une stratégie d’évitement. Dikaki T., entrepreneur camerounais sur Paris (Cas N°1) nous confiait que pour éviter de leur être tributaire, il n’avait pas avoué son activité à sa famille restée au Cameroun. De même, Frédéric MAËS, consultant et accompagnant de porteurs de projets (Cas 34) nous confiait qu’un de ses clients, qui tenait une boucherie hallal, l’avait contacté lui plutôt que de recourir à son réseau, afin de vendre son affaire, « parce qu’il ne voulait pas que ça se sache dans sa communauté ». Il comptait sur l’accompagnateur générique pour lui sérier la clientèle des repreneurs sans devoir subir les pressions et opérer des arbitrages socialement coûteux au sein de sa communauté. Ces deux exemples montrent la possibilité de tensions entre deux ordres de conventions.

3. Enfin, les influences communautaires entrent également en conflit avec les

dispositifs non ethniques d’accompagnement qui ont leur propre logique. Là encore, l’entrepreneur est amené à produire des accommodations. C’est le cas lorsque face à l’existence de prêts familiaux dans le plan de financements, le chargé de mission d’A.L.E.X.I.S. demande au porteur de projet des reconnaissances de dettes écrites pour remplir des dossiers de financement

complémentaire et que le porteur de projet est désemparé par la demande qui remet en cause un engagement verbal qui a pour lui plus de valeur qu’un écrit.

Embededdness

Figure 3.3. Une modélisation intersubjectiviste de l’entrepreneuriat immigré dans le contexte français.

Source : Auteur.

Dans le prolongement d’autres travaux sur l’économie des conventions et sur l’intersubjectivité (FULLBROOK,2002, LEVY,2002a) qui nous semblent fondamentaux pour décrire les trajectoires entrepreneuriales immigrées, ce modèle pourrait être qualifié d’ « intersubjectiviste » car, fortement ancré théoriquement sur la théorie de l’embeddedness et

Localisation géographique et sociale Projet d’intégration ou d’affiliation à la société d’accueil FIGURES ENTREPRENEURIALES Choix incarnés dans les choix d’activité et dans les

choix territoriaux

-L’isolé

-Le notable socialement intégré

-Le notable ethniquement reconnu -L’entreprenant -Le nomade …. DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNE MENT -Génériques -Spécifiques -Réseaux ethniques -Assoc. dédiées 1 2 Localisation géographique et sociale Projet d’intégration ou d’affiliation à la société d’accueil FIGURES ENTREPRENEURIALES Choix incarnés dans les choix d’activité et dans les

choix territoriaux

-L’isolé

-Le notable socialement intégré

-Le notable ethniquement reconnu -L’entreprenant -Le nomade …. DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNE MENT -Génériques -Spécifiques -Réseaux ethniques -Assoc. dédiées 1 2

Influences culturelles (références aux modèles traditionnels du pays d’origine ; influence de la famille restée au pays ; Tributariat….)

Difficultés spécifiques rencontrées Motivations entrepreneuriales (PUSH/ PULL) 3

sur la théorie des conventions, il met l’accent sur les jeux de relations dans lesquels la démarche entrepreneuriale de l’immigré est encastrée.

Si l’on représente ainsi le phénomène entrepreneurial immigré en mettant l’accent sur les relations inter-individuelles desquelles jaillissent des tensions entre conventions différentes,

on fait de l’entrepreneur immigré, un agent d’accommodation entre conventions.

Sans remettre en cause fondamentalement les modélisations du phénomène entrepreneurial

(VERSTRAETE , 2000a ; 2001), notre formalisation en élargit le champ en mettant

l’accent sur le relationnel et ouvre des pistes pour répondre à certaines des questions laissées en suspens par la recherche francophone en Entrepreneuriat, comme la question de l’entrepreneuriat collectif tel que VERSTRAETE (2000b, p. 72) la pose. Pour l’auteur, « il faudrait passer d’une cognition idiosyncrasique à une cognition sociale ». Nous avons implicitement suggéré que même lorsque l’entrepreneuriat renvoie à un individu isolé, celui-ci reste encastré dans un espace de relations. Par conséquent, sa cognition est d’emblée sociale par le fait même que, soumis à des controverses sur la justification et sur la cognition de son action, l’entrepreneur est conduit à repenser celle-ci. Dans notre cadre d’étude, la dialectique individu-organisation décrite par VERSTRAETE serait, en quelque sorte, une dialectique individus-organisations. conduisant à une relecture critique des modèles fondamentaux du phénomène entrepreneurial dans le contexte français.

3.2.3. Une relecture critique des modélisations de C. BRUYAT (1993) et de T. VERSTRAETE (1999, 2001)

Pour certains, l’entrepreneuriat ne recouvre que la création ex-nihilo, pour d’autres, il faut également inclure d’autres actions comme la reprise d’entreprise, la PMIsation, etc., ce qui pose la question de la définition du champ de l’entrepreneuriat retenue. C’est afin de donner des clés pour circonscrire ce champ que C. BRUYAT (1993), en s’appuyant sur les travaux de GARTNER (1985), a proposé de définir le champ de l’entrepreneuriat à partir d’une « dialogique Individu-Création de valeur ». Plus récemment et dans une perspective légèrement différente, en cherchant cette fois à modéliser le phénomène entrepreneurial, VERSTRAETE (1999 ; 2001) a proposé un modèle centré sur la « dialectique entrepreneur-organisation ».

Si on essaie de les décrypter à la lumière des théories de l’action (l’action étudiée étant l’action d’entreprendre), ces deux approches proposent un éclairage sur deux éléments constitutifs de l’action : -le sujet de l’action (l’acteur) et son objet (la création de valeur, l’organisation créée).

Toutefois, aux côtés du sujet(l’entrepreneur) et de l’objet (l’entreprise ou, plus largement, l’organisation créée ou reprise), les théories de l’action soulignent également l’importance du

contexte de l’action du sujet sur l’objet (l’environnement) et le processus qui décrit l’action elle-même. Si BRUYAT (tout comme GARTNER) s’est efforcé de le décrire, ce n’était pas l’objet du travail de T. VERSTRAETE (2001), limité à une approche statique. Avec l’éclairage des travaux récents sur la sociologie et la philosophie de l’action (LIVET, 1990 ; LIVET et THEVENOT, 1991 ; BOLTANSKI et THEVENOT, 1987 ; 1991), un nouvel élément essentiel au demeurant généralement incorporé par les chercheurs en entrepreneuriat peut être apporté avec les outils de justification de l’action auxquels recourt le sujet (Ainsi, Thierry VERSTRAETE , 1999, 2000b, lorsqu’il prétend se concentrer sur la dialogique sujet-objet, c’est-à-dire entrepreneur-organisation, précise qu’elle repose sur trois dimensions : cognitive, praxéologique et structurale, la dimension cognitive représentant l’organisation pensée par son initiateur et autorisant donc le recours à des outils de justification de son action par ce dernier).

Si, pour les deux auteurs, l’entrepreneuriat est un phénomène qui ne se lit que dans la durée, impliquant l’existence d’un processus entrepreneurial qui engage l’individu (que ce processus soit explicitement décrit chez BRUYAT ou implicitement admis chez VERSTRAETE), leurs approches semblent donner peu d’importance au contexte de l’action. Cela provient, pour l’essentiel, de leur proposition de modèles génériques. De surcroît, prétendre que la dimension contextuelle de l’action est absente de ces modèles serait faire un faux procès à ces auteurs.

En effet, cette dimension est supposée être internalisée par l’acteur (l’entrepreneur). Ainsi, pour T. VERSTRAETE (2001, p. 9), le phénomène entrepreneurial analysé dans les termes d’une dialectique entrepreneur-organisation est un phénomène à trois dimensions indissociables : une dimension praxéologique traduisant l’action de l’entrepreneur sur l’organisation et sur l’environnement pour créer l’organisation (l’acte entrepreneurial), une dimension cognitive correspondant sur le plan empirique à la vision entrepreneuriale de

l’individu, et, enfin, une dimension structurale, traduisant le fait que l’action est structurante pour l’entrepreneur dans son nouveau statut et pour l’organisation qu’il impulse.

La cognition idiosyncrasique de l’entrepreneur inclurait les éléments de contexte. Dans ces conditions, le contexte est implicitement pris comme une donnée. Si c’est cohérent pour un entrepreneur quelconque, ceci se révèle beaucoup plus délicat lorsqu’il s’agit d’étudier l’entrepreneuriat immigré. En effet, suivant la position que l’entrepreneur adopte vis-à-vis du contexte sociétal du pays d’accueil, il choisira un comportement entrepreneurial différent. Par exemple, retenir une « stratégie ethnique » telle que la décrivent les auteurs anglo-saxons est envisageable dans le contexte français. On a déjà mentionné qu’elle semblait, à certains égards, caractériser la posture des entrepreneurs d’origine chinoise à Paris (PAIRAULT, 1995). Elle traduit simplement une mise en tension prononcée de la convention régissant le modèle d’intégration à la française.

L’internalisation de la dimension cognitive qui convenait dans une perspective de circonscription globale du phénomène entrepreneurial que proposait T. VERSTRAETE, n’est plus adaptée pour cerner les spécificités de l’entrepreneuriat immigré et, en particulier, le conflit entre systèmes de valeurs culturelles que nous proposons de relire comme un conflit entre conventions.

Le seul moyen de décrire le processus par lequel l’entrepreneur immigré se positionne , consiste à nos yeux à ré-introduire dans la modélisation proposée une dose d’intersubjectivité. Fondamentalement, nous montrerons que, tout en adhérant à l’architecture du modèle de T. VERSTRAETE, nous sommes en rupture avec lui sur sa conception de la cognition qui ne saurait être idiosyncrasique.

Pour bien comprendre le phénomène entrepreneurial immigré à partir du positionnement de l’entrepreneur immigré, a priori confronté à des difficultés spécifiques et, parfois, enclin à s’appuyer sur des réseaux spécifiques, notamment ethniques, il convient d’adjoindre à la dialogique Individu(s)-Organisation(s), la dimension contextuelle (réseaux utilisés, rapport à l’ethnicité et à la société d’accueil) et la distance que l’entrepreneur immigré prend par rapport à elle. En d’autres termes, on ne peut établir une représentation du phénomène entrepreneurial immigré qu’en nous arrêtant sur les outils de justification de l’action

entrepreneuriale que l’entrepreneur va mobiliser vis-à-vis de ses réseaux et de sa communauté qu’il doit convaincre. La théorie des conventions, dans sa formulation découlant